dans le cadre de la conférence
Health Beyond Bars: Towards Healthy Prisons in Canada
organisée par le Centre collaboratif pour la santé et
l’éducation en milieu carcéral
Le 21 février 2014, à 9 h 15
Université de la Colombie-Britannique
Vancouver (Colombie-Britannique)
Mot d’ouverture
J’aimerais tout d’abord reconnaître les gardiens traditionnels de ce territoire et remercier l’Aînée Mary de son accueil si chaleureux.
Je vous remercie de m’avoir invité à m’adresser à vous ce matin. Toutes mes félicitations au Centre collaboratif pour la santé et l’éducation en milieu carcéral d’avoir organisé cette conférence.
C’est un plaisir d’être ici, dans cet endroit inspirant, et de participer à un dialogue sur des prisons saines.
Aujourd’hui, mon allocution porte sur les liens entre la prestation des services de santé en établissement et le processus du Service correctionnel du Canada ( SCC ) pour enquêter sur les décès de causes naturelles qui surviennent en établissement. J’examinerai les défis que représente une population carcérale vieillissante, de plus en plus complexe et fragilisée pour ce qui est de l’obligation du SCC de préserver la vie pendant l’incarcération. Je me pencherai sur les liens entre les maladies chroniques, la qualité des soins et les décès prématurés en établissement.
Afin de mettre mes propos en contexte, j’examinerai des rapports de recherche et des statistiques récentes sur les décès en établissement, dont un résumé des principales causes de mortalité au sein de la population carcérale sous responsabilité fédérale. Dans le but de bien faire comprendre mes préoccupations, je ferai état des conclusions d’une nouvelle enquête menée par le Bureau sur le processus d’examen des décès du SCC et de la capacité de ce dernier d’offrir des soins de qualité et adéquats en fin de vie en milieu carcéral.
Je terminerai en formulant des recommandations pratiques sur la manière dont le SCC peut améliorer sa démarche en matière de préservation de la vie, et ainsi atténuer les risques de décès prématurés ou attribuables à des causes évitables chez les détenus.
Laissez-moi prendre quelques minutes pour vous rappeler le mandat du Bureau. Le Bureau agit à titre d’ombudsman pour les délinquants sous responsabilité fédérale, c’est-à-dire les personnes qui purgent une peine d’au moins deux ans.
À titre d’enquêteur correctionnel, je suis autorisé en vertu de la Partie III de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition à enquêter sur les problèmes des délinquants relatifs aux décisions, aux recommandations, aux agissements et aux omissions du Service correctionnel du Canada.
J’ai le pouvoir de décider d’entreprendre une enquête ou d’y mettre fin, ainsi que de déterminer les méthodes qui sont employées pour mener les enquêtes.
Je suis pleinement indépendant du ministre de la Sécurité publique et du Service correctionnel du Canada. Composé de 35 personnes, mon personnel a un accès complet aux installations, aux dossiers et aux employés de SCC . Je fais rapport au Parlement des préoccupations ponctuelles et systémiques que les délinquants soulèvent auprès de mon bureau ainsi que de la capacité du SCC de mettre en œuvre des solutions.
Le Bureau est un organisme de surveillance, pas de défense des droits. Son personnel est impartial lorsqu’il mène des enquêtes sur des plaintes formulées contre le SCC . Il cherche à s’assurer que les activités sont menées conformément aux règles, équitablement et dans le respect des lois. Il aborde les services correctionnels du point de vue des droits de la personne.
La prévention des décès en établissement fait partie des six thèmes prioritaires du Bureau. Ce dernier se penche sur tous les incidents et toutes les enquêtes du SCC où il question du décès d’un détenu, quel qu’en soit la cause.
Les soins de santé demeurent la principale catégorie de plaintes que les délinquants présentent au Bureau. Cette catégorie de plaintes est constamment en tête de liste des préoccupations communiquées par les détenus. Lorsque l’on décortique la question, les plaintes individuelles sur les soins de santé se divisent habituellement en préoccupations liées à l’accès aux soins, à la qualité des soins donnés et aux décisions au sujet de la prise de médicaments, y compris l’arrêt ou les solutions de rechange.
