Déjeuner-causerie - Howard Sapers, enquêteur correctionnel du Canada - Forum national sur l’éradication de la violence et la sécurité communautaire

Body

Organisé par l’Assemblée des Premières nations (APN)
et
l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC)

Le 9 avril 2013
EDMONTON (ALBERTA)


Aînés, coprésidents, chefs, conseillers et distingués membres du public, j’aimerais tout d’abord reconnaître les gardiens traditionnels de ce territoire, où je suis un invité. Je suis profondément touché et honoré de me retrouver parmi vous. Merci de m’avoir invité à prendre la parole dans le cadre de cet important forum national d’actualité.

Aujourd’hui, mon allocution porte sur les défis auxquels sont confrontés les Autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux. On m’a demandé de décrire comment les interventions correctionnelles appropriées peuvent aider à prévenir la violence dans la collectivité. Je m’appuierai fortement sur le rapport intitulé, Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , qui a été produit par le Bureau de l’enquêteur correctionnel et déposé devant le Parlement le 7 mars.

J’aimerais tout d’abord remercier officiellement l’Assemblée des Premières nations et l’Association des femmes autochtones du Canada, lesquelles ont veillé à ce que le rapport soit accessible à l’échelle nationale et acquière une notoriété nationale. Au fil des ans, votre appui aux activités du Bureau a renforcé la crédibilité des préoccupations que j’ai soulevées relativement aux Autochtones ayant des démêlés avec la justice.

Vous avez été peut-être témoin d’une partie de la couverture médiatique dont le rapport, Une question de spiritualité, a fait l’objet à l’échelle nationale. C’est seulement la deuxième fois dans l’histoire du Bureau qu’un rapport spécial est produit à l’intention du Parlement. D’après mon évaluation, les problèmes auxquels font face les Autochtones pris en charge par le système correctionnel fédéral sont urgents et alarmants.

Permettez-moi également de dire que je ne sous-estime pas l’engagement du Service correctionnel du Canada d’assurer la garde sécuritaire et humaine des détenus. Je n’ai pas non plus l’intention de déprécier les progrès réalisés au cours de la dernière décennie dans le cadre des interventions adaptées à la culture des délinquants autochtones.

Par ailleurs, je suis conscient du fait que les défis auxquels fait face le Service quant à la surreprésentation des Autochtones dépassent largement sa compétence et exigent la mise en place d’une approche pangouvernementale visant, entre autres, l’éducation, l’emploi, le logement et les soins de santé. Mais, comme je l’ai conclu il y a quelques semaines, il existe des mesures que le Service peut et doit prendre pour réduire les disparités et les écarts dans les résultats liés aux délinquants autochtones sous responsabilité fédérale. C’est sur ces questions que je me pencherai aujourd’hui.

La surreprésentation des hommes et des femmes autochtones ayant des démêlés avec la justice pénale n’est pas nouvelle. Les facteurs sociaux, culturels, historiques et économiques qui contribuent à gonfler les taux d’incarcération des Autochtones, lesquels sont considérablement plus élevés que les taux nationaux, ont été largement documentés. Cette surreprésentation est l’un des effets persistants des pensionnats et de la création des réserves. Dès le premier contact, les Autochtones ont dû composer avec l’assimilation, la dépossession et le déplacement.

Les facteurs qui entraînent la surreprésentation des Autochtones ont été reconnus par la Cour suprême du Canada, dans R. c. Gladue [1999] et, plus récemment, dans R. c. Ipeelee 2012 . Permettez-moi de citer la Cour suprême dans l’arrêt Ipeelee :

« Les tribunaux doivent prendre connaissance d’office de questions telles que l’histoire de la colonisation, des déplacements de populations et des pensionnats et la façon dont ces événements se traduisent encore aujourd’hui chez les peuples autochtones par un faible niveau de scolarisation, des revenus peu élevés, un taux de chômage important, des abus graves d’alcool ou d’autres drogues, un taux élevé de suicide et, bien entendu, un taux élevé d’incarcération . »

