Dix ans depuis Une question de spiritualité : Une feuille de route pour la réforme du système correctionnel canadien pour Autochtones
Cat. No.: PS104-20/2023E-PDF
ISSN: 978-0-660-49732-7
Table des matières
Remerciements
Ce travail n’aurait pas été possible sans les contributions significatives de nombreuses personnes et organisations. Un grand merci aux personnes suivantes :
Les auteurs principaux du BEC et les chercheurs principaux qui ont dirigé ce travail :
Leticia Gutierrez, Ph. D.
David Hooey
Emad Talisman
Hazel Miron
Toutes les personnes qui ont généreusement partagé avec nous leurs expériences, leurs points de vue et leurs histoires, y compris les personnes suivantes :
- Personnes autochtones incarcérées ou précédemment incarcérées ;
- Aînés, intervenants spirituels et gardiens du savoir ;
- Membres du personnel local travaillant dans les divers environnements que nous avons visités (p. ex., institutions fédérales, pavillons de ressourcement, installations communautaires).
Archipel Research and Consulting, pour avoir apporté son soutien lors des entretiens avec les aînés, contribué aux conclusions de l’enquête et proposé un examen et des commentaires sur la deuxième partie de l’enquête.
Les organisations et les groupes communautaires qui nous ont gracieusement rencontrés pour discuter de ces questions à partir de leurs expériences et de leurs points de vue respectifs, notamment :
- Ralliement national des Métis
- Inuit Tapiriit Kanatami
- Native Women’s Association of Canada
- Native Counselling Services of Alberta
Membres du personnel du BEC qui ont mené de nombreux entretiens et effectué des visites sur place.
Membres du personnel du siège et des régions du SCC qui a fourni des idées et des renseignements utiles à l’appui de ces enquêtes.
Préface
Le nombre disproportionné et croissant de personnes autochtones derrière les barreaux est l’un des problèmes les plus urgents en matière de droits de la personne au Canada, et il a été mentionné abondamment dans tous les rapports publics publiés par mon Bureau au cours de la dernière décennie. La présente publication a été initialement conçue comme une mise à jour en deux parties du rapport spécial de 2013 du Bureau au Parlement, intitulé Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition . La première partie de la mise à jour du rapport Une question de spiritualité a été publiée dans le rapport annuel 2021-22 du Bureau et la deuxième partie a ensuite été publiée dans le rapport annuel 2022-23. Dix ans depuis Une question de spiritualité rassemble ces deux rapports publiés séparément en une seule source. En regroupant les conclusions et les recommandations, la Feuille de route pour la réforme du système correctionnel canadien pour Autochtones représente l’évaluation la plus récente du Bureau sur la façon dont le système correctionnel fédéral perpétue les désavantages et manque à ses engagements envers les peuples autochtones.
Sur le plan professionnel et personnel, ce travail est le fruit d’une frustration croissante face à la futilité de répondre à la crise de la sur-incarcération des Autochtones au Canada par les mêmes politiques et approches qui ont échoué. En tant qu’enquêteur correctionnel du Canada, je suis profondément troublé chaque fois que je fais état de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons canadiennes. Malgré les nombreux rapports et recommandations sur ce sujet, et malgré toutes les ressources et stratégies mises en œuvre pour résoudre ce problème, le pourcentage d’Autochtones incarcérés ne cesse d’augmenter. Aujourd’hui, près d’un tiers de l’ensemble de la population carcérale s’identifie comme Autochtone ; 50 % des femmes derrière les barreaux sont autochtones. Sans des réformes nécessaires et urgentes, l’ autochtonisation déjà inadmissible de la population carcérale du Canada persistera.
Dix ans depuis Une question de spiritualité est l’aboutissement d’une décennie d’observations, de réflexions, de mobilisations, d’enquêtes, d’entretiens, de conclusions et de recommandations documentant l’expérience des Autochtones purgeant des peines fédérales au Canada. Il est important de noter que, dans ce recueil, nous avons cherché à faire entendre les témoignages et les expériences des peuples autochtones condamnés par le gouvernement fédéral, en les exprimant dans leurs propres mots. Il présente également le point de vue unique et la sagesse des aînés qui travaillent dans les pénitenciers fédéraux et qui apportent leur soutien et leurs conseils aux membres de leurs communautés. Ces récits et témoignages individuels, puissants et significatifs en soi, sont étayés par une série d’enquêtes sur des initiatives marquantes du continuum de soins autochtone du Service correctionnel du Canada.
L’équipe du projet a pris au sérieux la nécessité d’appliquer une lentille autochtone à ce travail, d’écouter, de consulter et de collaborer avec les personnes, les organisations, les partenaires et les intervenants autochtones, qui ont tous un point de vue unique sur les questions qui ont une incidence sur les populations autochtones dans les systèmes de justice pénale et correctionnel du Canada. Ce travail n’aurait tout simplement pas été possible sans la contribution d’une équipe extraordinaire et engagée de conseillers politiques, de rédacteurs, de chercheurs, d’enquêteurs et de collaborateurs externes. Avec un large éventail de perspectives et de points de vue, ce livre est un résumé de ce que nous avons entendu et vu au cours de l’une des enquêtes les plus ambitieuses et les plus complètes jamais menées par le Bureau de l’enquêteur correctionnel. Je suis immensément reconnaissant à tous ceux qui ont contribué à rendre cette publication possible.
Rédigé dans un esprit de réconciliation, ce recueil plaide en faveur de réformes audacieuses et novatrices de l’approche du Canada en matière de services correctionnels pour les Autochtones. Il appelle le gouvernement du Canada à délaisser les principes et les instruments de contrôle colonial qui maintiennent les populations autochtones dans la marginalité, la surpénalisation et la sur-incarcération. Il plaide en faveur d’une réaffectation des dépenses et des ressources actuelles des établissements pénitentiaires fédéraux en fonction de la proportion d’Autochtones placés sous la garde de l’État fédéral. Conformément aux principes d’autodétermination, les pouvoirs et les autorités fédérales concernant la prise en charge, la garde et la surveillance des délinquants autochtones devraient être totalement transférés aux communautés et aux organisations autochtones, y compris en confiant les six pavillons de ressourcement encore gérés par l’État aux Premières nations, aux Métis ou aux Inuits, comme cela était prévu à l’origine. Enfin, la feuille de route appelle à la création d’une stratégie de décarcération autochtone, élaborée en partenariat avec le gouvernement fédéral et les populations et organisations autochtones. Cette stratégie comprendrait des mesures visant à expliquer pourquoi les autochtones sont plus susceptibles que tout autre groupe d’être surclassés, plus susceptibles d’être impliqués dans des incidents de recours à la force, moins susceptibles de bénéficier d’une libération discrétionnaire et plus susceptibles de passer plus de temps en prison avant d’être libérés pour la première fois.
Je suis d’avis que les conclusions et les recommandations correspondantes présentées dans ce recueil constituent des orientations essentielles pour la réforme structurelle des services correctionnels autochtones au Canada.
Ivan Zinger, J.D., Ph. D.
Enquêteur correctionnel du Canada
juillet 2023
Partie 1
Les mauvais traitements infligés aux Peuples autochtones sont depuis longtemps une plaie de l’histoire du Canada et, par extension, des services correctionnels canadiens. Appelé par certains le nouveau système des pensionnats, le système correctionnel est devenu emblématique du néocolonialisme moderne et un microcosme pour des maux sociaux plus larges. 1 Il est vrai que le système pénitentiaire est souvent blâmé pour les échecs d’autres institutions sociales, dont il hérite. Bien qu’ils ne soient pas les seuls responsables des personnes qui franchissent leurs portes, les organismes correctionnels détiennent un pouvoir considérable sur la façon dont (et à qui) la justice est administrée derrière les barreaux, ce qui, dans une large mesure, dicte la composition du paysage correctionnel. En outre, les autorités correctionnelles ont toujours eu un contrôle important sur l’éthique culturelle dominante dans la façon dont les prisons sont gérées, sur les personnes qui les dirigent et sur l’affectation et la détermination des ressources et des priorités. Toutes ces réalités ont servi à préserver le système pénitentiaire comme l’institution intrinsèquement coloniale qu’il a toujours été, malgré certaines tentatives d’amélioration. Au niveau instrumental, le système carcéral fédéral, qui date d’avant la Confédération, a longtemps servi à marginaliser, à surcriminaliser et à surincarcérer les Peuples autochtones.
Les inégalités et les résultats disparates dont souffrent les Peuples autochtones sous le coup d’une peine fédérale au Canada constituent une priorité et une préoccupation majeures pour le Bureau depuis sa création. Il y a près de 50 ans, dans le tout premier rapport annuel publié par le Bureau en juillet 1974, le traitement discriminatoire des personnes autochtones sous la garde du gouvernement fédéral figurait parmi les premières questions soulevées. Au cours des décennies suivantes, le Bureau a émis plus de 70 recommandations spécifiques aux services correctionnels pour Autochtones, dans le cadre de ses rapports annuels. En 2013, le rapport spécial du Bureau sur les services correctionnels pour Autochtones intitulé « Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition » a été déposé au Parlement. 2 Vingt ans après l’introduction de la LSCMLC en 1992, Une question de spiritualité a cherché à déterminer dans quelle mesure les services correctionnels fédéraux avaient respecté l’intention du Parlement en ce qui concerne les dispositions législatives, en se concentrant plus particulièrement sur les articles 81 (pavillons de ressourcement gérés par les communautés autochtones) et 84 (planification de la mise en liberté et de la réinsertion dans les communautés autochtones) de la LSCMLC 3 . Les résultats de cette enquête ont révélé des lacunes nombreuses et importantes. Ensemble, les recommandations issues des rapports annuels intitulés Une question de spiritualité et du BEC sur les services correctionnels pour Autochtones ont couvert de nombreux sujets, en se concentrant largement sur le besoin de changement dans les domaines clés suivants :
- Expansion des pavillons de ressourcement de l’article 81 (gérés par les communautés autochtones);
- Meilleure utilisation et facilitation du processus, des mises en liberté de l’article 84;
- Meilleur leadership autochtone (c’est-à-dire la nomination d’un commissaire adjoint des services correctionnels pour Autochtones);
- Meilleure libération et la réintégration en temps voulu des Peuples autochtones;
- Analyse et rapports publics plus intentionnels et transparents sur les répercussions des décisions correctionnelles sur les populations autochtones;
- Meilleure allocation de ressources et participation des communautés et organisations autochtones à la prise de décision et à l’administration du système correctionnel;
- Meilleurs programmes de garde et les programmes communautaires pour répondre aux besoins des Peuples autochtones;
- Meilleure utilisation des facteurs Gladue /antécédents sociaux des Autochtones pour éclairer la prise de décision, l’évaluation et le classement;
- Résolution des problèmes récurrents auxquels sont confrontés les Aînés autochtones;
- Plus grand nombre d’employés autochtones et offrir au personnel existant une meilleure formation sur la culture, les antécédents et la spiritualité des Autochtones;
- Stratégie de désaffiliation des gangs, en mettant l’accent sur les gangs autochtones.
Dans les années qui ont suivi Une question de spiritualité , un certain nombre de commissions, d’enquêtes, de travaux de journalisme d’enquête sans précédent et d’études de comités parlementaires ont été réalisés sur les besoins et les expériences des personnes autochtones incarcérées. Les rapports issus de la plupart de ces initiatives ont émis des recommandations et des appels à l’action spécifiques, dont beaucoup ont été adressés aux services correctionnels fédéraux. Les préoccupations soulevées dans chacun de ces rapports font, dans l’ensemble, écho à bon nombre de celles exprimées par le Bureau, et certaines (par exemple, le rapport final sur les FFADA : Réclamer notre pouvoir et notre place ) ont pleinement approuvé et réédité les recommandations du Bureau en matière de services correctionnels pour Autochtones, souvent mot pour mot. Plus précisément, les recommandations se chevauchent considérablement dans les appels au changement dans les quatre domaines suivants :
- Augmenter le recours aux pavillons de ressourcement, aux libérations en vertu de l’article 84 et à l’engagement auprès des communautés autochtones;
- Offrir davantage de programmes et de meilleure qualité fondés sur la culture;
- Améliorer les outils de dépistage, d’évaluation et de classement;
- Avoir davantage de leadership autochtone, de représentation des employés et de compétences culturelles parmi tout le personnel.
Rapports clés sur les questions autochtones dans le système correctionnel depuis Une question de spiritualité (2013)
- Bureau de l’enquêteur correctionnel, Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (2013)
- Commission Vérité et Réconciliation — Rapport final : Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir (2015)
- Bureau du vérificateur général - Rapport d’automne : La préparation des détenus autochtones à la mise en liberté(2016)
- Comité permanent de la Chambre des communes sur lasécurité publique et nationale — Étude : Les personnesautochtones dans le système correctionnel fédéral
- Comité permanent de la condition féminine de laChambre des communes — Étude : Les femmes
autochtones dans les systèmes judiciaires etcorrectionnels fédéraux (2017) - Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtonesdisparues et assassinées - Rapport final : Réclamer notrepouvoir et notre place (2020)
Dix ans depuis Une question de spiritualité
La surreprésentation des autochtones dans le système correctionnel fédéral
Au cours des trente dernières années en particulier, certains efforts ont été déployés pour apporter une plus grande équité aux Peuples autochtones qui entrent dans le système correctionnel, comme l’introduction de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (articles 79 à 84) et les modifications apportées au Code criminel (par exemple, l’article 718.2 [ e ]). Dans les services correctionnels fédéraux, les efforts systémiques visant à « décoloniser » les prisons ont largement débuté en 2003 avec l’introduction du modèle du Continuum de soins pour les Autochtones . Malgré les divers changements, enquêtes, plans et investissements, les différents efforts déployés n’ont malheureusement pas atteint leurs objectifs de lutte contre la discrimination systémique et la surreprésentation des Peuples autochtones dans le système correctionnel. Alors que la population carcérale a globalement diminué au cours des dernières années, la surreprésentation des Autochtones a non seulement persisté, mais elle a augmenté à un rythme soutenu. Depuis 2012, la population incarcérée au niveau fédéral a diminué de 16,5 % et la population carcérale de Blancs a diminué de 23,5 %; cependant, pendant la même période, la population carcérale autochtone a augmenté de 22,5 % 4 . Rien qu’au cours de la dernière décennie, la population autochtone totale de délinquants (incarcérés et communautaires) a augmenté de 40,8 % 5 .
En janvier 2016, le Bureau a indiqué que la proportion d’Autochtones sous la garde du gouvernement fédéral avait atteint le chiffre record de 25 %, et a prévenu que cette tendance allait se poursuivre, sans intervention significative. Au cours des deux dernières années, les services correctionnels fédéraux ont franchi deux nouvelles étapes historiques, lorsque la proportion a dépassé la barre des 30 % dans l’ensemble et approché les 50 % pour les femmes autochtones incarcérées6. Aujourd’hui, bien qu’ils représentent environ 5 % de la population adulte, les Peuples autochtones continuent d’être largement surreprésentés dans le système correctionnel fédéral, puisqu’ils constituent 28 % de toutes les personnes purgeant une peine de ressort fédéral et près d’un tiers (32 %) de toutes les personnes en détention.
Graphique 1. Proportion de la population autochtone et non autochtone en détention depuis 2012 7
Santé et résultats en prison
Si l’aggravation de la surreprésentation et de l’ autochtonisation du système pénitentiaire constitue à elles seules un critère déterminant du progrès, un large éventail d’indicateurs et de résultats en matière de santé dans les prisons témoigne également de la trajectoire inquiétante des services correctionnels pour Autochtones. Par exemple, au moment de la rédaction de ce rapport, les Peuples autochtones dans les prisons fédérales étaient toujours surreprésentés dans les domaines suivants :
- Le placement en détention, par rapport à la supervision communautaire (68,3 % des Autochtones sont en détention contre 54,8 % des non-Autochtones);
- Le recours à la force (les Autochtones représentaient 39 % des personnes impliquées dans des recours à la force au cours des cinq dernières années);
- La sécurité maximale (38 % des personnes en sécurité maximale sont des Autochtones);
- Des unités d’intervention structurée (anciennement isolement, près de 50 % des personnes placées dans ces unités sont des Autochtones);
- Une affiliation à un groupe menaçant la sécurité (la proportion de personnes autochtones affiliées à un GMS est deux fois plus élevée que celle des personnes non-autochtones en détention, soit 22 % contre 9 %) 8 ;
- Les incidents d’automutilation (55 % de tous les incidents d’automutilation impliquaient une personne autochtone);
- Les tentatives de suicide (40 % des tentatives de suicide au cours de la dernière décennie);
- Les suicides (83 % [5 sur 6] de toutes les personnes incarcérées dont le décès est survenu par suicide en 2020-2021 étaient autochtones) 9
En outre, les Autochtones entrent de plus en plus tôt dans le système 10 , passent beaucoup plus de temps derrière les barreaux et retournent dans le système correctionnel fédéral à un rythme sans précédent par rapport à leurs homologues non-autochtones. Plus précisément, les Autochtones continuent de purger une plus grande partie de leur peine que les non-Autochtones avant d’être libérés en semi-liberté ou en liberté conditionnelle totale, et bénéficient d’une très faible proportion de libérations conditionnelles, la libération d’office étant de loin le type de libération le plus probable 11 . En 2020-2021, 75 % des libérations de délinquants autochtones étaient des libérations d’office 12 . En ce qui concerne les résultats après la libération, les hommes autochtones présentent les taux de récidive les plus élevés de tous les groupes (65 % pour toute récidive, avec des taux de 70 % et plus dans la région des Prairies) et près de la moitié de toutes les admissions chez les Autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux l’an dernier concernaient des révocations 13 , 14 . Pris individuellement ou dans leur ensemble, ces indicateurs montrent clairement que le système correctionnel canadien est, et ce depuis un certain temps, en crise perpétuelle. D’année en année, les prisons sont de plus en plus remplies par des Autochtones qui sont pris dans le fameux phénomène de la porte tournante, dont les conditions de vie ont empiré à l’intérieur, avec peu d’options viables pour sortir et ne pas retourner en prison.
Progrès du SCC sur les recommandations
Bien qu’il n’ait pas réagi aux recommandations formulées par le Bureau et d’autres organismes, le SCC a élaboré, dans les années qui ont suivi Une question de spiritualité , un grand nombre de plans et d’initiatives concernant les services correctionnels pour Autochtones. Principalement par l’intermédiaire du Modèle de la continuité des soins des Autochtones (2003), du Plan stratégique relatif aux services correctionnels pour Autochtones en 2006 (suivi de son « renouvellement » en 2013) et, plus tard, du Plan national relatif aux Autochtones — Un cadre de travail national visant à transformer le processus de gestion des cas et les services correctionnels destinés aux Autochtones (2017), le SCC s’est engagé à plusieurs reprises à « transformer » les services correctionnels pour Autochtones en améliorant les initiatives le long de ce qu’il appelle le Continuum des soins pour les Autochtones, notamment :
- Augmenter la capacité des pavillons de ressourcement, de l’article 84 et des sentiers 15 ;
- Augmenter le nombre d’employés autochtones et la compétence culturelle du personnel;
- Créer une plus grande collaboration avec les communautés autochtones;
- Améliorer les interventions et les programmes adaptés à la culture;
- Répondre aux besoins en matière de santé mentale des délinquants autochtones;
- Améliorer les résultats en matière de réinsertion sociale afin de combler l’écart entre les délinquants autochtones et non-autochtones 16 .
Malgré l’évolution constante et l’expansion des plans et des intentions ministériels en matière de services correctionnels pour Autochtones, l’itération actuelle du modèle du Continuum de soins pour les Autochtones continue d’être remplie d’engagements non respectés, par exemple :
- les disparités dans la validité de l’évaluation des risques ne sont toujours pas résolues, malgré la décision de la Cour suprême du Canada dans l’ affaire Ewert c. Canada 17 ;
- Les efforts coordonnés pour répondre aux besoins de santé mentale des Autochtones (en particulier des femmes autochtones) sont inexistants;
- L’utilisation des antécédents sociaux des Autochtones dans le processus décisionnel continue d’être aussi incohérente et superficielle qu’elle l’était au moment de la rédaction de Une question de spiritualité ;
- Les programmes correctionnels pour les Autochtones sont sans doute moins efficaces aujourd’hui qu’il y a dix ans.
Au cours des dernières années, grâce à une meilleure prise de conscience suscitée par des commissions et des enquêtes de grande envergure, à une pression sociale croissante et à un changement considérable (et plus transparent) des mandats et des priorités du gouvernement en faveur de la réconciliation, le gouvernement a réalisé des investissements financiers substantiels dans le portefeuille fédéral des services correctionnels pour les Autochtones. Dans le cadre du budget 2017, par exemple, le SCC a reçu 55,2 millions de dollars (et 10,9 millions de dollars pour chaque année subséquente) pour accroître sa capacité à fournir des interventions efficaces aux délinquants autochtones 18 . Même un examen superficiel de ce que ces plans et ces investissements ont donné est déconcertant, et le peu de progrès réalisé par le SCC pour respecter ses propres engagements illustre encore mieux les raisons pour lesquelles ce Bureau, et bien d’autres, sont frustrés par l’inefficacité du Service en matière de services correctionnels pour Autochtones. Les investissements les plus importants semblent être consacrés à des initiatives de détention élaborées par le SCC, comme les centres d’intervention pour Autochtones (CIA) qui, de l’avis général, ne sont guère plus qu’une gestion de cas de correctionnelle précoce ou ciblée sous un autre nom. De même, des initiatives correctionnelles institutionnelles de longue date, telles que Sentiers autochtones, continuent de recevoir des ressources substantielles, sans qu’il y ait vraiment d’évaluation externe ou de validation de leur efficacité ou de leur capacité à répondre aux besoins des personnes autochtones en détention, en particulier celles qui ont le plus besoin de soutien. Proportionnellement, peu de nouveaux fonds ont été alloués aux initiatives correctionnelles communautaires contrôlées ou gérées par les Autochtones. Les efforts du SCC en matière de services correctionnels pour les Autochtones demeurent principalement axés sur les prisons. Je voudrais prendre un moment pour mettre en lumière quelques sujets de préoccupation spécifiques pour lesquels des recommandations ciblées ont été émises et des engagements pris.
Pavillons de ressourcement et libérations en vertu de l’article 84
De toutes les recommandations formulées à l’intention du Service sur les services correctionnels pour Autochtones, l’expansion des pavillons de ressourcement (article 81) et la libération dans la communauté (article 84) sont les deux recommandations les plus fréquentes. Bien que ces sections de la loi aient été établies comme des priorités elles-mêmes, le SCC a fait très peu de progrès. Depuis Une question de spiritualité , un nouveau pavillon de ressourcement s’est ajouté (le pavillon de ressourcement Eagle pour femmes au Manitoba) et le nombre de places dans les pavillons de ressourcement gérés par la communauté n’a augmenté que de 53 lits - un nombre largement insuffisant pour suivre le rythme de l’augmentation du nombre de personnes autochtones placées sous garde fédérale. De plus, il n’y a toujours pas de capacité d’accueil pour les pavillons de ressourcement dans les régions de l’Ontario et de l’Atlantique, qui ont toutes deux connu une augmentation substantielle des admissions d’Autochtones, en particulier dans la région de l’Atlantique où la population autochtone incarcérée a augmenté de près de 90 % au cours des dix dernières années.
Le nombre de places dans les pavillons de ressourcement étant déjà limité, il convient de noter que la pandémie de COVID-19 a eu un impact marqué sur les taux d’occupation des pavillons de ressourcement. Par exemple, au cours des deux années précédant la pandémie, le taux d’occupation moyen des pavillons de ressourcement était d’environ 78 %. Au moment de la rédaction de ce rapport, le taux d’occupation moyen était d’environ 51 %, ce qui soulève la question suivante : avec si peu de places disponibles dans les pavillons de ressourcement, pourquoi les taux d’occupation sont-ils si bas? J’ai l’intention d’examiner cette question, parmi d’autres, au cours de l’année à venir.
Tableau 1. Comparaison sur dix ans de la capacité et des taux d’occupation des pavillons de ressourcement
2012-2013 | 2021-2022 | ||||||
Installation | Capacité pondérée | Capacité réelle | % d’occupation | Capacité pondérée | Capacité réelle | % d’occupation | Pré-COVID moyenne sur 2 ans % d’occupation* |
Pavillon de ressourcement géré par la communauté (art.81) | |||||||
Centre de guérison Stan Daniels | 30 | 19 | 63,33 | 30 | 13 | 43,33 | 53,33 |
Pavillon de ressourcement de la Première Nation O-Chi-Chak-Ko-Sipi | 24 | 22 | 91,67 | 24 | 12 | 50 | 81,25 |
Centre de guérison Waseskun | 15 | 15 | 100 | 15 | 8 | 53,33 | 80 |
Buffalo Sage pour les femmes | 12 | 16 | 133,33 | 28 | 21 | 75 | 91,1 |
Pavillon de ressourcement spirituel du Grand conseil de Prince Albert | 5 | ns | – | 12 | 7 | 58,33 | 83,3 |
Pavillon de ressourcement Eagle pour femmes** | – | – | – | 30 | 4 | 13,33 | 0 |
Pavillon de ressourcement géré par le SCC | |||||||
Village de guérison Kwìkwèxwelhp | 50 | 44 | 88 | 50 | 20 | 40 | 81 |
Centre Pê Sâkâstêw | 60 | 47 | 78,33 | 60 | 44 | 73,33 | 79,17 |
Centre de ressourcement Willow Cree | 40 | 40 | 100 | 80 | 33 | 41,25 | 66,88 |
Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci | 40 | 33 | 82,5 | 60 | 36 | 60 | 85,58 |
TOTAL | 276 | 236 | 85,5 | 389 | 198 | 50,9 | 77,97 |
Remarque : Les données sur l’occupation ont été obtenues à partir du rapport SIR-M sur le dénombrement en établissement du SCC; nr = non signalé.
*Le % d’occupation moyen sur deux ans est basé sur le compte de capacité pondérée par rapport à la capacité réelle de 2018-2019 et de 2019-2020, pour avoir une idée de l’occupation pré-pandémique.
**Le pavillon de ressourcement Eagle pour femmes a ouvert ses portes en tant qu’établissement en 2019 (en vertu de l’art. 81).
Outre les changements limités en matière de capacité, il ne semble pas y avoir eu de changements appréciables dans les mécanismes d’établissement d’accords en vertu de l’article 81 ou de l’article 84 avec les communautés ou les organisations autochtones. Ces préoccupations, associées aux critères d’admissibilité étroits pour l’admission dans la plupart des pavillons de ressourcement, remettent sérieusement en question le fait que ces pavillons soient mis en place pour répondre aux besoins d’une proportion importante de personnes autochtones incarcérées.
De même, en ce qui concerne l’article 84, nous avons constaté peu de progrès dans le respect des engagements et des recommandations depuis Une question de spiritualité 19 . Le nombre de personnes exprimant un intérêt pour une libération en vertu de l’article 84 ou recevant une telle libération est demeuré essentiellement inchangé aujourd’hui par rapport à 2012. Même si l’augmentation du nombre d’admissions de personnes autochtones au fil du temps aurait dû à elle seule entraîner une augmentation correspondante du nombre de recours à l’article 84, les modifications apportées au processus lourd et bureaucratique de l’article 84, tel que recommandé, auraient aussi dû théoriquement entraîner des améliorations — et donc une augmentation — du recours à ce processus de libération.
Graphique 2. Manifestations d’intérêt et libérations réelles en vertu de l’article 84 de 2012 à 2021 20
Représentation autochtone et compétence culturelle
Malgré les divers engagements pris dans ce domaine, le manque de représentation autochtone au sein du personnel du SCC, en particulier aux postes de direction, ainsi que les faibles niveaux de sensibilisation culturelle sont un problème de longue date sur lequel le SCC a apparemment fait peu de progrès significatifs. À l’échelle nationale, les Autochtones continuent d’être sous-représentés parmi le personnel par rapport à la composition de la population carcérale (c’est-à-dire que 10 % du personnel du SCC s’identifie comme Autochtone contre 32 % des personnes incarcérées), et sont encore plus sous-représentés dans les postes de direction. Par exemple, selon les données fournies par le SCC, sur les 111 postes de direction de l’administration centrale, seuls trois (2,7 %) sont occupés par des Autochtones. De même, les Aînés, qui sont déjà confrontés à de nombreuses vulnérabilités — en grande partie en raison de leur statut de contractants — sont trop peu nombreux pour servir la population croissante, sont dispersés et doivent jouer de nombreux rôles différents. Il n’y a actuellement que 133 Aînés dans tout le pays pour les 3 953 personnes autochtones en détention. Bien que tous les Autochtones ne cherchent pas à travailler avec un Aîné, ces chiffres se traduisent par un ratio global de 30 Autochtones pour un Aîné. Bien que la proportion d’Aînés varie considérablement d’un établissement à l’autre et d’une région à l’autre, c’est dans la région des Prairies que l’on trouve le plus grand nombre d’Autochtones incarcérés et le pire rapport Aînés-détenus, avec une moyenne de 35 pour un. Dans un établissement, le ratio est de 105 prisonniers autochtones pour un Aîné.
Bien qu’il soit complexe de recruter et de conserver des Aînés pour travailler en milieu carcéral, bon nombre des obstacles surmontables qui ont existé pour attirer et retenir les Aînés (parmi les autres membres du personnel autochtone) n’ont pas été résolus. Certains ont attribué cette situation à un manque de compréhension ou d’appréciation du travail effectué par les Aînés et les autres employés autochtones. Nous avons entendu à maintes reprises que le travail des Aînés, entre autres, ne bénéficie pas de la crédibilité qu’il mérite, ni de la crédibilité qui est accordée à d’autres secteurs ou postes dans la gestion de cas et le travail d’intervention. Il est clair qu’il faut faire davantage, non seulement pour recruter davantage d’Aînés et protéger ceux qui effectuent actuellement ce travail, mais aussi pour sensibiliser le personnel de manière plus générale au rôle important que jouent les Aînés et les services pour Autochtones dans l’avancement du travail de réadaptation et de guérison.
D’après les renseignements et les commentaires que nous avons reçus, les divers plans et stratégies que le SCC a créés pour régler la question de la représentativité et du recrutement ont apparemment été largement inefficaces (par exemple, la Consultation nationale des employés autochtones : Travailler ensemble en partenariat pour l’inclusion 2012; Relier les esprits, créer des occasions, 2019). En outre, les membres du personnel et les personnes incarcérées nous ont dit que la formation à la compétence culturelle est intrinsèquement limitée dans sa valeur et son incidence, car elle fournit souvent des perspectives pan-autochtone de surface sur les visions du monde et les modes de connaissance autochtones. L’amélioration du recrutement, de la fidélisation et de la promotion du personnel autochtone permettrait d’accroître la sensibilité et la crédibilité culturelles, ce qui aurait une incidence directe sur la vie des personnes purgeant des peines de ressort fédéral. En termes clairs, le SCC doit faire davantage pour attirer et embaucher des Autochtones, pour reconnaître et promouvoir la valeur de leur travail et pour collaborer sérieusement avec les communautés autochtones afin de faire avancer les choses de manière significative sur ces questions. L’absence de progrès concernant les pavillons de ressourcement, en vertu de l’article 84, la représentation autochtone et la compétence culturelle sont des exemples indéniables des conséquences attribuables à l’absence d’une stratégie nationale d’engagement communautaire et de codéveloppement pour les services correctionnels pour Autochtones — une lacune qui, à mon avis, a eu un impact sans précédent sur la capacité du Service à produire un changement transformateur pour les services correctionnels pour Autochtones.