Les soins de santé constituent souvent une catégorie de plaintes particulièrement complexe. Contrairement à vous et moi, les délinquants ne choisissent pas leur fournisseur de soins de santé et ils ne peuvent pas magasiner les services. Ils doivent accepter les soins qu’ils reçoivent, quand ils les reçoivent. Les soins de santé comportent des décisions liées à l’autonomie, le consentement et le contrôle. Ces décisions entrent souvent en conflit avec d’autres priorités, comme la sécurité, le déplacement de la population, la routine de l’établissement et la disponibilité de fournisseurs externes et de cliniques.
Lorsque l’on parle des soins de santé en établissement, il est important de souligner que les délinquants sous responsabilité fédérale ne sont pas couverts par les régimes de soins de santé de Santé Canada ou des provinces.
Le Service correctionnel du Canada doit assurer la prestation de services essentiels en matière de santé physique et mentale. En vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , le SCC doit assurer un accès raisonnable aux soins de santé conformément aux normes de pratique professionnellement acceptées. Il est en outre tenu de prendre en compte l’état de santé d’un délinquant et ses besoins en soins de santé dans ses décisions avant le placement pénitentiaire, le transfèrement, l’isolement, les mesures disciplinaires, la mise en liberté sous condition et la supervision. Voilà d’importantes obligations légales qui ne peuvent être ignorées, peu importe les difficultés qui y sont associées.
Il a été universellement établi que les établissements correctionnels hébergent des personnes fragilisées et vulnérables qui ont vécu en marge de la société. Les populations carcérales proviennent de façon disproportionnée de milieux sociaux et économiques caractérisés par la privation et les inconvénients. Nous savons aussi que les lacunes en matière d’alphabétisation, d’éducation, d’emploi, de réseaux de soutien social, de revenu et de statut social sont toutes associées à un taux de morbidité et de mortalité accru. Chaque année, je fais un rapport sur la manière dont le SCC répond à des défis. Mon plus récent rapport annuel a été présenté au Parlement le 26 novembre 2013.
Du point de vue des déterminants sociaux de la santé, examinons le profil de la population carcérale actuelle :
- Les Autochtones composent 23 % de la population carcérale sous responsabilité fédérale, malgré le fait que les Autochtones représentent seulement 4 % de la population canadienne en général. Chez les femmes qui purgent une peine de ressort fédéral, une sur trois est d’origine autochtone.
- Neuf pour cent des détenus sont des Canadiens de race noire, soit près du triple de leur représentation dans l’ensemble de la société.
- En moyenne, les détenus admis dans un pénitencier possèdent un niveau de scolarité équivalent à la 8e année.
- Avant d'arriver en prison, la plupart des délinquants étaient chroniquement sous-employés ou sans emploi.
- Près de 70 % des détenues sous responsabilité fédérale disent avoir subi des agressions sexuelles, et 86 % des sévices physiques à un moment ou à un autre de leur vie.
- Les dépendances et la toxicomanie affligent la très grande majorité des délinquants. Deux tiers des délinquants étaient en état d’ébriété lorsqu’ils ont commis l’infraction à l’origine de leur peine.
- Les caractéristiques démographiques de la population carcérale changent. Entre mars 2003 et mars 2013, c’est-à-dire sur une période de dix ans, près de 2 100 détenus se sont ajoutés à la population carcérale sous responsabilité fédérale, ce qui représente une augmentation totale de 16,5 %. Au cours de cette période, la population carcérale autochtone a augmenté de 46,4 %; le nombre de détenues autochtones a quant à lui augmenté de plus de 80 % au cours des dix dernières années. Le nombre de détenus provenant de minorités visibles a augmenté de près de 75 %. Entre-temps, la proportion de détenus de race blanche a chuté de 3 % au cours de la même période. Autrement dit, la très grande majorité de la croissance dans le système correctionnel est attribuable à l’augmentation du nombre de délinquants autochtones, de délinquantes et de délinquants membres d’une minorité visible.
- Enfin, et il s’agit là peut-être d’un facteur plus important en ce qui a trait à la gestion des maladies chroniques et aux taux de morbidité et de mortalité en établissement, un détenu sous responsabilité fédérale sur cinq est âgé de 50 ans ou plus.