Dans le système de justice pénale, ces facteurs sont connus comme les principes de l’arrêt Gladue . Une fois la peine déterminée, les facteurs suivants doivent être pris en compte par les décideurs lorsque les intérêts d’un délinquant autochtones sont en cause : 
 

  • Les séquelles du régime des pensionnats.
  • L’expérience avec les organismes de protection de la jeunesse ou d’adoption.
  • Les répercussions du déplacement massif et de la dépossession des peuples autochtones.
  • Les antécédents de suicide, de toxicomanie ou de victimisation dans la famille ou la collectivité.
  • La perte ou le problème d’identité culturelle/spirituelle.
  • Le niveau de scolarité ou le manque d’instruction du délinquant.
  • La pauvreté et les mauvaises conditions de vie.
  • L’exposition ou l’adhésion aux gangs de rue autochtones.

Il est évident que les inégalités dont souffrent les hommes et les femmes autochtones se poursuivent jusqu’à la prison. Dans le langage correctionnel, l’histoire sociale autochtone se traduit approximativement par « risque élevé », « besoin élevé » et « potentiel de réinsertion faible ». La Commission royale sur les peuples autochtones a conclu que les taux élevés de la surreprésentation des Autochtones sont une indication de la perte de la culture, de l’identité et de l’esprit d’un peuple.

À l’heure actuelle, 23 % de la population carcérale sous responsabilité fédérale est d’origine autochtone. En 2000-2001, les Autochtones représentaient 17 % de la population carcérale sous responsabilité fédérale. Mon Bureau estime que le taux d’incarcération des adultes autochtones est dix fois plus élevé que la moyenne nationale.

Ces taux ne cessent d’augmenter. Depuis 2005-2006, la population carcérale autochtone a augmenté de 43 %, par comparaison à la population carcérale non autochtone, qui a augmenté de 5,6 %. À présent, on compte plus de 3 500 détenus autochtones dans les établissements fédéraux.

Les statistiques à l’échelle provinciale et territoriale ne sont pas meilleures. En 2010-2011, 27 % de la population adulte sous responsabilité provinciale et territoriale était d’origine autochtone, un taux six ou sept fois plus élevé que le taux d’incarcération de la population adulte canadienne. Pendant la même période, 26 % de tous les jeunes admis dans les centres de détention pour adolescents étaient d’origine autochtone.

Les chiffres sont encore plus désastreux pour les femmes. Avant la fin de 2011, 41 % de toutes les femmes incarcérées au Canada étaient d’origine autochtone. Parmi les femmes qui purgent une peine de ressort fédéral, une sur trois est Autochtone. En moyenne, les jeunes femmes autochtones âgées entre 12 et 17 ans sont incarcérées à un taux six fois plus élevé que celui de la population carcérale générale. Les femmes incarcérées sont plus susceptibles d’avoir des antécédents d’automutilation, de traumatisme physique et psychologique et d’abus sexuel. 
 

À l’heure actuelle, les femmes autochtones constituent la sous-population carcérale fédérale dont la croissance est la plus rapide. Le nombre de délinquantes autochtones sous responsabilité fédérale a pratiquement doublé dans une période de dix ans, entre 2002 et 2012. Les femmes autochtones représentent 59 % des délinquantes sous responsabilité fédérale dans la région des Prairies.

D’autres facteurs et chiffres de la région des Prairies peuvent aider à illustrer l’ampleur du problème :

  • Au cours de la période de deux ans, allant de mars 2010 à mars 2012, la région des Prairies (Manitoba, Saskatchewan et Alberta) affichait 51 % de la croissance nette de la population carcérale totale sous responsabilité fédérale. Cette croissance est due en grande partie aux délinquants autochtones nouvellement admis.
  • La région des Prairies est la région qui affiche la croissance la plus rapide au Canada, où plus de 4 000 détenus sont hébergés dans 14 établissements fédéraux. Les Autochtones représentent 46,5 % de la population fédérale régionale.
  • À l’Établissement de Stony Mountain, au Manitoba, 65 % de la population est d’origine autochtone. Au Pénitencier de la Saskatchewan, 64 % de tous les détenus sont Autochtones. Au Centre psychiatrique régional de Saskatoon, 58 % des clients sont Autochtones. À l’Établissement d’Edmonton pour femmes, 60 % de la population est d’origine autochtone.
  • Cette année, jusqu’à présent, c’est la région des Prairies qui affiche le taux le plus élevé de double occupation des cellules, d’incidents d’automutilation ainsi que d’homicides et de voies de fait contre des délinquants à l’échelle nationale.

