Pour publication immédiate
Ottawa, 2 novembre 2023 – Le 1novembre 2023, le 50erapport annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel a été présenté au Parlement. Le rapport comprend la deuxième partie d’une mise à jour du rapport spécial de 2013 du Bureau au Parlement intitulé «Une question de spiritualité: Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition».
Dix ans après la publication du rapport Une question de spiritualité, le Bureau signale que la surreprésentation des Autochtones dans les prisons fédérales est passée de 23% à 32% de l’ensemble de la population carcérale fédérale (ce qui représente 4200autochtones). Plus alarmant encore, les femmes autochtones représentent aujourd’hui la moitié des femmes détenues dans les pénitenciers canadiens. L’enquêteur correctionnel, le Dr IvanZinger, a déclaré ce qui suit:
«Au cours de la décennie qui s’est écoulée depuis la publication du rapport Une question de spiritualité, il est étonnant de constater que le taux de surreprésentation des Autochtones n’a cessé d’augmenter. La population carcérale du Canada est en train de s’autochtoniser de manière inquiétante et inadmissible. Sur presque toutes les mesures du rendement correctionnel – temps passé derrière les barreaux avant la première libération, placement dans des établissements de sécurité maximale, recours à la force, taux de récidive et de révocations, suicide et automutilation, placement dans des unités de confinement restrictif – le système correctionnel semble perpétuer les conditions de désavantage et de discrimination pour les populations autochtones.»
La deuxième partie de l’enquête documente les voix, les expériences et les témoignages souvent manquants des personnes autochtones incarcérées. Elle inclut les points de vue et les perspectives des Aînés, qui fournissent des services spirituels, culturels et consultatifs au sein des prisons fédérales. Ces récits de première main sont présentés dans trois enquêtes approfondies portant sur les interventions phares de la stratégie globale du Service correctionnel du Canada (SCC) en matière de services correctionnels pour Autochtones:
- Promesses non tenues: Enquête sur les pavillons de ressourcement dans le système correctionnel fédéral canadien
- Enquête sur le rôle et l’impact des Aînés dans les services correctionnels fédéraux
- Une route droite et étroite : Enquête sur l’initiative des Sentiers autochtones dans l’administration pénitentiaire fédérale
Bien que ces interventions soient bien intentionnées, l’enquête révèle qu’elles sont de courte durée. Le total des dépenses discrétionnaires liées aux initiatives autochtones au sein du SCC, y compris les pavillons de ressourcement, les Sentiers autochtones et les Aînés, s’élève à seulement 75millions de dollars par an, ce qui représente environ 3% du budget total du SCC.
En ce qui concerne les pavillons de ressourcement, l’enquête note que seuls 2% de tous les Autochtones détenus au niveau fédéral purgent leur peine dans un pavillon de ressourcement établi au titre de l’article81 et géré par la collectivité. Dix ans après le rapport Une question de spiritualité, on a créé un seul nouveau pavillon de ressourcement établi au titre de l’article81. Il n’y a toujours pas de pavillon de ressourcement dans les régions de l’Ontario et de l’Atlantique, ni dans le Nord, et aucun établissement géré par la collectivité dans la région du Pacifique. Pour les femmes autochtones, les trois pavillons de ressourcement sont situés dans la région des Prairies. Comme le note l’enquêteur correctionnel, «Ni l’intention ni la vision initiale des pavillons de ressourcement ne sont respectées.»
Au-delà de la capacité limitée, un problème encore plus important se pose en ce qui concerne l’enracinement d’un système de pavillons de ressourcement à deux niveaux où les pavillons de ressourcement du SCC (ou gérés par l’État) sont financés, dotés en personnel, en ressources et occupés à des niveaux nettement plus élevés que leurs homologues communautaires relevant de l’article81. Le Dr Zinger a déclaré ce qui suit:
«Il est tout simplement inacceptable que le gouvernement fédéral dépense environ deux fois plus pour le SCC ou les pavillons de ressourcement gérés par l’État, ou 40% de moins par résident dans les établissements communautaires que dans les établissements gérés par l’État. Un système de pavillons de ressourcement à deux niveaux signifie que ces établissements se font continuellement concurrence pour les ressources, le personnel et les résidents. Cette situation est un gaspillage et un non-sens. J’exhorte le gouvernement fédéral à remettre la direction des pavillons de ressourcement gérés par l’État entre les mains des Autochtones, comme cela était prévu à l’origine.»