Je vous présente ces tendances démographiques et ces statistiques afin de vous donner un contexte vous permettant de comprendre mes préoccupations au sujet des décès de causes naturelles dans le système correctionnel fédéral. Dans l’état actuel des choses, non seulement un pourcentage croissant de délinquants vieilliront en milieu carcéral, mais ceux-ci succomberont possiblement à une maladie chronique ou aiguë associée au vieillissement. Comme je l’ai déjà mentionné, le SCC a une obligation légale de veiller à la santé et à la sécurité des détenus pendant leur incarcération.
Il est généralement reconnu que le processus de vieillissement est accéléré d’au moins dix ans en milieu carcéral. D’après la recherche, de longues périodes d’incarcération et d’institutionnalisation ont des effets négatifs sur la santé mentale et physique. Le stress associé à la vie derrière les barreaux, jumelé à des années difficiles et à des habitudes de vie malsaines de longue date précédant l’arrivée en prison, peut ajouter des années à l’âge chronologique des détenus. Dans les services correctionnels, bon nombre d’administrations considèrent que 50 ans est l’âge auquel un délinquant est considéré âgé.
D’autres facteurs de stress, comme le fait d’être séparé de sa famille et de ses amis, la perspective de vieillir derrière les barreaux, la peur et la menace de victimisation, explique pourquoi l’âge physiologique d’un détenu peut être plus élevé que son âge réel.
Les répercussions cumulatives des nombreuses réformes effectuées au cours des dernières années dans les domaines de la détermination de la peine et de la libération conditionnelle font en sorte qu’un nombre croissant de délinquants purgent des peines plus longues, et qu’une plus grande partie de la peine est purgée derrière les barreaux avant la première mise en liberté. Comme la population générale est vieillissante, davantage de délinquants sont condamnés à des peines d’emprisonnement plus tard dans la vie. À titre d’exemple, le nombre de délinquants âgés entre 40 et 49 ans à l’admission est à la hausse; en 2011-2012, cette cohorte représentait près de 20 % de toutes les nouvelles admissions en milieu carcéral fédéral.
Aujourd’hui, 23 % de la population des détenus purge une peine d’emprisonnement à perpétuité ou de durée indéterminée. Bon nombre de ces détenus deviendront possiblement des détenus « âgés » avant même d’être admissible à la libération conditionnement, s’ils ne le sont jamais. Il faut se rappeler qu’un délinquant condamné à une peine pour meurtre au premier degré au Canada passera en moyenne plus de 28 ans derrière les barreaux avant la libération conditionnelle; il s’agit là d’une des plus longues durées de peine purgée du monde industrialisé, elle dépasse même celle des États-Unis.
Depuis que la peine de mort a été officiellement commutée en une peine d’emprisonnement à perpétuité en 1976, il y a eu une croissance graduelle, mais perceptible, du nombre de délinquants qui purgent une peine de longue durée dans les établissements correctionnels canadiens.
Au fil du temps, ces tendances s’intensifient, et leurs effets cumulatifs sont maintenant manifestes dans une population carcérale vieillissante. Un plus grand nombre de délinquants âgés vivent avec des maladies chroniques ou aiguës associées au vieillissement naturel – cancer, emphysème, diabète, maladie cardiovasculaire, arthrite, hypertension et démence. Certains ont besoin de soins très spécialisés (et dispendieux), y compris des soins palliatifs, avant la fin de leur peine. À ce sujet, bien que la possibilité existe encore, il est maintenant extrêmement rare qu’un détenu en phase terminale obtienne une libération pour des motifs exceptionnels, de compassion ou de clémence.
Cela étant dit, il s’avère difficile d’obtenir une vue d’ensemble des problèmes de santé de la population carcérale. La tâche se complique du fait que le système correctionnel n’a pas actuellement des dossiers médicaux électroniques ou un entreposage moderne et accessible de dossiers. Il est possible d’extraire manuellement de l’information des dossiers individuels existants et d’extrapoler des tendances pour faire des estimations éclairées sur la prévalence des problèmes de santé dans la population carcérale. Je dois mentionner que les taux de prévalence des maladies transmissibles, comme l’hépatite, la tuberculose et certaines infections transmissibles sexuellement, représentent des données beaucoup plus fiables, car ils sont fondés sur des résultats de tests effectués à l’admission et lors de dépistages effectués régulièrement au fil du temps dans la population carcérale.