Les chiffres régionaux correspondent aux données nationales ayant trait aux femmes et aux hommes d’origine autochtone sous responsabilité fédérale. Les délinquants autochtones sont, par exemple, beaucoup plus susceptibles de purger la totalité de leur peine derrière les barreaux que les délinquants non-autochtones. En 2011-2012, les Autochtones représentaient 45,1 % du nombre total des délinquants maintenus en incarcération jusqu’à l’expiration de leur mandat, bien qu’ils ne formaient que 22 % de la population carcérale.

En fait, la majorité des délinquants métis, inuits et des Premières nations sous responsabilité fédérale obtiennent leur libération en vertu de la loi, soit aux deux tiers de la peine, et non dans le cadre d’une libération conditionnelle.

Le nombre de délinquants autochtones qui obtiennent la semi-liberté ou la libération conditionnelle totale est largement inférieur à ce qu’il devrait être, compte tenu de leur taux de représentation au sein de la population carcérale. Bien que les taux d’octroi de libération conditionnelle soient peu élevés pour tous les détenus, ceux des hommes et des femmes autochtones sont encore plus bas.

Les cas d’automutilation commis par des Autochtones dans les établissements fédéraux représentent 45 % de tous les incidents. Huit des douze délinquants qui s’automutilaient le plus fréquemment l’année dernière dans les établissements fédéraux étaient Autochtones, dont quatre femmes.

Les délinquants autochtones sont surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale et les aires d’isolement. Ils présentent un taux de risque plus élevé et des besoins plus grands dans des domaines tels que l’emploi, la réinsertion dans la collectivité, la toxicomanie et le soutien familial. Malheureusement, ces réalités définissent les services correctionnels pour les Autochtones au Canada, et mettent en échec les solutions faciles.

C’est le contexte dans lequel le rapport spécial sur les services correctionnels pour Autochtones a été soumis au Parlement. Le rapport intitulé, Une question de spiritualité, est une évaluation effectuée par le Bureau de l’enquêteur correctionnel sur la façon dont les dispositions propres aux Autochtones de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , la loi régissant les services correctionnels fédéraux, ont été appliquées depuis leur entrée en vigueur en 1992.

Le rapport examine en particulier l’utilisation des articles 81 et 84 de la Loi :

  • L’article 81 permet au ministre de conclure avec une collectivité autochtone un accord dans le but de transférer à un établissement communautaire autochtone, la responsabilité des soins et de la garde de délinquants autochtones qui, autrement, seraient incarcérés dans un établissement fédéral.
  • L’article 84 permet à la collectivité autochtone de participer aux travaux de planification et de mise en liberté du délinquant qui doit retourner dans sa collectivité.

La Loi prévoit également la mise sur pied d’un comité consultatif national sur les questions autochtones, et précise que les Aînés autochtones et la spiritualité autochtone ont le même statut que les autres religions et les autres chefs religieux. Lors de leur adoption par le gouvernement fédéral en 1992, les dispositions de la Loi touchant particulièrement les Autochtones faisaient partie d’un ensemble de mesures correctives visant à réduire la surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels; ces mesures étaient dirigées en partie par la Commission royale sur les peuples autochtones en 1995. Les réformes comprenaient la mise en place de nouveaux principes de détermination de la peine en 1996 et ont, par la suite, abouti à la décision susmentionnée qui fait jurisprudence et qui a été rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Gladue en 1999.

