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Michelle M. Mann
Introduction
- L’écart persiste pour ce qui est des résultats positifs parmi les délinquants autochtones au sein du processus correctionnel, comparativement aux délinquants non autochtones.
- Les facteurs à l’origine des infractions commises par les délinquants autochtones sont notamment liés à l’abus d’alcool ou d’autres drogues, à la continuité transgénérationnelle, aux placements dans des pensionnats, aux faibles niveaux d’instruction, au chômage et au faible revenu, ainsi qu’aux conditions de logement et aux soins de santé inférieurs aux normes.
- Les délinquants autochtones sont en général plus jeunes; ils sont plus susceptibles d’avoir déjà purgé des peines; ils sont incarcérés plus souvent pour une infraction avec violence; ils présentent un taux de risque plus élevé; ils ont des besoins supérieurs; ils sont plus enclins à être affiliés à un gang et ils ont davantage de problèmes de santé, notamment l’ ETCAF .
- Une approche holistique s’impose; les problèmes présents sont interdépendants.
Données démographiques sur la population autochtone
- L’ensemble de la population autochtone a augmenté de 20,1 % entre 2001 et 2006.
- La population autochtone est plus jeune que la population canadienne. En 2006, l’âge médian de la population autochtone était de 27 ans, soit de 13 ans inférieur à celui de la population non autochtone.
- La proportion de jeunes adultes autochtones (de 20 à 29 ans) par rapport à l’ensemble des jeunes adultes passera de 4,1 à 5,3 % d’ici 2017.
- Entre 1998 et 2008, la population autochtone incarcérée sous responsabilité fédérale a augmenté de 19,7 %, alors que le nombre de femmes autochtones incarcérées a grimpé de 131 %.
- En 2007-2008, les Autochtones représentaient 17,3 % de la population totale de délinquants sous responsabilité fédérale et 4 % de la population adulte du Canada. Une proportion de 33,1 % de l’ensemble des femmes incarcérées dans des établissements correctionnels fédéraux étaient autochtones.
- La moitié (49,4 %) des délinquants autochtones admis dans des établissements fédéraux en 2007-2008 avaient moins de 30 ans, contre seulement 38,6 % des délinquants non autochtones.
- L’âge médian des délinquants autochtones au moment de leur admission est de 30 ans, comparativement à 33 ans dans le cas des délinquants non autochtones.
- On prévoit au sein du groupe d’âge des Autochtones de 20 à 29 ans une augmentation de plus de 40 % de l’activité criminelle, ce qui équivaut à plus du quadruple du taux de croissance de 9 % prévu parmi le même groupe d’âge de la population non autochtone.
Répercussions
- Les taux de croissance prévus (en particulier parmi le groupe d’âge de 20 à 29 ans) démontrent une surreprésentation constante des Autochtones au cours de la période de planification de 2009-2010 à 2014-2015 du SCC .
- Selon les prévisions démographiques de Statistique Canada, la surreprésentation des Autochtones chez les délinquants nouvellement condamnés continuera de s’amplifier d’ici 2017, en particulier dans l’Ouest et le Nord.
- On s’attend à ce que le nombre de délinquants autochtones incarcérés continue d’augmenter à la suite des modifications apportées au Code criminel .
Engagements et obligations du SCC
- Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ( LSCMLC )
- Article 80 — Le SCC doit offrir des programmes adaptés aux besoins des délinquants autochtones.
- Article 81 — Le SCC peut conclure des accords avec des collectivités autochtones en vue de la prestation de services correctionnels aux délinquants autochtones.
- Article 82 — Le SCC doit constituer un Comité consultatif national sur les questions autochtones ( CCNQA ) chargé de le conseiller sur la prestation de services correctionnels aux délinquants autochtones.
- Article 84 — Lorsqu’un détenu sollicite une libération conditionnelle dans une collectivité autochtone, le SCC doit aviser la collectivité autochtone de la demande de libération et lui donner ainsi la possibilité de soumettre un plan pour la libération du détenu.
- Plan stratégique du SCC relatif aux services correctionnels pour Autochtones au cours de la période de 2006 à 2011
- Il donne un aperçu des initiatives que le SCC doit réaliser au cours de la période de cinq ans afin d’améliorer les résultats chez les délinquants autochtones.
- Il précise que les ententes de rendement des cadres du SCC les obligeront à rendre compte de leur contribution aux services correctionnels pour Autochtones.
- Il insiste sur le modèle du continuum de soins prévoyant des interventions spirituelles et culturelles d’Aînés et des programmes correctionnels nationaux qui reposent sur leurs enseignements.