En gardant ces avertissements en tête, jetons un coup d’œil à ce qui en est de la santé physique et mentale dans les établissements canadiens de nos jours :
- En 2011-2012, selon une combinaison de renseignements fournis par les délinquants et de résultats de tests documentés, le taux de prévalence des infections au sein de la population carcérale était de 30 % pour l’hépatite C, de 15 % pour la tuberculose latente et de 4,6 % pour le VIH.
- Selon un examen manuel des dossiers médicaux effectué en 2009, on estime que 6,9 % de la population carcérale était atteinte du diabète, que près de 20 % avait une maladie cardiovasculaire, 15 % une maladie respiratoire et 6,5 % des problèmes urologiques.
- En 2011-2012, 852 détenus (soit environ 6 % de la population carcérale) étaient inscrits à un traitement de substitution aux opinoïdes ( TSO ), communément appelé traitement d’entretien à la méthadone ou TEM . De façon surprenant, bien que la demande pour ce traitement soit à la hausse, l’administration du programme pour ce traitement vient d’être réduite de 10 %.
- Selon des données de 2008, 30 % des nouvelles délinquantes sous responsabilité fédérale ont déjà été hospitalisées pour des motifs d’ordre psychiatrique. Selon un profil réalisé en août 2013, 63 % des délinquantes sous responsabilité fédérale se sont vu prescrire une forme ou une autre de médicaments psychotropes.
- En 2011-2012, le Service correctionnel du Canada a rapporté avoir offert au moins un service de santé mentale en établissement à 48,3 % de la population carcérale totale.
- En 2011-2012, les deux tiers des délinquants nouvellement admis dans un établissement correctionnel ayant subi une évaluation pour dépister des troubles mentaux ont été signalés aux fins d’intervention de suivi.
Ces données illustrent une grande détresse en santé mentale et physique, et elles soulèvent les questions suivantes :
- Quel est le lien entre l’état de santé des détenus fragilisés et les taux de mortalité dans les établissements correctionnels fédéraux?
- Les taux de décès de causes « naturelles » des détenus sous responsabilité fédérale se maintiennent-ils à l’intérieur des taux de mortalité prévus ou normaux?
- Quels sont les facteurs de prévention ou de protection particuliers en place pour réduire l’incidence des maladies chroniques associées au vieillissement dans les établissements carcéraux fédéraux?
- Quels facteurs de risque précis (incidence et propagation de maladies infectieuses, mauvaise alimentation, manque d’exercice, modes de vie malsains) faut-il considérer dans le cas de l’institutionnalisation prolongée de personnes incarcérées?
- Quelle est l’obligation de diligence du SCC d’atténuer les risques de décès évitable ou prématuré chez les détenus?
- S’il y a lieu, quel est le lien entre un risque élevé, une insatisfaction élevée à l’égard des services de santé et le taux de mortalité des détenus en établissement?
Ces questions ont mené le Bureau à examiner de plus près la manière dont le SCC examine les décès de cause naturelle, notamment la qualité des soins fournis en fin de vie.
Entre 2002 et 2013, il y a eu 536 décès dans les établissements correctionnels fédéraux. Plus de 70 % de tous les décès survenus en établissement au cours de cette période ont été attribués à des causes naturelles. Les décès de cause naturelle sont de beaucoup plus nombreux que les décès attribuables à toute autre cause.
En 2011-2012, 53 décès sont survenus dans les établissements du SCC – 62 % étaient de causes naturelles, 16 % des suicides, 14 % des décès de causes inconnues, 6 % des meurtres et 2 % des empoisonnements par surdose.
En moyenne, environ 35 détenus sous responsabilité fédérale meurent chaque année de causes naturelles. Chaque année, environ 50 autres détenus meurent de causes naturelles alors qu’ils faisaient l’objet d’une forme ou d’une autre de surveillance communautaire.
Il est difficile de déterminer le taux précis de mortalité des délinquants sous responsabilité fédérale, mais ces chiffres donnent l’alerte étant donné que la population carcérale compte environ 15 300 détenus et que la population sous surveillance dans la collectivité se chiffre à environ 8 500 personnes.