Ces dispositions de la Loi régissent les pratiques correctionnelles et le traitement des délinquants autochtones qui purgent une peine de ressort fédéral. Elles n’entraînent pas de « traitement préférentiel ». Les dispositions de la Loi propres aux Autochtones mettent l’accent sur la notion que les différences individuelles doivent être prises en compte, si nous voulons que notre système soit équitable. Le terme égalité ne signifie pas que tous les délinquants doivent être traités de la même façon, mais plutôt qu’il faut reconnaître les désavantages ainsi que les disparités concernant les possibilités et les résultats, et essayer d’y remédier.

Qu’avons-nous donc constaté 20 ans après la promulgation de la Loi par le Parlement?

Nous avons constaté un recours limité aux dispositions des articles 81 et 84 pour transférer la garde, les services et les programmes aux collectivités autochtones.

  • Seulement quatre ententes ont été conclues en vertu de l’article 81 avec les collectivités autochtones depuis 1992.
  • Seulement 68 places ont été crées dans tout le Canada en vertu de l’article 81 (ce qui équivaut à 2 % de la population carcérale autochtone de quelque 3 500 détenus).
  • Aucune entente en vertu de l’article 81 n’a été conclue en Colombie-Britannique, en Ontario, dans la région de l’Atlantique et dans le Nord.
  • Une seule entente a été élargie, mais aucune n’a été signée en vertu de l’article 81 depuis 2001, malgré une augmentation de 40 % de la population carcérale autochtone.
  • Trois des quatre installations visées par l’article 81 sont situées dans des réserves, mais la majorité des délinquants autochtones sont mis en liberté en milieu urbain.
  • Aucune place pour les femmes autochtones n’a été créée en vertu de l’article 81 avant septembre 2011.

Nous avons observé des disparités entre les pavillons de ressourcement du Service correctionnel et les installations prévues par l’article 81 :

  • Il n’y a aucune entente de financement permanent pour les installations prévues par l’article 81.
  • Les installations prévues par l’article 81 fonctionnent avec des budgets moindres.
  • Des disparités sont relevées relativement aux salaires et aux avantages sociaux.
  • Les tâches liées à l’établissement de rapports, aux finances, à l’assurance et au fonctionnement sont lourdes.

Nous avons observé une application modeste, trop complexe, bureaucratique et incohérente des dispositions de l’article 84, ainsi qu’une compréhension insuffisante de ces dispositions au sein et à l’extérieur du Service correctionnel. D’un effectif de quelque 19 000 employés, le Service dispose seulement de 12 agents de développement auprès de la collectivité autochtone, pour faciliter les mises en liberté en vertu de l’article 84. Le nombre de mises en liberté accordées en vertu de l’article 84 a baissé de plus de 50 % au cours des cinq dernières années. Par ailleurs, moins de 100 délinquants ont bénéficié de l’octroi d’une mise en liberté en vertu de l’article 84 au cours de l’année dernière.

Parmi les autres constatations principales du rapport, Une question de spiritualité, on compte :

  1. Des critères d’admissibilité restreints qui, dans les faits, excluent la possibilité d’un placement dans un pavillon établi en vertu de l’article 81 pour la plupart des délinquants autochtones.
  2. Une compréhension limitée des peuples, de la culture et des approches de guérison autochtones au sein du système correctionnel fédéral.
  3. Les éléments ayant trait aux antécédents sociaux énoncés dans l’arrêt Gladue sont appliqués de façon inadéquate et inégale dans la prise de décisions visant les services correctionnels.
  4. Les restrictions financières et contractuelles nuisent au travail des Aînés.
  5. Les réalités urbaines et démographiques des Autochtones ne sont pas bien prises en compte. 
     

