DOCUMENT D’INFORMATION - Résumé de Dix ans depuis Une question de spiritualité : Les questions autochtones dans les services correctionnels fédéraux (parties I et II)

PDF Copy

Body

 

CONTEXTE

En 2015, la Commission de vérité et réconciliation (CVR) a publié l’appel à l’action n° 30 (nous avons souligné pour mettre l’accent) :

Nous demandons au gouvernement fédéral, aux provinces et aux territoires de s’engager à éliminer, au cours de la prochaine décennie, la surreprésentation des Autochtones en détention et de publier des rapports annuels détaillés sur l’évaluation des progrès en ce sens.

Huit années se sont écoulées, et pourtant, pendant cette période, la proportion d’Autochtones dans les prisons fédérales canadiennes a augmenté d’un peu plus de 30 %. Alors qu’il ne reste que deux ans pour répondre à l’appel de la CVR et que le nombre d’Autochtones derrière les barreaux ne cesse d’augmenter, il est peu probable que le Canada parvienne à « éliminer » cette surreprésentation.


Ses causes générales sont largement connues, mais il convient de les rappeler. Résultant des impacts continus du colonialisme et du racisme systémique, les circonstances de délinquance des Autochtones incarcérés sont souvent liées à des désavantages socio-économiques, politiques et culturels, ainsi qu’à des traumatismes et à des abus intergénérationnels, aux pensionnats, au système de protection de l’enfance et à la rafle des années soixante. Les taux de pauvreté, de toxicomanie et de sans-abrisme sont plus élevés dans les collectivités autochtones et les taux d’éducation formelle et d’emploi y sont plus faibles. Ces facteurs socio-économiques et historiques augmentent la probabilité de contact (et de contact subséquent) avec le système de justice pénale du Canada, une porte tournante proverbiale qui maintient les peuples autochtones dans la criminalité, la marginalisation et la surincarcération.


Aujourd’hui, bien qu’ils ne représentent que 5 % de la population totale du Canada, les Autochtones comptent pour 32 % des personnes incarcérées au niveau fédéral et les femmes autochtones représentent environ 50 % de l’ensemble des femmes détenues au niveau fédéral. Les Premières Nations du Canada représentent 70 % de l’ensemble des Autochtones dans le système correctionnel fédéral, tandis que les Métis et les Inuits en représentent respectivement 27 % et 3 %.
 

APERÇU

Dix ans après la présentation du rapport Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition à titre de rapport spécial au Parlement en mars 2013, le Bureau de l’enquêteur correctionnel a entrepris une enquête nationale en deux parties afin de mettre à jour les conclusions et d’examiner les progrès réalisés dans les services correctionnels fédéraux pour Autochtones.


La première partie a été publiée dans le rapport annuel 2021-2022 (PDF), et la deuxième partie a été déposée au Parlement le 1er Novembre 2023 dans le cadre du rapport annuel 2022-2023. La deuxième partie comprend trois enquêtes nationales portant sur des interventions phares du portefeuille de services correctionnels pour Autochtones du Service correctionnel du Canada (SCC) :

  1. Promesses non tenues : Enquête sur les pavillons de ressourcement dans le système correctionnel fédéral canadien.
  2. Une route droite et étroite : Une enquête sur les initiatives des Sentiers autochtones du SCC
  3. Une enquête sur le rôle et l’impact des Aînés dans les services correctionnels fédéraux.
     

Au total, la deuxième partie de Dix ans depuis Une question de spiritualité contient 12 recommandations, dont sept s’adressent au Service correctionnel du Canada et cinq au ministre de la Sécurité publique.
 

Ce rapport, qui s’étale sur deux ans et comporte deux parties, constitue l’enquête la plus complète jamais menée par le Bureau. Pour marquer cet événement, le Bureau a pris l’initiative sans précédent de publier les deux parties dans un livre intitulé « Dix ans depuis Une question de spiritualité : Une feuille de route pour la réforme des services correctionnels autochtones au Canada ». 


Ce document d’information résume les conclusions et les recommandations des deux parties de la mise à jour du rapport « Dix ans depuis Une question de spiritualité ».