Un rapport statistique produit par le SCC en janvier 2013 donne le résumé de 50 examens de cas de décès. Il a conclu que 35 décès étaient « attendus » (les détenus avaient un diagnostic de stade terminal), tandis que 15 décès étaient « inattendus » (les détenus ont succombé à un arrêt cardiaque soudain ou à des complications liées à des procédures médicales). Des 35 décès attendus, il a été confirmé que 31 détenus avaient reçu des soins palliatifs. Trente détenus sont décédés dans un établissement du SCC et cinq dans un hôpital communautaire.
Tout comme dans le cas des taux de mortalité nationaux, le cancer était la principale cause naturelle de décès au sein de la population carcérale. Les maladies cardiovasculaires sont responsables de 20 % des décès chez les détenus et elles sont aussi la deuxième cause de décès chez les Canadiens. Les infections constituaient la troisième cause de décès (14 %) chez les délinquants, alors que ce rang est occupé par les accidents vasculaires cérébraux chez les Canadiens. L’influenza et les infections liées à la pneumonie étaient la huitième cause de décès chez les Canadiens, alors que les décès attribuables à une infection liée au SIDA, à l’hépatite et à une septicémie se situaient au troisième rang chez les détenus.
Les décès en établissement attribués à des infections soulèvent une préoccupation particulière pour ce qui est des conditions de détention; le surpeuplement peut contribuer à une propagation rapide de maladies infectieuses telles que l’hépatite. Les maladies du foie demeurent une cause importante de décès dans la population carcérale.
L’âge moyen des délinquants qui meurent en établissement ou sous surveillance dans la collectivité est bien inférieur à l’espérance de vie à l’échelle nationale. Pour ce qui est des 50 examens de cas de mortalité susmentionnés, la moyenne d’âge des détenus à leur décès était de 60 ans, ce qui est bien plus jeune que l’espérance de vie au Canada, c’est-à-dire 78,3 ans pour les hommes et 83 ans pour les femmes.
Cette tendance se maintient pour les délinquants qui semblent mourir prématurément d’une cause naturelle dans la collectivité, où, sur une période de dix ans, l’âge moyen au décès était de 62,5 ans.
En vertu de l’article 19 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , lorsqu’un détenu décède ou subit des blessures graves, le Service correctionnel du Canada doit « sans délai » faire enquête et remettre un rapport au commissaire du SCC . Toujours selon l’article 19, le SCC doit remettre une copie de son rapport au Bureau de l’enquêteur correctionnel.
J’aimerais préciser que ce n’est pas la cause en tant que telle du décès ou des blessures graves qui est à l’origine de l’obligation d’enquêter « sans délai », mais plutôt le fait qu’un décès ou des blessures graves soient survenus.
Le SCC convoque habituellement un comité d’enquête pour investiguer sur tous les cas de décès en établissement, quelle qu’en soit la cause. Depuis 2005, les cas de décès de causes naturelles font l’objet d’un processus d’examen simplifié et distinct, appelé Processus d’examen des cas de décès (ou PED ).
Ce processus vise à évaluer les soins de santé prodigués et à faire état des circonstances, des facteurs déclencheurs et des causes ayant mené aux décès. L’exercice comprend principalement un examen des documents médicaux du détenu décédé et est effectué par un infirmier ou une infirmière autorisé(e) à l’administration centrale du SCC . L’examen porte habituellement sur les soins de santé et les dossiers institutionnels des deux années précédant le décès, mais l’examinateur peut retourner en arrière aussi loin qu’il est nécessaire.
Mes préoccupations sur la conduite des examens des cas de décès remontent à plusieurs années. Le Bureau a soulevé à maintes reprises des préoccupations sur la qualité, la rigueur et le caractère adéquat du processus d’examen des cas de décès, auxquelles le SCC n’a pas encore donné suite :
- Il n’y a aucune obligation d’inclure un membre externe dans la composition du Comité d’examen des cas de décès.
- Aucun des examens des cas de décès n’a fait l’objet d’un examen indépendant ou d’une validation fait par un expert.
- Il n’y a aucune exigence de s’entretenir avec le personnel ou avec une partie indépendante pour corroborer les soins cliniques donnés.
- Des documents essentiels, y compris les notes de fermeture, le rapport du coroner et le certificat établissant la cause officielle du décès, étaient souvent absents des dossiers examinés par le Bureau.