- Le Service doit notamment :
- renforcer la prestation des programmes correctionnels à l’intention des Autochtones;
- élargir les unités de guérison des Sentiers autochtones à toutes les régions;
- parachever la mise en œuvre du plan d’action concernant les pavillons de ressourcement;
- définir une stratégie visant à donner suite aux besoins des délinquants des régions nordiques;
- concevoir et mettre en œuvre des instruments de classification et d’évaluation adaptés à la culture autochtone et aux délinquantes;
- élaborer et implanter des programmes adaptés à la culture autochtone à l’intention des délinquantes.
- Ébauche de la Stratégie relative au cadre de responsabilisation des services correctionnels pour Autochtones — mars 2009
- Elle vise à opérationnaliser et à mettre à jour le Plan stratégique : elle cernera les réussites et les lacunes existantes au sein du continuum de soins; elle établira des mesures concrètes et définira les résultats attendus; et elle précisera le niveau de responsabilité en ce qui concerne les réalisations attendues.
- Le cadre de responsabilisation quinquennal proposé sera directement axé sur l’atteinte de résultats annuels, évolutifs et mesurables.
- Directive du commissaire 702 – Services correctionnels pour Autochtones
- Plan stratégique pour la gestion des ressources humaines autochtones 2008-2009 à 2010-2011
- Programme de transformation et rapport du Comité d’examen du SCC
- Projets spéciaux : 1) Cadre correctionnel pour le Nord 2) Délinquants autochtones – Échelle de réévaluation de la cote de sécurité
État de la situation
- Dans le cadre du mandat que lui a conféré la LSCMLC , ainsi que des politiques et des principes de l’arrêt Gladue , le SCC doit offrir des programmes adaptés aux besoins spécifiques des délinquants autochtones et travailler de concert avec les collectivités autochtones pour la réinsertion sociale de ces derniers.
- Les écarts constants entre les résultats des programmes et des interventions à l’intention des délinquants autochtones et non autochtones soulèvent de sérieuses questions, à savoir si les stratégies du SCC se traduisent par des résultats.
1. Programmes
- On peut difficilement obliger le SCC à rendre compte de la prestation des programmes et des interventions conçus spécialement pour répondre aux besoins des Autochtones puisqu’aucune disposition à l’égard des résultats attendus n’existe. Les stratégies ne précisent pas la façon dont le SCC assurera l’accès des Autochtones aux programmes en temps opportun, peu importe la classification et la région.
- Retards dans l’évaluation et la mise en œuvre des programmes nationaux pour Autochtones.
- Les unités des Sentiers autochtones demeurent limitées aux établissements à sécurité moyenne, et discrétionnaires dans les établissements à sécurité maximale et minimale, ce qui risque d’entraîner une absence d’homogénéité dans l’accès aux programmes.
- On dénote une absence de liens entre les délinquants et la communauté autochtone après leur libération.
- Il y a pénurie d’Aînés pouvant agir comme conseillers dans les établissements.
- On constate une pénurie d’intervenants et d’agents de programmes pouvant dispenser les programmes pour Autochtones.
- On constate une pénurie de programmes à l’intention des femmes autochtones, notamment due aux retards survenus dans le processus de recrutement et de formation, et ce, sans raison justifiée.
- La stratégie de gestion et d’intervention auprès des membres de gangs autochtones évolue lentement.
2. Sécurité et classification
- Des questions subsistent à propos de la pertinence de l’Échelle de classement par niveau de sécurité ( ECNS ), de l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité ( ERCS ) et du classement des Autochtones à un niveau de sécurité trop élevé.
- Il faut encore mettre au net le protocole d’évaluation de l’ ETCAF par rapport à la pertinence du classement à un niveau de sécurité et aux échelles de reclassification.
- Il faut préciser de quelle façon on appliquera les principes de l’arrêt Gladue dans le processus décisionnel correctionnel relatif à la liberté des délinquants autochtones.
- L’affiliation à un gang joue un rôle déterminant dans le placement en isolement préventif des délinquants. La stratégie nationale de gestion des gangs que le SCC est en train d’élaborer ne concerne pas spécifiquement les Autochtones.
3. Libération conditionnelle
- Le recours aux dispositions législatives conçues pour améliorer la réinsertion sociale des délinquants autochtones est encore restreint, malgré qu’elles soient en vigueur depuis maintenant 17 ans.
- L’utilisation de l’article 84 relatif à la participation de la collectivité autochtone au processus de libération conditionnelle du délinquant autochtone est incohérente.
- Douze ADACA (agents de développement auprès de la collectivité autochtone) ont été recrutés au Canada, sans toutefois qu’on leur attribue des objectifs clairs. Le recours aux mécanismes prévus à l’article 84 pourrait requérir davantage de ressources comme ADACA .
- La pénurie de programmes adaptés aux besoins des délinquants autochtones et l’accès limité à ceux-ci contribuent à retarder la libération conditionnelle des délinquants autochtones.