Dix ans depuis Une question de spiritualité : Les questions autochtones dans les services correctionnels fédéraux (PARTIE I)


L’enquête note qu’au cours des années qui ont suivi Une question de spiritualité, un certain nombre de commissions et d’enquêtes nationales, d’études et de rapports de comités parlementaires se sont penchés sur les besoins et les expériences des personnes autochtones incarcérées. Les appels à l’action convergent vers quatre domaines clés :

  1. Accroître le recours aux pavillons de ressourcement établis en vertu de l’article 81, aux plans de libération dans la collectivité établis en vertu de l’article 84 et à l’engagement auprès des communautés autochtones;
  2. Améliorer la qualité des programmes tenant compte des spécificités culturelles;
  3. Créer des outils de dépistage, d’évaluation des risques et de classification propres aux populations autochtones;
  4. Renforcer le leadership autochtone, la représentation des employés et la compétence culturelle de l’ensemble du personnel.


En dépit d’un intérêt et d’une attention accrus de la part du public, l’enquête a révélé que peu de progrès matériels ont été réalisés depuis 2013, en particulier en ce qui concerne l’utilisation d’articles propres de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition destinés à lutter contre la surreprésentation, tels que les articles 81 et 84.


L’enquête montre que les Autochtones continuent d’être surreprésentés dans les services correctionnels fédéraux et que les disparités entre les Autochtones et les non-Autochtones en matière de résultats s’accentuent. Les Autochtones entrent dans le système à un âge de plus en plus jeune, passent beaucoup plus de temps derrière les barreaux et retournent dans les services correctionnels fédéraux à des taux sans précédent par rapport à leurs homologues non autochtones. 


En ce qui concerne les compétences culturelles et professionnelles au sein du SCC, l’enquête a révélé que :

  1. La représentation des Autochtones au sein du personnel du SCC, en particulier dans les postes de direction clés, est faible (seuls 10 % des membres du personnel du SCC s’identifient comme Autochtones).
  2. Les Aînés sont trop peu nombreux et utilisés au maximum (30 Autochtones pour un Aîné).
  3. Il n’existe pas de stratégie nationale d’engagement élaborée en collaboration avec les collectivités autochtones.


Au plus haut niveau, le SCC n’est pas conscient de son rôle dans l’inversion de la surreprésentation. En rejetant souvent la responsabilité sur des « forces indépendantes de sa volonté », le Service fait la promotion d’une culture d’entreprise qui ignore comment ses propres actions, et son inaction, créent des barrières systémiques et compromettent les résultats correctionnels pour les peuples autochtones.

L’enquête a donné lieu à deux recommandations :

  1. Créer un poste de commissaire adjoint aux services correctionnels pour Autochtones.
  2. Le ministère de la Justice devrait inclure le Service correctionnel du Canada et le Bureau de l’enquêteur correctionnel dans l’élaboration et la mise en œuvre de sa Stratégie en matière de justice autochtone. En outre, la Stratégie devrait redistribuer une part importante des ressources du SCC aux collectivités autochtones pour la prise en charge, la détention et la surveillance des peuples autochtones.

Dix ans depuis Une question de spiritualité : Les questions autochtones dans les services correctionnels fédéraux (PARTIE II)


Objectif et contexte 

Dix ans depuis Une question de spiritualité (partie II) est la deuxième partie d’une enquête nationale de deux ans et le suivi, dix ans plus tard, de notre rapport spécial de 2013, Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. En réexaminant et en actualisant certaines des questions clés et des conclusions du rapport de 2013, les objectifs de l’enquête actuelle étaient les suivants:

  1. Évaluer les progrès et les développements dans les services correctionnels pour Autochtones depuis la publication du rapport Une question de spiritualité il y a plus de dix ans.
  2. Documenter les perspectives, les expériences et les voix des délinquants autochtones condamnés à une peine fédérale, des détenus en liberté conditionnelle, du personnel et des Aînés/conseillers spirituels.
  3. Réaliser des examens approfondis de trois interventions phares du modèle de « continuum de soins » autochtone du SCC : Les pavillons de ressourcement, l’initiative des Sentiers autochtones, ainsi que le rôle et l’impact des Aînés.


Notre Bureau est particulièrement fier d’avoir pu mettre en avant les expériences et les points de vue de ceux qui sont en première ligne des services correctionnels fédéraux. Au cours de cette enquête, l’équipe d’enquêteurs et de chercheurs du Bureau a mené plus de 200 entretiens avec des personnes autochtones incarcérées, des membres du personnel et de la direction du SCC, des Aînés, des conseillers spirituels et des personnes qui les aident. Nous avons rencontré de nombreuses personnes travaillant ou résidant dans 30 institutions fédérales différentes, y compris des pavillons de ressourcement gérés par le SCC et des pavillons de ressourcement établis en vertu de l’article 81 dans l’ensemble du pays.


Ce qui suit représente un aperçu des principales conclusions et recommandations des trois enquêtes.