Un sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones
La nécessité de nommer un sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones est une recommandation que notre Bureau a formulée près d’une douzaine de fois au cours des vingt dernières années, et qui a été répétée par d’autres comités et commissions qui reconnaissent également la nécessité d’un leadership et d’un pouvoir décisionnel autochtones dans le système correctionnel fédéral (p. ex., ENFFADA, 2020; Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, 2017; Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, 2017).
En juin 2021, dans ce que le Bureau a considéré comme un pas en avant prometteur concernant cette recommandation, le gouvernement a identifié la priorité et l’objectif à court terme suivants dans le plan d’action national en réponse au rapport final de l’ENFFADA :
Objectif n° 6 (d) : « Création d’un poste de commissaire délégué pour les services correctionnels autochtones et réponse aux problèmes des femmes et des personnes 2ELGBTQQIA+ contrevenantes, »
En octobre 2021, le Bureau a demandé au SCC une mise à jour de ses plans pour respecter cet engagement. En janvier 2022, le SCC a fourni la réponse suivante : « La position du SCC reste la même : il n’est pas prévu de créer un poste de sous-commissaire pour les Services correctionnels pour Autochtones. »
Le 27 mai 2022, la lettre de mandat du ministre de la Sécurité publique adressée à la commissaire aux services correctionnels prévoyait la création d’un nouveau poste de sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones . Quelques jours plus tard, dans une déclaration publiée en réponse aux conclusions du rapport de la vérificatrice générale sur les services correctionnels fédéraux, la commissaire aux services correctionnels a indiqué : « Je suis en train de pourvoir un poste de sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones ».
Je suis heureux de voir ce point soulevé dans la lettre de mandat et je suis encouragé par la réponse de la commissaire. Toutefois, étant donné l’absence de progrès au cours des deux dernières décennies concernant cette recommandation particulière, j’attendrai pour considérer cette question comme close qu’un sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones soit officiellement en place. En attendant, je vous propose la recommandation suivante (et j’espère la dernière) sur cette question :
- Je recommande que le SCC consulte les groupes communautaires autochtones sur la description de poste, le rôle, le mandat et le processus d’embauche pour le poste de sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones, et qu’il rende compte publiquement de ses plans et de ses échéanciers à court terme pour créer et doter ce poste.
Les prochaines étapes
Au cours des dernières années, ce pays a dû faire face aux abus intergénérationnels perpétrés par les gouvernements, les établissements et les personnes à l’encontre des Peuples autochtones. Depuis les organisations locales jusqu’aux différents niveaux de gouvernement, il y a eu une vague de reconnaissance et un nouveau sentiment d’urgence quant à la nécessité de réparer les relations et les systèmes, y compris les systèmes correctionnels, qui ont été brisés depuis longtemps. En juin 2021, la loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones (DNUDPA) est entrée en vigueur, fournissant une feuille de route indispensable pour une réconciliation plus large au Canada. Dans la lettre de mandat adressée au ministre de la Justice et procureur général du Canada, le gouvernement s’est engagé à élaborer une stratégie de justice autochtone « afin de remédier à la discrimination systémique et à la surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire ». Alors que les stratégies de justice à grande échelle dans ce domaine ont eu tendance à se concentrer sur les contributions des services de police et des tribunaux pour élaborer une stratégie efficace de lutte contre la discrimination dans le système judiciaire, les services correctionnels fédéraux doivent faire partie de la conversation. Dans le but de tirer parti de l’élan des initiatives gouvernementales existantes dans ce domaine, notamment l’élaboration d’une stratégie nationale de justice, je formule la recommandation suivante :
- Je recommande au ministre de la Justice et procureur général du Canada d’inclure le Service correctionnel du Canada et le Bureau de l’enquêteur correctionnel dans l’élaboration et la mise en œuvre de la Stratégie de justice autochtone (SJA). De plus, la SJA devrait chercher à redistribuer une partie importante des ressources actuelles du système correctionnel fédéral aux communautés et aux groupes autochtones pour les soins, la garde et la surveillance des Peuples autochtones.
De plus, les services correctionnels fédéraux doivent être tenus responsables de l’atteinte d’objectifs et de résultats concrets et mesurables, en particulier ceux qui relèvent directement d’eux, et utiliser plus efficacement leurs leviers d’influence pour s’attaquer aux obstacles de longue date, comme la détention prolongée des Autochtones derrière les barreaux et les taux élevés de récidive. Bien entendu, les services correctionnels fédéraux ne peuvent pas remplir cette mission à eux seuls. Le fait d’être inclus dans une stratégie d’engagement nationale coordonnée, dirigée par les Autochtones, est une étape nécessaire vers la résolution du problème. Au niveau le plus élémentaire, le système correctionnel ne devrait pas servir à perpétuer les désavantages, ce qui est précisément ce que nous avons vu se refléter dans les résultats et les indicateurs de santé des détenus autochtones, en particulier par rapport à leurs homologues non-autochtones. La promesse d’administrer la peine d’une personne autochtone selon le principe de l’arrêt Gladue ne s’est pas concrétisée et, dans la pratique, les histoires familiales et communautaires de fragmentation, de déracinement et de dépossession sont trop souvent utilisées pour valider des classements de sécurité plus élevés et des scores de potentiel de réintégration plus faibles. L’administration pénitentiaire doit faire face à un ensemble de problèmes certes complexes, mais nous avons atteint un point où la complexité n’est plus une excuse suffisante pour la stagnation.
Partie 2
« Notre surreprésentation me dérange. Nous n’avions pas besoin de prisons avant le contact! Nous savions quand les gens avaient besoin de nous et nous nous soutenions mutuellement ».
– Aîné
« Nous estimons qu’en tant que détenus des Premières Nations, le traitement que nous recevons (…) est du même ordre que celui des pensionnats coloniaux. On nous a rabaissés, on nous a menti! Notre culture et notre spiritualité ont été confisquées, une fois de plus, par des abus. Cela ne favorise pas les relations ».
– Autochtone incarcéré
« Le Service correctionnel est un bon exemple d’un problème plus vaste. Ils prennent des décisions sans compréhension culturelle et le font sous couvert que ces décisions sont menées par les Autochtones ».
– Personnel du pavillon de ressourcement géré par la communauté
« Il y a une rupture dans le continuum de soins du SCC, et il n’y a pas de véritable continuité des soins culturels ».
– Personnel
Introduction et contexte
La surreprésentation des peuples autochtones dans les pénitenciers fédéraux est un sujet de préoccupation documenté depuis la création du Bureau il y a cinquante ans. La lutte contre les inégalités et la discrimination à l’égard des Autochtones dans les prisons a été l’une des premières questions soumises à la toute première enquêtrice correctionnelle, Mme Inger Hansen. Depuis lors, les préoccupations des détenus autochtones sous responsabilité fédérale font partie des rapports du Bureau, bien que les appels à la réforme soient devenus plus précis et plus urgents avec la publication des rapports annuels successifs. Dans le contexte de la relation trouble et délicate du Canada avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits, je suis profondément frustré et déçu chaque fois que je signale que l’on a atteint ou dépassé une autre triste étape dans la surreprésentation persistante des peuples autochtones sous le coup d’une peine fédérale.
Bien entendu, mon Bureau n’a pas été le seul à tirer la sonnette d’alarme à plusieurs reprises. Dès 1999, le plus haut tribunal du Canada, dans la décision fondatrice de R. c. Gladue , a observé que la surreprésentation des Autochtones reflétait une « crise » dans le système de justice pénale du Canada. Lorsque l’enquête initiale du Bureau intitulée Une question de spiritualité a été présentée sous la forme d’un rapport spécial au Parlement en mars 2013, le taux de représentation des peuples autochtones dans les prisons fédérales s’élevait à un peu moins de 25 %. Dix ans plus tard, ce taux s’élève à un peu moins de 33 %, ce qui représente plus de 4 200 Autochtones. L’augmentation constante et ininterrompue de la représentation disproportionnée des Autochtones sous le coup d’une peine fédérale n’est rien de moins qu’une parodie nationale et reste l’un des défis les plus pressants du Canada en matière de droits de la personne.
Proportions d’Autochtones (Premières Nations, Métis et Inuits) placés sous la garde du gouvernement fédéral
Pourcentage de la population incarcérée | Pourcentage de personnes autochtones incarcérées | |
Premières Nations | 22,6 | 70,1 |
Métis | 8,6 | 26,8 |
Inuit | 1,0 | 3,1 |
TOTAL | 32 | 100 |
En publiant le premier rapport intitulé Une question de spiritualité (2013), mon prédécesseur, M. Howard Sapers, a conclu que les dispositions propres aux Autochtones de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), articles d’intention délibérément adoptés par le Parlement en 1992 pour réduire la surreprésentation, étaient « chroniquement sous-financés, sous-utilisés et appliqués de manière inégale par le Service correctionnel. En ne répondant pas pleinement à l’intention du Parlement […], le système correctionnel fédéral perpétue les conditions désavantageuses pour les Autochtones du Canada ». Comme le montrent clairement mes conclusions actualisées, dix ans plus tard et plus de trente ans après la promulgation de la LSCMLC , le sort des Autochtones derrière les barreaux n’a cessé de s’aggraver. En effet, la population carcérale du Canada devient de plus en plus autochtone de manière inquiétante et déraisonnable.
D’autres ont documenté de manière plus complète et exhaustive les circonstances et les conditions qui contribuent à la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral. Néanmoins, les causes générales de la surreprésentation méritent d’être rappelées, à la fois pour comprendre comment nous en sommes arrivés là et, peut-être plus important encore, comment l’héritage du colonialisme continue d’alimenter les formes contemporaines de racisme, de discrimination et d’apathie à l’égard des peuples autochtones. Résultant des répercussions du colonialisme, les circonstances de la délinquance des personnes autochtones incarcérées sont souvent liées à des inégalités socioéconomiques, politiques et culturelles, à des traumatismes et abus intergénérationnels, aux pensionnats autochtones, aux organismes de protection de la jeunesse et à la rafle des années 60, entre autres facteurs. Les taux de pauvreté, de toxicomanie et d’itinérance sont plus élevés dans les communautés autochtones et les taux d’éducation formelle et d’emploi sont plus faibles, autant de facteurs parmi d’autres, ce qui reflète les effets intergénérationnels et actuels du colonialisme et du racisme systémique. La toxicomanie est liée à des taux élevés de pauvreté et de chômage, ainsi qu’à l’éclatement des familles et des communautés parmi les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Ces facteurs socioéconomiques et historiques entraînent une augmentation des contacts (et des nouveaux contacts) des Autochtones avec le système de justice pénale du Canada, le fameux phénomène de la porte tournante qui maintient les peuples autochtones dans la criminalité, la marginalisation et la surreprésentation dans le système correctionnel.
La sensibilisation du public aux effets persistants de la colonisation, tels que les répercussions intergénérationnelles des pensionnats autochtones et de la rafle des années 60, s’est accrue au cours de la dernière décennie, depuis la publication du premier rapport du Bureau intitulé Une question de spiritualité . Comme nous l’avons expliqué l’année dernière, dans la première partie de notre mise à jour du rapport Une question de spiritualité , le gouvernement fédéral s’est récemment réengagé à faire progresser la réconciliation et à construire des relations de nation à nation avec les peuples autochtones. Parmi les autres moteurs de changement contemporains, citons les appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR), les appels à la justice de l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (FFADA) et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).
Parmi ces appels à l’action et à la justice pour réduire la surreprésentation des Autochtones dans le système correctionnel fédéral, les plus pertinents restent pour la plupart sans réponse :
- La recommandation n° 30 de la CVR invite les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à s’engager à éliminer la surreprésentation des Autochtones en détention au cours de la prochaine décennie.
- Recommandation n° 35 de la CVR demande au gouvernement fédéral d’éliminer les obstacles à la création de nouveaux pavillons de ressourcement autochtones au sein du système correctionnel fédéral.
- Recommandation n° 37 de la CVR demande au gouvernement fédéral de soutenir davantage les programmes autochtones dans les maisons de transition et les services de mise en liberté sous condition.
- La recommandation n° 42 de la CVR appelle les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à s’engager à reconnaître et à mettre en œuvre des systèmes de justice autochtones.
Pour sa part, l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (FFADA) souligne la nécessité de remédier à la surreprésentation des femmes autochtones dans les établissements correctionnels, qui représentent aujourd’hui près de 50 % de l’ensemble des détenues, et de veiller à ce que les programmes et les services destinés aux femmes autochtones incarcérées soient adaptés à leur culture. Le rapport demande au gouvernement de mettre en œuvre les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition propres aux Autochtones, notamment en créant davantage de pavillons de ressourcement, en appliquant les facteurs de l’histoire sociale autochtone dans toutes les décisions concernant les femmes autochtones et les personnes 2ELGBTQQIA, et en garantissant le rôle des Aînés dans la prise de décision pour tous les aspects de la planification concernant les femmes autochtones et les personnes 2ELGBTQQIA.
Il est significatif que les rapports du Bureau sur les services correctionnels pour les Autochtones au cours de la dernière décennie aient inspiré ou repris pratiquement toutes ces orientations de réforme. Il y a cinq ans, dans mon tout premier rapport annuel en tant qu’enquêteur correctionnel, j’ai laissé entendre que le gros du travail pour relever l’énormité des défis que pose la surreprésentation des Autochtones dans le système correctionnel venait à peine de commencer, et que des actions plus rapides, intentionnelles et audacieuses s’imposaient :
Le SCC et le gouvernement du Canada doivent transférer plus complètement les responsabilités, mais surtout les ressources et le contrôle, aux populations autochtones. Dans la pratique, cela pourrait entraîner une réaffectation des dépenses en fonction de la proportion d’Autochtones purgeant une peine fédérale. Les fonds réaffectés seraient redéployés pour créer de nouvelles capacités de lits communautaires, en particulier dans les zones urbaines, et des installations supplémentaires au titre de l’article 81, des programmes et des services véritablement autochtones gérés par et pour les communautés autochtones. L’assouplissement des leviers et des instruments du contrôle correctionnel, que certains qualifieraient de colonial, s’inscrit dans la voie de la réconciliation entre le Canada et ses Premières Nations. Bien entendu, le transfert des pouvoirs correctionnels ne se fera que s’il y a un leadership courageux et visionnaire au sommet du Service correctionnel; une vision et un engagement qui doivent être dûment soutenus et dirigés par le gouvernement du Canada.
L’orientation générale de ces commentaires reste d’actualité. La concrétisation des appels et des engagements répétés en faveur de la réduction de la surreprésentation des Autochtones nécessitera sans aucun doute des stratégies coordonnées et des gestes intentionnels. En fait, il semble évident que les efforts du gouvernement du Canada doivent s’orienter vers une stratégie ciblée de désincarcération des Autochtones, dont les objectifs généraux seraient les suivants :
- Créer et utiliser des solutions de rechange à l’incarcération pour les peuples autochtones.
- Accroître les soutiens et les services adaptés à leur culture pour les peuples autochtones sous le coup d’une peine fédérale.
- Réaffecter des ressources et des dépenses importantes du système pénitentiaire aux efforts de réinsertion dans la communauté, y compris les pavillons de ressourcement gérés par la communauté (article 81), tant au niveau de la sécurité minimale qu’à celui de la sécurité moyenne.
L’enquête en cours
Dix ans depuis Une question de spiritualité (partie II) est inspirée et alimentée par la sensibilisation et l’intérêt renouvelés du public à l’égard de la réconciliation avec les peuples autochtones. En revisitant et en actualisant certaines des questions clés et des conclusions de notre rapport initial, les objectifs de la présente enquête sont un peu plus modestes et relativement simples :
- Évaluer les progrès et les développements dans les services correctionnels pour les Autochtones depuis la publication du rapport Une question de spiritualité sur une période de dix ans.
- Documenter les perspectives, les expériences et les voix des personnes autochtones sous responsabilité fédérale, des personnes ayant bénéficié d’une mise en liberté conditionnelle, du personnel et des Aînés et conseillers spirituels.
- Réaliser des examens approfondis de trois interventions caractéristiques du modèle de « continuum de soins » autochtone du SCC - les pavillons de ressourcement, le rôle et l’incidence des Aînés et les initiatives « Sentiers ».
La caractéristique la plus importante de l’enquête actuelle est peut-être notre intention de publier des récits et des points de vue de première main sur l’expérience de l’incarcération des Autochtones. Les personnes que nous avons interrogées et les sites que nous avons visités étaient d’envergure nationale. Les thèmes qui émergent de ces engagements s’appuient sur des méthodes et des analyses qualitatives, quantitatives et d’enquête. Dans le cadre de cette enquête, l’équipe d’enquêteurs et de chercheurs du Bureau a mené 223 entrevues avec des personnes autochtones incarcérées, des Aînés/conseillers spirituels, des assistants d’Aînés, des membres du personnel et de la direction du SCC, des directeurs exécutifs de pavillons de ressourcement et d’établissements résidentiels communautaires. Nous avons rencontré ou avons eu des entrevues avec de nombreuses personnes travaillant ou résidant dans 30 pénitenciers fédéraux, dans des pavillons de ressourcement gérés par le SCC ou relevant de l’article 81 dans l’ensemble du pays.
En outre, le Bureau a mené une série d’engagements avec un certain nombre d’organisations autochtones nationales et locales. Il s’agissait d’un effort pour échanger des connaissances et, plus important encore, pour que le Bureau écoute et découvre les perspectives de ces organisations qui ont un point de vue unique sur les questions qui affectent les Autochtones qui passent par le système correctionnel. Des consultations ont eu lieu avec les organisations suivantes : Congrès des peuples autochtones, Association des femmes autochtones du Canada, Ralliement national des Métis, Inuit Tapiriit Kanatami, Native Counselling Services of Alberta, et la John Howard Society of Manitoba.
Le rapport lui-même est structuré et présenté en trois parties distinctes, chacune correspondant au domaine de fond étudié :
- Promesses non tenues : Enquête sur les pavillons de ressourcement dans le système correctionnel fédéral canadien
- Une route droite et étroite : Enquête sur l’initiative des Sentiers dans les services correctionnels fédéraux
- Enquête sur le rôle et l’incidence des Aînés dans les services correctionnels fédéraux
Comme on pouvait s’y attendre, l’éventail et la diversité des expériences et des réactions que nous avons recueillies lors des entrevues semi-structurées et des entrevues d’enquête ouvertes ont été extrêmement judicieux, souvent profonds et, parfois, émotionnels et difficiles à aborder. Cela dit, le tri et la synthèse des notes d’entrevue ont permis de compiler et de faire converger des thèmes mettant en évidence plusieurs domaines de préoccupation systémique. Par exemple, dans le contexte des pavillons de ressourcement, nous avons constaté qu’il y a encore trop peu de ces pavillons pour répondre à leur vision et à leur intention d’origine. Il en résulte un système de pavillons de ressourcement à deux vitesses, où les pavillons gérés par la communauté (en vertu de l’article 81) continuent d’être opposés à ceux qui sont gérés par l’État, en concurrence constante pour les résidents, le financement, le personnel et l’autorité. Nous avons appris que, bien que les pavillons gérés par la communauté soient confrontés à de nombreux défis, ils constituent un modèle largement sous-utilisé et pourtant prometteur, plus proche de la vision initiale, dans lequel les services correctionnels devraient investir davantage.
Les personnes interrogées sur l’initiative des Sentiers autochtones nous ont appris que le seuil de participation est élevé, que la plupart des établissements ne respectent pas les éléments clés de l’initiative et que le Ministère ne reconnaît pas le travail acharné accompli tout au long du cheminement de guérison. Les Aînés qui travaillent dans les établissements du SCC nous ont fait part de leur expérience en matière de rapprochement des conceptions occidentales et autochtones du changement de comportement et de la guérison dans un contexte correctionnel. Les Aînés ont relaté des récits et des expériences de tentative de décolonisation des services correctionnels et de fourniture de conseils à leurs « proches » derrière les barreaux. Ils ont partagé des histoires personnelles et de leurs proches sur la lutte pour que leur propre voix soit entendue, représentée et respectée au sein des cercles décisionnels du SCC.
La mise à jour d’ Une question de spiritualité dix ans plus tard représente un investissement de deux ans des ressources du Bureau. En condensant ce que nous avons entendu et vu, les résultats cumulés d’une série d’enquêtes sont les suivants :
- Les interventions de l’initiative des Sentiers autochtones trop restreinte pour avoir un effet dans les pénitenciers fédéraux et les placements en pavillons de ressourcement dans la communauté s’adressent à une cohorte autochtone trop restreinte pour avoir un effet significatif ou mesurable sur les taux de surreprésentation des Autochtones.
- Le manque de sensibilisation à la culture autochtone et de compétences à tous les niveaux du SCC compromet sa capacité à mettre en œuvre sa stratégie « Les Autochtones d’abord ».
- L’approche pan-autochtone du SCC à l’égard des services correctionnels pour les Autochtones efface les différences historiques et culturelles importantes entre les peuples autochtones et les Premières Nations, les Métis et les Inuits, ce qui entraîne des limites, des lacunes et des omissions importantes.
- Les critères d’admissibilité étroits et restrictifs pour l’admission aux programmes de l’initiative des Sentiers autochtones et à la plupart des placements dans les pavillons de ressourcement empêchent quasiment tous les Autochtones sous le coup d’une peine fédérale d’y accéder, sauf une minorité d’entre eux.
- Les pavillons de ressourcement gérés par l’État sont financés, dotés en personnel, en ressources et occupés à des niveaux nettement plus élevés que les pavillons relevant de l’article 81 gérés par les Autochtones.
- Les contributions des Aînés et des conseillers spirituels travaillant au sein des établissements fédéraux ne sont pas suffisamment soutenues et signalées par leur employeur.
- Les tentatives répétées du SCC pour « transformer » son cadre et ses stratégies en matière de services correctionnels pour les Autochtones, y compris sa dernière itération (Plan national relatif aux Autochtones), n’ont donné que peu de résultats appréciables dix ans après l’enquête initiale Une question de spiritualité .
- Le SCC n’a pas réussi à innover et à tirer pleinement parti des dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition visant à remédier à la surreprésentation des Autochtones.
- Le Service ne dispose pas d’indicateurs de responsabilité publique clairs pour les services correctionnels destinés aux Autochtones et ne rend pas compte de manière significative des indicateurs de rendement et des progrès réalisés dans la réduction de la surreprésentation des Autochtones.
- Le total des dépenses discrétionnaires consacrées aux initiatives autochtones au sein du SCC, y compris les pavillons de ressourcement, les sentiers et les Aînés, s’élève à 75 millions de dollars par an, ce qui représente environ 3 % de son allocation budgétaire annuelle totale.
Bien que je reconnaisse que le SCC ne contrôle ni ne décide à lui seul qui entre dans les pénitenciers fédéraux, il contrôle l’accès aux leviers de la réinsertion, de la réhabilitation et de l’éventuelle mise en liberté. Sur ce même point important, le rapport initial du Bureau en 2013, intitulé Une question de spiritualité concluait comme suit : « Le SCC n’a pas apporté le type de changements systémiques, de politiques et de ressources requis par la Loi pour s’attaquer aux facteurs qui relèvent de son contrôle et qui permettraient d’atténuer la surreprésentation chronique des Autochtones dans les pénitenciers fédéraux ». Malheureusement, dans le contexte actuel, je n’ai trouvé aucune preuve divergente ou convaincante pour modifier ou contrer cette conclusion. Les taux croissants de représentation autochtone dans les prisons fédérales, le nombre toujours élevé d’Autochtones qui ne sortent de prison qu’à l’expiration de la peine obligatoire ou du mandat, et les résultats globalement disparates et désastreux de presque toutes les mesures de rendement correctionnelles ne démentent pas la réalité très tenace selon laquelle le système correctionnel fédéral du Canada continue d’échouer à l’égard des peuples autochtones.
Jusqu’à très récemment, le SCC était quelque peu circonspect lorsqu’il s’agissait de parler directement du rôle ou de la responsabilité dans la contribution à la surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux ou dans la lutte contre cette surreprésentation ou de reconnaître ce rôle ou sa responsabilité. Les lettres de mandat du Ministre et du Commissaire abordent désormais de manière plus franche et plus constructive la question de la réduction de la surreprésentation, définissent les attentes du gouvernement et fixent les priorités du SCC en la matière. La nomination du premier commissaire adjoint chargé des services correctionnels destinés aux Autochtones au Canada est une étape bienvenue, et qui n’a que trop tardé, dans la reconnaissance de la nécessité d’un changement et d’une réforme. J’espère que l’action du gouvernement et cette nomination permettront d’établir au sein du SCC un point de contact, de responsabilité et de direction pour les services correctionnels destinés aux Autochtones, qui fait franchement défaut depuis bien trop longtemps. J’espère également que le présent rapport sera une source d’inspiration pour le renouvellement des relations du SCC avec les populations autochtones.
En même temps, il est important de reconnaître qu’il y a des limites à ce qui peut être accompli au sein du système correctionnel fédéral tel qu’il existe actuellement. Les pénitenciers sont des établissements historiquement et intrinsèquement coloniaux. L’un des premiers et des plus imposants symboles du pouvoir colonial au Canada, le pénitencier de Stony Mountain, au Manitoba, a ouvert ses portes en 1877 et est aujourd’hui le plus ancien et le plus grand pénitencier du Canada toujours en activité. Il a été utilisé pour emprisonner les personnes autochtones qui participaient à la Rébellion du Nord-Ouest en 1885. Aujourd’hui encore, il abrite un pourcentage très élevé d’Autochtones. Compte tenu de cette histoire et de cet héritage, il semble quelque peu forcé et paternaliste de s’attendre à ce que la « guérison » se produise à l’intérieur des murs de certains de ces établissements clairement autochtones.
Il convient de noter qu’aujourd’hui comme hier, la plupart des Autochtones qui purgent une peine dans un pénitencier fédéral ne participent à aucune des interventions du SCC en matière de « continuum de soins » destiné aux Autochtones. Comme le montre le présent rapport, la sélection et la participation aux initiatives phares du SCC en matière de continuum de soins, telles que Sentiers et les pavillons de ressourcement, semblent réservées aux Autochtones les plus motivés, les plus dociles et les plus engagés. L’écrasante majorité des Autochtones sous la garde du SCC ne bénéficient pas d’une libération conditionnelle et d’une réinsertion précoce ou opportune, ce qui contribue à des taux de récidive et de retour en prison scandaleusement élevés. Le système est tout simplement et largement insensible à leurs besoins, à leurs réalités et à leur potentiel. Même mon Bureau a dû s’efforcer d’atteindre ces personnes largement oubliées et abandonnées, dont certains témoignages figurent dans le présent rapport. Elles font partie de la majorité autochtone non entendue, non vue et souvent exclue qui croupit dans les prisons fédérales.
Si le SCC doit être tenu de définir et d’atteindre des objectifs mesurables afin d’améliorer les résultats pour les peuples autochtones dans le système correctionnel, les limites inhérentes au système soulignent également la nécessité de soutenir les efforts et les systèmes de justice pénale autochtones en dehors du système correctionnel fédéral. Sur la voie de l’amélioration de la surreprésentation, il n’y a pas qu’une seule voie, mais plusieurs, et la plus prometteuse d’entre elles pourrait bien se trouver en dehors du champ d’action des services correctionnels fédéraux.
Promesses non tenues : Enquête sur les pavillons de ressourcement dans le système correctionnel fédéral canadien
« Quand j’étais un jeune Autochtone, je n’ai pas eu de possibilités d’épanouissement. J’ai fait partie des enfants enlevés lors de la rafle des années 60, je n’ai pas eu d’exutoire pour ma colère. À un moment donné, j’ai décidé que j’allais abattre ces murs, qu’ils n’allaient pas me briser, je savais que j’avais la capacité de faire le bien dans ce monde. Au début, je n’ai pas pu accéder au pavillon de ressourcement à cause de mes scores. Ils ne m’ont jamais expliqué pourquoi. Ensuite, j’ai dû former mon agent de libération conditionnelle sur comment procéder pour mon transfert. Je devais connaître mes affaires, car mon agent de libération conditionnelle était tout nouveau et le transfert était entre ses mains… Si vous voulez avoir un impact. Il s’agit de cérémonies. C’est cette connexion invisible, nous comprenons qu’elle est là… Voici ma recommandation : Croyez en nous ».
– Ancien résident du pavillon de ressourcement
Introduction et contexte
Les origines des pavillons de ressourcement dans le système correctionnel canadien remontent à la fin des années 1980, lorsque des défenseurs des prisons et de la communauté, notamment l’Association des femmes autochtones du Canada, l’Assemblée des femmes autochtones de la Société Elizabeth Fry et la Native Sisterhood, ont proposé le concept de pavillon de ressourcement comme moyen de décoloniser le système correctionnel. Ces femmes n’ont pas seulement proposé une solution de rechange aux prisons traditionnelles, elles ont également proposé une vision des pavillons de ressourcement, fondée sur la roue de médecine et les quatre directions du cercle de vie - spirituelle (est), émotionnelle (sud), physique (ouest) et mentale (nord) - et guidée par les enseignements, les cérémonies et les instructions d’origine. Les pavillons de ressourcement ont été conçus comme des lieux où les Autochtones purgeant des peines fédérales pourraient se sentir en sécurité pour guérir, sur la terre, idéalement près d’une eau pure et naturelle, avec le soutien des Aînés, de la communauté et des familles. Plus important encore, ils seraient situés à l’écart de l’environnement oppressif et punitif des pénitenciers.
Article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition
81. (1) Le ministre ou son délégué peut conclure avec tout corps dirigeant ou organisme autochtone un accord prévoyant la prestation de services correctionnels aux délinquants autochtones et le paiement par lui de leurs coûts.
(2) Nonobstant le paragraphe (1), un accord peut aussi prévoir la prestation de services correctionnels à un délinquant autre qu’un Autochtone.
(3) Conformément à tout accord conclu en vertu du paragraphe (1), le commissaire peut transférer un délinquant aux soins et à la garde d’un organisme autochtone compétent, avec le consentement du délinquant et de l’organisme autochtone compétent.
Après des années de discussions et de planification, le premier pavillon de ressourcement fédéral à ouvrir ses portes a été Okimaw Ohci, en novembre 1995, sur le territoire de la Première Nation de Nekaneet, en Saskatchewan. Cela a marqué le début de ce que beaucoup espéraient avec optimisme, à savoir le début d’une nouvelle ère pour les services correctionnels pour les Autochtones. Elle reconnaîtrait que la surreprésentation des peuples autochtones dans le système carcéral est en partie la conséquence des échecs de la pratique correctionnelle conventionnelle. En outre, la promulgation de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition en 1992, qui comprend des dispositions particulières relatives à la garde, à la prise en charge et à la libération des Autochtones purgeant des peines fédérales (par exemple, l’article 81), a permis au Ministre de conclure des accords avec les communautés autochtones pour la fourniture de services correctionnels. Bien que ces accords ne transfèrent pas les responsabilités juridictionnelles en matière de services correctionnels, la manière dont cet article de la Loi a été rédigé a permis aux communautés ou organisations autochtones d’exercer un large contrôle, ou du moins de participer à l’exécution de la peine complète d’un individu. En outre, l’article a donné aux communautés la souplesse de négocier le nombre et le profil des personnes qu’elles étaient prêtes à accepter dans leurs communautés. Il a également permis que les services et les programmes, y compris les soins et la garde, soient négociés et fournis par les communautés et les organisations autochtones, moyennant paiement par la Couronne. Étant donné que l’article 81 ne stipule pas comment les communautés autochtones doivent gérer les individus, cette souplesse a permis de financer des pavillons de ressourcement soit comme des centres basés dans des installations, comme les pavillons de ressourcement, soit au moyen d’accords de financement qui ne prévoient pas la mise en place d’installations avec les communautés autochtones qui acceptent de fournir la garde, les programmes et les soins aux personnes, sans un centre de ressourcement formel et traditionnel.