- La pertinence de l’ ECNS , de l’ ERCS et du classement des délinquants autochtones à un niveau de sécurité trop élevé par rapport aux besoins spécifiques des Autochtones a des répercussions sur leur admissibilité à la libération conditionnelle.
4. Collecte et évaluation des données
- Absence continue de preuve statistique des progrès réalisés dans la réalisation du mandat du Service relatif à la gestion des délinquants autochtones.
- Des rapports d’étape sont préparés à la demande du BEC , mais ils ne sont pas accessibles au public, ce qui soulève des questions quant à l’obligation de rendre des comptes du SCC .
- On ne surveille pas les résultats obtenus et les progrès réalisés par rapport aux objectifs du Plan stratégique, maintenant en vigueur depuis trois ans, alors que l’on commence à peine à ébaucher une stratégie pour le cadre de responsabilisation.
- Le SCC doit nécessairement mettre en place des processus de collecte et d’évaluation des données pour connaître ce qui fonctionne bien dans le système correctionnel pour Autochtones.
5. Ressources humaines
- Il y a pénurie d’agents d’exécution de programmes correctionnels et de psychologues pour les délinquants autochtones.
- Certains établissements ne disposent pas des services d’un Aîné ni d’un agent de liaison autochtone ( ALA ) pendant des périodes prolongées.
- On ne peut établir clairement si le Plan stratégique pour la gestion des ressources humaines autochtones est efficace puisqu’il ne comporte pas d’objectifs clairs ni de dispositions pour la surveillance de sa mise en œuvre.
- Aucune position claire n’a été énoncée au sujet du recrutement continu des ALA .
- L’application des dispositions relatives à la libération conditionnelle en vertu de l’article 84 justifie-t-elle l’embauche d’ ADACA supplémentaires? Leur recrutement n’est assujetti à aucun objectif clair.
- Il est difficile de savoir si les modules d’apprentissage de courte durée ou en classe, qui ne semblent pas adaptés aux besoins des Autochtones, permettront au SCC de respecter ses propres engagements en matière de sensibilisation culturelle.
- Comment le personnel du SCC doit-il prendre en considération les principes de l’arrêt Gladue ?
- La responsabilisation à l’égard des priorités correctionnelles visant les Autochtones ne fait pas partie intégrante des ententes de rendement de tous les cadres du SCC .
6. Cadre correctionnel pour le Nord
- Trois ans après l’entrée en vigueur du Plan stratégique visant à répondre aux besoins des délinquants des régions nordiques, notamment des Inuits, ce document est encore en chantier.
7. Pavillons de ressourcement
- Dix-sept ans après l’entrée en vigueur de l’article 81 de la LSCMLC , seulement quatre pavillons de ressourcement indépendants pour les Autochtones ont été créés au Canada. Il n’existe pas de pavillons de ressourcement pour les délinquantes en vertu de l’article 81.
- Les pavillons de ressourcement existants ne sont pas occupés à pleine capacité. On n’en connaît pas la raison.
- L’une des conclusions de la vérification des pavillons de ressourcement signale qu’après 16 ans, le SCC n’a pas encore établi de cadre stratégique pour soutenir la mise en place des pavillons de ressourcement visés à l’article 81.
- On note une absence de cohérence dans la prestation des programmes et des services offerts dans les pavillons de ressourcement au pays. Il ne semble pas exister de processus de mesure du rendement homogène. L’engagement du SCC relatif aux pavillons de ressourcement est généralement descriptif et ne comprend pas d’indications claires quant à leur utilisation.
Conclusion
- Les préoccupations au sujet de l’écart continu sur le plan du rendement entre les services correctionnels pour Autochtones et ceux pour les autres délinquants se sont transformées en signaux d’alarme.
- Le SCC n’a pas su traduire ses bonnes intentions dans un plan opérationnel adéquat. Cette situation est attribuable à une absence de suivi des données, de livrables clairs et des responsabilités afférentes, qui a engendré des résultats décevants.
- La mise en œuvre du Cadre de responsabilisation devrait permettre au SCC d’atteindre ses objectifs par rapport aux services correctionnels pour les Autochtones.
- On souscrit à l’approche voulant que le SCC établisse des objectifs concrets et assortis de délais et d’indicateurs de rendement pertinents, qu’il renforce l’obligation de rendre des comptes, qu’il clarifie les rôles et les responsabilités, qu’il resserre la surveillance et qu’il améliore les rapports publics sur les progrès réalisés.
- Comme la population autochtone est jeune et en pleine croissance, l’incapacité courante du SCC de transformer rapidement ses bonnes intentions en gestes concrets dans le domaine des services correctionnels pour Autochtones se fera sentir dans l’ensemble du système de justice pénale, ainsi que dans les collectivités autochtones et la société canadienne pendant maintes années.
Date de modification
2013-09-16
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