L’enquête montre que les contributions des Aînés travaillant au sein des institutions fédérales sont sous-évaluées, sous-déclarées et insuffisamment soutenues par leur employeur. Il n’y a tout simplement pas assez d’Aînés pour répondre aux besoins et aux demandes actuels. Le manque de soutien, la mauvaise gestion, la rémunération inadéquate et les lourdes charges de travail font que de nombreux Aînés se sentent stressés, épuisés et isolés. «Les Aînés nous ont dit que l’on comprenait mal ou que l’on ne respectait pas leurs rôles et leurs contributions au sein du SCC, a commenté l’enquêteur correctionnel. En tant que groupe, ils ont à plusieurs reprises exprimé des inquiétudes quant à la structure d’embauche, d’emploi et de rémunération au sein du SCC.»
Bien qu’ils soient censés jouir du même statut juridique que les chefs religieux, y compris les aumôniers, les Aînés ne reçoivent pas le même salaire ni les mêmes avantages que ces derniers. Ces questions ont des conséquences retentissantes, qui se manifestent souvent par un traitement discriminatoire, désobligeant ou irrespectueux. Comme l’a conclu l’enquêteur correctionnel, «les Aînés qui travaillent dans les prisons canadiennes méritent mieux».
En ce qui concerne l’enquête sur les Sentiers autochtones, le Bureau suggère que cette initiative pénitentiaire s’adresse à un trop petit nombre d’Autochtones condamnés à une peine fédérale pour faire une différence tangible dans la lutte contre la surreprésentation. Il y a environ 350lits consacrés aux Sentiers autochtones répartis dans 22établissements pénitentiaires fédéraux, la plupart au niveau de sécurité moyenne. Les personnes inscrites sur la liste d’attente ou participant aux initiatives des Sentiers autochtones ne représentent qu’environ 8% de l’ensemble de la population autochtone en détention. En outre, l’enquête a révélé que les personnes qui participent aux initiatives des Sentiers autochtones pourraient être tout aussi bien servies, voire mieux, dans un cadre non carcéral.
En fait, l’enquête a révélé que seuls les candidats potentiels les plus mobilisés et les plus motivés accèdent aux Sentiers autochtones. Comme l’a déclaré le Dr Zinger:
«Il est clair que les Sentiers autochtones ne conviennent pas à tout le monde et excluent même la plupart des gens. On place la barre d’admission et de participation aux Sentiers autochtones si haut que seules les personnes les plus respectueuses des règles en bénéficient. Le fait de ne pas mobiliser la majorité des prisonniers autochtones ou de les exclure explicitement perpétue les conditions de désavantage et de discrimination, ce qui entraîne des taux d’incarcération plus élevés et des périodes d’incarcération plus longues pour les Autochtones. On devrait offrir plus d’une voie pour sortir d’un pénitencier fédéral.»
La mise à jour du rapport Une question de spiritualité est rédigée de manière directe et sans équivoque. On y suggère que le système correctionnel canadien est devenu largement insensible aux besoins, aux réalités et aux aspirations des Autochtones condamnés à des peines fédérales. En tant qu’institution intrinsèquement coloniale, le Dr Zinger estime que les services correctionnels ont joué un rôle central dans la marginalisation, la criminalisation et l’emprisonnement excessif des Autochtones. Qualifiant son rapport de «plan directeur pour le changement et la transformation», il encourage le SCC à assumer son propre héritage colonial et à s’engager dans les forces contemporaines de revendications et de réconciliations autochtones.
L’enquête met en évidence le paternalisme et la panindigénéité au sein du SCC, une approche des services correctionnels autochtones qui abolit les différences historiques et culturelles ainsi que la diversité entre les peuples autochtones et au sein de ceux-ci. Comme le dit le Dr Zinger:
«La panindigénéité ne tient pas compte du fait que la plupart des peuples autochtones vivent dans deux mondes et que la diversité de la culture autochtone s’inscrit dans un riche éventail de cultures et d’identités individuelles. La culture n’est pas un programme, un privilège ou un droit, et l’accès d’une personne à sa culture ne devrait pas dépendre de son potentiel ou de sa volonté de suivre une voie de guérison traditionnelle. Elle ne doit pas être considérée ou utilisée comme une incitation à un traitement plus favorable. L’accès à la culture, aux cérémonies et à la spiritualité représente des droits et non des privilèges».