Au cours de la décennie qui a suivi l’ouverture du pavillon de ressourcement Okimaw Ohci, sept autres pavillons de ressourcement pour hommes ont été ouverts dans tout le pays, et deux autres pavillons de ressourcement pour femmes ont été créés en 2011 et, plus récemment, en 2019. Aujourd’hui, dix pavillons de ressourcement sont mis à la disposition des personnes purgeant une peine fédérale, quatre sont financés et gérés par le SCC (c.-à-d. par l’État) et six sont financés par le SCC, mais gérés par un organisme communautaire partenaire dans le cadre d’un accord en vertu de l’article 81 (c.-à-d. gérés par la communauté). Comme nous le verrons plus loin dans le présent rapport, il n’y a que 139 places de pavillons de ressourcement gérés par les communautés autochtones et beaucoup d’entre eux sont sous-utilisés.
Une question de spiritualité (2013)
Vingt ans après l’entrée en vigueur de la LSCMLC, le Bureau a évalué, dans le cadre du rapport Une question de spiritualité , la mesure dans laquelle le SCC avait respecté l’intention du gouvernement, en s’intéressant plus particulièrement à l’utilisation des accords conclus en vertu de l’article 81, qui, avec d’autres dispositions, visaient à réduire la surreprésentation autochtone dans les services correctionnels du Canada. Les conclusions de l’enquête de 2013 ont révélé que le SCC n’avait pas respecté l’intention du Parlement en ce qui concerne l’article 81 de la LSCMLC, ce qui a contribué à la détérioration des résultats correctionnels et à l’augmentation de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons fédérales. Plus précisément, l’enquête a révélé que le SCC n’avait pas suffisamment appliqué l’article 81. En effet, seuls cinq accords ont été mis en place au cours de ces vingt années. En outre, l’enquête a révélé d’autres lacunes, obstacles et vulnérabilités majeurs, notamment ce qui suit :
- la nature à court terme et temporaire des cycles d’accords de contribution avec les pavillons de ressourcement gérés par la communauté;
- des écarts importants de financement entre les pavillons gérés par le SCC et ceux relevant de l’article 81; les pavillons gérés par la communauté bénéficiant d’un financement moins important;
- la faible acceptation par la communauté des pavillons de ressourcement;
- les critères d’admissibilité restrictifs appliqués aux pavillons de ressourcement relevant de l’article 81;
- des conditions de travail et des salaires nettement inférieurs dans les pavillons de ressourcement relevant de l’article 81 par rapport à ceux gérés par le SCC.
Depuis l’ouverture du premier pavillon de ressourcement, le Bureau a formulé dix recommandations publiques officielles, y compris celles émises dans le rapport Une question de spiritualité , portant spécifiquement sur la nécessité de créer des pavillons de ressourcement plus nombreux et mieux financés, gérés par la communauté, qui cadrent davantage avec la vision initiale. Depuis le rapport Une question de spiritualité , les conclusions, recommandations et appels à l’action de divers rapports, études parlementaires et commissions clés, telles que la Commission de vérité et de réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées , ont suscité une vague de reconnaissance et de pression sur le gouvernement pour qu’il élargisse l’accès aux pavillons de ressourcement gérés par les communautés, en vertu de l’article 81.
Enquête en cours
La présente enquête a examiné les progrès accomplis au cours des dix dernières années, depuis le dépôt du rapport « Une question de spiritualité » au Parlement. Grâce à une combinaison d’examen de la documentation, d’analyse des données, de visites sur le terrain et d’entrevues avec 50 employés et résidents actuels et anciens des pavillons de ressourcement, nous avons recueilli des renseignements inestimables. Les thèmes clés, les conclusions et les recommandations qui ont émergé au cours de l’enquête sont présentés ci-après. Bien que cette enquête révèle que bon nombre des défis et des lacunes fondamentales cernés dans le rapport Une question de spiritualité persistent aujourd’hui, le Bureau tient à exprimer sa reconnaissance et sa gratitude aux nombreuses personnes, personnel du Pavillon de ressourcement, résidents et membres de la communauté, qui ont accepté de partager leurs expériences et leurs points de vue. En outre, nous reconnaissons le travail important des personnes qui se trouvent en première ligne. Ces personnes, qui relèvent en grande partie les défis quotidiens avec des ressources limitées, doivent souvent trouver des solutions locales créatives afin d’améliorer de manière significative la vie des personnes avec lesquelles elles travaillent et qu’elles soutiennent.
Recommandations publiques du BEC sur les pavillons de ressourcement
1995-1996 – Recommendation n° 15 : Que le commissaire aux femmes purgeant une peine fédérale exerce vigoureusement le pouvoir prévu à l’article 81 pour élargir la prestation des services correctionnels offerts par les communautés autochtones afin de s’assurer que la mise en liberté sous condition en temps opportun est une option viable.
2005/2006 – Recommendation n° 6 : Je recommande qu’au cours de l’année prochaine, le Service correctionnel renforce les capacités et augmente le recours aux accords conclus avec les communautés autochtones en vertu des articles 84 et 81.
2009/2010 – Recommendation n° 21 : Le Service devrait utiliser davantage les articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour qu’ils produisent tous les effets escomptés.
2012-2013 – Recommendation n° 2 : Le SCC devrait élaborer une stratégie à long terme pour conclure d’autres accords au titre de l’article 81 et augmenter de manière significative le nombre de places dans les régions où le besoin existe. Le financement de cette nouvelle stratégie devrait être sollicité auprès du Conseil du Trésor ou au moyen d’une réaffectation interne des fonds et ne devrait pas être inférieur aux 11,6 millions de dollars reportés en 2001 et ajustés en fonction de l’inflation.
2012-2013 – Recommendation n° 3 : Le SCC devrait réaffirmer son engagement à l’égard des pavillons de ressourcement relevant de l’article 81 par les mesures suivantes : (a) négocier des niveaux de financement permanents et réalistes pour les pavillons de ressourcement existants et futurs relevant de l’article 81, qui tiennent compte de la nécessité d’allouer des fonds suffisants pour le fonctionnement et l’infrastructure et d’assurer la parité salariale avec le SCC, et (b) poursuivre les négociations avec les communautés qui accueillent des pavillons de ressourcement gérés par le SCC en vue de transférer leurs activités à la communauté autochtone.
2012-2013 – Recommendation n° 5 : Le SCC devrait réexaminer le recours aux accords conclus en vertu de l’article 81 qui ne prévoient pas la mise en place d’installations comme solution de rechange aux pavillons de ressourcement, en particulier dans les communautés ou les régions où le nombre de délinquants autochtones ne justifie pas la construction d’un établissement. Les résultats de cet examen feraient partie de la stratégie globale du SCC pour l’article 81.
2012-2013 – Recommendation n° 10 : Le SCC devrait collaborer avec les communautés chrétiennes autochtones, les Inuits et d’autres communautés identifiables afin de conclure des accords au titre de l’article 81 lorsque cela se justifie.
2016-2017 – Recommendation n° 12 : Que le SCC examine sa stratégie de mise en liberté dans la communauté pour les délinquants autochtones en vue d’augmenter le nombre d’accords au titre de l’article 81 afin d’inclure des options de logement dans la communauté pour les soins et la garde des détenus de cote de sécurité moyenne, et qu’il remédie aux divergences dans les accords de financement entre le SCC et les pavillons de ressourcement gérés par les Autochtones.
2017-18 – Recommendation n° 13 : Le SCC réaffecte des ressources très importantes pour négocier de nouveaux accords de financement avec les partenaires et les prestataires de services appropriés afin de transférer les soins, la garde et la supervision des personnes autochtones à la communauté. Il serait ainsi possible de créer de nouvelles capacités au titre de l’article 81 dans les zones urbaines et des placements au titre de l’article 84 dans des résidences privées. Ces nouvelles dispositions devraient revenir à la vision originale des pavillons de ressourcement et prévoir la consultation des Aînés.
Recommandations externes sur les pavillons de ressourcement dans les dix années qui ont suivi le rapport Une question de spiritualité
Commission de vérité et de réconciliation - Appels à l’action (2015)
Recommendation n° 35 : Nous demandons au gouvernement fédéral d’éliminer les obstacles à la création d’autres pavillons de ressourcement autochtones au sein du système correctionnel fédéral.
Comité permanent de la sécurité publique et nationale, Les peuples autochtones dans le système correctionnel fédéral (juin 2018)
Recommendation n° 2 : Que le Service correctionnel du Canada augmente le nombre d’accords conclus avec les communautés autochtones en vertu de l’article 81 de la LSCMLC.
Recommendation n° 3 : Que le gouvernement du Canada augmente le financement des communautés autochtones pour les accords conclus en vertu de l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition afin de combler le fossé financier entre les pavillons de ressourcement gérés par les communautés autochtones et ceux gérés par le Service correctionnel du Canada.
Comité permanent de la condition féminine, Appel à l’action: La réconciliation avec les femmes autochtones dans les systèmes judiciaire et correctionnel fédéraux (juin 2018)
Recommendation n° 66 : Que le gouvernement du Canada, en consultation avec les peuples et les communautés autochtones, fournisse des ressources supplémentaires au Service correctionnel du Canada et aux communautés autochtones afin d’accroître l’utilisation des articles 29, 81 et 84 de la LSCMLC.
Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées - Appels à la justice (2019)
Recommendation n° 14.1 : Nous demandons au Service correctionnel du Canada de prendre des mesures urgentes pour créer les installations décrites aux articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , afin de garantir que les femmes et les filles autochtones, ainsi que les personnes 2ELGBTQQIA, disposent d’options de désincarcération. Ces installations doivent être situées à des endroits stratégiques pour permettre des placements localisés et des programmes mère enfant.
Recommendation n° 14.2 : Nous demandons au Service correctionnel du Canada de veiller à ce que les installations créées en vertu des articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition reçoivent un financement équivalent à celui des installations gérées par le Service correctionnel du Canada. Les accords conclus en vertu de ces articles doivent transférer l’autorité, les capacités, les ressources et le soutien à l’organisation communautaire contractante.
Comité sénatorial permanent des droits de la personne - Droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral (2021)
Recommendation n° 19 : Que le Service correctionnel du Canada utilise davantage l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition afin de s’assurer que les personnes purgeant à une peine fédérale, en particulier les femmes et les hommes autochtones, soient en mesure de créer et/ou de maintenir des liens avec leur famille, leur communauté et leur culture.
Recommendation n° 55 : Que le Service correctionnel du Canada augmente le nombre d’accords conclus en vertu de l’article 81 en faisant mieux connaître cet article et en guidant les collectivités tout au long du processus, ainsi qu’en finançant la mise en place de solutions individualisées et de pavillons de ressourcement collectifs.
1. Le problème du nombre insuffisant de pavillons de ressourcement gérés par la communauté reste d’actualité
Comme nous l’avons évoqué dans la première partie de cette enquête l’année dernière, le nombre insuffisant de pavillons de ressourcement et de places est un problème de longue date, qui est devenu plus pressant à mesure que la surreprésentation des Autochtones a continué à augmenter. Dans au moins six rapports publics distincts, le Bureau a recommandé au Service d’accroître le recours aux accords au titre de l’article 81 et de créer davantage de pavillons de ressourcement pour les personnes purgeant une peine fédérale. Comme le décrit le rapport Une question de spiritualité , le changement de dynamique qui s’est produit au début des années 2000, lorsque le SCC a cessé d’investir dans le modèle de pavillon de ressourcement et de développer ce type d’installations pour réorienter les fonds des pavillons de ressourcement vers des interventions en milieu carcéral, reste aussi présent aujourd’hui qu’il l’était il y a dix ans.
Au cours des dix dernières années, la croissance de la population carcérale autochtone a largement dépassé celle des pavillons de ressourcement. Plus précisément, alors que le nombre de personnes autochtones incarcérées a augmenté de près de 700 unités, un seul pavillon de ressourcement supplémentaire a été ouvert (c’est-à-dire le pavillon de ressourcement Eagle pour femmes à Winnipeg, en 2019). En outre, le nombre de places dans les pavillons de ressourcement gérés par la communauté a augmenté de 53 unités au total. Actuellement, avec seulement dix pavillons de ressourcement, le Canada dispose de 389 places pour les personnes purgeant une peine fédérale (271 pour les hommes et 118 pour les femmes). Toutefois, il est particulièrement préoccupant de constater que peu de ces places se trouvent dans des pavillons de ressourcement gérés par la communauté. Bien qu’il y ait plus de pavillons de ressourcement relevant de l’article 81, ils ne représentent en fait que 35 % du nombre total de places. Il n’y a donc que 139 places de pavillons de ressourcement gérés par les communautés autochtones.
Proportion des détenus autochtones en pavillon de ressourcement
Étant donné le grand nombre d’Autochtones en détention fédérale (4 216), le nombre de places en pavillons de ressourcement disponibles aujourd’hui ne pourrait accueillir qu’un maximum de 9 % de la population autochtone en détention. En d’autres termes, même dans un scénario de pleine occupation, 91 % des Autochtones incarcérés n’auraient pas d’autre choix, même s’ils étaient admissibles, que de rester incarcérés dans un système carcéral classique. Avec le nombre actuel de pavillons de ressourcement et seulement 6 % des personnes autochtones incarcérées qui purgent actuellement une partie de leur peine dans un pavillon de ressourcement, la grande majorité des Autochtones purgeant des peines fédérales n’auront jamais accès à un pavillon de ressourcement ou n’en bénéficieront jamais. La probabilité est encore plus faible pour les pavillons de ressourcement gérés par la communauté.
Emplacement au Canada des pavillons de ressourcement administrés par le SCC et de ceux visés à l’article 81
Tableau 1. Noms, emplacements et désignations des dix pavillons de ressourcement
Pavillon de ressourcement | Géré par le SCC ou relevant de l’article 81 | Ville, Province |
1 - Centre de guérison Stan Daniels | Article 81 | Edmonton, Alberta |
2 - Pavillon de ressourcement O-chi-chak- ko-sipi | Article 81 | Crane River, Manitoba |
3 - Centre de guérison Waseskun | Article 81 | St-Alphonse-Rodriguez, Québec |
4 - Buffalo Sage pour les femmes | Article 81 | Edmonton, Alberta |
5 - Pavillon de ressourcement du Grand Conseil de Prince Albert | Article 81 | Première Nation de Wahpeton, Saskatchewan |
6 - Pavillon de ressourcement Eagle pour femmes | Article 81 | Winnipeg, Manitoba |
7 - Village de guérison Kwìkwèxwelhp | Géré par le SCC | Harrison Mills, Colombie-Britannique |
8 - Centre Pê Sâkâstêw | Géré par le SCC | Maskwacis, Alberta |
9 - Centre de guérison Willow Cree | Géré par le SCC | Duck Lake, Saskatchewan |
10 - Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci | Géré par le SCC | Maple Creek, Saskatchewan |
Les lacunes du modèle des pavillons de ressourcement sont évidentes, non seulement en raison du nombre insuffisant de pavillons et de places, mais aussi en raison de leur répartition dans le pays. Comme il y a dix ans, il n’y a toujours pas de pavillon de ressourcement dans les régions de l’Ontario et de l’Atlantique, aucun dans le Nord, et aucun pavillon de ressourcement géré par la communauté dans la région du Pacifique. Étant donné que la région de l’Ontario compte le deuxième plus grand nombre de personnes autochtones sous responsabilité fédérale et que c’est là que beaucoup de ces personnes ont leur famille et leur communauté d’origine, il est clair que le besoin en pavillons de ressourcement dans cette région reste important. Pour les femmes autochtones, les trois pavillons de ressourcement pour femmes sont situés dans la région des Prairies. Si les besoins sont considérables dans les Prairies, où se trouvent plus de la moitié des femmes autochtones incarcérées, les femmes des communautés situées en dehors des Prairies, en particulier en Ontario et dans les régions du Pacifique, n’ont pas la possibilité de résider dans un pavillon de ressourcement plus proche de leur famille et de leur communauté d’origine. Cela oblige de nombreuses femmes autochtones à choisir entre une voie de guérison traditionnelle isolée, loin de chez elles, et la proximité de leur famille dans un établissement correctionnel du SCC.
Aucun progrès n’ayant été réalisé en ce qui concerne l’expansion des pavillons de ressourcement dans les communautés éloignées, il n’est pas surprenant, bien que décevant, que peu de progrès aient été réalisés en ce qui concerne l’établissement de nouveaux accords au titre de l’article 81, qu’ils prévoient ou non la mise en place d’installations, avec des organisations dans les centres urbains où les besoins sont sans doute les plus importants. En réalité, la plupart des personnes chercheront à être mises en liberté dans des centres urbains. Elles bénéficient ainsi de meilleures possibilités d’accès à l’emploi, à l’éducation ou à la formation professionnelle et, dans de nombreux cas, elles ont ainsi un accès plus facile à leur famille et à leurs enfants, ce qui pourrait s’avérer plus difficile et plus coûteux dans les communautés éloignées. L’un des avantages de l’article 81 est qu’il permet également la création d’accords qui ne prévoient pas la mise en place d’installations, dans des communautés urbaines ou rurales. Au moment de la rédaction du présent rapport Une question de spiritualité , il n’y avait eu que deux communautés avec lesquelles le SCC avait conclu des accords qui ne prévoient pas la mise en place d’installations (en 1999 et 2001) en vertu de l’article 81. Cependant, à l’époque, les dossiers montraient que le transfert d’une seule personne avait été effectué. Les demandes adressées au Service pour connaître le nombre d’accords qui ne prévoient pas la mise en place d’installations ou d’accord d’échange de services (AES) conclus avec des Autochtones en vertu de l’article 81 au cours des dix dernières années ont révélé qu’il n’y a pas eu d’accords de financement qui ne prévoient pas la mise en place d’installations ou d’AES supplémentaires avec des communautés ou des organisations en vertu de l’article 81.
En juillet 2022, le SCC a promulgué de « nouveaux » documents d’orientation pour guider le processus des accords au titre de l’article 81. En divisant ce qui était la Directive du Commissaire (DC) 541 en deux DC distincts, ainsi que des lignes directrices, le Service a créé la DC 541 - Accords interjuridictionnels d’échange de services et une nouvelle DC 543 - Accords conclus en vertu de l’article 81 de la LSCMLC . 21 L’objectif, en particulier pour cette dernière, était de fournir une « orientation interne pour parvenir à des propositions formelles élaborées en collaboration avec les communautés et organisations autochtones intéressées… permettant au SCC d’être mieux positionné pour soutenir les communautés autochtones intéressées par des accords en vertu de l’article 81, y compris celles qui ont déjà conclu de tels accords ». Bien que la nature des changements semble être en grande partie la clarification et la définition des rôles, la création de nouveaux délais, etc., l’avenir nous dira si ces nouveaux documents de politique se traduisent effectivement par de nouveaux accords en vertu de l’article 81, qu’il s’agisse d’accords avec les pavillons de ressourcement ou d’accords qui ne prévoient pas la mise en place d’installations, avec les communautés.
Au cours de cette enquête, le Bureau a cherché à obtenir des renseignements actualisés sur les projets en cours visant à créer de nouveaux accords sur les pavillons de ressourcement. En avril 2023, le SCC a fourni une réponse indiquant qu’« aucune demande formelle n’est envisagée, mais que toutes les régions s’engagent activement auprès de partenaires potentiels pour améliorer les possibilités offertes par l’article 81 ». Entre-temps, dans une réponse du 31 mars 2023 à une demande d’accès à l’information du Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN), le Service a fait savoir qu’il « négociait avec 15 communautés pour créer des pavillons de ressourcement pour les prisonniers autochtones ». 22 Si l’on fait abstraction du fait que le Service ne partage pas de tels détails avec notre Bureau, là encore, un suivi de la manière dont ces négociations progressent, le cas échéant, révélera à quel point le Service est investi dans l’expansion de l’utilisation des accords conclus en vertu de l’article 81.
En mai 2022, le ministre de la Sécurité publique a adressé une lettre de mandat au commissaire aux services correctionnels, dont le tout premier objectif est d’ordonner au commissaire de faire ce qui suit : « Donner la priorité à la collaboration avec les organisations et les communautés autochtones et au financement de celles-ci pour créer des accords supplémentaires au titre des articles 81 et 84, conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), afin de garantir que les délinquants autochtones aient accès à des programmes et à un soutien adaptés à leur culture au sein de la communauté ».
Le Bureau est conscient qu’il existe une myriade de défis et d’obstacles à l’établissement d’accords avec des communautés ou des groupes autochtones. Certains sont réticents à accepter dans leur communauté des personnes ayant commis des délits graves. D’autres voient une grande valeur dans les pavillons de ressourcement, mais sont dissuadés par les processus de demande bureaucratiques et exigeants en ressources, ou par la perspective peu attrayante de négocier avec un organisme gouvernemental qui a joué un rôle central dans l’emprisonnement massif de personnes autochtones. Si les communautés jouent effectivement un rôle actif dans le processus de l’article 81, elles ne devraient pas être tenues pour responsables de l’absence de progrès dans l’établissement de nouveaux accords au cours de la dernière décennie. L’absence de sensibilisation et d’engagement significatifs et coordonnés de la part du Service n’est pas excusable, compte tenu de la trajectoire de la surreprésentation et des dizaines d’appels à l’action sur cette même question. En donnant la priorité aux initiatives en milieu carcéral, l’inertie manifeste du Service à l’égard de l’article 81 révèle une réticence à l’utiliser pleinement, même à la demande et selon les instructions du Ministre. Un organisme qui a par ailleurs montré à la fois l’intérêt et la capacité de réfléchir de manière ambitieuse à la pratique de la détention doit appliquer cette réflexion aux solutions de rechange basées sur la communauté, en particulier lorsqu’il dispose déjà de ces outils pour le travail, qui restent inutilisés.
2. Les taux d’inoccupation restent élevés dans les pavillons de ressourcement
Compte tenu du petit nombre de pavillons de ressourcement, du besoin et de la demande considérables de places dans les pavillons et de la forte proportion d’Autochtones en prison, il est raisonnable de croire que les places des pavillons de ressourcement sont occupées. Pourtant, au moment de la rédaction du présent rapport, et malgré de longues listes d’attente dans de nombreux pavillons de ressourcement, le taux d’occupation moyen des dix pavillons de ressourcement n’était que de 65 %, ce qui signifie que plus d’un tiers des places disponibles sont inoccupées. Dans les pavillons de ressourcement gérés par la communauté, les taux d’inoccupation sont encore plus élevés, certains étant aux trois quarts vides.
Pourcentage moyen d’occupation des pavillons de cure par année fiscale
Au cours des dix dernières années, les taux d’occupation des pavillons de ressourcement ont connu une tendance à la baisse, les taux moyens étant en déclin constant depuis 2017. 23 Si la pandémie de COVID-19 a effectivement eu des répercussions négatives importantes sur les taux d’occupation au cours des dernières années, les taux d’inoccupation élevés étaient déjà un problème identifié dans l’enquête Une question de spiritualité . Au cours du dernier exercice, des efforts semblent avoir été mis en œuvre, principalement au niveau local, pour remplir les places dans certains pavillons et faire baisser le taux d’inoccupation de 50 %, niveau où il se situait à la même époque l’année dernière. Toutefois, il ne semble toujours pas y avoir de stratégie à long terme pour s’attaquer systématiquement et de manière plus permanente aux causes profondes de ce qui est un problème de longue date.
Tableau 2. Comparaison sur dix ans de la capacité et des taux d’occupation par pavillon de ressourcement
2012-2013 | 2021-2023 | ||||||
Installation | Capacité pondérée | Capacité réelle | % d’occupation | Capacité pondérée | Capacité réelle | % d’occupation | Moyenne d’occupation sur 2 ans avant la pandémie de COVID (en %)* |
Pavillon de ressourcement géré par la communauté relevant de l’art. 81 | |||||||
Centre de guérison Stan Daniels | 30 | 19 | 63,33 | 30 | 22 | 73,3 | 53,3 |
Pavillon de ressourcement de la Première Nation O-Chi-Chak-Ko-Sipi | 24 | 22 | 91,7 | 24 | 26 | 108,3 | 81,3 |
Centre de guérison Waseskun | 15 | 15 | 100 | 15 | 10 | 66,7 | 80 |
Buffalo Sage pour les femmes | 12 | 16 | 133,33 | 28 | 25 | 89,3 | 91,1 |
Pavillon de ressourcement spirituel du Grand conseil de Prince Albert | 5 | 0 | 0 | 12 | 3 | 25 | 83,3 |
Pavillon de ressourcement Eagle pour femmes** | – | – | – | 30 | 6 | 20 | – |
Total pour l’art. 81 | 86 | 72 | 83,7 | 139 | 92 | 66,2 | – |
Pavillon de ressourcement géré par le SCC | |||||||
Village de guérison Kwìkwèxwelhp | 50 | 44 | 88 | 50 | 28 | 56 | 81 |
Centre Pê Sâkâstêw | 60 | 47 | 78,3 | 60 | 59 | 98,3 | 79,2 |
Centre de ressourcement Willow Cree | 40 | 40 | 100 | 80 | 51 | 63,8 | 66,9 |
Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci | 40 | 33 | 82,5 | 60 | 31 | 51,7 | 85,6 |
Total géré par le SCC | 190 | 164 | 86,3 | 250 | 169 | 67,6 | |
Total général | 276 | 236 | 389 | 261 | 77,97 |
Remarque : Les données sur l’occupation ont été obtenues à partir du rapport SIR-M sur le dénombrement en établissement du SCC; ns = non signalé.
*Le pourcentage d’occupation moyen sur deux ans est basé sur les chiffres d’occupation nominale par rapport à l’occupation réelle de 2018-2019 et 2019-2020, pour avoir une idée de l’occupation prépandémique.
**Le pavillon de ressourcement Eagle pour femmes a ouvert ses portes en tant qu’établissement en 2019 (en vertu de l’art. 81).
Quels sont les facteurs à l’origine de ces places inoccupées?
D’après nos entrevues avec le personnel et les résidents des pavillons de ressourcement, il semble que de nombreux facteurs contribuent au problème de longue date des places inoccupées dans les pavillons de ressourcement. Parmi ceux-ci, cinq facteurs clés sont apparus : 1) les obstacles au transfèrement, 2) les critères d’admission stricts, 3) le faible nombre de transferts, 4) les retards dans le processus de transfert, et 5) les pratiques qui favorisent les transferts et les taux d’occupation dans les pavillons de ressourcement gérés par le SCC.
Obstacles au transfèrement : Surclassement, services et programmes insuffisants
Le mieux que les non-Autochtones peuvent faire est d’être sensibles à ces questions afin de ne pas créer d’obstacles involontaires à l’élaboration de programmes autochtones par les Autochtones pour les Autochtones.
– Groupe de travail sur les femmes purgeant une peine fédérale (avril 1990)
L’un des principaux obstacles au remplissage des pavillons de ressourcement est imposé bien avant qu’une personne n’envisage de demander à y résider. Dès leur admission, les Autochtones sous le coup d’une peine fédérale se heurtent à des obstacles systémiques qui rendent difficile, voire impossible, toute demande de transfert dans un pavillon de ressourcement. Au cours de cette enquête, nous avons entendu à maintes reprises parler des nombreux obstacles, souvent créés par le Service lui-même, qui conduisent à une réduction importante du nombre de personnes susceptibles d’être placées dans les pavillons de ressourcement. L’obstacle le plus fréquent que nous avons entendu est le classement de sécurité.
Lors de leur admission, les Autochtones reçoivent un classement de sécurité disproportionné par rapport aux autres groupes. Comme l’indique le rapport de mai 2022 du Bureau du vérificateur général (BVG), lorsqu’il a examiné toutes les admissions dans les établissements pénitentiaires fédéraux entre avril 2018 et décembre 2021, parmi tous les groupes raciaux, les hommes autochtones étaient le groupe le moins susceptible de recevoir un classement de sécurité minimale. Plus précisément, seuls 19 % des hommes autochtones ont été classés en sécurité minimale, contre 36 % des hommes blancs et 30 % des admissions en général. À l’inverse, les hommes autochtones, ainsi que les hommes noirs, ont été placés dans des établissements à sécurité maximale deux fois plus souvent que les autres groupes et représentaient 51 % des placements en établissement à sécurité maximale. Les femmes autochtones ont été placées en sécurité maximale plus de trois fois plus souvent que leurs homologues non-autochtones et représentaient près de 70 % des placements en sécurité maximale au cours de cette période. 24 Comme l’a dit une personne :
« [Elles] ne savent rien de nos communautés, les personnes qui font d’admission, elles ne connaissent pas nos traumatismes ou notre culture. Pour les évaluations en cours, ce sont des non-autochtones qui prennent des décisions sur les évaluations qui les suivront dans l’ensemble du système ».
Étant donné que la plupart des pavillons de ressourcement exigent un classement de sécurité minimale, très peu d’Autochtones seront placés directement dans un pavillon de ressourcement. La grande proportion de détenus classés en sécurité maximale signifie qu’il faudra des années avant qu’un individu puisse passer en sécurité minimale (si tant est qu’il puisse le faire) et qu’il puisse prétendre à un pavillon de ressourcement, et probablement seulement vers la fin de sa peine. Tant que le SCC continuera d’utiliser des outils insuffisamment validés auprès des populations autochtones pour déterminer leur classement (comme l’Échelle de classement par niveau de sécurité, qui prend en compte des facteurs historiques largement statiques qui servent à perpétuer ce surclassement), il y aura toujours trop peu d’Autochtones qui atteignent le niveau de sécurité minimale pour pouvoir bénéficier d’un pavillon de ressourcement.
En ce qui concerne le classement, d’autres obstacles au transfèrement ont été évoqués, notamment l’utilisation excessive de l’identification des individus comme étant affiliés à un groupe menaçant la sécurité (GMS), utilisée principalement pour les personnes « soupçonnées » d’être affiliées à un gang. Il est extrêmement difficile de mettre fin à la désignation d’affiliation à un GMS une fois qu’elle figure dans le dossier d’une personne. Avec environ 20 % d’Autochtones emprisonnés avec cet indicateur dans leur dossier, ces désignations créent des obstacles considérables. Plus précisément, elles entravent ou ralentissent le processus de passage à des niveaux de sécurité inférieurs, l’accès aux programmes et aux services, et la demande d’admission dans les pavillons de ressourcement, car de nombreux pavillons n’acceptent pas les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec des groupes criminels organisés. En plus des pratiques douteuses utilisées pour déterminer qui reçoit un indicateur d’affiliation à un GMS et qui peut le faire enlever, sans stratégie de désaffiliation des gangs, le Service a créé un obstacle majeur au transfèrement vers un pavillon de ressourcement, sans aucune voie vers une solution pour ces personnes. Comme l’a dit l’une des personnes que nous avons interrogées :
« Le classement d’affiliation à un GMS est erroné. Si votre petit ami était affilié à un gang, vous pouvez avoir un indicateur d’affiliation dans votre dossier. Si vous avez énervé un policier, il peut vous mettre sur la liste des personnes « affiliées à un gang ». Aujourd’hui, au SCC, vous ne pouvez pas obtenir de transfèrement à cause de votre classement d’affiliation à un GMS… Les gangs donnent aux peuples autochtones un sens de la famille. Nous sommes élevés dans la rue, qui peut être une source d’amour et de soutien, et il est donc logique que nous ayons beaucoup de gangs autochtones. Le SCC a besoin d’une stratégie de sortie des gangs pour les peuples autochtones. Nous ne sommes pas des gangs qui versent dans la criminalité organisée, nous rejoignons un gang à cause de la famille et de la toxicomanie. Il faut au SCC un moyen permettant aux Autochtones d’être libérés du gang et de pouvoir être mis en liberté dans un pavillon de ressourcement ».