 

1. Promesses non tenues : Enquête sur les pavillons de ressourcement dans le système correctionnel fédéral canadien.


Conclusions

  • Le nombre insuffisant de pavillons de ressourcement et de lits est un problème de longue date, qui est devenu plus pressant à mesure que la surreprésentation des peuples autochtones a continué d’augmenter.
     
  • Le SCC continue de payer un peu moins de 62 cents par dollar aux pavillons de ressourcement établis en vertu de l’article 81 par rapport à ce qu’il dépense pour les résidents des pavillons de ressourcement gérés par l’État.
     
  • Les taux d’inoccupation restent élevés, plus d’un tiers des lits disponibles étant inoccupés.
     
  • Trop peu de nouveaux pavillons de ressourcement et d’ententes ont été établis au cours de la dernière décennie. Par exemple, seul un nouveau pavillon de ressourcement établi en vertu de l’article 81 a été créé depuis 2013.
     
  • L’existence d’un système à deux paliers – les pavillons de ressourcement gérés par la collectivité en vertu de l’article 81 et les établissements du SCC ou « gérés par l’État » – met en concurrence les établissements établis en vertu de l’article 81 et ceux gérés par l’État pour ce qui est des résidents, du personnel et des ressources. Les recherches menées par le SCC ont montré que les pavillons de ressourcement gérés par les collectivités constituent un investissement rentable.


Recommandations 

Le ministre de la Sécurité publique devrait ordonner au Service correctionnel du Canada :

  1. de financer une initiative nationale de mobilisation externe, dirigée par des Autochtones, afin de susciter la capacité, l’intérêt et l’innovation parmi les collectivités et les organisations autochtones (urbaines et rurales) pour qu’elles concluent des ententes au titre des articles 81 et 84;
  2. d’élaborer des actions claires, des calendriers, des objectifs mesurables et des produits livrables, et en rendre compte publiquement, afin de : 1) mobiliser les collectivités et les organisations autochtones à conclure davantage d’ententes au titre de l’article 81; 2) conclure des ententes au titre de l’article 81 dans les zones urbaines et rurales; et 3) transférer aux collectivités le contrôle et la propriété des pavillons de ressourcement gérés par le SCC;
  3. de travailler avec les pavillons de ressourcement établis en vertu de l’article 81 pour relever les principales causes des taux d’inoccupation et déterminer les mesures à prendre pour augmenter et maintenir des taux d’occupation plus élevés; 
  4. d’élaborer des actions claires, des calendriers, des objectifs mesurables et des produits livrables, et en rendre compte publiquement, afin de : 1) mobiliser les collectivités et les organisations autochtones à conclure davantage d’ententes au titre de l’article 81; 2) conclure des ententes au titre de l’article 81 dans les zones urbaines et rurales; et 3) transférer aux collectivités le contrôle et la propriété des pavillons de ressourcement gérés par le SCC;
     

2. Une route droite et étroite : Une enquête sur les initiatives des Sentiers autochtones du SCC


Conclusions

  • Seule une initiative des Sentiers autochtones peut se prévaloir d’être pilotée par les Aînés. Les autres, en raison de l’absence d’Aînés ou d’une culture institutionnelle qui déprécie leur valeur, ne se sont pas conformés à la caractéristique la plus innovante et la plus centrale de l’initiative.
  • La manière dont les candidats ont été sélectionnés pour le l’initiative des Sentiers autochtones a grandement varié. La barre était parfois placée si haut que seuls les candidats les plus dociles, les plus mobilisés ou les plus dévoués pouvaient espérer y accéder.
  • L’insensibilité culturelle et le manque de respect dont font preuve certains agents correctionnels constituent une plainte fréquente de la part du personnel et des résidents des Sentiers autochtones.
  • Avec des ressources limitées, une charge de travail importante, de multiples exigences en matière de rapports ministériels et les réalités opérationnelles du travail en prison, le personnel des Sentiers autochtones a déclaré se sentir écarté de ses importantes responsabilités en matière de gestion de cas.
  • Les progrès réalisés dans le cadre des plans de guérison ne sont pas facilement cartographiés dans le contexte des outils d’évaluation et de classification du SCC et ne permettent pas non plus de planifier la réintégration. 
  • Le continuum de soins autochtone est censé se poursuivre dans la collectivité, afin de « maintenir les progrès au-delà de la fin de la peine ». Cependant, nous avons appris que le soutien prend fin la plupart du temps après la libération.