- Bien que les problèmes de conformité soient parfois identifiés, les mesures correctives sont rarement prises en note et des recommandations d’importance nationale ne sont pas normalement formulées.
Motivé par ces préoccupations et après avoir examiné la première centaine d’examens et avoir noté la rareté de constatations et de recommandations essentielles, l’année dernière j’ai amorcé une enquête approfondie du processus d’examen des décès du SCC .
Pour faciliter l’enquête, j’ai retenu les services d’un médecin-conseil réputé pour mener un examen indépendant et expert de la qualité et du caractère adéquat des soins médicaux prodigués à un échantillon de 15 détenus décédés.
Les 15 cas que nous avons demandé au médecin-conseil d’examiner n’ont pas été choisis au hasard. Tous les cas examinés avaient soulevé certaines préoccupations lors de l’examen initial. Tous les cas portaient sur des détenus de sexe masculin et dans tous les cas, sauf un, le décès avait été anticipé par le SCC . L’âge moyen au décès de l’échantillon était de 60 ans.
Le médecin-conseil a examiné les mêmes dossiers (médicaux et autres) que ceux examinés par le SCC dans le cadre de son processus d’examen. Il s’agissait d’un examen de conformité axé sur l’évaluation de la qualité et de la rigueur des rapports sur les cas de décès et du processus d’examen du SCC ; l’exercice ne visait pas à enquêter de nouveau sur les faits établis.
Le rapport d’enquête sur le processus d’examen des cas de décès a été rendu public plus tôt cette semaine et il est disponible sur le site Web du BEC. J’ai laissé des exemplaires du document d’information et du communiqué que nous avons diffusé sur la table d’information à l’extérieur de la salle.
L’examen du médecin-conseil soulève des préoccupations importantes en matière de conformité en ce qui concerne la qualité et le caractère adéquat des soins de santé prodigués : pratiques douteuses en matière de diagnostic, documents médicaux incomplets, qualité et contenu de l’échange d’information entre les professionnels de la santé et les agents correctionnels, et manque de suivi adéquat relativement aux recommandations de traitements, ou retards à cet égard. Il s’agit là de graves constatations, notamment si on considère que tous les quinze examens de cas de décès menés par le SCC sont arrivés à la conclusion que les soins prodigués aux détenus décédés avaient été « conformes » aux politiques et aux normes « applicables » en matière de soins de santé.
L’enquête a aussi relevé d’importants problèmes liés au processus d’examen des cas de décès en tant que tel. À titre d’exemple, le temps écoulé entre le décès et la convocation aux fins d’un examen de ce cas de décès et son achèvement peut souvent être supérieur à deux ans. Ce délai ne respecte pas l’obligation législative du SCC d’enquêter « sans délai » le décès d’un détenu.
Fait tout aussi troublant : l’examinateur n’est pas tenu d’établir, de reconstruire, de corroborer ou de prouver les faits ou les circonstances ayant mené au décès, si ce n’est que de préciser la cause du décès comme étant « prévu ou anticipé » ou « inattendu ou soudain ».
La plupart des examens des cas de décès se terminent simplement par une note de fermeture indiquant « aucune mesure requise ».
Étant donné ces lacunes, il n’est peut-être pas surprenant de constater que le processus d’examen des cas de décès n’a pas permis de produire des conclusions, des recommandations, des leçons retenues et des mesures correctives d’importance nationale. Même lorsque des préoccupations sont soulevées en matière de conformité, il n’y a aucun moyen de déterminer si le décès était prématuré ou aurait pu être évité. De la manière dont le processus est actuellement structuré, il y a très peu de place pour avancer les connaissances, tirer des leçons ou mener à des mesures correctives soutenues au fil du temps.
J’en suis arrivé à la conclusion que le processus d’examen des cas de décès est un modèle inadéquat pour enquêter sur les décès dans les établissements fédéraux. L’exercice n’est pas effectué en temps opportun ou de manière rigoureuse et il ne permet pas de satisfaire aux normes d’enquête de base telles que l’indépendance, la rigueur et la crédibilité.
Ces conclusions vont dans le même sens qu’un certain nombre d’autres rapports et d’études sur les décès en établissement réalisés par le Bureau depuis 2007.