Outre les obstacles créés par les outils de classement et les indicateurs administratifs, nous avons entendu dire que le manque de programmes et de services pertinents susceptibles d’aider les personnes autochtones constituait un obstacle important à la mise en place d’un système de transfèrement. Par exemple, dans l’un des pavillons pour femmes, nous avons entendu les propos suivants :
« Le faible nombre de places dans les pavillons de ressourcement s’explique par le fait qu’il n’y a pas de transfèrement pour les femmes. Il n’y a aucun programme et les femmes sont maintenues au niveau maximum à cause de problèmes de comportement; elles ont des problèmes de santé mentale non diagnostiqués ».
Cette préoccupation a été exprimée par de nombreuses personnes que nous avons interrogées. Outre le manque de programmes pertinents, les besoins complexes en matière de santé mentale et de toxicomanie d’une grande partie de cette population nécessitent des soins tenant compte des traumatismes et un diagnostic approprié. Les établissements ne fournissent pas ces soins de manière adéquate et les pavillons de ressourcement n’ont pas les ressources nécessaires pour les fournir, en particulier les pavillons gérés par la communauté. Nous avons appris que certains pavillons de ressourcement n’acceptent tout simplement pas les personnes qui ont besoin de soins psychologiques ou médicaux importants, et que d’autres sont confrontés à la réalité de devoir renvoyer les personnes dont les besoins sont trop complexes et trop coûteux à gérer. Comme l’a dit une personne :
« C’est un cycle. Les gens finissent par purger la totalité de leur peine, sans transfèrement, en raison de problèmes de santé mentale, souvent non diagnostiqués. Ils sont libérés à la fin de leur peine, se retrouvent sans abri, ne se présentent pas et reviennent ».
Critères stricts d’admission au pavillon de ressourcement
Les critères d’admission constituent un obstacle majeur à l’occupation des places dans les pavillons de ressourcement. Si les critères d’acceptation varient d’un pavillon de ressourcement à l’autre, certains d’entre eux se sont donné la possibilité d’accepter des personnes ayant un classement de sécurité moyenne; toutefois, la grande majorité d’entre elles n’acceptent que les personnes ayant un classement de sécurité minimale. Bien que la restriction de l’accès aux personnes ayant un classement de sécurité minimale n’ait jamais fait partie de la vision initiale des pavillons de ressourcement, et qu’il ne s’agisse pas non plus d’un critère énoncé à l’article 81 de la Loi, il s’agit d’une pratique et d’une règle qui semble avoir proliféré et s’être intensifiée au fil du temps. En outre, aucune disposition de la LSCMLC n’empêche les pavillons de ressourcement d’accepter ou de gérer des populations à sécurité moyenne. Encore une fois, comme le signale le BVG, seule une petite partie de la population autochtone incarcérée dispose d’un tel classement. Au moment de la rédaction du présent rapport, seuls 15 % des Autochtones incarcérés disposaient d’un classement de sécurité minimale, ce qui signifie que 84 % d’entre eux étaient automatiquement inadmissibles. Cet obstacle est aggravé par le fait que les taux d’inoccupation dans les prisons à sécurité minimale sont également élevés, ce qui crée une concurrence entre les pavillons de ressourcement et les établissements à sécurité minimale du SCC pour les résidents.
En ce qui concerne les critères de classement de sécurité, de nombreux pavillons de ressourcement ont depuis longtemps pour pratique de ne pas accepter les personnes présentant certains profils d’infraction (par exemple, infractions à caractère sexuel), celles qui ont des problèmes permanents de toxicomanie, qui présentent un niveau de risque moyen ou élevé, qui ont des antécédents d’évasion ou qui sont soupçonnées d’avoir des liens avec le crime organisé ou les gangs. D’après nos entrevues, de nombreux membres du personnel se sont dits préoccupés par le fait que les critères du SCC et des pavillons de ressourcement gérés par la communauté ne sont tout simplement pas « à jour » et ne reflètent pas les réalités d’une population en évolution. Comme l’a dit l’un d’entre eux, « les gens se voient refuser l’accès à l’éducation en raison de leur aversion pour le risque et de leurs opinions dépassées ». Nous avons appris que, dans certains cas, la communauté locale a exercé des pressions considérables pour que ne soient pas acceptées des personnes ayant des antécédents de délits graves ou des difficultés persistantes, car elles présentent un risque pour la sécurité de la communauté. Toutefois, nous avons également appris qu’avec les récentes pressions exercées pour remplir les nombreuses places vacantes, l’état d’esprit a évolué dans certains pavillons de ressourcement, où l’on s’efforce de revoir ces critères afin d’élargir le nombre de candidats potentiels. Par exemple, ces dernières années, certains pavillons de ressourcement ont commencé à accepter des personnes ayant des antécédents de délits plus graves (par exemple, les délinquants sexuels et les délinquants dangereux) et certains ont commencé à offrir un traitement aux agonistes opioïdes pour les personnes qui luttent contre la toxicomanie. Comme l’a résumé une personne, « à une époque, il n’y avait pas de délinquants sexuels - la situation a changé. À une époque, il n’y avait pas de méthadone - aujourd’hui, nous prenons de la suboxone. Les temps ont changé ».
En plus des obstacles tangibles, un obstacle plus intangible à l’admission dans un pavillon de ressourcement est apparu au fil du temps. En d’autres termes, il existe une notion à l’échelle du système, qui sous-tend les politiques et les pratiques, selon laquelle les individus doivent prouver qu’ils sont capables d’accéder à un pavillon de ressourcement. En effet, la longueur du processus de transfèrement en est un exemple, de même que les diverses exigences que les personnes doivent d’abord remplir ou obtenir avant de passer à l’étape suivante, comme les programmes correctionnels, peut-être l’initiative des Sentiers autochtones , l’examen d’un Aîné et, dans bien des cas, un plan de guérison établi, avant d’être acceptées dans un pavillon de ressourcement. Il s’agit d’un processus emblématique d’une mentalité selon laquelle les personnes doivent mériter leur placement.
Les personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus avaient des avis divergents sur la question de savoir si le système devait fonctionner de cette manière. D’une part, certains considèrent que l’approche consistant à gagner sa place dans un pavillon de ressourcement est nécessaire, car elle élimine les personnes qui sont moins engagées sur la voie de la guérison et crée un environnement qui n’accueille que les personnes prêtes à fournir les efforts nécessaires. D’autres personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus nous ont dit que certains résidents ne sont tout simplement pas prêts lorsqu’ils arrivent, qu’ils sont pris dans l’engrenage de la toxicomanie, que cela peut avoir des répercussions négatives sur d’autres personnes qui sont là « pour de bonnes raisons », et qu’ils doivent être renvoyés.
D’autre part, nous avons entendu dire que cette approche consistant à n’accepter que ce qu’une personne a appelé « les meilleurs des meilleurs » va à l’encontre de l’objectif des pavillons de ressourcement. Comme l’a dit une personne, « c’est l’idée qu’il faut mériter l’accès à sa culture et qu’en retour, en punition, on peut en être privé» . Cette approche caractérise à tort le processus de guérison comme étant unidirectionnel et linéaire. À son tour, elle fixe des paramètres punitifs et inatteignables à une progression vers la guérison qui ne correspond pas à une approche véritablement fondée sur les traumatismes. D’autres ont contesté l’implication de ce processus dans la désignation de certaines personnes comme étant « guérissables » et d’autres comme ne l’étant pas. Outre les problèmes fondamentaux que cela pose, de nombreuses personnes ayant adopté ce point de vue ont contesté le processus d’un modèle qui fait que les gens, comme l’a dit l’un d’entre eux, « attendent trop longtemps avant de commencer la partie la plus importante de leur parcours de guérison » . En fait, avec ce modèle, vous éliminez ceux qui pourraient avoir le plus besoin de ce soutien, de ces conseils et de cet environnement. Comme l’a dit un membre du personnel, en pensant à ceux qui n’atteignent jamais les pavillons de ressourcement : « Ces personnes font toujours partie des nôtres. Elles sont nos proches. Elles ont besoin de notre aide».
Faible nombre de transferts vers les pavillons de ressourcement
L’une des explications les plus simples des taux d’inoccupation est que trop peu de personnes sont transférées dans les pavillons de ressourcement de manière générale, et en particulier dans ceux qui sont gérés par la communauté. D’après les données du Plan national relatif aux Autochtones du SCC, en 2021-2022, il y a eu au total 171 transferts réussis vers des pavillons de ressourcement, dont seulement 49 vers un pavillon relevant de l’article 81. Dans le contexte de l’importante population autochtone présente derrière les barreaux, les transferts vers un pavillon de ressourcement ne représentaient que 4 % de l’ensemble des Autochtones incarcérés et seulement 1% ont été transférés vers un pavillon de ressourcement géré par la communauté. Avec seulement 28 % des transferts réussis vers un pavillon géré par la communauté et la grande majorité des transferts (72 %) vers l’un des quatre pavillons gérés par le SCC, il est évident que les pavillons de ressourcement du SCC sont prioritaires, et ce depuis des années.
Reconnaissant que la pandémie de COVID-19 a eu des répercussions sur la capacité d’effectuer des transferts, au cours des cinq derniers exercices, le nombre de transferts réussis vers les pavillons de ressourcement a diminué. 25 Cette situation pourrait s’expliquer en partie par le faible nombre d’Autochtones passant à des niveaux de sécurité inférieurs. Par exemple, en 2021-2022, le SCC n’a effectué que 395 transitions réussies de personnes autochtones d’un « niveau de sécurité maximale ou moyenne à un niveau de sécurité inférieure pour les délinquants ». 26 Seulement 12 % de ces transitions ont abouti à un transfert vers un pavillon de ressourcement géré par la communauté. Il est évident que des changements structurels plus importants sont nécessaires pour augmenter le nombre d’Autochtones passant à des niveaux de sécurité inférieurs et pour augmenter les transferts vers les pavillons de ressourcement, en particulier vers ceux relevant de l’article 81. Pour ce faire, il faudra s’attaquer aux nombreux obstacles au transfèrement.
Nombre total de transfèrements réussis vers un pavillon de ressourcement par exercice financier
Longs délais de transfert vers les pavillons de ressourcement
Une autre raison notable de l’inoccupation, en particulier dans les pavillons de ressourcement gérés par la communauté, est le temps qu’il faut non seulement pour passer au niveau de sécurité minimale, mais aussi pour être littéralement transféré dans un pavillon de ressourcement. Les propos suivants ont été tenus par un membre du personnel d’un pavillon relevant de l’article 81 : « J’aimerais beaucoup que nous soyons complets. Nous avons une longue liste d’attente et pourtant, nous n’avons jamais été complets. Beaucoup de ces personnes sont libérées avant même d’arriver chez nous ». Dans certains pavillons gérés par la communauté, nous avons appris qu’il s’écoule souvent trois à quatre mois entre le moment où un pavillon de ressourcement envoie une lettre d’approbation à un demandeur et le moment où le transfert effectif est prévu par le SCC. À ce stade, généralement à la fin de la peine, de nombreuses personnes sont libérées directement de prison alors qu’elles auraient pu bénéficier du meilleur environnement et du processus de réinsertion dans la communauté du pavillon de ressourcement. Outre l’éventualité de retards bureaucratiques de la part du SCC, aucune des personnes interrogées n’a pu donner d’explications ou de raisons pour expliquer ces problèmes de lenteur des transferts.
Outre les retards dans le transfert des personnes de la prison vers les pavillons de ressourcement, nous avons également appris que les pavillons gérés par le SCC semblent en pratique avoir la priorité pour les résidents par rapport aux pavillons gérés par la communauté, ce qui est corroboré par le fait que les pavillons gérés par le SCC ont constamment des taux d’occupation plus élevés et davantage de transferts. Certains résidents et membres du personnel nous ont dit que, dans le cadre de l’approche gagnez votre place dans les pavillons de ressourcement, une condition préalable implicite pour accéder à un pavillon de ressourcement géré par la communauté est de séjourner d’abord dans un pavillon géré par le SCC. De nombreux résidents avec lesquels nous nous sommes entretenus ont déclaré qu’ils «avaient dû» aller dans un pavillon géré par le SCC avant d’accéder à un pavillon relevant de l’article 81. Cette situation a posé un problème pour les pavillons gérés par la communauté, dans la mesure où elle réduit le nombre de résidents qui arrivent dans ces pavillons. Comme nous l’a dit un membre du personnel, « je pense qu’ils veulent simplement garder leurs chiffres, ils s’accrochent fermement à leurs gars, ils ne veulent tout simplement pas nous les donner » . De nombreux résidents de pavillons de ressourcement nous ont dit qu’ils étaient passés à un niveau de sécurité moyenne, puis minimale, et avaient ensuite été transférés dans un pavillon géré par le SCC, et enfin à un pavillon relevant de l’article 81. Cette approche graduelle et la règle implicite selon laquelle les pavillons gérés par le SCC sont prioritaires désavantagent à bien des égards les pavillons gérés par la communauté et allongent inutilement le temps nécessaire aux résidents pour arriver dans la communauté. En outre, ces pratiques envoient un message plus fondamental et illustrent certaines idées bien ancrées qui expliquent pourquoi le SCC a créé et maintenu ce système de pavillons de ressourcement « à deux vitesses », certains étant gérés par la communauté et les autres par l’État.
3. S’éloigner de la vision - Le problème fondamental du système des pavillons de ressourcement à deux niveaux
Le temps est venu de revenir aux lois sacrées. La guérison des peuples autochtones a débuté et doit se poursuivre. La voie vers la dignité retrouvée passe par notre humanité unique. La porte du développement authentique et de la guérison s’ouvre de l’intérieur. La vision du pavillon de ressourcement offre une possibilité… À travers les enseignements du Cercle des Aînés, les Lois sacrées des femmes seront ravivées pour fournir une base spirituelle aux défis de la vie. Cette responsabilité à l’égard des femmes sous responsabilités fédérales et des sept générations à venir sera l’un des objectifs généraux du pavillon de ressourcement.
– Extrait de la vision du pavillon de ressourcement
L’absence de progrès dans le développement du modèle de pavillon de ressourcement peut être constatée non seulement dans les quelques nouveaux pavillons de ressourcement et accords qui ont été établis au cours des dix dernières années, mais aussi dans la création et l’apparente permanence d’un système « à deux niveaux». Il s’agit probablement de l’exemple le plus clair de la manière dont le SCC n’a pas respecté ses responsabilités en vertu de l’article 81 de la LSCMLC, et dont il a tranquillement renié ses engagements envers les communautés autochtones en conservant le contrôle et l’autorité sur la majorité des personnes qui occupent les places des pavillons de ressourcement.
Lorsque le pavillon Okimaw Ohci a ouvert ses portes il y a près de trente ans, le SCC s’est engagé à ne conserver l’autorité qu’à titre transitoire et à confier la propriété et l’exploitation à la communauté locale, comme le prévoyait la vision initiale des pavillons de ressourcement. Cette transition n’a jamais eu lieu. Le protocole d’entente entre le SCC et la Première Nation Nekaneet ayant été récemment renouvelé pour 25 ans en juillet 2021, une transition du pavillon Okimaw Ohci vers la communauté, à court ou même à long terme, semble improbable. Les trois autres pavillons de ressourcement gérés par le SCC qui ont ouvert au cours de la décennie suivante, dont l’un a été converti à partir d’une prison pour hommes existante, semblent avoir connu une issue similaire, sans aucune indication de plans ou d’intentions de les désigner comme pavillons relevant de l’article 81 et de transférer le contrôle local à la communauté.
Paradoxalement, il en a résulté des pavillons de ressourcement gérés par l’État, un concept intrinsèquement contraire à la vision initiale et qui, par sa politique et sa pratique, les a fait ressembler davantage à des prisons classiques à sécurité minimale et moyenne, contrairement à ce que l’on attendait d’un pavillon de ressourcement géré par la communauté. Ces « établissements », comme le SCC les appelle sur son site Web, fonctionnent selon les mêmes politiques que les autres prisons, avec peu de souplesse formelle pour fonctionner différemment. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence cette réalité fondamentale. Comme nous l’avons entendu au cours de nos entrevues, lorsque l’accès à la communauté, aux programmes et aux cérémonies a été restreint au début de la pandémie, les pavillons gérés par le SCC fonctionnaient en grande partie comme des prisons à sécurité minimale. Il ne s’agit pas de dénigrer le travail important et les bonnes intentions de nombreuses personnes travaillant dans ces pavillons de ressourcement, et il existe effectivement des différences dans le fonctionnement des pavillons gérés par le SCC. Au contraire, les décisions du SCC de privilégier son propre pouvoir et son propre contrôle ont limité la capacité de ces pavillons à exercer plus librement leur activité en tant que lieux décolonisés qu’ils étaient censés être, où la gouvernance, l’autodétermination et la communauté autochtones devaient être l’éthique dominante, et non pas des corrections classiques avec une entorse à la règle. Il en résulte deux catégories de pavillons de ressourcement. Nous disposons de pavillons bien financés et gérés par l’État, dotés des ressources nécessaires pour prospérer, mais dont le succès est limité par le fait même qu’ils sont gérés par l’État et qu’ils ne répondent pas aux besoins particuliers des résidents autochtones. D’autre part, nous avons des pavillons gérés par la communauté dont la promesse fondamentale a été limitée par les pratiques de relégation qui leur ont été imposées par le Service.
La solution au système à deux niveaux ne réside toutefois pas dans la création d’un nouvel ensemble de politiques accordant plus de souplesse au modèle existant des pavillons gérés par l’État. Le SCC doit plutôt revenir à l’intention et à la philosophie originelles des pavillons de ressourcement pour voir dans quelle mesure elles se sont éloignées de leur objectif. Tant que le Service continuera à gérer des pavillons gérés par l’État, il s’engagera dans un jeu colonial séculaire de récupération carcérale . Il perpétue de la sorte sa position et sa propre autorité, et apportant des ajustements au système dans un effort visant à neutraliser les critiques et les demandes extérieures. Une véritable réconciliation dans le système correctionnel ne pourra se faire qu’en tenant les anciennes promesses et en prenant des mesures sérieuses en faveur de la souveraineté autochtone et de la décolonisation des pavillons de ressourcement.
Éléments de la vision originale des pavillons de ressourcement
Le pavillon de ressourcement permettra aux femmes purgeant une peine fédérale de faire ce qui suit :
- retrouver leur fierté et leur dignité de femmes et de mères;
- restaurer un sentiment de valeur, de dignité et d’espoir;
- reconstruire leurs familles et leurs communautés;
- jeter des ponts entre les sociétés autochtones et non-autochtones;
- promouvoir la guérison de la Terre et de toutes ses créatures.
Le pavillon de ressourcement sera un lieu où l’on pourra… :
- Organiser des rassemblements saisonniers pour célébrer les quatre points cardinaux.
- Organiser des cérémonies, notamment la suerie, le jeûne, les cérémonies du calumet, les festins, les cérémonies U-Wipi, la tente tremblante, la cérémonie du bain de cèdre, les cérémonies du don, les danses du soleil, les cérémonies de la danse de la pluie et toutes les autres cérémonies liées au bien-être spirituel et culturel.
- Partager les enseignements des traditions orales où les cérémonies peuvent être protégées, où la renaissance de la langue, des coutumes, des croyances et des méthodes traditionnelles d’enseignement et de guérison peut se faire de manière naturelle.
- Recréer les relations avec toutes les créatures qui partagent la Terre.
- Promouvoir les méthodes traditionnelles d’enseignement et d’apprentissage.
- Héberger sur place les enfants dont les parents résident au pavillon de ressourcement.
- Fournir un cadre pour des expériences d’apprentissage partagées par les Autochtones et les non-Autochtones.
- Créer une base économique qui permette l’agriculture et l’autosuffisance de la terre, la cueillette d’herbes et de plantes pour l’alimentation et la médecine, ainsi que la culture biologique de produits de serre.
- Créer une base économique qui permettra l’autosuffisance et encouragera l’artisanat autochtone tel que le tannage des peaux, etc. qui débouchera sur un magasin d’artisanat authentique.
4. Les pavillons de ressourcement gérés par la communauté continuent de manquer cruellement de ressources
L’une des différences les plus nettes entre les pavillons de ressourcement gérés par la communauté et ceux gérés par le SCC réside dans la manière dont ils sont financés. Un financement adéquat a toujours été un problème, en particulier pour les pavillons de ressourcement relevant de l’article 81. Bien que les particularités de chaque accord de financement varient, en général, ils fonctionnent selon un modèle de financement de contribution quotidienne, les pavillons facturant leurs coûts au SCC sur la base de taux pré-approuvés. Ces accords sont temporaires, fonctionnent sur des cycles de cinq ans et sont soumis à des modifications et à l’approbation du SCC. Par conséquent, ces pavillons de ressourcement, ces communautés et ces organisations n’ont aucun sentiment de permanence et très peu de contrôle. En outre, ces dispositions ne laissent que très peu de marge de manœuvre aux pavillons gérés par la communauté pour financer les dépenses quotidiennes, et encore moins pour couvrir les frais imprévus.
Si ce modèle de financement précaire présente des inconvénients inhérents en temps normal, les conséquences de la pandémie de COVID-19 ont particulièrement mis en évidence ses vulnérabilités. Avec des taux d’occupation en baisse, qui ont une incidence sur les taux de financement des allocations quotidiennes, le SCC a été contraint de mettre en place une formule de financement temporaire pour maintenir à flot les pavillons de ressourcement gérés par la communauté. À la décharge du SCC, un organisme communautaire nous a dit qu’il avait reçu des fonds d’urgence pour payer l’électricité au plus fort de la pandémie, mais que le SCC avait récupéré près de la moitié de la somme versée l’année suivante. Ces solutions permanentes, temporaires et de fortune démontrent non seulement la réticence du SCC à formaliser le transfert du contrôle et des ressources aux organisations communautaires, mais aussi un manque de confiance inhérent dans les communautés pour gérer et affecter les fonds sur la base de leur propre évaluation des besoins.
Dans le cadre de l’enquête Une question de spiritualité , le Bureau a noté en particulier les écarts considérables entre le financement des pavillons de ressourcement relevant de l’article 81 et celui des pavillons gérés par le SCC. Plus précisément, on a constaté que le coût annuel par résident dans les pavillons de ressourcement contrôlés par le SCC était d’environ 113 450 $, contre 70 845 $ dans les pavillons gérés par la communauté, soit environ 62 % du taux fixé par le SCC. Dix ans plus tard, alors que le financement global alloué aux pavillons de ressourcement a augmenté, la disparité entre les établissements gérés par le SCC et ceux relevant de l’article 81 est devenue encore plus préoccupante.
Comparaison des coûts annuels des pavillons de ressourcement (exercice2023-2024)
Selon les données sur les affectations budgétaires fournies par le SCC, en 2023-2024, les dépenses du SCC pour les pavillons de ressourcement relevant de l’article 81 ne représentent que 34 % de ses dépenses totales pour les pavillons de ressourcement. En outre, pour les six pavillons de ressourcement gérés par la communauté, le Service dépense la moitié de ce qu’il dépense pour les quatre pavillons gérés par le SCC. En d’autres termes, le SCC dépense actuellement environ deux fois plus pour les pavillons gérés par le Service que pour ceux qui sont gérés par la communauté. Lorsqu’on examine les coûts par personne, le SCC dépense encore en moyenne environ 40 % de moins (environ 100 000 dollars de moins par personne) par résident qui purge sa peine dans un pavillon de ressourcement géré par la communauté que par résident dans un pavillon géré par le SCC. En d’autres termes, comme c’était le cas en 2013, le SCC continue de payer un peu moins de 62 cents par dollar aux pavillons de ressourcement relevant de l’article 81 par rapport à ce qu’il dépense pour les résidents des pavillons gérés par l’État. 27 L’examen du seul financement global montre clairement que le SCC a non seulement continué à privilégier le financement de ses propres pavillons gérés par le SCC, mais qu’il a également creusé l’écart qui existait déjà il y a dix ans. En outre, comme le Bureau l’a entendu lors de ses entrevues, le Service a tenu les communautés dans l’ignorance des sources de financement disponibles et de la manière de les obtenir. Comme nous l’a dit une personne,
« Le SCC ne dit pas aux pavillons de ressourcement quels fonds sont disponibles. Personne ne sait quels montants sont disponibles. Il y a beaucoup d’argent dans les Services de soins de santé et les Services correctionnels pour les Autochtones… Cet argent n’est pas dépensé. Où va-t-il? Et ils veulent que nous prenions [les Autochtones] ayant des besoins complexes, mais nous avons besoin de plus d’argent, nous devons pouvoir payer du personnel plus qualifié pour s’occuper d’eux, et le SCC ne dit à personne quels fonds sont disponibles. Pourquoi? »
Le sous-financement chronique des pavillons gérés par les communautés, en particulier par rapport aux pavillons gérés par l’État, illustre la façon dont le SCC a en fait monté ces pavillons les uns contre les autres et a mené une guerre d’usure discrète qui a mis les pavillons relevant de l’article 81 en difficulté.
Il n’est pas surprenant que les conséquences de ces écarts de financement aient une incidence sur tous les aspects du fonctionnement des pavillons de ressourcement. Sur la base des diverses visites sur place et des entrevues menées ces dernières années, le Bureau a constaté des différences significatives entre les pavillons gérés par le SCC et ceux gérés par la communauté, notamment, mais pas exclusivement, les suivantes :
- l’infrastructure vieillissante des installations;
- la capacité à recruter, former et maintenir en pose le personnel;
- les disparités dans les salaires du personnel pour des emplois équivalents;
- le financement des produits de base quotidiens, tels que la literie et les produits d’hygiène;
- le financement de programmes, d’activités ou de cérémonies;
- la capacité de transporter les résidents vers les programmes et services communautaires;
- la capacité à aider les personnes ayant des besoins complexes en matière de santé mentale et physique.
La disparité du financement des salaires et de la formation du personnel est de loin la préoccupation la plus fréquemment citée lors de l’examen des charges financières pesant sur les pavillons gérés par la communauté. Certains de ces sites ont indiqué que leur personnel pouvait gagner jusqu’à la moitié du salaire d’un agent pénitentiaire dans un établissement comparable du SCC. « Nous sommes payés comme une personne travaillant dans le commerce de détail », nous a dit une employée, en précisant qu’elle avait trois emplois pour joindre les deux bouts. Une autre employée d’un pavillon relevant de l’article 81 a indiqué qu’elle gagnait 30 000 dollars de moins par an que ce qu’elle gagnerait en faisant le même travail pour le SCC.
L’une des principales conséquences de l’absence de salaires compétitifs est qu’elle crée des difficultés tant pour le recrutement initial que pour le maintien en poste du personnel, une fois qu’il a appris les ficelles du métier. Comme nous l’a dit une personne, « le salaire de départ est très dissuasif. Le personnel vient ici pour de bonnes raisons, mais il est impossible de vivre avec ce salaire ». La rotation du personnel, et en particulier la perte de personnel au profit des pavillons du SCC qui peuvent payer un salaire nettement plus élevé, est un problème de longue date dans les pavillons communautaires, qui crée un sentiment d’instabilité parmi le personnel et les résidents. Un membre du personnel nous a raconté que la première question qu’il avait reçue d’un résident lors de sa prise de fonction était : « Allez-vous rester assez longtemps pour apprendre nos noms? »
La gestion d’un pavillon de ressourcement est une responsabilité coûteuse pour les communautés, dont les coûts constituent un frein important à la conclusion d’un accord, en particulier lorsque le SCC ne les indemnise pas de manière adéquate pour assumer une telle responsabilité. Depuis des décennies, les pavillons gérés par les communautés sont obligés d’exploiter chaque dollar au-delà de ce que l’on peut raisonnablement attendre et demander d’elles, en capitalisant apparemment sur le dévouement, la bonne volonté ou la « vocation » à faire ce travail de leurs employés. Comme l’a dit un membre du personnel, « ce n’est pas l’argent, ce sont les résidents qui me font rester ici. C’est l’amour qui me fait rester ici ».
5. Les pavillons de ressourcement gérés par la communauté sont un investissement très utile
À première vue, la trajectoire des trente dernières années en ce qui concerne les pavillons de ressourcement dans le système correctionnel canadien ne semble pas être une réussite retentissante. Rétrospectivement, la décision du SCC d’abandonner ses efforts pour conclure de nouveaux accords, de réorienter les fonds des pavillons de ressourcement vers des initiatives en milieu carcéral (à un moment donné, il s’est même opposé au modèle des pavillons de ressourcement) a été un premier signe que les espoirs d’expansion étaient en train de s’évanouir. Néanmoins, le fait que le SCC n’ait pas investi dans les pavillons de ressourcement ne prouve pas que ces pavillons ne méritent pas de bénéficier d’un financement.
De nombreuses études menées par le SCC ont démontré que les pavillons de ressourcement constituent une alternative communautaire efficace aux services correctionnels. Par exemple, une étude récente menée par le service de recherche du SCC sur l’incidence des pavillons de ressourcement sur la réinsertion et les résultats communautaires s’est révélée positive. L’étude a permis de constater que, par rapport à un échantillon apparié d’individus dans des prisons ordinaires, les résidents des pavillons de ressourcement étaient plus susceptibles de terminer des programmes correctionnels et autres, et de participer à davantage de permissions de sortir avec ou sans escorte, ainsi qu’à des placements à l’extérieur. Lorsque l’on compare les résultats des résidents des pavillons gérés par le SCC à ceux des résidents des pavillons relevant de l’article 81, on constate qu’au cours de leur peine, les résidents des pavillons gérés par la communauté se sont davantage améliorés dans la plupart des domaines (p. ex. problèmes familiaux ou conjugaux, toxicomanie et comportement dans la communauté). Bien qu’il n’y ait pas de différences significatives dans les taux de suspension ou de révocation, les personnes libérées d’un pavillon de ressourcement géré par la communauté ont passé plus de temps dans la communauté avant leur première suspension ou révocation, comparé aux personnes libérées d’un pavillon géré par le SCC. 28
Le succès et les avantages des pavillons de ressourcement ne se limitent toutefois pas à compter le nombre de nouveaux accords ou à examiner les retours en détention au SCC après la mise en liberté. Le Service a depuis longtemps l’habitude de mesurer le succès de ses initiatives en utilisant les données et les indicateurs de rendement existants et disponibles qui peuvent être facilement extraits de son propre système interne d’entrepôt de données. Si ces mesures peuvent être instructives, elles présentent des limites et des préjugés inhérents, en particulier lorsqu’il s’agit de mesurer les progrès réalisés en matière de guérison, en tenant compte des spécificités culturelles, qui plus est. Au contraire, un regard sur ce qui se passe à l’intérieur de ces pavillons et sur ce que cela signifie pour la vie des résidents, du personnel et de la communauté montre de manière plus convaincante pourquoi ils ne sont pas simplement une meilleure solution de rechange aux prisons, mais un modèle plus humain digne d’un investissement plus important. Qu’il s’agisse de l’environnement physique, de la mentalité et de la culture du personnel, de la qualité des programmes ou de l’accès à la communauté, lors de nos visites et entrevues, les résidents et le personnel des pavillons de ressourcement gérés par la communauté nous ont fait part de certains des éléments clés qui ont le plus d’incidence sur leur vie et qui démontrent leur valeur importante.