Recommandations

Le SCC devrait renforcer l’impact et la portée des initiatives institutionnelles en faveur des populations autochtones : 
 

  1. Réaliser un examen des participants actuels aux Sentiers autochtones afin de déterminer les personnes susceptibles d’être placées dans un pavillon de ressourcement ou de bénéficier d’autres solutions non carcérales.
     
  2. Élaborer une approche comprenant des initiatives institutionnelles pour les populations autochtones qui ne bénéficient pas du modèle actuel des Sentiers autochtones. 
     
  3. Élaborer des objectifs clairs et concrets pour le plan correctionnel qui guident la planification des peines pour les condamnés à perpétuité.
     
  4. Accroître les contacts avec la collectivité afin d’établir des liens et des systèmes de soutien avec les personnes incarcérées, qui commence à l’intégration et se poursuit à l’expiration post-détention.

 

3. Une enquête sur le rôle et l’impact des Aînés dans les services correctionnels fédéraux.


Conclusions

  • Les Aînés qui travaillent au sein des établissements fédéraux ne sont pas suffisamment soutenus, valorisés et prisés par le SCC. 
     
  • Le SCC n’est pas en mesure de fournir une assurance raisonnable qu’il fournit correctement et de manière uniforme les services d’Aînés d’un établissement à l’autre.
     
  • Les Aînés ont à plusieurs reprises exprimé des inquiétudes quant à la structure d’embauche, d’emploi et de rémunération au sein du SCC. Les Aînés ont expliqué que la structure du travail contractuel signifie qu’ils ne bénéficient pas de congés de maladie, de congés payés, de régime de retraite, de prestations de santé ou de sécurité d’emploi.
     
  • Utilisés au maximum, les Aînés sont trop peu nombreux pour répondre à la population et aux besoins croissants des peuples autochtones sous responsabilité fédérale. On compte environ 30 prisonniers autochtones pour un Aîné.
     
  • Les Aînés ont fait part de leurs inquiétudes quant à leur capacité à répondre aux demandes et aux attentes dont ils font l’objet, une grande partie de leur temps étant consacrée à des tâches administratives.
     
  • Il n’y a pas ou peu de formation officielle, de mentorat ou d’orientation pour ceux-ci.
     
  • De nombreux Aînés ont indiqué qu’ils s’étaient mesurés à une résistance à leurs enseignements et à leurs interventions au sein du SCC, parfois sous la forme d’une insensibilité culturelle et d’un refus de la part du personnel. Bon nombre d’entre eux ont indiqué qu’ils se sentaient souvent isolés et non soutenus par leur employeur, ce qui les conduisait à l’épuisement, à l’isolement et à l’épuisement professionnel.


Recommandations

Le Service correctionnel du Canada devrait :

  1. créer une sécurité d’emploi et fournir des aides financières supplémentaires aux Aînés; 
     
  2. intégrer les Aînés dans les structures de direction et de gouvernance du SCC; 
     
  3. élaborer une formation d’intégration normalisée pour les Aînés, qui décrit les attentes, les règles et les pratiques de production de rapports du SCC; 
     
  4. mettre à la disposition des Aînés des espaces intérieurs et extérieurs appropriés, prioritaires et dédiés à la conduite des cérémonies et des programmes.

 

MESSAGE DE CONCLUSION

Les résultats de nos enquêtes fournissent des preuves irréfutables de l’existence de problèmes plus vastes et dominants au sein des services correctionnels fédéraux, ce qui laisse supposer l’existence : 
 

  • de paternalisme organisationnel;
     
  • de la panindigénéité et de la prescription de l’indigénéité
     
  • de l’utilisation de la culture comme programme;
     
  • des investissements limitatifs et de courte portée; 
     
  • de l’utilisation inefficace des possibilités existantes.


En conclusion, l’enquêteur correctionnel a lancé trois appels à l’action sommatifs :

  1. Le SCC doit veiller à ce que l’ensemble du personnel suive une formation obligatoire et annuelle sur la sécurité et la sensibilisation à la culture autochtone, dispensée par un organisme externe.
     
  2. Le SCC doit rendre compte chaque année et publiquement des indicateurs de rendement, des résultats et des conséquences mesurables afin de réduire la surreprésentation des Autochtones dans les services correctionnels fédéraux.
     
  3. Le ministre de la Sécurité publique doit travailler conjointement avec les ministres des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada et des Services aux Autochtones Canada, ainsi qu’avec le ministre de la Justice et le procureur général du Canada, afin d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie nationale de désincarcération des Autochtones.

     

Date modifiée
2023-11-01

Banner Image
Office of the Correctional Investigator - Report