Nous continuons d’examiner des cas où la qualité et la rapidité de l’intervention à une urgence médicale étaient soit inadéquates ou inappropriées. Nous avons documenté ces préoccupations, à savoir :
- Délais excessifs ou incapacité évidente à prendre des mesures permettant de sauver une vie.
- Défaut d’enlever les points connus pouvant servir à la pendaison, notamment dans les endroits à risques élevés, comme les cellules d’isolement et d’observation.
- Préoccupations au sujet de la qualité et de la disponibilité des soins médicaux d’urgence, notamment la nuit et les fins de semaine.
- Utilisation de l’isolement de longue durée pour gérer les délinquants souffrant de troubles de santé mentale, souvent à l’encontre de leurs intérêts en matière de santé.
- Qualité des procédures de patrouille, de dénombrement et de vérification des détenus en vie.
- Lacunes concernant l’échange d’information au sein du personnel de première ligne et des professionnels de la santé, et entre eux.
Il s’agit de risques persistants et connus qui continuent de miner les efforts visant à réduire et à prévenir les décès en établissement.
Le Comité international de la Croix-Rouge a récemment publié un rapport intitulé Guidelines for Investigating Deaths in Custody (lignes directrices pour l’enquête des décès en établissement). Le rapport présente un certain nombre de normes et de procédures en matière d’enquête et de prévention des décès en établissement, lesquelles sont fondées sur le droit international des droits de la personne et des pratiques exemplaires issues de partout dans le monde.
Le CICR mentionne ceci :
[ traduction ] Lorsqu’une personne meurt en établissement, il va de soi qu’une enquête indépendante doit être effectuée, peu importe la cause présumée du décès. Il est essentiel de procéder rapidement à une enquête impartiale et efficace pour déterminer la cause du décès, prévenir que d’autres incidents semblables se produisent dans le futur et assurer la sécurité des autres détenus, informer le plus proche parent et rassurer le public au sujet de l’engagement des autorités à respecter leurs obligations nationales et internationales.
Le document présente quatre critères clés qui devraient orienter une enquête sur un décès en établissement, peu importe la cause :
- L’enquête doit être rigoureuse – Il faut établir tous les faits liés au décès, comme la cause, l’endroit et l’heure, le degré de participation des personnes impliquées dans le décès, ainsi que tout comportement ou toute pratique qui peut avoir causé le décès .
- Les autorités doivent entreprendre l’enquête de leur plein gré et la mener le plus rapidement possible .
- Les autorités responsables de l’enquête doivent être indépendantes et impartiales. Elles ne doivent avoir aucun lien, institutionnel ou hiérarchique, avec les personnes ou les organismes dont la conduite fait l’objet de l’enquête.
- L’enquête doit comporter un certain degré d’examen public; les conclusions devraient être rendues publiques. Le plus proche parent devrait participer au processus.
Les lignes directrices mentionnent aussi l’importance d’interviewer les témoins, les membres du personnel qui s’occupaient du détenu décédé ainsi que d’autres détenus qui pourraient avoir observé les circonstances du décès. Le personnel médical de l’établissement devrait aussi être questionné au sujet de la médication utilisée et de l’état de santé mentale et physique du détenu avant son décès. Il faut aussi établir à quand remonte le dernier contact du détenu décédé avec un professionnel de la santé.
De toute évidence, le processus d’examen des cas de décès du SCC ne respecte pas bon nombre de ces pratiques exemplaires et de ces normes. Un examen des dossiers médicaux à la suite d’un incident ne constitue pas une enquête s’il n’y a aucune exigence de passer en entrevue le personnel ou des détenus à l’établissement où est survenu le décès ou d’évaluer les facteurs et les circonstances qui ont pu mener au décès.
Comme le confirme notre enquête sur le processus d’examen des cas de décès, l’exercice actuel n’est souvent pas en mesure d’évaluer complètement les éléments suivants :
- Le caractère approprié du diagnostic et du régime de traitement;
- La mesure dans laquelle les renseignements médicaux sont communiqués au patient;
- La capacité de fournir un consentement éclairé en fin de la vie;
- La qualité du lien avec les membres de la famille;
- La pertinence et le caractère approprié des plans relatifs aux soins palliatifs;
- L’exigence législative visant à examiner des solutions de rechange à l’incarcération pour les délinquants en phase terminale ou recevant des soins palliatifs;
- Le caractère adéquat, la rapidité ou la pertinence des mesures d’intervention d’urgence en cas d’incident critique soudain ou inattendu.