Environnement et personnel
Tout d’abord, l’environnement du pavillon de ressourcement, tant sur le plan physique que sur le plan de l’ ambiance ou du sentiment , a été cité comme l’une des caractéristiques les plus puissantes du pavillon de ressourcement. Qu’il s’agisse de l’importance moindre accordée à la sécurité et à la séparation, ou du comportement et même de la tenue vestimentaire du personnel, les pavillons communautaires font des efforts délibérés et sincères pour donner le ton d’un lieu qui est effectivement différent d’une prison. Nous avons observé le personnel et les résidents interagir dans les espaces communs, parfois en échangeant des plaisanteries, d’une manière et dans un style qui témoignent avant tout d’un sentiment de chaleur, de respect mutuel et de dignité. En outre, nous avons entendu et observé comment le personnel s’efforce d’atténuer le déséquilibre des pouvoirs, en envoyant plutôt le message que le personnel et les résidents doivent être perçus et traités comme étant sur un pied d’égalité. Comme nous l’a dit un membre du personnel, « lorsque vous les traitez comme des numéros, ils finissent par se réduire à ces numéros ». Les sortir de ce statut de simple numéro et les traiter comme des humains, c’est leur rendre leur identité ». Un résident a comparé son expérience au pavillon de ressourcement à celle dans son établissement précédent : « Ils m’ont offert un espace où je pouvais être moi-même, et je n’avais pas besoin de guérir rapidement ».
En effet, la relation entre le personnel et les résidents était l’une des différences les plus convaincantes entre les prisons, les pavillons gérés par le SCC et ceux gérés par la communauté. Un résident d’un pavillon géré par la communauté, qui avait récemment été transféré d’un centre d’hébergement géré par le SCC, nous a confié : « Ici, le personnel est plus productif; il fait des efforts, parfois en payant de sa poche, pour vous montrer qu’il se préoccupe de vous ». À la maison de ressourcement Buffalo Sage, l’un des pavillons de ressourcement pour femmes relevant de l’article 81, un membre du personnel a résumé la situation en ces termes : « Ce travail est vraiment axé sur les relations et l’établissement de rapports avec le personnel et entre les personnes. Il y a un grand respect mutuel et les femmes se sentent en sécurité. »
Outre l’espace physique et le personnel, la disponibilité de soutiens culturels, en particulier le soutien apporté par les Aînés, et l’accès à des cérémonies plus régulières ont été soulignés comme étant quelques-uns des plus grands atouts de ces pavillons. « La culture et les Aînés, voilà ce qui m’a sauvée », nous a dit une résidente. L’avantage qui a été le plus souvent évoqué est, de loin, l’importance du rôle des Aînés pour guider les résidents, leur faire connaître leur culture, les aider à mieux comprendre leur propre vie, les initier aux cérémonies, pour la première fois de leur vie, pour certains, dans un lieu et un espace qui sont plus propices à la guérison. Comme nous l’a confié une ancienne résidente du pavillon de ressourcement :
« Les pavillons de ressourcement sont la meilleure solution, ils doivent s’éloigner de cette sous-culture carcérale. Ils ont peu confiance en eux; les jeunes sont influencés par les autres, car ils n’ont pas d’identité. Il faudrait demander à un groupe d’Aînés, de véritables personnes traditionnelles qui connaissent la culture, d’enseigner aux résidents… mais faut que cela se fasse en dehors du système carcéral ».
Disponibilité de meilleurs programmes
Malgré les difficultés de financement, la disponibilité, la souplesse et les types de programmes et d’activités proposés aux résidents ont également été cités comme un avantage important. Par exemple, des programmes comme Esprit du guerrier et En quête du guerrier en vous , parmi d’autres programmes qui ont été abandonnés par le SCC en 2010 apparemment en faveur d’un nouveau modèle de programmes correctionnels intégrés, continuent d’être mis en œuvre dans certains pavillons gérés par la communauté. De nombreux résidents et membres du personnel ont exprimé leur frustration quant au fait que les hommes et les femmes des établissements ordinaires ne peuvent plus bénéficier de ces programmes. Un membre du personnel a résumé comme suit son point de vue sur l’ensemble des « programmes correctionnels pour les Autochtones » qui sont actuellement mis en œuvre dans les prisons du SCC :
« Le contenu ne fait qu’évoquer des concepts pan-autochtones, les passe rapidement sous silence, coche une case indiquant que les enseignements autochtones ont été couverts d’une manière ou d’une autre, et ensuite vous passez à autre chose. Mais ces enseignements ne sont pas abordés de manière assez approfondie pour avoir un impact ».
Bien qu’un examen et une comparaison complets des programmes correctionnels du SCC ne fassent pas partie du champ de la présente enquête, les résidents ont condamné sans équivoque la qualité de l’ensemble des programmes correctionnels actuels « pour les Autochtones ». De plus, les personnes qui ont fait partie du système correctionnel assez longtemps pour avoir connu les différentes approches en matière de programmes ont exprimé leur gratitude et leur soulagement à l’égard des pavillons de ressourcement gérés par la communauté, qui reconnaissent leur valeur et continuent d’offrir à leurs résidents les anciens programmes propres aux Autochtones. En comparant l’ancien et le nouveau modèle de programmes, un résident a déclaré : « C’est plus difficile, mais c’est ce qui permet d’atteindre une véritable guérison ».
Accès à la communauté
D’autres avantages des pavillons de ressourcement gérés par la communauté ont été évoqués au cours de nos entrevues, notamment le rôle important et l’implication de la communauté. Les résidents nous ont dit que l’engagement positif dans la communauté, qu’il s’agisse d’activités de bénévolat formel pour aider à rendre la pareille, ou simplement de promenades et de présence dans la communauté, les a aidés à trouver progressivement une place et un rôle dans la communauté, d’une manière qui n’est tout simplement pas disponible pour ceux qui purgent leur peine dans une prison. Comme l’a dit un membre du personnel, « cela leur donne l’occasion de travailler sur eux-mêmes. Ils repartent avec un sentiment d’appartenance ». Les avantages se répercutent également sur les membres de la communauté, non seulement en leur offrant des possibilités d’emploi dans les pavillons, mais aussi en leur donnant l’occasion de participer de manière unique au processus de réinsertion et de renforcement de la communauté.
Dans l’ensemble, s’il existe de nombreuses preuves empiriques et anecdotiques de l’ efficacité des pavillons de ressourcement gérés par la communauté, malgré le manque de ressources et de soutien, il existe une raison plus convaincante d’investir dans ces pavillons : le fait que les peuples autochtones l’ont dit. Ces pavillons présentent un modèle prometteur, mais sous-utilisé, qui est disponible pour les services correctionnels depuis des décennies et qui pourrait avoir une incidence importante sur la surreprésentation. Si la surreprésentation n’est pas uniquement la conséquence du système correctionnel lui-même, il est très clair que les diverses initiatives, les plans stratégiques et les cadres élaborés par le système correctionnel pour « traiter » ce problème de longue date n’ont pratiquement rien fait pour remédier à la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral.
En outre, bien qu’ils aient contribué à tracer le cours de l’histoire, à enregistrer l’expérience humaine et à servir d’instruments pour nous demander des comptes, nous n’avons pas besoin de plus de commissions, d’études, de rapports ou d’appels à l’action sur les services correctionnels pour les Autochtones pour savoir que les solutions ne résulteront pas de l’habillage du système correctionnel existant avec les atours extérieurs de la culture . Nous avons besoin d’actions concrètes et de résultats mesurables. Pour guider ces actions, les services correctionnels doivent revenir à la vision initiale des pavillons de ressourcement gérés par la communauté et tenir les promesses qu’ils n’ont pas tenues. Ce n’est pas seulement dans l’intérêt des personnes qui se trouvent dans le système correctionnel, c’est aussi l’occasion pour les services correctionnels de faire preuve d’un véritable leadership parmi les divers établissements canadiens qui ont lutté, traîné les pieds ou carrément ignoré les plans élaborés pour eux par les peuples autochtones d’hier et d’aujourd’hui.
Conclusion et recommandations
« Vous m’avez toujours dit qu’il fallait du temps. Cela a pris le temps de mon père, de ma mère, de mon oncle, de mes frères et sœurs, de mes nièces et de mes neveux. Combien de temps voulez-vous pour vos « progrès »? »
– James Baldwin
L’une des conclusions les plus troublantes de cette enquête est que, depuis que le Bureau a mené l’enquête Une question de spiritualité , peu de choses ont changé, pour le mieux, en ce qui concerne les pavillons de ressourcement et les personnes qui pourraient en bénéficier. De nombreux écarts qui existaient il y a dix ans subsistent aujourd’hui et, dans certains cas, semblent s’être creusés. La proportion d’Autochtones derrière les barreaux a augmenté de 11 % au cours de la décennie qui a suivi la publication du premier rapport Une question de spiritualité . Les Autochtones représentent désormais près d’un tiers de la population carcérale fédérale, et les femmes autochtones, environ la moitié de toutes les femmes derrière les barreaux. Seulement 2 % de tous les Autochtones purgent actuellement leur peine dans un pavillon de ressourcement géré par la communauté, un chiffre bien inférieur à ce que les rédacteurs de la vision des pavillons de ressourcement ou de l’article 81 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) auraient pu espérer. Trente ans plus tard, ce que l’on peut retenir, c’est que le statu quo n’a pas permis, et ne permettra pas d’inverser cette tendance.
La stagnation générale et les revirements dans le développement des pavillons de ressourcement en particulier sont la preuve d’un système qui a choisi de ne pas tirer profit des mécanismes, des ressources et des conseils qui lui ont été donnés pour changer la trajectoire de la surreprésentation des Autochtones dans le système correctionnel. Cette situation s’explique en grande partie par le fait que les peuples et les communautés autochtones ont été tenus en marge du processus décisionnel. Pour ajouter l’insulte à l’injure, cette situation a envoyé le même message que les institutions coloniales ont envoyé à des générations d’Autochtones : continuez à attendre nos progrès. Alors que le système ne fait que bidouiller des solutions, combien de temps encore les communautés autochtones devront-elles attendre que leurs parents, leurs voisins et leurs proches continuent de croupir derrière les barreaux? En tant qu’ombudsman des établissements pénitentiaires fédéraux, mes pouvoirs se limitent à formuler des recommandations et à faire entendre ceux qui se sentent souvent sans voix. Mais je reconnais qu’un énième rapport ne contribuera guère à ramener les gens chez eux. Nous espérons toutefois qu’un exercice de rétrospection visant à évaluer les promesses et les recommandations qui n’ont pas été tenues et qui n’ont pas été respectées permettra d’éclairer les mesures concrètes qui doivent être mises en œuvre maintenant afin de parvenir à un véritable changement.
Pour conclure avec des mots qui sonnent aussi vrai aujourd’hui que lorsqu’ils ont été écrits en mars 1992, voici un extrait du rapport du comité de planification des pavillons de ressourcement et du cercle des Aînés :
À l’heure où les dirigeants de notre pays tentent de trouver de nouvelles façons de travailler ensemble et de tracer une voie différente pour le Canada, nous considérons notre engagement en faveur d’un partenariat sur les pavillons de ressourcement comme un petit exemple clair de ce même effort. Si nous réussissons, l’impact sera important. Les femmes autochtones incarcérées font partie des personnes les plus défavorisées et privées de leurs droits au Canada. Améliorer leur situation, c’est améliorer notre pays.
Suite aux conclusions de l’enquête sur les pavillons de ressourcement, je recommande au ministre de la Sécurité publique de demander au SCC ce qui suit :
- Financer une initiative nationale externe d’engagement, menée par des Autochtones, afin de créer des capacités, de l’intérêt et de l’innovation parmi les communautés et les organisations autochtones (urbaines et rurales) afin de conclure des accords au titre des articles 81 et 84 pour la prise en charge, la garde et la supervision des Autochtones sous le coup d’une peine fédérale.
- Élaborer des actions claires, des calendriers, des objectifs mesurables et des résultats à atteindre , et en rendre compte publiquement :
- impliquer plus efficacement les communautés et les organisations autochtones dans la conclusion d’un plus grand nombre d’accords relevant de l’article 81, en particulier dans les domaines où des lacunes ont été constatées (par exemple, en Ontario et dans la région de l’Atlantique, pour les femmes autochtones et les personnes originaires des régions nordiques, en milieu urbain);
- établir des accords relevant de l’article 81 dans les zones urbaines et rurales;
- transférer le contrôle et la propriété des pavillons de ressourcement existants gérés par le SCC à la communauté locale, ou à un groupe ou une organisation autochtone, relevant de l’article 81 de la LSCMLC, dans un délai de trois ans.
- Travailler avec les pavillons de ressourcement relevant de l’article 81 pour déterminer les principales causes des taux d’inoccupation et déterminer les mesures à prendre pour augmenter et maintenir des taux d’occupation plus élevés, en accordant une attention particulière aux points suivants :
- Développer de nouveaux outils de classification de sécurité rigoureusement validés pour les peuples autochtones, à partir de la base, afin de réduire leur surreprésentation dans les établissements à sécurité moyenne et maximale, conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Ewert , 2018;
- Examiner et modifier les politiques et les pratiques relatives aux indicateurs de groupes menaçant la sécurité (gangs) en vue de faciliter la suppression de ces indicateurs, le cas échéant;
- Élaborer et mettre en œuvre une stratégie de désaffiliation et de sortie des gangs gérée par des personnes et/ou des organisations communautaires autochtones;
- Accroître la disponibilité de soins tenant compte des traumatismes dans les établissements pour femmes et pour hommes et la possibilité pour les personnes autochtones incarcérées de recevoir des diagnostics et des traitements appropriés en matière de santé mentale;
- Augmenter le nombre d’Autochtones qui passent à des niveaux de sécurité inférieurs (par exemple, en acceptant des populations à sécurité moyenne) et accélérer les transferts vers les pavillons de ressourcement, en particulier ceux relevant de l’article 81.
- Élaborer, en collaboration avec les communautés et les organisations, un nouveau modèle de financement pour les accords relevant de l’article 81 et augmenter considérablement le financement des pavillons de ressourcement relevant de l’article 81 afin de mieux répondre à leurs besoins particuliers et de remédier aux disparités existantes avec les pavillons gérés par l’État, en vue d’atteindre la parité en matière de ressources.
Une route droite et étroite : Une enquête sur les initiatives des Sentiers autochtones du SCC
« J’ai voulu participer à l’initiative des Sentiers autochtones pour me connecter à la culture dont j’étais privé ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones 29
« Pour la plupart, nous sommes là pour l’initiative de Sentiers autochtones, mais beaucoup ne sont pas là pour la culture. Leur comportement n’est pas celui de personnes qui suivent un plan de guérison. Ils ne sont là que parce que c’est bon pour eux sur le papier ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
« Beaucoup de ces gars ont été affectés par le colonialisme, je crois en la résilience. Je crois, aussi sûrement que je suis assis ici, que ces gars peuvent changer. Les responsables de la libération conditionnelle doivent penser que le passé prédit l’avenir, mais je ne suis pas d’accord ».
– Aînés de l’initiative des Sentiers autochtones
« Ils pensent que c’est la culture qui m’a amené ici. C’est l’alcool et la douleur qui m’ont amené ici ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
« Ils disent que nous devons nous engager, mais chacun de ces gars est prêt à s’engager si vous faites les choses correctement. Le SCC ne devrait pas avoir le pouvoir discrétionnaire de déterminer qui se qualifie pour la guérison… »
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
Introduction and Context
L’initiative des Sentiers autochtones est considérée comme une intervention emblématique de l’approche du SCC en matière de services correctionnels pour les Autochtones, bien que ses objectifs généraux ne soient pas du tout clairs et qu’elle ait connu plusieurs itérations depuis son lancement en 2001 :
Changement hasardeux des objectives de la stratégie des Sentiers autochtones
2001 … contribuer à la réduction du taux d’incarcération des délinquants autochtones. 30
2003 … réduire leur taux de réincarcération [des délinquants autochtones] et augmenter la probabilité d’une réinsertion réussie dans la communauté. 31
2013 L’initiative des Sentiers autochtones est avant tout une initiative de guérison intensive dirigée par un Aîné, qui renforce un mode de vie traditionnel autochtone… en accord avec les valeurs et les croyances traditionnelles autochtones. 32
2017 … favoriser la guérison afin que les hommes retournent dans la communauté en tant que membres à part entière de leur famille et de leur communauté. 33
2019 … [une] initiative qui promeut la guérison holistique et renforce un mode de vie autochtone traditionnel en offrant des interventions de guérison intensives et adaptées à la culture à un groupe de délinquants dévoués et engagés. 34
2023 … donner aux délinquants qui se sont engagés sur la voie de la guérison l’occasion de participer à des interventions culturelles et spirituelles accrues afin de s’attaquer aux facteurs de risque criminogènes. 35
En l’absence d’un document de référence unique et avec de lignes directrices en constante évolution qui ne semblent pas s’accorder sur un objectif fondamental, l’enquête sur les initiatives des Sentiers autochtones du SCC a représenté un défi unique. D’une manière générale, nous comprenons que Sentiers autochtones :
- est une initiative qui facilite la mise en place de programmes intensifs, d’interventions et d’autres activités pour les personnes qui suivent un « plan de guérison »;
- a l’intention d’offrir plus que les services habituels fournis par le SCC au reste des personnes autochtones en détention;
- est conçu comme un environnement intensif dirigé par un Aîné, dans lequel les participants sont censés maintenir un niveau élevé d’engagement dans une voie de guérison traditionnelle, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7;
- est proposé aux trois niveaux de sécurité afin d’offrir un continuum de soins 36 :
- Les établissements à sécurité maximale disposent d’un petit nombre de places destinées à préparer les participants à passer à des interventions de Sentiers autochtones à sécurité moyenne. On parle parfois de programme d’intervention préparatoire aux Sentiers autochtones. 37
- C’est dans les établissements à sécurité moyenne que les interventions et les programmes les plus intensifs de l’initiative des Sentiers autochtones sont mis en œuvre pour atteindre les objectifs du plan de guérison et de la planification correctionnelle. Les Sentiers autochtones à sécurité moyenne disposent d’une unité ou d’une rangée dédiée.
- Les établissements à sécurité minimale accueillent des personnes qui sont passées par des initiatives de Sentiers autochtones à sécurité plus élevée et qui se préparent à la mise en liberté dans la communauté. 38
- En tant qu’environnements à plusieurs niveaux de sécurité, les établissements pour femmes offrent le continuum complet des initiatives des Sentiers autochtones, qui sont intégrées à d’autres interventions propres aux délinquantes.
Les premières unités de vie ou de type résidentiel de l’initiative des Sentiers autochtones ont été ouvertes en 2002 dans trois établissements à sécurité moyenne pour hommes. À l’époque, l’objectif de l’initiative des Sentiers autochtones était d’offrir aux délinquants autochtones un environnement de type pavillon de ressourcement dans le cadre d’un établissement classique. L’expansion initiale et subséquente de l’initiative des Sentiers autochtones, qui sont passés de trois à sept en 2006, a en fait été financée par des ressources du Conseil du Trésor qui ont été détournées du développement des pavillons de ressourcement communautaires pour être affectées à des interventions en milieu carcéral. 39 Un financement supplémentaire en 2009-2010 a permis d’augmenter le nombre d’initiatives des Sentiers autochtones à 25 (avant le regroupement).
Aujourd’hui, avec un budget total de 3,6 millions de dollars (2022-2023) représentant 5 % des allocations budgétaires du SCC pour toutes les initiatives autochtones, il y a environ 350 places pour Sentiers autochtones répartis dans 22 établissements fédéraux. En janvier 2023, 262 personnes étaient affectées à Sentiers autochtones (75 % de la capacité d’accueil) et 72 étaient sur liste d’attente. Au total, les personnes inscrites sur la liste d’attente ou participant à l’initiative des Sentiers autochtones représentent 8 % de l’ensemble de la population autochtone en détention. 40 Dans les établissements autonomes à sécurité maximale du SCC, 41 le programme d’intervention préparatoire aux Sentiers autochtones a une capacité totale de 21 places, dont 12 (57%) étaient occupées en janvier 2023. Ces douze personnes représentent 3 % de l’ensemble des Autochtones détenus dans les établissements autonomes à sécurité maximale du SCC (N = 400).
Nombre total de places sur liste d’attente, de places attribuées et de lits pour les initiatives de passerelles, par région Aperçu à partir de janvier 2023
Pour ajouter à la complexité générale, chaque initiative des Sentiers autochtones est adaptée aux besoins et à la capacité de l’établissement et au niveau de sécurité. Il existe toutefois certains critères standard qui orientent la sélection des candidats, l’examen des progrès et les évaluations visant à déterminer si les candidats sont prêts à être transférés à un niveau de sécurité inférieur :
- Engagement avec les Aînés/conseillers spirituels;
- Abstinence de consommation de substances illicites;
- Pas de violence;
- Pas de frais institutionnels;
- Engagement et participation à leur plan de guérison/planification correctionnelle;
- Participation au programme;
- Comportement respectueux envers le personnel et les autres délinquants;
- Participation constante aux cérémonies, aux cercles et aux séances de conseils;
- Lien avec la communauté et plan pour l’avenir.
Comme le montre le présent document, bien que le respect et l’application de ces critères varient d’un établissement à l’autre, il est clair que la participation à l’initiative des Sentiers autochtones ne convient pas à tout le monde et exclut la plupart des personnes. En fait, la barre semble être placée si haut que seuls les candidats les plus dociles, les plus engagés et les plus dévoués sont admis. Par conséquent, étant donné le petit nombre de places consacrées à l’initiative des Sentiers autochtones, son impact global sur la lutte contre la surreprésentation, et a fortiori sur sa réduction, est négligeable.
L’enquête initiale intitulée Une question de spiritualité n’a pas examiné en détail l’initiative des Sentiers autochtones. Dans son rapport annuel 2014-2015, le Bureau a indiqué que les résultats positifs attribués à l’initiative des Sentiers autochtones 42 sont probablement dus au profil unique des participants eux-mêmes et que « ceux qui réussissent dans l’initiative des Sentiers autochtones bénéficieraient d’une libération conditionnelle supervisée plus tôt ». Dans le même ordre d’idées, le rapport annuel 2017-2018 du Bureau a fait quelques références à l’initiative des Sentiers autochtones, suggérant ce qui suit:
De même qu’il existe plusieurs cheminements jusqu’à la prison pour les Autochtones (pauvreté, violence familiale, toxicomanie, traumatismes et abus intergénérationnels), il doit y avoir plus d’une voie de sortie. ... Attendre d’une personne d’ascendance autochtone qu’elle suive un chemin de guérison ou des traditions culturelles autochtones lorsqu’elle est emprisonnée est une chose, mais en faire un facteur déterminant pour sa libération en est une autre. ... L’approche de l’initiative des Sentiers autochtones… semble quelque peu étroite d’esprit, voire condescendante.
L’initiative des Sentiers autochtones s’est développée et a bénéficié de ressources externes et internes considérables depuis plus de 20 ans. Cependant, il y a eu très peu d’examens externes sur la façon dont elle fonctionne, qui elle sert, ou même si elle fonctionne. En tant qu’intervention correctionnelle dans le cadre du continuum de soins du SCC pour les personnes autochtones, l’initiative des Sentiers autochtones n’a pas fait l’objet d’une validation indépendante ou d’une évaluation externe.
Enquête en cours
Les objectifs de cette enquête sont triples :
- Examiner la politique, les procédures et les pratiques de l’initiative des Sentiers autochtones, en se concentrant sur les critères d’admissibilité, les objectifs et les résultats.
- Examiner le fonctionnement quotidien des unités et des rangées de l’initiative des Sentiers autochtones, principalement dans les établissements à sécurité moyenne pour hommes.
- Documenter les expériences vécues par le personnel et les participants de l’initiative des Sentiers autochtones avec leurs propres mots.
Avant de nous lancer dans le présent rapport, nous tenons à remercier toutes les personnes qui continuent à s’efforcer de faire fonctionner l’initiative des Sentiers autochtones. Malgré les nombreux obstacles et défis auxquels ils sont confrontés, le personnel de l’initiative des Sentiers autochtones, les Aînés et les aidants persévèrent pour soutenir les personnes autochtones incarcérées. Nous exprimons également notre gratitude aux nombreuses personnes autochtones purgeant des peines fédérales qui ont rencontré les membres de notre Bureau en toute bonne foi, pour partager leurs histoires et leurs expériences dans l’espoir que leurs voix puissent faire la différence.
En rédigeant ce rapport, nous sommes conscients de la responsabilité qui nous a été confiée de partager leurs expériences vécues.
En plus de l’examen de la documentation du SCC relative à l’initiative des Sentiers autochtones, des entrevues semi-structurées en personne ont été menées avec des personnes incarcérées et des membres du personnel de huit établissements, soit 124 personnes au total.
Établissement (niveau de sécurité) | Province | Participants | Personnel | Aînés, conseillers spirituels et assistants |
Springhill (moyenne) | N.-É. | 5 | 4 | 1 |
Dorchester (minimale/moyenne) | N.-B. | 7 | 2 | 1 |
Archambault (minimale/moyenne) | Qc | 7 | 4 | 1 |
Grand Valley (multiple) | Ont. | 3 | 1 | 1 |
Stony Mountain (minimale/moyenne) | Man. | 29 | 11 | 3 |
Pénitencier de la Saskatchewan (minimale/moyenne) | Sask. | 14 | 7 | 1 |
Grande Cache (moyenne) | AB | 9 | 5 | 2 |
Pacifique (moyenne) | BC | 3 | 2 | 1 |
Total | 8 | 77 | 36 | 11 |
Au cours de cette enquête, mon Bureau a constaté qu’une minorité de participants avaient une opinion favorable de l’initiative des Sentiers autochtones. Nous avons également observé que, de la sélection des participants à l’implication des Aînés et à l’accès aux activités culturelles, il y avait beaucoup de différences et d’incohérences dans la mise en œuvre et le fonctionnement de l’initiative des Sentiers autochtones. Plus important encore, nous avons constaté que l’initiative des Sentiers autochtones s’adresse à une cohorte trop restreinte pour faire la différence et que les personnes qui bénéficient le plus de cette initiative pourraient être tout aussi bien, voire mieux, servies dans un cadre non carcéral.
Ce qui suit est un résumé de ce que nous avons entendu de la part du personnel, des Aînés et des participants dans toutes les régions, ainsi que des recommandations qui ont émergé au cours de l’enquête. Les principales conclusions sont regroupées en cinq thèmes plus larges, chacun identifiant les lacunes, les défis et les insuffisances de l’intervention.
1. Problèmes de conformité avec les éléments clés des lignes directrices de l’initiative des Sentiers autochtones
Une initiative rarement dirigée par un Aîné
Conformément aux lignes directrices (LD) 702-1 du SCC - Création et fonctionnement des initiatives des Sentiers autochtones , l’initiative des Sentiers autochtones est « avant tout une initiative de guérison intensive dirigée par un Aîné 43 ». Dans la pratique, nous n’avons trouvé qu’une seule initiative des Sentiers autochtones qui pouvait se targuer d’être dirigée par un Aîné. 44 Les autres, en raison de l’absence d’Aînés ou d’une culture institutionnelle qui en diminuait la valeur, n’ont pas respecté ce qui est sans doute la caractéristique la plus innovante et la plus centrale de l’initiative.
« L’initiative des Sentiers autochtones devrait être dirigée par un Aîné, mais ils nous utilisent quand cela leur convient. ... Les décisions ne tiennent généralement pas compte des perspectives culturelles des Aînés ».
– Aîné de l’initiative des Sentiers autochtones
Un certain nombre d’établissements ont eu du mal à retenir les Aînés de l’initiative des Sentiers autochtones ou leur disponibilité n’était pas constante. Dans un établissement, le personnel a cité la pénurie d’Aînés due aux effets persistants de la COVID-19, qui a contraint les Aînés à trouver « d’autres sources de revenus » comme ils « éprouvaient des difficultés à honorer leurs contrats ». D’autres ont proposé une explication différente. Un membre du personnel a donné cette explication : « De nombreux Aînés en ont eu assez de ne pas être écoutés, ce qui fait qu’ils sont peu motivés pour revenir et s’engager ». Les personnes interrogées ont souvent parlé du « manque de respect flagrant » dont sont victimes les Aînés. Les participants ont exprimé leur frustration d’avoir vu des Aînés de l’initiative des Sentiers autochtones être écartés et rejetés par le personnel du SCC :
« Les Aînés ont leur propre mandat. Ils aimeraient qu’il y ait plus d’interaction, plus de chants et de cérémonies. Les Aînés et les détenus de l’initiative des Sentiers autochtones partagent la même vision, mais la direction crée des obstacles et des restrictions ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
Dans les établissements où des Aînés de l’initiative des Sentiers autochtones n’étaient pas toujours disponibles, presque tous les participants ont exprimé des inquiétudes quant à l’absence de tentes de sudation, de séances de purification matinale, de conseils personnalisés et d’activités en soirée. En conséquence, les participants ont déclaré qu’ils se sentaient négligés.
« Nous avons besoin d’Aînés à qui parler ou d’une communauté avec laquelle faire des choses. L’Aîné a cessé de venir. Je pensais que nous participions à l’initiative des Sentiers autochtones pour découvrir notre culture et d’autres choses, mais il ne se passe rien ici ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
Lacunes dans la fourniture de services culturels
L’initiative des Sentiers autochtones a été conçue pour fournir « des conseils individuels plus intensifs, un accès accru aux cérémonies et une plus grande capacité à suivre un sentier de guérison autochtone plus traditionnel… » (LD 702-1). En outre, ces lignes directrices précisent que « les services offerts doivent être supérieurs aux services que le SCC est tenu de mettre à la disposition de tous les délinquants autochtones». Lors des visites d’établissements, nous avons observé que, dans l’ensemble, l’initiative des Sentiers autochtones fournit davantage de services et de soutiens culturels que ce dont peuvent bénéficier les participants qui ne participent pas à l’initiative. Cependant, les services culturels destinés aux personnes qui ne participent pas à l’initiative des Sentiers autochtones sont souvent insuffisants pour répondre à une interprétation, même modeste, des articles 4 (g), 80 et 83 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition . 45 Le rapport de l’automne 2016 du Bureau de l’auditeur général fait écho à ce constat :
Dans l’ensemble, nous avons constaté que les délinquants autochtones n’avaient pas accès en temps opportun aux programmes correctionnels du Service correctionnel du Canada, y compris ceux qui sont conçus expressément pour répondre à leurs besoins. ... Le Service correctionnel du Canada n’avait pas vérifié s’il offrait un accès suffisant à des interventions correctionnelles adaptées à la culture pour répondre aux besoins de la population délinquante autochtone. 46
Bien que les participants à l’initiative des Sentiers autochtones reçoivent plus de services que ceux qui ne participent pas à l’initiative, ils ont soulevé de nombreuses préoccupations concernant la prestation d’activités et de services culturels, notamment les conflits avec les programmes correctionnels, le manque d’espace et la disponibilité d’aliments culturels.
Un participant plus âgé, qui avait initialement l’intention de s’engager dans un sentier de guérison traditionnelle, a décidé qu’il en avait assez : « J’ai demandé à mon [agent de libération conditionnelle] de me retirer de l’initiative des Sentiers autochtones parce que je n’en retire rien ». Ce sentiment était communément exprimé dans la plupart des établissements que nous avons visités.