Pour donner suite à ces constatations, le rapport intitulé, Une question de spiritualité, formule dix recommandations, notamment :

  1. Nommer un sous-commissaire des services correctionnels pour Autochtones afin que l’attention portée à ces services et que les mesures de reddition de compte soient adéquates.
  2. Négocier des niveaux de financement permanents, réalistes et à parité pour les pavillons de ressourcement actuels et à venir, et augmenter considérablement le nombre de places disponibles dans les endroits ayant des besoins à combler.
  3. Offrir au personnel du Service correctionnel d’autres possibilités de formation sur les peuples, l’histoire, la culture et la spiritualité autochtones, afin d’y inclure de la formation sur la façon d’appliquer les principes énoncés dans l’arrêt Gladue .
  4. Résoudre les problèmes des Aînés en ce qui concerne la charge de travail, les paiements et les niveaux de service pour s’assurer qu’ils sont vraiment des partenaires à parts égales lorsqu’il s’agit d’assurer l’exécution des programmes et la prestation des services au sein du Service correctionnel.
  5. Alléger le fardeau administratif et accélérer les processus ayant trait à la mise en liberté aux termes de l’article 84.

La réponse initiale du Service correctionnel du Canada au rapport était décevante. Toutes les recommandations ont été rejetées ou utilisées pour maintenir le statu quo. D’après mon évaluation, aucun élément nouveau dans la réponse du Service correctionnel ne permettra de mettre un frein, encore moins de réduire, l’écart dans les résultats correctionnels qui contribuent à augmenter les taux d’incarcération de la population autochtone du Canada. Dans certains cas, comme la recommandation de nommer un sous-commissaire des services correctionnels pour Autochtones, le Service correctionnel est demeuré tout simplement sur ses anciennes positions. En somme, la réponse du Service correctionnel ne tient pas compte de l’urgence, du caractère immédiat et de l’importance des questions soulevées dans le rapport.

Pour ce qui est de la nomination d’un sous-commissaire des services correctionnels pour Autochtones, je suis conscient du fait que davantage de bureaucratie ne réglera pas les problèmes. D’après moi, une présence forte et constante à la table de la haute direction du Service correctionnel, qui exercera un leadership et sera l’unique responsable de rendre des comptes sur les progrès réalisés, permettra de régler ces problèmes.

La publication du rapport a attiré une attention médiatique importante. Les reportages étaient généralement équilibrés et positifs. Dans l’ensemble, j’étais assez satisfait de l’intérêt et de l’engagement que le public a manifestés, ce qui me porte à croire que les Canadiens sont sincèrement préoccupés par ces problèmes et qu’ils comptent sur leurs gouvernements pour améliorer les choses.

Bien entendu, les commentaires n’étaient pas tous positifs ou utiles. Certains étaient plutôt réactionnaires, méprisants ou non pertinents.

Par exemple, on a mentionné que les Autochtones doivent assumer la responsabilité des actes criminels commis, qui sont associés aux taux élevés d’incarcération et de victimisation. Certains sont d’avis que seules les mauvaises personnes vont en prison. On en déduit que le délinquant autochtone, comme tout autre criminel condamné, mérite la peine imposée, qu’il y a davantage d’Autochtones derrière les barreaux parce qu’ils commettent davantage de crimes. D’autres ont déclaré : « Mais, où est le problème? »

Les facteurs, les circonstances et les antécédents sociaux qui donnent lieu à l’augmentation de la délinquance chez les Autochtones, comme les politiques et les programmes d’assimilation inefficaces du gouvernement, l’institutionnalisation, la pauvreté, le traumatisme intergénérationnel, la toxicomanie et le manque de contrôle sur leur propre vie, sont ignorés ou jugés sans importance. Le système est présumé être juste, indépendant et équitable. Les résultats ayant trait aux délinquants autochtones, qui sont très faibles et qui se dégradent au fil du temps, sont considérés comme étant attribuables à l’absence d’initiative personnelle chez les Autochtones et à leur incapacité à assumer la responsabilité de leurs actes, et ne sont pas la preuve de désavantages systémiques. Cet argument est simpliste et carrément faux, parce qu’il ne tient pas compte du contexte général associé aux démêlés avec la justice. 
 