Ces lacunes ne seraient jamais tolérées dans le système de santé public. Elles ne devraient pas être tolérées dans le système correctionnel. Le fait de tolérer ces lacunes va à l’encontre du devoir de diligence envers les personnes sous le contrôle de l’État.
Ces lacunes expliquent peut-être pourquoi le SCC n’a pas encore un cadre de travail pour évaluer et atténuer les risques associés aux décès prématurés. Je suis très préoccupé par le fait qu’après avoir fait quelques tentatives, le SCC n’a pas été en mesure de produire une stratégie nationale de mesure du rendement et de responsabilisation soumise à l’examen public et axée sur les risques connus pour réduire et prévenir les décès évitables ou prématurés dans les établissements fédéraux.
Mot de la fin
Pour aller de l’avant et réaliser des progrès dans les secteurs de préoccupation relevés, j’ai proposé les mesures suivantes :
- D’abord, dans mon dernier rapport annuel, j’ai demandé au ministre de la Sécurité publique de créer un forum consultatif national indépendant regroupant des experts, des praticiens et des groupes d’intervenants afin d’examiner les tendances, de communiquer les leçons apprises et de proposer des projets de recherche qui pourraient réduire le nombre et le taux de décès dans les établissements de détention du Canada.
- Il y a plusieurs enquêtes du coroner ainsi que des examens et des rapports de médecins légistes qui font état d’importantes leçons retenues. Par contre, ces documents ont tendance à voir peu de répercussions à long terme, car, selon moi, il n’y a pas d’organisme national pour communiquer leurs conclusions ou recommandations en temps opportun ou de façon appropriée, et encore moins pour les mettre en application. Un tel organisme est en place au Royaume-Uni depuis plusieurs années, et il a grandement contribué aux efforts de réduction des décès en établissement.
- Deuxièmement, le SCC devrait créer un poste de cadre supérieur dont le titulaire sera responsable de la promotion et de la surveillance des pratiques de détention sécuritaire.
- Troisièment, il est essentiel que des services de santé soient disponibles en tout temps dans tous les établissements à sécurité moyenne, maximale et à niveaux multiples. Les agents correctionnels reçoivent une formation sur les procédures de base de maintien en vie, mais ils ne peuvent pas remplacer les professionnels de la santé lorsque survient un incident soudain et pouvant mener à un décès.
- Il faut mettre fin à la pratique de placer en isolement de longue durée les délinquants ayant des troubles de santé mentale et ceux présentant des risques de suicide et de comportement d’automutilation grave.
Enfin, et notamment en ce qui a trait au renforcement de la responsabilisation et de la transparence du processus d’examen des cas de décès du SCC , il faut prendre les mesures suivantes :
- Les décès « soudains » ou « inattendus », sans égard à leur cause préliminaire, doivent faire l’objet d’une enquête menée par un comité national.
- Tous les examens des cas de décès, sans égard à leur cause, doivent être effectués sous la direction d’un médecin.
- Le rapport complet sur le cas de décès doit être communiqué, en temps opportun, aux membres désignés de la famille du détenu qui en font la demande.
- L’examen des cas de décès doit faire l’objet d’une vérification du contrôle de la qualité sous la direction d’un médecin externe.
La prévention des décès en établissement n’est pas une tâche facile, mais une peine d’emprisonnement au Canada ne devrait pas être synonyme d’une espérance de vie plus courte. Il n’y a rien de « naturel » à mourir derrière les barreaux. Le destin des détenus repose entre les mains des autorités responsables de l’administration de leurs peines.
Les autorités doivent préserver la vie, la dignité et l’intégrité physique des personnes privées de liberté. Il s’agit en fait de la principale responsabilité d’un système correctionnel moderne et humain. Je sais qu’il s’agit d’une responsabilité que chacun d’entre vous prend au sérieux.
Merci pour le travail que vous accomplissez. Je suis sensible à votre engagement en ce qui a trait à la qualité des soins de santé en établissement ainsi qu’à l’intérêt que vous portez aux travaux du Bureau. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Date de modification
2014-05-16