Dans certains établissements, bien que des activités et des services culturels soient disponibles, ils entrent souvent en conflit avec les horaires des programmes correctionnels et professionnels de base. En tant qu’organisation, le Service semble systématiquement accorder moins d’importance aux services destinés aux Autochtones. Au cours des entrevues, nous avons souvent entendu dire que les activités du parcours de guérison des Autochtones étaient reléguées au second plan par rapport aux programmes de base , qui sont les marqueurs établis des progrès et de la réhabilitation pour les décideurs. En conséquence, les participants à l’initiative des Sentiers autochtone sont souvent pris entre des priorités contradictoires : s’améliorer en participant aux cérémonies et à la culture et en s’engageant avec l’Aîné, ou améliorer ses chances de libération en participant à des programmes correctionnels :
« Les programmes l’emportent sur tout. Le temps des détenus est accaparé par les programmes. Les cérémonies et les activités liées aux plans de guérison sont en concurrence avec les programmes. Si quelqu’un participe à l’un et pas à l’autre, il est pénalisé par l’autre ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
« Je travaille à l’atelier d’artisanat et il arrive que les sueries ou les cérémonies se déroulent pendant que nous travaillons. Nous nous sentons déchirés entre les programmes correctionnels et le plan de guérison de l’initiative des Sentiers autochtones ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
Lorsque les Aînés sont absents et qu’il n’y a pas de soutien pour maintenir l’engagement des participants, l’initiative des Sentiers autochtones s’appuie fortement sur d’autres interventions, telles que les programmes correctionnels, l’emploi, l’école et la formation professionnelle. Cependant, comme l’a expliqué un membre du personnel, « il n’y a qu’un nombre limité de places dans les programmes et un nombre limité d’emplois pour les gens, donc si les gens s’ennuient, c’est là que nous commençons à voir des problèmes ». Pour une initiative qui attend de ses participants qu’ils « suivent leur sentier de guérison 24 heures sur 24, sept jours sur sept » et qui rend obligatoire « la participation aux activités, aux cérémonies et aux séances de conseils de l’initiative des Sentiers autochtones », il n’y a vraiment aucune excuse à l’oisiveté involontaire ou excessive.
Au cours des entrevues, les participants à l’initiative des Sentiers autochtones, les Aînés et les membres du personnel ont fait un certain nombre de suggestions pour améliorer les services culturels pour tous les Autochtones derrière les barreaux (et pas seulement pour l’initiative des Sentiers autochtones). Par exemple, de nombreuses personnes interrogées ont indiqué qu’il fallait davantage d’espaces, de possibilités et de ressources matérielles pour les loisirs et l’artisanat culturels. Parmi les autres demandes, citons l’augmentation du nombre d’endroits où l’on peut faire de la purification (les sites de purification sont limités par la présence de détecteurs de fumée et d’une ventilation appropriée), l’amélioration de l’accès aux aides communautaires et de la communication avec ces communautés, ainsi que l’amélioration de la communication avec les groupes communautaires.
Un certain nombre de participants ont demandé plus d’apprentissages des langues : « Certains d’entre nous veulent apprendre leur langue. Nous voulons des livres, des cours, ou même que l’Aîné vienne nous enseigner les bases - bonjour, au revoir, asseyez-vous , mais nous n’obtenons aucune réponse ». La relation entre la culture, la spiritualité et la langue est indissociable. Comme l’explique l’écrivain Bob Joseph, la perte de la langue « rompt le lien entre un peuple et sa culture ».
« Dans les sociétés orales, lorsque les mots disparaissent, les histoires, les systèmes de valeurs, les connaissances spirituelles et écologiques, les visions du monde, les récits et les chansons disparaissent également. Cette perte est irremplaçable ». 47
Les aliments culturels et les traditions alimentaires figuraient souvent dans la liste des demandes. Au cours des entrevues, les participants au programme Sentiers autochtones et les Aînés ont parlé de l’accès aux aliments culturels et de l’importance de la nourriture dans les cérémonies. Un participant a déclaré : « Les fêtes après les sueries ont été supprimées; il y a trop de règles et de restrictions concernant les cérémonies. Certains Aînés préfèrent ne pas avoir de suerie s’ils ne peuvent pas avoir de festin ». Un Aîné d’un autre établissement a parlé de l’importance de la nourriture et des traditions alimentaires dans le processus de guérison : « Nous devons mettre davantage l’accent sur la préparation des aliments, le partage de la nourriture, le fait de manger ensemble et le concept de famille. C’est très symbolique et beaucoup de participants n’ont pas connu ces expériences dans leur enfance ».
Les cérémonies saisonnières, les repas communautaires, les potlatchs, les marches médicales, les pow-wows, l’allumage des qulliq, les festins et les cadeaux, les réveillons métis et les célébrations de la communauté inuite sont autant d’activités qui favorisent la guérison grâce à des relations positives.
– Commission de vérité et de réconciliation 48
Dans certains établissements, cependant, les participants à l’initiative des Sentiers autochtones ont établi des liens similaires entre l’absence ou le refus de traditions alimentaires et les privations coloniales auxquelles ils ont été soumis dans les pensionnats indiens. Comme l’a dit une personne : « Ma mère était dans un pensionnat; nous sommes traités de la même manière ici que dans les pensionnats. Pas de festin. Pas de culture. Pas de nourriture traditionnelle ».
Il s’agit là encore d’un exemple d’institution coloniale dictant les termes de l’engagement avec les peuples autochtones, les forçant à adapter leurs manières à la culture dominante. Si l’intention du SCC est d’offrir un « accès accru aux cérémonies » et des possibilités de suivre un sentier de guérison plus traditionnel, il doit alors reconnaître l’importance des espaces et des remèdes sacrés, le rôle des communautés et des familles élargies, et le caractère central de la langue et de l’alimentation dans les conceptions autochtones de la santé et du bien-être.
« J’ai fréquenté un pensionnat et j’ai l’impression de revivre cela. On me gronde et on me dit quoi faire. Je souffre d’anxiété depuis mon enfance et j’y fais face en consommant des drogues et de l’alcool. ... Je ne ressens pas d’anxiété dans la cérémonie de la suerie, mais lorsque les portes des cellules se referment avec fracas, je suis très angoissé. Après le décès de mes [PROCHES], je me suis engagé à aller danser pour eux, mais j’avais besoin d’aide pour m’y préparer. J’essaie de rester abstinent et positif, mais il n’y a rien ici pour nous ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
Tolérance zéro pour la consommation de drogues et d’alcool
Selon les lignes directrices 702-1, « La consommation de substances intoxicantes de toutes sortes y est bannie ». Dans la pratique, cependant, nous avons entendu des opinions divergentes concernant l’exigence d’abstinence et nous avons observé une grande discrétion dans l’application de cette ligne directrice. La question de la consommation de drogues chez les Autochtones qui suivent un sentier de guérison exige une approche beaucoup plus nuancée et équilibrée que la simple abstinence.
D’une part, la nécessité de critères d’admission clairs et d’attentes fermes à l’égard des personnes résidant dans une unité de l’initiative des Sentiers autochtones a fait l’objet d’un consensus général. L’initiative des Sentiers autochtones offre un espace sûr et la possibilité aux individus de se stabiliser, de se réorienter et de se réengager vis-à-vis des enseignements, de la spiritualité et d’un mode de vie traditionnel. La présence de drogues dans un tel espace peut perturber ce processus.
« Ce serait une bonne chose de responsabiliser les gars. C’est pour éliminer ceux qui ne veulent pas être ici. Si les gars consomment des substances au sein de l’unité, ils n’aident pas leurs frères. Les gens peuvent voir la drogue et la sentir. Vous activez des déclencheurs qui nous mèneront à notre perte ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
« La tolérance zéro est la meilleure solution. Lorsque nous sommes indulgents et que nous agissons au cas par cas, nous laissons trop de place aux problèmes et il est difficile de les gérer si les participants sont autorisés à s’en tirer à bon compte. Comment gérer les risques si les personnes inscrites dans l’initiative des Sentiers autochtones consomment des substances? Nous devons veiller à ce que les attentes soient claires ».
– Personnel de l’initiative des Sentiers autochtones
« L’augmentation de la consommation de drogues affecte les interactions avec le personnel et les autres détenus. Nous accomplissons notre travail avec un esprit sain, un corps sain et une bonne conscience. Ils ne sont pas censés être sous l’influence de drogues pendant la cérémonie et le pavillon, mais lorsqu’ils le sont, cela interfère avec notre travail et c’est épuisant ».
– Conseiller spirituel
D’autre part, une approche de tolérance zéro est intrinsèquement punitive et incompatible avec un traitement de la toxicomanie fondé sur des preuves. L’esprit même de l’initiative des Sentiers autochtones est de rétablir les relations, de réparer les torts et de renforcer les capacités. Dans l’ensemble, les membres du personnel que nous avons interrogés ont reconnu les mérites d’une approche plus réaliste de la consommation de drogues dans le cadre de l’initiative des Sentiers autochtones. Une personne a parlé de la consommation de substances comme d’un « facteur d’histoire sociale », au même titre que l’appartenance à un gang, les séquelles de la violence intergénérationnelle.
« Je crois au cas par cas. Je donnerais une chance aux Autochtones, étant donné que la toxicomanie est un facteur dynamique important. Il n’est pas juste d’exclure des personnes sur la base de ce facteur. D’autres peuvent se plaindre de l’équité des évaluations au cas par cas, mais c’est la décision de l’Aîné. La tolérance zéro est comme une peine minimale obligatoire. À ceux qui s’opposent au système du cas par cas, je dis que la rechute fait partie de la guérison. L’initiative des Sentiers autochtones est une unité de guérison, pas une unité « guérie » ».
– Personnel de Sentiers autochtones
En réalité, les Autochtones placés sous la garde des autorités fédérales sont aux prises avec des problèmes de consommation et d’abus de substances. Selon une étude menée par le SCC 49 , 97 % des femmes autochtones purgeant une peine fédérale ont fait état d’une toxicomanie problématique au cours de l’année précédant leur arrestation, contre 71 % des femmes non-autochtones. Par rapport à 49 % des femmes non-autochtones, 80 % des femmes autochtones ont un problème de toxicomanie modéré ou grave. Les recherches du SCC ont également révélé que 84 % des hommes autochtones ont un besoin modéré ou élevé de toxicomanie, contre 55 % des hommes non-autochtones 50 ). Nous avons été confrontés à cette réalité lors des entrevues.
« J’ai fréquenté des pensionnats, des externats et douze foyers d’accueil. Beaucoup d’entre nous qui sommes allés en prison sont sortis des pensionnats, donc la prison n’est rien pour nous. Depuis, je n’ai jamais cessé de violer les règles. Consommation d’alcool, non-respect des règles. Je ne suis pas un criminel, je suis un alcoolique! »
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
En fait, nous avons constaté que la toxicomanie n’empêche pas l’admission à l’initiative des Sentiers autochtones. Pratiquement tous les établissements que nous avons visités s’efforcent de lutter contre la consommation problématique de drogues dans le cadre de l’initiative des Sentiers autochtones, tout en répondant aux besoins individuels et collectifs. Le personnel nous a expliqué ce qui suit : « Les personnes qui ont des ordonnances peuvent être surveillées. Si nous constatons qu’ils éprouvent des difficultés, nous les orientons vers un médecin. Quand les participants vont bien, nous devons être plus indulgents à l’égard des rechutes ». Un participant a raconté ce qui suit :
« J’ai échoué à deux tests d’urine, mais je voulais m’inscrire à l’initiative des Sentiers autochtones pour retrouver mes habitudes culturelles. J’ai rencontré les Aînés dans les cercles de résolution. ... Ils savent que je me bats contre des dépendances. Ce jour-là, j’ai pris un engagement vis-à-vis des Aînés et de mon parcours de guérison ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
Un certain consensus s’est dégagé sur la valeur de la médiation dans les « cercles » avec les Aînés et sur l’importance d’un dépistage régulier et aléatoire des drogues, non pas à des fins de punition, mais pour réglementer la présence de drogues dans l’unité et pour soutenir le processus de guérison. Un système de tests urinaires réguliers, de conseils et de traitements, géré conjointement par les services de santé et les Aînés, semble justifié. Le point de désaccord semble être la question de savoir si la consommation de drogues devrait entraîner une exclusion automatique de l’initiative des Sentiers autochtones, comme l’illustre la déclaration suivante :
« La médiation est importante dans le cercle pour déterminer l’engagement sur le sentier. Dans le cadre de la politique de tolérance zéro, nous organiserions un cercle à discuter, mais le détenu serait exclu de l’initiative des Sentiers autochtones. Maintenant, dans le modèle moins rigide, un cercle est organisé pour prendre une décision ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
En réalité, l’absence d’Aînés et d’activités peut accroître l’oisiveté et aggraver la consommation de drogues dans l’unité de l’initiative des Sentiers autochtones. La majorité des personnes interrogées ont indiqué que pendant la pandémie de COVID-19, les initiatives de l’initiative des Sentiers autochtones dans tout le pays ont été gravement perturbées, ce qui, selon le personnel et les participants, a entraîné une augmentation de la consommation de drogues. Comme l’a expliqué un participant, « la COVID est arrivée et il n’y avait pas de progrès à faire, alors nous sommes tous tombés dans l’oubli et avons consommé des drogues ». C’était également le cas à l’Établissement Stony Mountain. Cependant, à l’automne 2022, les aînés de l’Établissement ont rencontré la direction de l’établissement pour évaluer l’approche de tolérance zéro, et ont finalement décidé d’abandonner l’abstinence en faveur d’un modèle qui traite la rechute au cas par cas. D’autres établissements semblent suivre cet exemple, et les lignes directrices récemment révisées du SCC semblent prêtes à supprimer complètement cette exigence. 51
2. Seuils d’admission restrictifs pour la participation à l’initiative des Sentiers autochtones
Au cours de l’enquête, mon Bureau a constaté que la manière dont les lignes directrices et les critères d’admission étaient interprétés et appliqués variait considérablement d’un établissement à l’autre, la moitié des participants affirmant que la procédure était équitable et l’autre moitié, qu’elle ne l’était pas. Malgré des lignes directrices nationales relativement simples 52 (c’est-à-dire l’engagement des Aînés, l’engagement dans le sentier traditionnel, la volonté de s’abstenir de consommer des substances illicites, de commettre des actes de violence et de participer à l’activité de gangs), nous avons constaté une grande variabilité dans la manière dont les candidats étaient effectivement sélectionnés pour l’initiative des Sentiers autochtones. Alors que certains établissements admettent pratiquement toute personne exprimant un intérêt pour l’initiative des Sentiers autochtones, d’autres ont relevé le seuil. La barre était parfois placée si haut que seuls les candidats les plus dociles, les plus engagés ou les plus dévoués 53 pouvaient espérer y être acceptés.
En outre, il n’est pas évident qu’il y ait une différence substantielle entre les personnes « prêtes » pour l’initiative des Sentiers autochtones et celles « prêtes » pour le pavillon de ressourcement. L’évaluation normative des exigences en matière de comportement pour la sélection, la participation et le placement semble plus ou moins la même dans les deux cas : motivation, engagement, dévotion. Ce que nous suggérons, c’est que, selon toute vraisemblance, les Autochtones qui répondent aux critères d’admission à l’initiative des Sentiers autochtones n’ont pas vraiment besoin d’être maintenus dans les pénitenciers et pourraient tout aussi bien poursuivre leur sentier de guérison dans un pavillon de ressourcement communautaire. Reproduire l’environnement d’un pavillon de ressourcement dans le cadre d’un pénitencier semble non seulement redondant, mais aussi condescendant.
Les initiatives des Sentiers autochtones et les pavillons de ressourcement semblent fonctionner sur la base de l’exclusivité plutôt que de l’inclusion, et constituer des lieux de résidence pour les détenus les plus prometteurs, les plus méritants ou les plus « gérables». Les statistiques semblent confirmer la convergence de ces deux conclusions. En moyenne, au cours des cinq dernières années, 6% des personnes autochtones détenues sous responsabilité fédérale ont participé à l’initiative des Sentiers autochtones et 6 % à des pavillons de ressourcement.
Instantané d’une journée des personnes indigènes dans le monde Sentiers, pavillons de guérison et garde fédérale (2019 à 2023)
Une autre façon de formuler la question est d’utiliser le langage des droits et des privilèges. Le sentier vers la guérison et de la récupération ne devrait-il être accessible qu’à un sous-ensemble des peuples autochtones en détention, ceux qui y gagnent leur accès et prouvent qu’ils ont droit à ce privilège ? D’autre part, la guérison et la récupération sont-elles un droit reconnu aux Autochtones sous le coup d’une peine fédérale? Dans la pratique, il semble que la participation à l’initiative des Sentiers autochtones, et la voie vers la guérison et l’amélioration qu’il promet soit proposée comme une sorte d’avantage ou de privilège . Certaines des personnes interrogées ont insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une approche préjudiciable.
« On nous dit que l’accès à l’[unité de ressourcement] est un privilège, mais selon moi, c’est mon droit en tant que Métis, qu’Autochtone… Chaque autochtone devrait automatiquement avoir droit à la guérison en vertu du fait qu’il est autochtone. L’initiative des Sentiers autochtones est utilisée comme une arme pour permettre ou refuser la guérison d’une personne… ils utilisent l’initiative des Sentiers autochtones pour nous récompenser et nous punir sous le couvert de la guérison et de l’amélioration ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
En créant un système dans lequel une poignée de personnes qui s’engagent à suivre un mode de vie traditionnel peuvent accélérer leur accès aux options de libération, alors que la grande majorité ne se voit jamais offrir un tel choix ou s’en voit exclue et reste en prison, le SCC peut perpétuer des conditions d’inégalité et de discrimination qui conduisent à la surreprésentation des prisonniers autochtones. Le fait de ne pas s’engager auprès de la majorité des peuples autochtones ou de les disqualifier de manière efficace conduit à un enracinement accru des gangs, de la drogue et de la violence derrière les barreaux. Le SCC doit continuer à identifier les candidats prometteurs pour les options de réinsertion accélérée, mais il doit également élargir son champ d’action et offrir les avantages de l’initiative des Sentiers autochtones à tous les Autochtones incarcérés dans des établissements fédéraux, y compris les 90 % qui n’y participent pas actuellement.
L’initiative des Sentiers autochtones n’est pas pour tout le monde
« Tout le monde ne veut pas vivre dans la culture autochtone et nous ne pouvons pas les forcer à le faire. En disant aux détenus autochtones qu’ils doivent faire ceci et penser comme cela, etc., c’est comme si nous recréions les pensionnats à l’envers ».
– Personnel de l’initiative des Sentiers autochtones
Bien que certains accueillent favorablement la possibilité de suivre un sentier de guérison traditionnel et que d’autres considèrent les sentiers comme une solution de rechange sûre et attrayante à la population générale, la grande majorité des personnes autochtones détenues par le gouvernement fédéral ne sont pas impliquées dans le continuum de soins autochtones du SCC. En nous demandant ce qui peut retenir les candidats admissibles, nous avons appris que, pour certains, les attentes en matière de comportement sont vraiment décourageantes. Comme l’a dit un participant, « si vous ne vous identifiez pas vraiment à la culture, cela peut faire beaucoup ».
Il y a aussi ceux qui ne s’intéressent pas au « chemin rouge de la guérison » ou qui n’ont pas l’intention de se désaffilier des gangs. L’obligation de s’abstenir de consommer des drogues ou d’éviter d’être impliqué dans des gangs peut être perçue comme un seuil trop élevé. De ce fait, certains Autochtones pensent qu’ils enfreindront inévitablement la loi s’ils sont libérés sous conditions, et considèrent leur peine comme « la vie par échelonnement ». Nous avons entendu dire que certains Autochtones (en particulier les plus jeunes) se sont résignés à un retour inévitable en détention.
« Certains trouvent qu’il est plus facile de sortir et d’enfreindre la loi, de revenir et de sortir à la [date d’expiration du mandat] sans condition ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
« Les gars dont la date de libération est proche sont moins susceptibles de participer à l’initiative des Sentiers autochtones. Ils ne veulent pas bâcler le programme parce qu’ils le respectent et qu’ils ne veulent pas faire semblant de vivre une vie qu’ils ne poursuivront pas dans la rue. Rester sobre est un seuil trop difficile à atteindre. Ils se connaissent ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
Les personnes qui souscrivent à cette vision du monde se retrouvent souvent parmi les personnes identifiées comme solides en dehors des unités de vie spéciales telles que celles de l’initiative des Sentiers autochtones. Pour ces personnes, participer à l’initiative des Sentiers autochtones peut être perçu comme un signe de faiblesse. Comme l’a expliqué une personne incarcérée depuis longtemps :
« Dans un quartier ordinaire, on ne parle pas aux agents correctionnels ni aux Aînés, on ne profite pas des avantages des systèmes de soutien. Tout le monde fait son temps normal. Ils font leur temps et rien d’autre, et ils se forgent la réputation de détenus dits « solides » … Les jeunes et les autres membres de gangs considèrent que l’initiative des Sentiers autochtones est destinée aux faibles, et lorsque vous faites partie d’une unité de détenus « dignes de confiance » ou [de gang], vous ne voulez pas être considéré comme faible, mais plutôt comme aussi puissant que possible ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
Enfin, de nombreuses personnes autochtones incarcérées peuvent préférer un meilleur accès à l’enseignement supérieur et à des opportunités professionnelles intéressantes plutôt que de suivre une voie traditionnelle vers la guérison.
Quel est l’avantage de l’initiative des Sentiers autochtones pour les condamnés à perpétuité?
Les Autochtones représentent un peu plus d’un quart des personnes détenues condamnées à une peine d’emprisonnement à perpétuité ou à une peine d’une durée indéterminée. 54 En pratique, les personnes condamnées à une peine d’emprisonnement à perpétuité ou à une peine d’emprisonnement de durée indéterminée (ci-après les condamnés à perpétuité ) ne sont pas censées participer à des programmes correctionnels visant à accélérer le passage à des niveaux de sécurité inférieurs et la réinsertion dans la communauté. Cette attente est même ancrée dans la culture correctionnelle, car il est plus difficile pour les condamnés à perpétuité d’accéder aux programmes et autres activités correctionnelles au début de leur peine. Dans ce contexte, les initiatives telles que Sentiers autochtones, qui facilitent le transfèrement et préparent les détenus à la libération dans la communauté dans un laps de temps restreint, ne sont généralement pas considérées comme étant adaptées aux condamnés à perpétuité, à moins qu’ils ne soient proches de l’admissibilité à la libération conditionnelle ou d’une réévaluation vers un niveau de sécurité minimale. Comme l’a dit un membre du personnel de Sentiers autochtones :
« Un condamné à perpétuité qui vient de passer au niveau de sécurité moyenne ne devrait pas participer à l’initiative des Sentiers autochtones pendant six ans; il n’est pas prêt pour ce programme pendant des années. L’examen semestriel est inutile pour les condamnés à perpétuité. Lorsque je fais des évaluations pour ces personnes [condamnés à perpétuité], je ne change pratiquement rien, à moins qu’elles n’aient achevé des programmes. Leur niveau de sécurité ne change pas ».
Il n’est pas surprenant que les condamnés à perpétuité connaissent des résultats différents en tant que participants de l’initiative des Sentiers autochtones par rapport aux personnes (souvent plus jeunes) condamnées à une peine de durée déterminée . 55 Le SCC décrit les participants idéaux comme étant ceux « à qui il ne resterait pas plus d’un an avant de passer à un niveau de sécurité inférieur » (lignes directrices 702-1). Comme l’a dit l’une des personnes interrogées, « les délinquants purgeant de longues peines et les délinquants dangereux sont souvent négligés, alors que les jeunes, les détenus récemment admis ou les personnes condamnées à de courtes peines sont rapidement transférés ». Un autre participant a fait part de son expérience comme suit :
« Cela fait deux ans que je suis au centre et six mois que je participe à l’initiative des Sentiers autochtones. En tant que condamnés à perpétuité, nous sommes mis à l’écart et il faut plus de temps pour obtenir un transfèrement. Il est difficile d’obtenir des évaluations, comme pour les évaluations en vue d’un transfèrement. À moins qu’il n’y ait une date de libération conditionnelle à venir, vous serez ignoré ».
Cependant, malgré des résultats moins bons et moins de mesures d’incitation, nous avons constaté au cours des entrevues que les condamnés à perpétuité autochtones, que ce soit en raison de leur âge plus avancé ou d’une plus grande affinité avec la culture et la spiritualité, étaient souvent plus , intrinsèquement motivés pour suivre un cheminement de guérison traditionnel. Pourtant, de par sa conception, le processus d’admission à l’initiative des Sentiers autochtones est plus restrictif pour les condamnés à perpétuité. Conformément aux lignes directrices 702-1 du SCC 56 :
Les condamnés à perpétuité ou les autres délinquants qui n’ont pas la possibilité d’être transférés à un niveau de sécurité inférieur ou de bénéficier d’une libération conditionnelle dans les trois ans peuvent participer à l’initiative des Sentiers autochtones, le cas échéant. Le nombre de places disponibles pour les condamnés à perpétuité ne devrait normalement pas dépasser 20 % de la capacité d’accueil.
Pour ne rien arranger, les condamnés à perpétuité motivés qui progressent dans leur plan de guérison, qui sont engagés et qui font preuve d’une « bonne conduite » sont toujours rejetés pour des transferts vers des placements de niveau de sécurité inférieure. Au lieu d’interrompre la participation des condamnés à perpétuité au bout de trois ans, le SCC pourrait reconnaître leur engagement par des récompenses plus significatives (par exemple, des permissions de sortir avec escorte [PSAE], des transferts vers un niveau de sécurité inférieure et des transferts vers des pavillons de ressourcement).
Utiliser les unités de l’initiative des Sentiers autochtones pour alléger la pression démographique
Lors des entrevues, nous avons appris que le personnel des établissements ne respecte pas toujours les critères d’admission et de placement pour l’initiative des Sentiers autochtones. Lorsque des cellules vides sont disponibles sur l’unité des Sentiers autochtones, elles peuvent être utilisées comme n’importe quelle autre cellule. Dans certains établissements, les problèmes de dépassement de capacité sont résolus en attribuant des places réservées aux participants de l’initiative des Sentiers autochtones à des personnes (souvent non-autochtones) qui n’y participent pas. Dans ces situations, la priorité semble être de « remplir les places » plutôt que de déterminer les participants admissibles à l’initiative des Sentiers autochtones. Lorsque nous avons présenté ce problème aux responsables des opérations du même établissement, ils nous ont fourni l’explication suivante :
« Il y a des délinquants difficiles qui sont placés dans la rangée parce qu’il n’y a pas d’autre endroit où les placer dans l’établissement. Ce sont des Autochtones, mais ils ne répondent pas aux critères de l’initiative des Sentiers autochtones. C’est un endroit de rechange où l’on peut mettre les détenus quand il n’y a pas d’autre solution. Ces personnes sont prioritaires par rapport aux délinquants déjà inscrits sur une liste d’attente. Parfois, cela fonctionne et ces personnes s’intègrent bien. Parfois, ce n’est pas le cas ».
Dans un autre établissement, un cadre supérieur de l’initiative des Sentiers autochtones a expliqué comment les détenus sont «balancés dans l’unité… pour réduire la pression démographique ». En décembre 2022, douze des personnes résidant dans l’unité des Sentiers autochtones à sécurité moyenne (financée pour 40 places) n’avaient pas participé à l’intervention. Bien que la situation se soit améliorée, il n’est pas facile de faire partir les personnes qui ne font pas partie de l’initiative des Sentiers autochtones. Le membre du personnel s’est plaint de ce qui suit : « Je dois les remplacer par quelqu’un d’autre, et cette personne ne convient pas toujours ». Un autre membre du personnel a décrit la situation comme suit :
« Si une place se libère, on y met quelqu’un.… Tout le monde est mélangé, ce qui contamine le fonctionnement de l’initiative des Sentiers autochtones. Mais nous recevons aussi des demandes [légitimes] pour l’initiative des Sentiers autochtones au moyen de lettres et de candidatures, et nous devons donc faire en sorte de les intégrer dans l’initiative lorsqu’une place se libère ».
L’entreposage des détenus qui ne participent pas à l’initiative des Sentiers autochtones et les difficultés rencontrées pour les faire sortir de l’unité ont provoqué un goulot d’étranglement. Comme l’a dit un participant, « il y a d’autres gars qui veulent participer à l’initiative des Sentiers autochtones, mais qui ne peuvent pas le faire parce qu’il n’y a pas de place ».
Le nombre de participants étant déjà faible, le fait que les places de l’initiative des Sentiers autochtones soient utilisées pour entreposer des personnes qui ne participent par à l’initiative remet en question l’intégrité de celle-ci. Elle montre également que les initiatives institutionnelles visant à soutenir les Autochtones sont vulnérables à l’obstruction de la part du personnel opérationnel.
3. Mauvais traitements infligés par le personnel opérationnel
« Les participantes [à l’initiative des Sentiers autochtones] ne sont pas traitées comme des femmes autochtones en voie de guérison par le personnel du SCC. Elles sont toujours des détenues. Il faut s’efforcer de changer le discours. Le terme « détenue » est synonyme de colonisation ».
– Aîné
La plainte la plus fréquente que nous avons entendue de la part des participants à l’initiative des Sentiers autochtones et du personnel de tous les établissements concernait de loin l’insensibilité culturelle et le manque de respect de certains agents correctionnels. Bien qu’il s’agisse d’une minorité, la présence d’agents correctionnels insensibles à la culture perturbe fortement la stabilité de l’initiative des Sentiers autochtones.
« Certains gardiens font preuve de racisme. Ils partent du principe que nous avons tout, que nous sommes spéciaux. Le [GARDE] m’appelle toujours « chef » et pense que parce que je suis « Autochtone », j’ai tout, et je ne le mérite pas. En ce qui concerne la rénovation de la salle de bain, ils disent que nous n’avons pas besoin de rénover et de peindre l’endroit. Ils pensent que nous agissons comme si nous étions dans notre bon droit. Je dirais que huit gardiens sur dix ont cette attitude ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
Au cours des entrevues, nous avons appris que certains membres du personnel opérationnel, en particulier les agents involontairement 57 affectés aux unités de l’initiative des Sentiers autochtones, font preuve d’un manque de compréhension et de volonté d’apprendre la culture et l’histoire autochtones, ainsi que les traumatismes subis par les Autochtones. Ces attitudes se reflètent également dans la manière dont ils ont traité le personnel de l’initiative des Sentiers autochtones et les Aînés. Certains membres du personnel opérationnel font également des remarques désobligeantes ou méprisantes sur l’initiative des Sentiers autochtones, faisant preuve d’insensibilité, de discrimination et d’un manque d’information :
« Les agents sont notre plus grand défi; parfois, ils ne comprennent pas notre culture ou manquent de sensibilité culturelle ».
– Personnel de l’initiative des Sentiers autochtones
De nombreuses personnes interrogées ont évoqué le fait que certains agents exprimaient leur dégoût face à l’odeur de la cérémonie de purification par la fumée ou empêchaient les Aînés d’accéder à l’initiative des Sentiers autochtones alors qu’ils n’avaient pas le pouvoir discrétionnaire de le faire.
« Les gardes adoptent des attitudes qui remettent en question notre guérison culturelle, comme lorsque nous faisons la cérémonie de purification par la fumée et qu’ils se plaignent de l’odeur. Nombreux sont ceux qui considèrent qu’il s’agit de racisme. Lorsque nous nous plaignons de leur attitude, nous sommes accusés d’agressions verbales ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
« Le personnel CX est tellement irrespectueux, nous avons besoin d’un personnel qui se préoccupe de nous. Ils se bouchaient le nez quand ils passaient à côté de nous lors de la cérémonie de purification par la fumée ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones
Dans un établissement, des agents correctionnels ont déposé une plainte en vertu de l’article 127.1 (1) du Code du travail du Canada pour fumée secondaire à cause d’une cérémonie de purification par la fumée organisée dans l’unité ». 58 Les aînés, les agents de liaison autochtone (ALA) et les participants sont maintenant tenus d’organiser la cérémonie à l’extérieur. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi les agents n’étaient pas sélectionnés avec plus de soin, le gestionnaire correctionnel responsable de l’unité de l’initiative des Sentiers autochtones a répondu :
« Aucun agent correctionnel ne veut travailler ici parce qu’il est difficile de travailler avec des détenus autochtones. Vous savez, ils jouent la carte de la race, et je comprends, ils sont provoqués par des agents en uniforme en position d’autorité, il est donc difficile pour les agents correctionnels de travailler ici ».