L’enquête actualisée formule 12 recommandations à l’intention du gouvernement, du ministre de la Sécurité publique et des Services correctionnels, y compris:
- Transférer à la collectivité locale le contrôle et la propriété des pavillons de ressourcement gérés par l’État.
- Créer un nouveau modèle de financement pour les accords en vertu de l’article81 afin d’atteindre la parité de financement avec les établissements gérés par l’État et d’augmenter de manière notable le nombre d’accords en vertu de l’article81 et le nombre de lits.
- Créer la sécurité d’emploi et fournir des aides financières supplémentaires aux Aînés.
- Étendre les avantages offerts par l’initiative des Sentiers autochtones à un plus grand nombre d’Autochtones incarcérés.
- Élaborer et mettre en œuvre une stratégie nationale de désincarcération des Autochtones.
Le rapport annuel de cette année comprend également un certain nombre de mises à jour importantes en matière de politique nationale et d’opérations, notamment la détention en cellule nue, l’augmentation du coût de la vie derrière les barreaux (rémunération des détenus), les services de défense des patients et la diversité des genres.
En tant qu’ombudsman pour les délinquants condamnés à une peine fédérale, le Bureau de l’enquêteur correctionnel est au service des Canadiens et contribue à des services correctionnels sécuritaires, légaux et humains grâce à une surveillance indépendante du Service correctionnel du Canada, en menant des enquêtes accessibles, impartiales et opportunes sur les préoccupations individuelles et systémiques. Le rapport annuel2022-2023, ainsi que deux documents d’information, est accessible à l’adresse https://oci-bec.gc.ca/fr/reports/annual.
Citations:
«Ce rapport fournit des données essentielles qui, en plus de montrer que les Inuits sont largement surreprésentés dans le système correctionnel fédéral, détaillent également le manque d'évaluations et de soutiens spécifiques aux Inuits, ce qui ne fait qu'aggraver le problème.
À la base, la surincarcération indique que les besoins fondamentaux en termes de santé et de bien-être des Inuits dans tout l’Inuit Nunangat ne sont pas satisfaits Les communautés inuites du Canada sont confrontées à des taux de pauvreté élevés, à des logements inadéquats et à l'absence de services de soins de santé, autant de facteurs de marginalisation. L’ITK demande au gouvernement fédéral d'investir massivement afin de répondre aux besoins des Inuits tels qu’identifiés dans ce rapport.»
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Natan Obed, Président de l’Inuit Tapiriit Kanatami
«Bien que ces nouvelles conclusions publiées par l'Enquêteur correctionnel soient alarmantes, elles ne sont pas surprenantes. Les gouvernements métis ont clairement indiqué dans le passé que le taux d'incarcération excessif des Métis dans le système de justice criminelle est dû à l'absence de financement de longue durée pour résoudre les problèmes causés par la colonisation toujours en cours des peuples autochtones par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada.
Il est impératif que le gouvernement du Canada adopte une approche proactive et réactive pour remédier aux inégalités auxquelles les peuples autochtones sont confrontés en matière d'incarcération. De manière proactive, une politique de désincarcération doit être élaborée et mise en œuvre en collaboration avec les gouvernements métis, afin que les Métis incarcérés puissent bénéficier d'un soutien au sein de leur communauté. De manière réactive, le Canada doit s'engager à fournir aux gouvernements autochtones un financement important, durable et pensé pour le long terme, afin de soutenir au mieux leurs populations et leurs communautés et de mettre fin à la surincarcération.»
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Cassidy Caron, Président du Ralliement National des Métis
«Les conclusions du rapport ne reflètent pas seulement la réalité de la surincarcération des autochtones, mais soulignent également les problèmes systémiques profondément enracinés qui sont à l’origine de cette crise. Dix ans après le rapport « Une question de spiritualité », il est décourageant de constater que nos communautés sont toujours surreprésentées dans le système correctionnel. Ces chiffres ne sont pas de simples statistiques – ils représentent des personnes, des familles et des communautés. Nous devons travailler en collaboration pour résoudre ces problèmes, y compris l’approche correctionnelle du Canada à l’égard des peuples autochtones, et veiller à ce que nos communautés aient accès à la justice, à la réhabilitation et à la compréhension de notre culture»
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Ghislain Picard, Chef de l’APN Québec-Labrador
Renseignements:
MmeMonette Maillet
Directrice exécutive
Monette.Maillet@oci-bec.gc.ca
(613)791-0170