Ce commentaire négatif me semble déconcertant, parce que le rapport ne justifie pas le comportement criminel. En fait, le système correctionnel est basé sur l’hypothèse selon laquelle les personnes qui violent la loi devront faire face aux conséquences. La loi exige que les conséquences soient appropriées et proportionnelles au préjudice causé, et soient déterminées et imposées par un tribunal indépendant. La loi prévoit également que les conséquences soient adaptées à la culture. Lorsque nous prenons connaissance des commentaires négatifs, n’oublions pas que la responsabilité personnelle est au cœur des services correctionnels pour Autochtones et des programmes de guérison. Ces programmes sont entièrement axés sur l’harmonie, le respect, l’humilité et l’adoption de valeurs prosociales.

Je suis conscient du fait que les relations difficiles entre le Canada et les peuples autochtones remontent littéralement à des centaines d’années. Nous ne pouvons pas effacer le passé, et nous continuerons de subir les conséquences des politiques publiques qui ont échoué, comme le colonialisme, le déplacement et les pensionnats.

Des mesures correctrices doivent être apportées non seulement au système de justice pénale, mais aussi à la santé, au logement et à l’emploi. La voie de la guérison et de la réconciliation va bien au-delà des services correctionnels et du mandat de l’ombudsman d’une prison. Je suis certain que les solutions seront fondées sur l’équité, la responsabilité, la transparence et le respect.

Le rapport avait un objectif plus modeste : examiner si le Service correctionnel du Canada fait tout ce qu’il peut, et devrait, faire pour que la volonté du Parlement soit respectée relativement aux conséquences appropriées et au traitement des délinquants autochtones. J’ai relevé des écarts graves et troublants entre le texte de loi et son application. Il faut faire preuve d’un leadership plus solide et améliorer la mise en œuvre des initiatives autochtones mandatées pour régler le problème croissant de la surreprésentation des Autochtones dans les établissements canadiens.

Mot de la fin

On me demande souvent durant les entrevues si le système correctionnel est discriminatoire à l’endroit des Autochtones, s’il est impartial, préjudiciable ou même emprunt de racisme dans sa conception ou son intention. Je n’ai trouvé aucun élément de preuve indiquant que des programmes, des politiques et des pratiques discriminatoires aient été délibérément conçus par le Service correctionnel. Pourtant, ces programmes, ces politiques et ces pratiques produisent des résultats bien différents pour les délinquants autochtones. La discrimination systémique est rarement préméditée ou intentionnelle. Il arrive qu’en essayant de demeurer impartial, dans le cadre d’un vaste système, on ne tienne pas compte des différences importantes. C’est ainsi qu’un groupe identifiable peut être lésé par des politiques et des pratiques administratives indifférentes.

Dans le discours du Trône de 2001, le gouvernement du Canada s’est engagé à « réduire sensiblement le pourcentage d’Autochtones aux prises avec l’appareil de justice pénale, de manière à niveler cette proportion avec la moyenne canadienne d’ici une génération. »Douze ans plus tard, nous n’y sommes toujours pas arrivé.

Essentiellement, les services correctionnels ont toujours été axés sur les priorités, combien de personnes doivent être incarcérées, lesquelles et pendant combien de temps? Une fois le délinquant incarcéré, que doit-on faire pour accroître la possibilité d’une mise en liberté en toute sécurité et en temps opportun? Comment s’assurer qu’on ne fait pas plus de mal que de bien? Le fait que près du quart des établissements soient occupés par des Autochtones met en doute le processus mis en place pour répondre à ces questions. 
 

Le Service correctionnel du Canada a eu 20 ans pour élaborer et mettre en œuvre des ententes avec les collectivités autochtones pour faciliter le transfèrement des Autochtones à un établissement communautaire, qui, autrement, seraient incarcérés dans un établissement fédéral. D’après moi, étant donné la croissance constante des besoins, l’absence de progrès significatifs dans ce dossier est indéfendable. Nous devons faire mieux et nous le pouvons.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir invité aujourd’hui afin de trouver des solutions à ces problèmes.


Date de modification 
2014-01-24 



 

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