Bien que le SCC se soit engagé à plusieurs reprises à fournir à son personnel une formation sur la « compétence culturelle », notre enquête sur l’initiative des Sentiers autochtones suggère qu’il y a beaucoup de possibilités d’amélioration. Il s’agirait notamment de recruter, de maintenir en poste et de promouvoir davantage de personnel de première ligne et d’encadrement partageant des expériences vécues.
4. Gestion des cas et établissement de rapports
Exigences en matière d’établissement de rapports rigides et souvent redondantes
Dans son audit de 2016 sur le fonctionnement du SCC, intitulé La préparation des détenus autochtones à la mise en liberté , le Bureau du vérificateur général (BVG) a émis la recommandation suivante :
Le SCC devrait veiller à ce que les délinquants autochtones soient évalués en vue d’une éventuelle réduction de leur niveau de sécurité à la suite d’un événement important, comme la réussite d’un programme correctionnel, afin de favoriser leur réinsertion sociale.
En réponse, le SCC a déclaré qu’il « veillerait à ce que la planification correctionnelle initiale de chaque délinquant décrive clairement les événements importants […] qui nécessiteront une réévaluation du niveau de sécurité du délinquant […] ». Deux ans plus tard, en janvier 2018 (voir le Bulletin de politique 586), le SCC a ajouté ce qui suit aux articles 8 et 9 de la Directive du commissaire 710-6, Réévaluation de la cote de sécurité des détenus :
8. Pour les détenus autochtones, un examen de la cote de sécurité… sera effectué dans les trente jours suivant la réussite d’un programme principal (selon la date du rapport final du programme) pour les détenus ayant une cote de sécurité maximale ou moyenne.
9. Pour les détenus autochtones qui participent à des interventions préparatoires à l’initiative des Sentiers autochtones ou à des unités de l’initiative, un examen du classement de sécurité… sera entrepris au moins tous les six mois et terminé dans les trente jours suivant la réunion d’examen des progrès de l’initiative des Sentiers autochtones.
Remarque : Texte mis en gras par notre bureau.
Les cadres supérieurs de l’initiative des Sentiers autochtones ont indiqué qu’en raison du rapport et de la recommandation du BVG, il y a eu une demande accrue de rapports réguliers, de suivi et d’examens, y compris l’examen semestriel du classement de sécurité des délinquants. Le personnel chargé de l’initiative des Sentiers autochtones dans tous les établissements a exprimé sa frustration face à la rigidité et à la redondance des examens du classement de sécurité des délinquants.
« Une bonne gestion des cas exige de passer du temps avec les détenus pour faire des interventions significatives, parler des traumas, mais je perds mon temps avec ces examens. J’aimerais savoir ce qu’il y a de bon dans tout cela ».
« C’est beaucoup si l’on considère que [les agents de libération conditionnelle] doivent déjà effectuer des examens du classement de sécurité des délinquants à la fin du programme. Il n’y a pas de marge de manœuvre dans le délai si, par exemple, le détenu est à un mois de l’achèvement du programme. Il serait plus logique de pouvoir attendre que cela se produise ».
Avec des ressources limitées, une charge de travail importante, de multiples exigences ministérielles en matière de rapports et les réalités opérationnelles du travail dans une prison, le personnel a déclaré se sentir écarté de ses importantes responsabilités en matière de gestion de cas. Un membre du personnel a déclaré : « L’établissement de rapports tous les six mois avec un personnel limité nous prive des interactions importantes que nous devrions avoir ». Un autre cadre supérieur a évoqué le caractère arbitraire des délais inscrits dans la politique : « Les délais devraient être plus souples. La guérison est un voyage qui dure toute la vie, elle ne se produit pas dans un laps de temps particulier ».
Le personnel n’est pas opposé au principe selon lequel les participants au programme Sentiers autochtones doivent faire l’objet d’un examen régulier du classement de sécurité des délinquants. Le problème de l’examen semestriel est lié à son utilité dans les cas où le changement ne peut être démontré sur une période de six mois, ou lorsque l’examen semestriel a lieu avant la fin d’un programme correctionnel. Un cadre supérieur de l’initiative des Sentiers autochtones a expliqué la situation comme suit :
« Des examens [du classement de sécurité des délinquants] ont lieu à la fois après le programme et après six mois d’engagement dans l’initiative des Sentiers autochtones. Il est regrettable que nous soyons souvent confrontés à des situations dans lesquelles un examen des parcours de six mois est requis, alors que 30 à 40 jours plus tard, un programme correctionnel se termine. Cette situation a eu pour conséquence que [les équipes de gestion des cas] ont réalisé deux mises à jour distinctes de la planification correctionnelle et [une évaluation pour les décisions] concernant l’examen du classement de sécurité des délinquants afin de garantir la conformité avec les délais et les rapports…
Il existe de nombreux exemples de directives visant à «suivre et signaler » les domaines de préoccupation, y compris la réalisation d’examens trimestriels des statistiques sur les dérogations à l’examen du classement de sécurité des délinquants, l’élaboration et la tenue d’une feuille de calcul sur l’article 81 et la semi-liberté, et l’augmentation de 25 % des placements à l’extérieur et des permissions de sortir avec escorte (PSAE) pour les délinquants autochtones au cours de l’exercice 2019-2020. Ces exigences en matière de rapports semblent, une fois de plus, se focaliser sur les rapports et le contrôle de l’entreprise, et pas nécessairement sur le développement et la mise en œuvre de stratégies significatives pour avoir un impact positif sur la réinsertion des délinquants autochtones ».
Le cheminement de guérison ne correspond pas aux exigences en matière de rapports ministériels
Au sein du SCC, 59 l’initiative des Sentiers autochtones est considérée comme une initiative de guérison intensive menée par les Aînés, «fondée sur la roue de médecine autochtone, également connue sous le nom de roue de médecine à quatre directions ». La roue de médecine au centre du continuum de soins autochtones du SCC vise à illustrer la nature holistique de ce modèle en reliant les individus à leur histoire, à leur culture et à leur spiritualité. Le cheminement de guérison décrit par le continuum de soins est accessible aux personnes « qui font preuve d’une motivation et d’un engagement véritables » pour progresser dans les quatre quadrants du changement : émotionnel, mental, physique et spirituel.
La gamme de soins liés aux services correctionnels
On reconnaît que les participants à l’initiative des Sentiers autochtones reçoivent généralement plus de soutien de la part de leur équipe de gestion de cas que les personnes qui ne participent pas à l’initiative. On attend du personnel affecté à l’initiative des Sentiers autochtones qu’il rédige davantage de rapports et formule davantage de recommandations pour s’assurer que les participants progressent rapidement, conformément aux lignes directrices de l’initiative.
Toutefois, la quasi-totalité du personnel que nous avons interrogé a indiqué que les progrès réalisés dans le cadre des plans de guérison n’étaient pas facilement transposables dans les outils d’évaluation et de classification du SCC. Par exemple, les changements des facteurs dynamiques qui se produisent lors de cérémonies, d’activités culturelles et de conseils individuels ou toute équivalence aux programmes de base qui sont abordés dans l’initiative des Sentiers autochtones ne sont pas correctement saisis dans les dossiers. Comme l’a expliqué un membre du personnel autochtone de l’initiative des Sentiers autochtones :
« La culture aide les hommes et notre peuple. Il est difficile de transposer cela sur papier de manière à persuader les décideurs, les agents de libération conditionnelle et la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) que ces personnes font des « progrès ». Il est difficile de saisir et de documenter le « changement » sur un cheminement de guérison d’une manière occidentale. En fin de compte, nous [les peuples autochtones] sommes dans un système et nous devons apprendre à travailler dans le système qui nous est imposé. Je veux montrer comment les facteurs dynamiques sont liés aux progrès réalisés dans l’initiative des Sentiers autochtones ».
Un autre cadre supérieur de l’initiative des Sentiers autochtones a indiqué ce qui suit :
« La traduction des résultats autochtones et des progrès des interventions autochtones au moyen de feuilles de calcul et d’outils de suivi ministériels est problématique. Récemment, lors d’un Comité d’évaluation des progrès réalisés dans le cadre de l’initiative des Sentiers autochtones, [l’Aîné] a déclaré que le fait de participer à la suerie constitue en soi un progrès et entraînera des changements. Il a estimé que ce changement ne peut être mesuré par les normes, les outils et les échelles du SCC, car il est lent, interne et profondément personnel. D’après ce que j’ai appris en travaillant avec le personnel autochtone et les partenaires ici…, les tentatives constantes du SCC de mesurer les progrès au moyen de feuilles de calcul et de calendriers d’examen rigides ne sont pas conformes aux principes de la spiritualité et de la tradition autochtones ».
Les progrès réalisés sur le cheminement de la guérison n’influencent pas la planification de la réintégration
Le personnel et les participants ont convenu que l’initiative des Sentiers autochtones (du moins, en théorie) offrait plus de soutien aux personnes autochtones que ce qui était offert à la population générale. Certains indicateurs de réussite sont censés inclure un passage plus rapide à des niveaux de sécurité inférieurs, davantage de placements dans des pavillons de ressourcement, une augmentation des permissions de sortir, une libération conditionnelle anticipée et une réintégration dans la communauté avec une structure de soutien adéquate. Si les ressources sont en place et si l’initiative fonctionne comme prévu, les personnes interrogées pensent qu’il sera possible d’atteindre ces résultats. Toutefois, ces résultats ne sont pas nécessairement atteints. Comme l’a dit un participant à l’initiative des Sentiers autochtones :
« Depuis que je suis ici, je n’ai vu qu’une poignée de gars passer à un niveau de sécurité inférieur. L’un des Aînés a déclaré que l’objectif de ce programme était de faire passer tout le monde à un niveau de sécurité inférieur, mais les personnes que j’ai vues passer au niveau de sécurité minimale sont celles qui étaient déjà au niveau de sécurité minimale. Depuis que je suis ici, rien de tout cela ne s’est produit ».
Les participants ont expliqué que, bien qu’ils soient engagés sur le cheminement de leur guérison, le personnel chargé de la gestion de cas semble concentré sur l’évaluation et la gestion des risques. Les personnes interrogées ont fait part du manque de compréhension de certains décideurs concernant les évaluations des antécédents sociaux des Autochtones (ASA), qui sont souvent utilisées à mauvais escient pour renforcer les perceptions négatives du risque. 60 Comme l’a dit un membre du personnel de l’initiative des Sentiers autochtones :
« Il existe toujours un fossé entre les progrès réalisés dans le cadre de l’initiative des Sentiers autochtones et l’évaluation des risques par l’équipe de gestion de cas. Souvent, on estime que l’équipe de gestion de cas n’évalue pas les progrès du détenu dans le contexte de ses antécédents sociaux des Autochtones (ASA) et qu’elle se concentre uniquement sur l’analyse du risque».
L’un des participants avec qui nous nous sommes entretenus a décrit la manière dont les évaluations correctionnelles sont utilisées à l’encontre des Autochtones et le racisme systémique dont ces derniers sont victimes tout au long de leur vie :
« Vos documents sont toujours plus négatifs que ceux des délinquants blancs. Ils parlent des antécédents sociaux des Autochtones (ASA), et toutes ces choses sont écrites à propos du manque de soutien familial et de la vie dans les réserves - et ils sont censés en tenir compte pour la détermination de la peine et d’autres choses, mais comment en tiennent-ils compte? S’en servent-ils pour vous remonter le moral? La plupart du temps, ils l’écrivent, mais ils n’ont pas l’air de le lire ou quoi que ce soit d’autre. Bien sûr, en grandissant dans cet environnement, on est beaucoup plus susceptible de commettre des actes criminels quand on est jeune; des actes pour lesquels aucun enfant blanc ne serait inquiété parce qu’il s’agit de trucs d’ enfants . C’est inscrit dans nos dossiers et nous nous retrouvons à dix-huit ans avec un tas d’accusations, et dès le départ, nous écopons de plus de temps pour le même délit parce que nous avons des antécédents. L’accent devrait être mis sur des antécédents pro-sociaux, et pas seulement sur la rédaction de documents ».
En fait, dans son rapport de 2016, le BVG a indiqué que « les dossiers des délinquants n’ont pas documenté l’impact des interventions fournies aux délinquants ou la mesure dans laquelle ces interventions ont contribué à la réinsertion réussie des délinquants dans la communauté ». Le rapport poursuit en disant :
… nous avons constaté que les évaluations préparées par les agents de libération conditionnelle en vue de la mise en liberté sous condition ne contenaient aucune documentation sur les avantages de la participation d’un délinquant à des interventions correctionnelles adaptées à sa culture, comme les initiatives des Sentiers autochtones ou les pavillons de ressourcement.
Dans certains établissements, nous avons également observé un décalage entre le personnel de l’initiative des Sentiers autochtones et le personnel chargé de la gestion des cas. Plus précisément, le personnel de l’initiative des Sentiers autochtones n’est pas consulté en ce qui concerne les décisions relatives à la planification correctionnelle et à la gestion de cas (comme mentionné précédemment, l’unique objectif semble être la sécurité et la gestion des risques). Les Aînés et le personnel peuvent s’engager et dispenser des enseignements, mais il n’est pas clair comment ces interventions sont prises en considération dans la planification correctionnelle et les décisions de gestion de cas. Certaines personnes interrogées ont indiqué que les participants considérés comme « engagés » obtiennent un bon retour de l’agent de liaison autochtone et de l’Aîné, mais que les agents de libération conditionnelle continuent de les considérer comme présentant un risque élevé, voire un risque accru. Par conséquent, ils ne bénéficient pas d’un appui pour les permissions de sortir avec escorte 61 , les reclassements de sécurité, les transferts vers les pavillons de ressourcement, etc. 62
« Je ne pense pas que les ALA aient leur mot à dire sur l’attribution des permissions de sortir avec escorte… Si les ALA prenaient les décisions, il y aurait peut-être plus de permissions de sortir avec escorte pour un plus grand nombre de personnes».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones.
Malgré le fait que la grande majorité des placements en pavillon de ressourcement proviendraient directement de l’initiative des Sentiers autochtones 63 et qu’un tiers des places des pavillons de ressourcement sont vides, de nombreux participants avec lesquels nous nous sommes entretenus participent à l’initiative des Sentiers autochtones depuis plus d’un an et n’ont pas encore reçu d’aide pour un reclassement de leur niveau de sécurité. Ils ne savent pas très bien ce qu’ils doivent faire pour obtenir un reclassement à un niveau de sécurité inférieur. Certains envisagent de quitter l’initiative, estimant que l’initiative des Sentiers autochtones n’est qu’une façade destinée à montrer comment le SCC met en œuvre son Plan national relatif aux Autochtones. Comme l’a dit un cadre supérieur :
« Il y a une pression nationale pour obtenir des résultats et collecter des données sur les détenus qui terminent avec succès l’initiative des Sentiers autochtones, pour qu’un plus grand nombre de détenus passent par l’initiative des Sentiers autochtones et le terminent avec succès. Cependant, l’intégration de l’équipe de gestion de cas dans ce plan peut s’avérer difficile lorsque son objectif est uniquement l’analyse des risques. L’objectif devrait être de réduire la durée d’incarcération et de favoriser les progrès grâce à la planification de la peine.... Ce n’est souvent pas le cas ».
Délais déraisonnables
La politique exige que les participants terminent l’initiative des Sentiers autochtones dans un délai donné. Conformément aux lignes directrices 702-1 64 , article 15 (o) :
Dans l’idéal, un participant à l’initiative des Sentiers autochtones ne resterait pas plus d’un an avant de passer à un niveau de sécurité inférieur (à l’exception des condamnés à perpétuité qui peuvent avoir besoin d’une intervention plus longue).
De nombreux membres du personnel ont exprimé leur frustration face aux délais prévus par le modèle de l’initiative des Sentiers autochtones. Un cadre supérieur du personnel a expliqué ce qui suit : « Il est trop rapide d’attendre des changements de la part de la plupart des détenus; parfois, ils régressent avant de progresser ». D’autres ont qualifié d’« irréalistes » et d’« insensibles » les délais fixés pour ce qui est essentiellement un cheminement de guérison . Pratiquement toutes les personnes interrogées s’accordent à dire que les délais fixés dans les lignes directrices sont trop rigides et ne laissent pas le temps nécessaire pour traiter les traumatismes, ni même pour entamer le processus de guérison. Il s’agit là d’un autre exemple où le SCC impose ses propres délais et objectifs à un processus qui nécessite de la souplesse, de la compréhension et de la patience.
5. Manque de continuité et de soutien dans la communauté
« Suivre le cheminement spirituel à l’intérieur n’est pas si difficile. Une fois à l’extérieur, les pressions sont différentes ».
– Intervenant de la communauté
« Vous pouvez nous enseigner tout ce que vous voulez dans le cadre de l’initiative des Sentiers autochtones, mais c’est dans la rue que nous avons le plus besoin de vous ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones.
Selon les propres termes du SCC, le continuum de soins autochtones « se termine par la mise en place d’un soutien communautaire visant à maintenir les progrès au-delà de la fin de la peine et à prévenir la récidive ». Toutefois, les entrevues avec le personnel et les personnes incarcérées nous ont appris que le soutien prend fin la plupart du temps à la libération. Comme l’a indiqué un membre du personnel, « le continuum de soins pour les Autochtones devrait être continu jusqu’à l’expiration du mandat - nous les soutenons pendant des années, mais lorsqu’ils sont libérés, ils doivent se débrouiller seuls ».
« Les gars ont besoin de savoir que des gens sont là pour eux lorsqu’ils sont dehors. Quand ils sortent parfois, on les oublie. On attend de nous que nous fonctionnions ici [en faisant le geste « vers le haut » avec les mains], mais ils ne peuvent pas le faire. Ici, tout nous est donné, et ce n’est pas ainsi que les choses se passeront dans la communauté ».
– Participant à l’initiative des Sentiers autochtones.
Une personne interrogée a parlé de l’institutionnalisation et du problème que constitue l’habitude de recevoir un soutien dans le cadre de l’initiative des Sentiers autochtones. Elle a expliqué combien il serait difficile de trouver les mêmes soutiens dans la communauté, et a ensuite parlé de son anxiété lorsqu’il envisageait la réinsertion :
« Je ne pense pas qu’il y ait un bon modèle en place pour assurer la continuité de la libération et du soutien dans la communauté. ... Il est difficile de surmonter la nervosité et l’anxiété avant de se rendre dans la communauté. Surtout lorsqu’il s’agit de trouver un emploi avec le système de justice pénale au-dessus de ma tête. Je suis très inquiet. ... Vivre dans une prison à sécurité minimale est plus facile que d’aller dans la communauté ».
Malgré les appréhensions susmentionnées concernant la libération et la réinsertion, les participants et le personnel ont tendance à penser que le « délinquant » est en fin de compte responsable de sa propre réussite. En effet, le modèle correctionnel du SCC présume que la «réforme des individus » devrait atténuer la récidive.
« Nous avons eu un gars qui est sorti et revenu, mais c’est parce qu’il n’a pas profité de ses soutiens. Il avait le numéro de cellulaire de l’Aîné. Les Aînés nous disent clairement qu’ils sont à notre disposition dans la communauté. Ils nous donnent un numéro de cellulaire. Ils vous emmèneront à la cérémonie et vous soutiendront, mais c’est à vous de demander de l’aide - c’est à vous de jouer ».
– Personnel de l’initiative des Sentiers autochtones
« Si une personne est sérieuse dans son cheminement de guérison, elle emporte ces outils avec elle. Les ALA et les Aînés aideront à mettre en place des mesures de soutien au sein de la communauté, mais c’est à la gestion de l’établissement d’établir des priorités et de s’engager dans cette voie ».
– Personnel de l’initiative des Sentiers autochtones
Conclusion et recommandations
Notre enquête a permis de tirer les conclusions suivantes sur l’initiative des Sentiers autochtones du SCC, telle qu’elle fonctionne actuellement :
- Le respect des lignes directrices ministérielles s’est avéré difficile dans la plupart des établissements; les Aînés prennent rarement l’initiative, ce qui a une incidence sur la qualité et la fourniture des services culturels et spirituels;
- Les participants à l’initiative des Sentiers autochtones de tous les établissements ont été régulièrement maltraités par certains membres du personnel opérationnel affectés involontairement à l’initiative;
- Le SCC réduit systématiquement la priorité aux modes d’existence et de connaissances autochtones, voire les ignore complètement, et ne peut souvent pas traduire les progrès réalisés dans le cadre des plans de guérison en rapports de gestion de cas et en résultats;
- Les participants subissent des perturbations importantes dans la continuité, la qualité et l’intensité des services au moment de leur libération dans la communauté.
En soi, ces conclusions pourraient être traitées en modifiant certaines parties du système existant, par exemple en améliorant la formation, en renforçant la conformité, en élargissant les critères de gestion de cas, en augmentant le soutien communautaire, etc. Cependant, notre Bureau a une préoccupation plus fondamentale qui va au-delà des améliorations apportées à l’initiative des Sentiers autochtones existante. En particulier, le seuil d’admission à l’initiative des Sentiers autochtones est si déraisonnablement élevé qu’il exclut la grande majorité de la population autochtone. Moins de 10 % des personnes autochtones incarcérées bénéficient de l’initiative des Sentiers autochtones; par conséquent, la grande majorité de la population autochtone ne remplit tout simplement pas les conditions requises pour y participer et ses besoins sont largement négligés.
En avril 2023, le SCC a transmis à notre bureau une version actualisée du Manuel national de l’initiative des Sentiers autochtones pour examen. Dans le présent document, il est indiqué que les participants à l’initiative des Sentiers autochtones doivent « démontrer leur réussite dans les domaines suivants » :
- Réduction accrue de la sécurité;
- Augmentation des transferts à un niveau de sécurité minimale ou vers un pavillon de ressourcement;
- Augmentation de l’achèvement des programmes;
- Mise à niveau des niveaux d’éducation plus élevés avant d’atteindre la pleine admissibilité à la libération conditionnelle totale;
- Libération discrétionnaire accrue (semi-liberté ou libération conditionnelle totale) lors de la première libération;
- Augmentation des mises en liberté au titre de l’article 84;
- Augmentation des permissions de sortir avec escorte/permissions de sortir sans escorte à des fins d’engagement communautaire et de développement personnel.
Nous estimons que les « indicateurs de réussite » énumérés ci-dessus sont pratiquement garantis étant donné le seuil élevé d’entrée dans l’initiative des Sentiers autochtones. On peut soutenir que les personnes dont on estime qu’elles sont susceptibles d’atteindre ces résultats dans les six à douze mois suivant leur admission dans l’initiative des Sentiers autochtones devraient être transférées rapidement dans les pavillons de ressourcement ou libérées dans la communauté.
En d’autres termes, la cohorte actuellement admissible à l’initiative des Sentiers autochtones pourrait probablement être gérée dans des établissements à moindre sécurité ou dans le cadre de placements sans mise sous garde. L’initiative des Sentiers autochtones est littéralement un pavillon de ressourcement situé dans un pénitencier, et de nombreux employés et Aînés avec lesquels nous nous sommes entretenus pensent qu’ils pourraient obtenir des résultats encore meilleurs en dehors des murs de la prison.
« Si nous avions notre propre lieu, comme un pavillon de ressourcement, à l’abri de la drogue et de la violence, où les détenus à haut risque peuvent être pris en charge dans un environnement protégé des déclencheurs, des tentations et des provocations, ce serait l’idéal ».
– Personnel de l’initiative des Sentiers autochtones
Les initiatives institutionnelles ciblant les Autochtones devraient se concentrer davantage sur l’amélioration des résultats pour ceux qui ne parviennent pas à atteindre le seuil élevé pour participer à l’initiative des Sentiers autochtones. Le système correctionnel fédéral a besoin d’un plus grand nombre d’initiatives et de sentiers plus larges hors de la prison.
- Je recommande au SCC d’améliorer l’impact et la portée des initiatives institutionnelles en faveur des populations autochtones des façons suivantes :
- Mener un examen des participants actuels à l’initiative des Sentiers autochtones afin de déterminer et de recommander des personnes pour des placements en pavillon de ressourcement et d’autres solutions sans mise sous garde (par exemple accords en vertu de l’article 84).
- Élaborer une approche globale adaptée à la culture et comprenant des initiatives institutionnelles pour les personnes autochtones qui ne bénéficient pas du modèle actuel de l’initiative des Sentiers autochtones. Il s’agirait notamment d’étendre les avantages offerts par l’initiative des Sentiers autochtones (par exemple, l’accès aux Aînés, aux ALA, aux plans de guérison, aux conseils personnalisés) à un plus grand nombre de personnes.
- Élaborer des objectifs clairs et concrets de la planification correctionnelle qui guident la planification des peines pour les délinquants purgeant des peines de 10 ans à perpétuité, et fournir des mesures d’incitation plus significatives aux condamnés à perpétuité autochtones (par exemple, les permissions de sortir avec escorte, les transferts à un niveau de sécurité inférieur et les placements dans des pavillons de ressourcement).
- Collaborer avec les initiatives autochtones aux niveaux régional et institutionnel afin d’élaborer des plans d’action nationaux annuels qui permettent aux communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits, aux organisations communautaires, aux organisations à but non lucratif, aux établissements d’enseignement postsecondaire et à d’autres intervenants d’établir des liens et des systèmes de soutien avec les personnes incarcérées, dès l’admission et après l’expiration du mandat.
Une enquête sur le rôle et l’impact des Aînés dans le système correctionnel fédéral
La voix des Aînés
« Après avoir passé des années à me décoloniser, j’hésitais à travailler pour cette institution très coloniale ».
« Les personnes qui travaillent au SCC doivent être prises en charge. Certains d’entre nous portent le traumatisme des gars, et ils ne peuvent pas le porter. Ils tombent malades ».
« Je suis ici pour enseigner aux détenus ce qu’est vraiment la vie, l’origine de la vie à travers tous nos remèdes, nos cérémonies et nos prières, ainsi que la prise de responsabilité en tant que père ou membre de la communauté. Nous essayons de les réintégrer dans notre société, de les faire participer aux cérémonies… d’essayer de les aider à apporter des changements dans leur vie».
« Ils nous ont dit que [cet] endroit était censé être dirigé par les Aînés. Mais man c’est sûr que c’est pas le cas. Je pense que c’est le système correctionnel qui est en charge ».
« Je suis un homme tranquille des Premières Nations. Nous avons appris des pensionnats à être tranquilles ».
« Vous (le SCC) utilisez les dossiers de cas pour juger et connaître les hommes, ce n’est pas comme ça que nous les connaissons et que nous travaillons avec eux… Le SCC les traite comme des (méchants/mauvais) criminels, mais nous leur offrons des remèdes… Les gars me diront que le SCC ne m’a pas aidé, que ce sont les Aînés qui m’ont aidé ».
Introduction et contexte
Dans le premier rapport, Une question de spiritualité (2013), publié il y a plus de dix ans, le Bureau a fait les observations suivantes concernant le rôle et l’impact des Aînés (Conseillers spirituels) travaillant sous contrat dans les établissements correctionnels fédéraux :
Les Aînés sont au cœur du processus de guérison, que ce soit en raison des cérémonies, des enseignements ou des services de counseling qu’ils offrent. Ils sont une ressource très précieuse. Dans le cas des pavillons de ressourcement établis en vertu de l’article 81, le sous-financement a souvent pour effet de limiter la disponibilité des Aînés. Tant et aussi longtemps que les Aînés ne pourront pas se concentrer sur les besoins en matière de guérison des délinquants, auront une charge de travail déraisonnable et ne recevront pas une rémunération adéquate, le modèle de continuum des soins du SCC ne permettra de réaliser le plein potentiel de réinsertion sociale des délinquants autochtones dans leur collectivité. (p. 36)
À l’époque, comme l’a noté le Bureau, les Aînés étaient confrontés à des obstacles importants, notamment la charge de travail, les limites opérationnelles et contractuelles, des défis qui les empêchaient de fournir leurs services uniques au sein du SCC. Le rapport, publié au Parlement, demande au Service Correctionnel du Canada (SCC) de « fixer des normes réalistes en matière de services, de charge de travail et de paiement pour les services d’Aînés » et de rapporter les progrès accomplis dans la réalisation de ces normes.
Dans le cadre de la mise à jour de notre rapport initial Une question de spiritualité , le Bureau a planifié et mené, tout au long de l’année 2022-23, une série d’engagements et d’entrevues d’enquête avec les Aînés. Nous cherchions à documenter ce qu’ils avaient à dire sur leur relation actuelle avec le SCC. Pour nous aider, le Bureau a passé un contrat avec l’agence Archipel Research and Consulting. 65 Au total, 55 Aînés/Conseillers spirituels et Assistants d’Aînés ont été interrogés, au cours de cette enquête, comprenant également une série de cercles de partage et d’entrevues individuelles menées par l’agence contractante. Un certain nombre de membres du personnel et de participants aux initiatives menées par les Aînés ont également été interrogés. Finalement, l’examen de la documentation ministérielle du SCC - directives et lignes directrices du commissaire, rapports internes, audits et évaluations, mandats et énoncés des travaux, procès-verbaux des réunions des comités régionaux et nationaux 66 - est venu compléter les idées et les points de vue exprimés par les participants.
De portée nationale, l’objectif de cette enquête était de capturer, collecter et synthétiser les points de vue, les expériences et les conseils des Aînés autochtones travaillant au sein du système correctionnel fédéral canadien. Lors de la mise à jour du rapport Une question de spiritualité , nous avons délibérément cherché à solliciter la voix et l’expérience des Aînés, reconnaissant qu’ils sont en contact le plus étroit et le plus fréquent avec les populations autochtones qu’ils guident, instruisent et conseillent, à l’intérieur et à l’extérieur de la prison. Les Aînés sont ceux qui connaissent le mieux leurs « proches » et sont intrinsèquement motivés pour les servir et défendre leur bien-être. Ceci étant dit, les points de vue et les idées des Aînés sont indispensables pour forger des relations plus solides entre le SCC, les peuples autochtones et les communautés dans l’esprit et l’orientation de la réconciliation.
Les résultats de cette enquête fournissent un contexte important permettant d’illustrer un sous-ensemble de problèmes, de longue date, liés à la « vulnérabilité des Aînés » dans les établissements correctionnels fédéraux. 67 Des témoignages personnels et de première main donnent également un aperçu pratique de la gestion et de la surveillance par le SCC des services contractuels des Aînés. 68 Tout au long de cette enquête, le Bureau a pu cerner plusieurs problèmes non résolus dans les relations entre le SCC et les Aînés : charge de travail et conditions de travail, questions contractuelles, traitement, respect et reconnaissance, rémunération et indemnisation, soins personnels, bien-être, sécurité et soutien. La résolution de ces problèmes est essentielle afin de créer un espace de confiance auquel une approche du système correctionnel autochtone, menée par les Aînés, pourrait véritablement s’enraciner et s’épanouir. Aborder ces problèmes bénéficieraient grandement les soins et la garde des personnes autochtones incarcérées.
Le Bureau remercie les Aînés pour leur participation et pour avoir généreusement partagé leurs perspectives et leurs expériences. Ce qui suit est un résumé thématique et interprétatif de ce que nous avons entendu lors de plusieurs consultations avec des Aînés à travers le pays. Quatre thèmes principaux se sont dégagés de ces consultations, chacun indiquant la voie à suivre pour mieux apprécier le rôle et l’impact inestimables, mais souvent négligés, du travail des Aînés au sein du SCC.
- Rôle et gestion des services d’Aînés au sein du SCC
- Charge de travail et conditions de travail des Aînés
- Respect et reconnaissance des Aînés
- Questions relatives à la vulnérabilité des Aînés
La section finale de la présente enquête comprend une discussion, un résumé des préoccupations et des recommandations pratiques pour soutenir le travail des Aînés au sein du SCC et, à son tour, soutenir les Autochtones sous le coup d’une peine fédérale.
1. Rôle et gestion des services d’Aînés au sein du SCC
Le rôle de l’Aîné
Le terme « Aîné » désigne toute personne reconnue par la communauté autochtone comme ayant une connaissance et une compréhension de la culture traditionnelle de la communauté, y compris les cérémonies, les protocoles, les enseignements et les techniques de guérison, conformément aux croyances et aux traditions sociales de leurs communautés et de leurs enseignants/Aînés, et peut également être connu comme un conseiller spirituel. Le savoir et la sagesse, associés à la reconnaissance et au respect des membres de la communauté, sont les caractéristiques essentielles d’un Aîné. Les Aînés acquièrent ces dons en adoptant un mode de vie traditionnel et en suivant les enseignements des Aînés et des guérisseurs pendant une longue période. Certains Aînés peuvent avoir des attributs supplémentaires, comme ceux de guérisseur traditionnel. Les Aînés peuvent être identifiés comme tels par les communautés autochtones, d’autres aînés et leurs enseignants.
Source : SCC, Énoncé des travaux - Services des Aînés
En faisant participer des Aînés aux programmes destinés aux délinquants autochtones, le SCC affirme le rôle essentiel qu’ils jouent, dans les communautés autochtones, en tant que leaders pour les générations futures. Dans les cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis, les Aînés sont vénérés en tant que gardiens du savoir, détenteurs de la sagesse et leaders culturels et spirituels. Les Aînés ont toujours été les conseillers de leurs communautés et ont apporté soutien et conseil à leurs pairs et aux jeunes générations. 69 Les Aînés utilisent des approches autochtones pour le bien-être, comprenant l’interdépendance entre le bien-être de l’individu et les contextes sociaux plus larges, notamment la famille, la communauté, la nature et le Créateur. En retour, les Aînés sont très respectés et soutenus par leurs communautés, qui leur fournissent des soins et les aident à organiser des cérémonies.
La politique et le cadre de gouvernance du SCC pour les services d’Aînés semblent respecter ces interprétations, par exemple, en reconnaissant que seule une communauté autochtone peut définir qui est, effectivement, un Aîné. Les Aînés sont responsables de la préparation, de la coordination et de la conduite des cérémonies traditionnelles et de certaines activités culturelles dans les prisons fédérales. Selon la Nation dont ils sont issus et les honneurs qu’ils portent, les Aînés peuvent être amenés à diriger des sueries, des prières matinales, des commémorations, l’enseignement de la langue, les enseignements des Grands-pères, des cérémonies du calumet, des danses, des bains, des cérémonies de la maison longue, des cérémonies de la couverture, des cercles de tambours, etc. Aujourd’hui, environ 130 Aînés/Conseillers spirituels sont engagés pour fournir des services spirituels, des services cérémoniels, des services de conseils et de programmation dans les établissements du SCC à travers le pays.
Les Aînés du SCC peuvent être affectés à des programmes, tels que l’initiative des Sentiers autochtones, ou à travailler dans des secteurs désignés de l’établissement, tels que les unités d’intervention structurée, les unités sécurisées dans les établissements régionaux pour femmes et les rangées pour la population générale dans les établissements ordinaires. Des Aînés travaillent également dans les pavillons de ressourcement gérés par le SCC. Bien que toutes les personnes autochtones incarcérées ne cherchent pas à travailler avec un Aîné, avec environ 4 200 Autochtones en détention fédérale, ces chiffres se traduisent par un ratio global d’environ 30 prisonniers autochtones pour un Aîné, un ratio qui ne répond pas aux besoins ou à la demande.
En ce qui concerne la politique, le SCC n’a pas de directive du commissaire (DC) particulière consacrée uniquement à la prestation de services d’Aînés, bien que la DC-702 ( Délinquants autochtones ), les lignes directrices qui y sont associées et de nombreux autres instruments politiques définissent les attentes à l’égard des Aînés, y compris leur participation à des initiatives et à des interventions autochtones. Par contrat, les Aînés sont censés participer à la gestion de cas du SCC et, sur demande, fournir au SCC des conseils et des orientations sur les questions régionales ou nationales concernant les peuples autochtones sous le coup d’une peine fédérale.
La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit ce qui suit : i. Les Aînés bénéficient du même statut que les autres chefs religieux, y compris les aumôniers; ii. Les services d’Aînés doivent être mis à la disposition de tous les Autochtones pris en charge par le SCC et sous sa garde; iii. Le SCC doit demander l’avis des Aînés lorsqu’il fournit des services correctionnels à un détenu autochtone. Reflétant la nature contractuelle de la relation, le SCC doit fournir aux aînés (et à leurs assistants) le soutien, les ressources, les installations confidentielles (espaces sacrés intérieurs et extérieurs), l’autorité et la formation (orientation) nécessaires pour mener à bien leurs activités. Considérée dans son ensemble, une combinaison de lois, de politiques et d’attentes contractuelles définit le cadre de gouvernance pour l’engagement du SCC auprès des Aînés.
Comme le montre le présent document, il y a lieu de s’inquiéter du fait que le SCC ne respecte pas ces obligations de manière aussi complète ou intentionnelle que prévu. En fait, comme nous le verrons plus loin, les relations entre le SCC et les Aînés présentent un certain nombre de lacunes. Comme l’a montré un récent audit interne (août 2022) de la gestion des services d’Aînés :
- La surveillance de la prestation et de la gestion des services d’Aînés est limitée au sein du SCC.
- Il n’existe pas de plan stratégique définissant les ressources, le financement ou les besoins des services d’Aînés au niveau des établissements.
- Au-delà des révisions des Aînés, d’autres services d’Aînés tels que les cérémonies, les conseils et les avis à la direction du SCC ne sont pas mesurés ou ne font pas l’objet d’un rapport.
- L’indicateur de ressources qui alloue des fonds pour les postes d’Aînés au sein du SCC n’a pas été mis à jour depuis sa création initiale en 2006.
- Les Aînés sont trop peu nombreux et trop dispersés pour répondre à la population et aux besoins croissants des personnes autochtones placées sous responsabilité fédérale.
- Les processus mis en place par le SCC pour identifier, sélectionner et embaucher des Aînés sont insuffisants.
Plus étonnant encore, l’audit révèle essentiellement que le SCC n’est pas en mesure de démontrer de manière raisonnable qu’il fournit correctement et de façon cohérente les services d’Ainés d’un établissement à l’autre. On ne sait pas non plus qui est responsable de veiller à ce que les Aînés fournissent des services conformes à leurs attentes contractuelles. Sur la base de ces seules constatations, il y a toutes les raisons de croire que les services d’Aînés au sein du SCC sont sous-financés, sous-évalués, sous-déclarés et sous-appréciés.
2. Charge de travail et conditions de travail des Aînés
Tout au long de cette enquête, les Aînés ont à plusieurs reprises exprimé leurs préoccupations concernant la structure de recrutement, d’emploi et de rémunération au sein du SCC. En ce qui concerne ce dernier point, les Aînés ont expliqué que la structure du travail contractuel signifie qu’ils ne bénéficient pas de congés de maladie, de congés payés, d’un régime de pension ou de prestations de maladie :
« Quand vous êtes sous contrat, vous n’avez pas de congés maladie, pas de pension, pas de vacances. Essentiellement, vous devez vous débrouiller tout seul. À la fin de la journée, nous sommes là, nous n’avons rien, nous n’avons pas de pension. Ça nous maintient dans un état d’esprit de pauvreté. Parce que nous ne tirons pas d’avantages de notre travail. Nous ne sommes pas là à long terme. Je veux dire, nous aidons les gens, oui. Mais, vous savez, sur le plan financier, ça ne fonctionne pas très bien ».
En plus d’une rémunération inadéquate, les Aînés ont noté que l’une des principales lacunes du processus d’embauche était l’absence de sécurité d’emploi.
« Il n’y a pas de sécurité d’emploi, ça c’est une de mes plus grandes peurs. Je ne me sens pas du tout en sécurité ici, quand on parle d’emploi. Tous les deux ans, nous signons un contrat et s’ils veulent se débarrasser de toi, il ne font que pas signer ton contrat. C’est comme ça qu’ils font et tout le monde avait cette crainte, tous les Aînés qui travaillaient ici dans [cette] région ».
En raison de l’absence de sécurité d’emploi, des nombreux Aînés ont estimé que leur emploi au SCC était précaire, en particulier s’ils exprimaient des préoccupations ou s’élevaient contre les pratiques ou le personnel du SCC.
« Nous n’avons aucune sécurité d’emploi en tant qu’Aînés dans l’établissement. Je me souviens de quand j’ai commencé à travailler ici, j’avais vraiment peur qu’on me mette à la porte. Parce que j’ai entendu plusieurs de mes Aînés quitter l’établissement, vraiment sans raison. Je connais quelques Aînés qui ont expérimenté ça, se faire mettre à la porte. En tant qu’Aînés, nous avons besoin de cette protection de la part de l’établissement. […] Il devrait y avoir un système si un Aîné va être renvoyé, il devrait y avoir une procédure d’appel. Il n’existe aucune procédure d’appel ».
Pour des nombreux Aînés, le risque d’être licenciés ou de « se faire mettre à la porte » les empêchaient de dénoncer les pratiques injustes ou les comportements inappropriés sur le lieu de travail. Certains ont raconté avoir subi des représailles de la part du personnel du SCC lorsqu’ils se sont exprimés. Un aîné, qui a participé à ce projet, a appris que son contrat ne serait pas renouvelé, après avoir critiqué les programmes du SCC :
« Vous savez que le cancel culture est très répandue de nos jours et que lorsque quelqu’un s’exprime contre une organisation, il est banni. Ils m’ont informé qu’à son échéance le 31 mars, mon contrat ne serait pas renouvelé. Alors j’ai dit : « Si c’est dans l’intérêt des délinquants de se débarrasser de moi, qu’il en soit ainsi. Mais je pense que c’est une énorme erreur ».
Il est compréhensible que les participants estiment que l’absence de sécurité d’emploi est préjudiciable à leur santé et à leur bien-être. Comme l’a expliqué un Aîné : « J’ai vraiment, j’ai des gros problèmes, mais je ne veux pas porter plainte. Je ne veux pas faire de vagues. Je sais à quel point mon revenu est fragile et j’ai vraiment besoin de ce travail ». D’autres ont estimé que l’absence de procédure d’appel pour les Aînés licenciés était tout à fait injuste.
De nombreux Aînés ont eu le sentiment que le système contractuel était conçu à l’avantage de leur employeur, et non du leur. Ils ont expliqué qu’ils étaient soumis aux mêmes règles et à la même surveillance que les employés du SCC, mais qu’ils n’avaient pas accès aux mêmes avantages, droits et pensions que les employés du SCC. Dans le même temps, certaines personnes interrogées ont reconnu qu’elles préféraient la souplesse du système contractuel. D’autres encore refusent la dichotomie tant que leur indépendance et leur autonomie soient protégées. Cependant, lorsqu’on les interroge, la majorité des Aînés participants indiquent clairement qu’ils souhaitent avoir la possibilité de travailler en tant qu’employés permanents afin de bénéficier d’avantages et de protections tels qu’une augmentation de salaire, une stabilité d’emploi, des congés de maladie, des prestations de maladie et un régime de pension. Actuellement, aucun choix n’est offert en la matière.
Plusieurs Aînés ont comparé leur traitement et leur position au sein du SCC à ceux des aumôniers. Ils ont noté que nombre de leurs homologues conseillers spirituels sont syndiqués et reçoivent donc un meilleur salaire et ont accès à d’autres avantages sociaux tels qu’un régime de pension. À compter d’avril 2023, en fonction des années d’expérience, l’échelle de rémunération actuelle d’un Aîné/conseiller spirituel au SCC est de 72 600 à 83 800 dollars. Les contrats ne dépassent pas 1 717,5 heures par an. Il n’est pas clair comment, ou si, ce barème reconnaît les honneurs et les compétences conférés par les communautés autochtones pour accomplir certaines cérémonies spirituelles et culturelles.
L’idée était que les Aînés autochtones n’étaient pas traités avec le même respect que celui accordé aux autres chefs religieux ou conseillers spirituels, tel qu’il est garanti par la loi :
« Je veux savoir [si] les aumôniers bénéficient d’un meilleur traitement que nous. Parce que c’est de la discrimination. Ils ont un syndicat, et leur syndicat négocie. Ils ont des congés maladie, des congés annuels, et le syndicat négocie le contrat ».
Dans le même ordre d’idées, de nombreux participants ont fait remarquer à juste titre qu’ils étaient nettement moins bien payés que la plupart des autres membres du personnel du SCC, alors qu’ils fournissent ce que même leur employeur considère comme un service inestimable et irremplaçable. Par exemple, le taux de rémunération annuel le plus élevé pour les aumôniers au sein du gouvernement fédéral varie entre 82 223 et 89 892 dollars. En outre, plusieurs Aînés ont souligné que leur travail était à temps plein, mais que les administrateurs régionaux les désignaient (ou les considéraient) comme des contractants occasionnels ou à temps partiel.
En ce qui concerne l’embauche et la sélection, les Aînés souhaitent un processus cohérent, clair et plus rapide, ce qui laisse entendre que le processus actuel est loin d’être efficace ou transparent. Comme l’a raconté un Aîné :
« … (Nous) avons tellement d’Aînés de valeur, de très bons Aînés. Cependant, ils ne travaillent pas dans les établissements en raison du processus de maltraitance que subissent les Aînés dans ce système ».
Un certain nombre de personnes interrogées ont indiqué que les diverses pressions exercées sur les Aînés et les attentes contradictoires entraînent des taux de roulement élevés, même dans des établissements qui semblent bien fonctionner et disposer de ressources suffisantes. Les conclusions de l’audit interne indiquent que les Aînés ont trouvé la procédure régionale des contrats longue et onéreuse, et qu’ils ont ressenti une incertitude quant à la sécurité de leur emploi compte tenu du calendrier annuel de passation des contrats. Comme l’a indiqué un membre du personnel, « il est difficile pour les Aînés de travailler ici. De remplir les postes. Des fois, lorsqu’un Aîné pose sa candidature, il faut des mois pour qu’elle soit approuvée ». Il n’est pas rare que des candidats qualifiés finissent par accepter d’autres emplois. Parmi les autres obstacles à la sélection et au recrutement des Aînés figurent le refus de travailler pour le SCC, la réticence à quitter leur communauté d’origine, l’insuffisance des rémunérations et l’incertitude quant à la sécurité d’emploi. Ces obstacles sont loin d’être insurmontables, et le point reste que le SCC doit faire beaucoup mieux pour soutenir, valoriser, attirer et maintenir en poste les Aînés.
Outre les problèmes liés à la précarité de l’emploi et à l’insuffisance des rémunérations, de nombreux Aînés ont fait part de leurs inquiétudes quant à leur capacité à répondre aux exigences et aux attentes qui leur sont imposées. Plusieurs Aînés considèrent la bureaucratie au sein du SCC comme un obstacle majeur, faisant remarquer qu’ils consacrent trop de temps aux tâches administratives, au détriment de leurs responsabilités premières :
« Au fil du temps, la quantité de paperasse qui nous a été attribuée commence à nous éloigner des aspects cérémoniels. Et pire encore, en ce qui me concerne, je rédige des évaluations d’Aînés, et je suis vraiment impliqué dans tout ce qui concerne les agents de libération conditionnelle et tout ce qui s’y rapporte. Il semble que ça prenait de plus en plus de temps, et que de moins en moins de temps était consacré aux cérémonies et aux personnes. Ce que je devais faire à l’origine a dérapé ».
« Ici, c’est de la paperasse, de la paperasse, de la paperasse ».
« Les aînés viennent pour une suerie. Les Aînés travaillent vraiment vraiment vraiment dur pendant une suerie, et on attend maintenant d’eux qu’ils terminent la suerie, puis qu’il aillent au bureau et qu’ils rédigent tous ces rapports pour garder le SCC heureux. « Combien de personnes ont participé à la suerie? » « Combien de problèmes? » Pourquoi l’Aîné ne peut juste pas rentrer chez lui, se détendre, revenir le lendemain avec l’esprit clair et rédiger ce texte? »
Les Aînés estiment que leur capacité à fournir des soins de qualité est compromise par le poids des tâches administratives qui ont été ajoutées à leur charge de travail. Nombreux sont ceux qui estiment que le SCC pourrait offrir un meilleur soutien aux Aînés confrontés à des missions inutiles ou à des charges de travail plus lourdes ou plus exigeantes.
Pratiquement tous les Aînés avec lesquels nous avons discutés ont exprimé leur gratitude à l’égard de leurs oscapio (aidant), de leurs assistants et de leurs agents de liaison autochtones (ALA). Les assistants des Aînés apportent leur soutien en animant des séances de purification et en contribuant à l’organisation d’activités culturelles. Les ALA apportent un soutien essentiel aux Aînés en organisant des séances individuelles avec les résidents, en répondant à leurs besoins permanents et en s’occupant de tâches administratives qui, autrement, incomberaient aux Aînés. Leurs responsabilités peuvent également consister à faire part des préoccupations des résidents à la direction, à préparer des notes de service pour les sueries, à coordonner les cercles de partage, à participer aux fêtes et à aider à la rédaction des évaluations des Aînés. Une personne interrogée dans un établissement a déclaré que l’initiative des Sentiers autochtones « fonctionne mieux lorsqu’il y a une bonne relation de travail entre l’Aîné et l’ALA ». Toutefois, comme nous l’ont également dit les Aînés, les ALA ne sont pas non plus rémunérés à leur juste valeur. Comme il s’agit d’un poste de premier échelon avec une charge de travail difficile, le taux de roulement du personnel autochtone est élevé. Nous avons appris que nombre d’entre eux cherchent à obtenir des promotions dans le secteur des programmes du SCC.
Les Aînés ont régulièrement évoqué le fait que le manque d’accès à des espaces réservés aux programmes, aux cérémonies et à la confidentialité les empêchait d’organiser des cérémonies, des rassemblements et des séances de conseil individuelles. Cette constatation s’applique également aux mesures d’adaptation (ou à l’absence) de leur bureau et de leurs espaces spirituels, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des établissements fédéraux. Certains Aînés ont décrit la situation comme une « bataille constante » pour obtenir un espace approprié, dédié et confidentiel pour fournir des services, comme le reflètent les observations suivantes :
« [Mon établissement] n’a pas des lieux cérémoniels. Comme il y en a mais c’est pas clôturé comme dans d’autres établissements. Il n’y a comme pas d’endroit désigné pour se changer en hiver, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres établissements ».
« Bien sûr, la salle qui n’est pas utilisable est celle qui a été réservée aux services d’Aînés ».
« Les aumôniers disposent d’un espace qui leur est réservé, les Aînés non ».
« Je partage un bureau avec l’ALA qui vient d’être engagé. Ce n’est pas toujours la meilleure situation pour [les détenus] de venir pour un tête-à-tête ».
« Quand je suis arrivé ici, l’espace réservé aux programmes des délinquants était absolument dégoûtant. C’était rempli d’araignées recluses brunes et certains de nos hommes ont été mordus. Il y avait des tiques, des excréments de pigeons, et j’ai crié du sommet de la montagne aussi fort que j’ai pu pour les faire venir et nettoyer. Pour qu’au moins l’environnement dans lequel on attendait de nous que nous mettions en œuvre nos programmes soit aussi sain que possible ».
« Les programmes autochtones sont mis en œuvre dans une salle infestée de moustiques et de mouches, sans air conditionné et avec des fenêtres fermées à clé. Il n’y a pas de fenêtre qui s’ouvre correctement. Il faut trouver un bâton ou quelque chose pour les ouvrir et les maintenir ouvertes. […] Il n’y a donc pas un vrai endroit où les Autochtones peuvent organiser leurs cérémonies, où leurs Aînés peuvent venir leur dispenser des enseignements culturels traditionnels ».
« Pourquoi suis-je assis dans une petite cabane dont le toit s’effond à moitié et dont les portes sont à un centimètre du seuil, de sorte que les oiseaux et les souris peuvent entrer? »
Un certain nombre d’Aînés ont indiqué que le manque d’accès prioritaire aux espaces spirituels et cérémoniels les empêchait de prodiguer des soins à leurs proches. Dans un établissement, l’espace mis à la disposition des Aînés pour les sueries ne dispose pas d’eau courante à proximité, ce qui peut représenter un défi majeur pour les Aînés et pose également des problèmes de santé et de sécurité. Le manque d’espace dédié aux Aînés pour effectuer leur travail et pour soutenir de manière adéquate les détenus autochtones alourdit la charge de travail des Aînés, qui doivent souvent improviser pour organiser leurs activités.
En ce qui concerne l’implication et la participation des Aînés aux conférences de gestion de cas et leur représentation aux tables de décision, l’expérience des Aînés est résolument mitigée. Les Aînés ont généralement raconté qu’ils avaient dû travailler très dur pour obtenir leur place et leur voix aux tables de décision. Dans certains établissements, la participation des aînés est intégrée au modèle de gestion de cas et certains ont fait état d’un accès régulier et direct à la direction, notamment en assistant aux réunions de gestion du matin ou en participant aux conseils d’intervention des directeurs d’établissement. D’autres ont indiqué que leur contribution et leur participation n’étaient sollicitées que lorsqu’elle s’avérait pratique ou utile pour le personnel. Dans l’ensemble, la communication et la confiance sont décrites comme déficientes, et ils rapportent être couramment refoulés. Un certain nombre d’Aînés ont parlé de réunions avec le personnel qui étaient régulièrement annulées.
Un Aîné a raconté l’expérience, assez courante, de la rédaction interminable de rapports, ce qui l’empêche de s’acquitter de ses tâches principales :
« Les antécédents sociaux des Autochtones et les traumatismes intergénérationnels sont les principaux éléments sur lesquels le personnel est formé. Tout ce qui est écrit doit être lié à ceux-ci. Tout le personnel est donc formé en la matière. Mais dans cette formation, ils disent toujours, demande l’avis de l’Aîné, demande aux Aînés de faire des commentaires, demande à l’Aîné de…, et donc tu es impliqué dans toutes les rédactions de rapports ou les programmes. Alors c’est ça qui arrive, lorsqu’ils veulent écrire quelque chose, il faut avoir la contribution de l’Aîné. Donc, nous ne passons pas autant de temps avec les détenus ».
En ce qui concerne les points généraux relatifs aux tâches administratives et à la rédaction de rapports, les Aînés ont fait part de diverses anecdotes. Travaillant dans le cadre de traditions orales, certains Aînés ne sont pas particulièrement doués pour la rédaction de rapports ou pour l’informatique. Naviguer dans la bureaucratie du SCC, travailler au sein de sa structure d’entreprise rigide ou même apprendre le langage spécialisé du système correctionnel pose des défis considérables, en particulier en l’absence ou l’insuffisance de toute formation d’orientation avant de mettre les pieds dans un établissement correctionnel.
En effet, en matière d’influence, les points de vue et la voix des Aînés sont en constant risque de ne pas être entendus ou écoutés dans un système qui s’appuie sur des documents écrits, une hiérarchie et une structure. Sur un plan substantiel, des inquiétudes ont été exprimées quant à l’utilisation (ou non) des rapports de progrès et des évaluations des Aînés dans les décisions du SCC ou de la Commission des libérations conditionnelles. Certains ont parlé de la frustration de voir les perspectives culturelles négligées, ignorées ou rejetées par les gestionnaires de cas. Un Aîné a parlé de l’importance des audiences de libération conditionnelle assistées par des Aînés : « Il est important que je puisse m’asseoir avec mes proches lorsqu’ils comparaissent devant la CLCC (Commission des libérations conditionnelles du Canada). Je peux attirer l’attention sur leurs réussites et leurs progrès, sinon, on ne les voit pas ».
Des préoccupations plus générales ont été exprimées quant à l’obligation d’intégrer les modèles et méthodes occidentaux dans les évaluations des progrès réalisés par les Aînés. La participation à un cercle de guérison peut ne pas sembler très importante ou méritée d’être notée dans les dossiers, mais pour une personne autochtone incarcérée dans un établissement à sécurité maximale, cela peut être un moment de transformation. Une personne qui suit un cheminement de guérison autochtone peut ne pas très bien se traduire par le fait de cocher une case d’achèvement de programme ou de respecter une date d’admissibilité à la libération conditionnelle lointaine ou illusoire.
Il n’y a pas beaucoup de place dans un dossier d’évaluation en vue d’une décision pour traduire ce que la notion d’un « corps, un esprit et une âme propres » signifie pour le potentiel de réinsertion ou la préparation à la réinsertion. Le SCC doivent encore trouver le moyen de faire le lien entre ces expériences et ces visions du monde, même si les Aînés empruntent ces deux voies tous les jours.
De nombreux Aînés ont évoqué les concepts occidentaux qui imprègnent les programmes autochtones et qui mettent l’accent sur le comportement plutôt que sur la guérison. D’autres ont noté une tendance au sein du SCC à utiliser la participation des Autochtones, à des activités culturelles ou spirituelles, comme moyen d’évaluer l’engagement ou les progrès réalisés dans le cadre de la planification correctionnelle. Certains ont fait référence à l’hypothèse répandue, mais erronée, au sein du SCC selon laquelle tous les Autochtones voudront suivre une variante de ce que l’on appelle le « chemin rouge» de la guérison. Comme l’a décrit en détail un Aîné :
« En 2017, ils ont vraiment mis l’accent sur la culture et la spiritualité. D’après ce que j’ai vu et ce qui se passe avec le personnel et les délinquants, la culture et la spiritualité sont en quelque sorte imposées. Ils disent : « Vous devez revenir à votre culture, vous devez revenir à votre spiritualité, et alors vous serez guéri ». C’est une approche qui me semble questionnable. J’ai également dit à la direction que la culture [et] la langue sont bonnes, mais [qu’ils] ont besoin de plus que ça pour réussir dans la société d’aujourd’hui. J’ai entendu des détenus me dire qu’ils étaient en quelque sorte obligés de se plonger dans leur culture et leur spiritualité, même s’ils n’en ont pas vraiment envie. Ils doivent s’inscrire à ceci, s’inscrire à cela. Et s’ils ne s’inscrivent pas et ne s’engagent pas dans la culture, je pense qu’ils font l’objet d’un rapport. Même avec la commission des libérations conditionnelles, lors des audiences auxquelles j’ai participé, on demandait toujours aux détenus ‘Qu’en est-il de ta culture et de ta spiritualité?’. Si un détenu ne s’engage pas dans cette voie, c’est un peu négatif pour l’octroi d’une semi-liberté ou d’une libération conditionnelle totale ».
Il va sans dire que le choix de ne pas accéder aux soutiens culturels et spirituels traditionnels (ou de ne pas suivre un « cheminement de guérison ») ne devrait pas être utilisé contre un délinquant autochtone en ce qui concerne les décisions relatives à l’administration de la peine. La même attente ne serait jamais tolérée dans un contexte non autochtone, chrétien ou caucasien.
La plupart des Aînés ont souligné la nécessité de mettre en place des programmes davantage axés sur les Autochtones, y compris l’enseignement des langues autochtones, des interventions en matière de santé et de bien-être, comme l’ Esprit du guerrier, Soigner les cœurs brisés , Mères de la tradition, WellBriety . De même, les Aînés ont évoqué la nécessité d’offrir une gamme plus étendue d’activités traditionnelles, telles que des aliments traditionnels, des festins saisonniers et traditionnels, des activités de récolte et de cueillette sur la terre et d’autres sorties en groupe. Presque tous ont plaidé en faveur d’un plus grand nombre de personnel autochtone à tous les niveaux.
3. Respect et reconnaissance des Aînés
Les rôles des aînés sont multiples et complexes et la charge de travail est exigeante et lourde. De la gestion de crise à l’éducation culturelle en passant par les conseils individuels, la rédaction de rapports et le mentorat, les Aînés répondent à de nombreux besoins au sein du SCC. Pourtant, de nombreux Aînés que nous avons interrogés ont indiqué qu’ils n’avaient reçu que peu ou pas de formation formelle, de mentorat ou d’orientation. Un certain nombre d’Aînés ne se souvenaient pas si quelqu’un au sein du SCC les avait informés de leurs attentes contractuelles, des considérations en matière de sécurité et de sûreté ou des politiques pertinentes avant qu’ils n’occupent leur poste. Une Aînée a raconté qu’elle avait littéralement erré dans l’enceinte du pénitencier pendant quelques jours avant de tomber sur une unité qui avait besoin de son aide.
Alors que l’impact des Aînés sur la vie des détenus est au cœur de leur travail, leur influence dépasse ce cadre et a aussi des répercussions positives sur la vie de leurs proches. Les détenus autochtones que nous avons interrogés nous ont raconté de nombreuses histoires positives sur leur expérience de travail avec les Aînés. Comme l’a dit un résident, avec l’aide d’un Aîné, « nous creusons en profondeur et nous travaillons sur des choses ». Les personnes interrogées ont souvent établi des parallèles entre le travail des Aînés et celui des professionnels de la santé mentale. Les résidents nous ont expliqué comment les Aînés abordaient le travail de guérison :
« Ils nous aident avec nos sentiments, notre psychologie. Ils sont des conseillers spirituels, mais leur formation repose sur leur expérience avec la culture, la communauté, les cérémonies et les traditions. Ils peuvent nous aider à surmonter nos peurs et à gérer nos émotions, à aller au fond des choses (pour) aborder nos problèmes ».
« Les Aînés ne nous poussent jamais à ne rien dire. Ils écoutent simplement, sans critiquer, rien. Ils font juste me laisser savoir qu’ils sont là pour moi ».
« En prison, ton esprit est brisé. Ton esprit est constamment attiré par la soumission. Voir un Aîné me tire toujours vers le haut. L’Aîné est comme le gars à la boxe qui met de la crème sur ton visage et t’aide à continuer le combat jusqu’à ce que tu gagnes éventuellement ».
Il convient de noter que l’impact des aînés s’étend au-delà des murs des établissements et même de la durée du séjour d’un détenu. De nombreux Aînés ont indiqué qu’ils offrent un soutien continu aux personnes de leur cercle de soins après leur libération.
« Nous avons notre propre suerie, mais nous ne l’ouvrons pas à tout le monde. Il s’agit davantage d’une suerie familiale, car elle a lieu chez nous. Lorsque les condamnés à perpétuité sortent, je leur donne notre numéro, ils peuvent nous appeler s’ils ont besoin de parler à quelqu’un, ou simplement pour prendre des nouvelles et dire : « Hé, je fais ceci ou cela, ou j’ai trouvé un emploi ou, vous savez, je fais ceci ou cela ». J’ai donc créé des liens avec les détenus qui ont été libérés ou qui se trouvent dans un pavillon de ressourcement ou une maison de transition ».
Le travail des Aînés a un impact positif à l’intérieur et à l’extérieur des établissements du SCC, tant pour le personnel autochtone que pour le personnel non autochtone. Comme l’a fait remarquer un Aîné : « J’ai eu la chance de travailler au SCC pendant plusieurs années. Vous savez, certaines des choses positives que j’ai vues, je pense que nous, en tant qu’Aînés, avons un impact positif sur les personnes avec qui on travaille ». Les Aînés soutiennent directement la mission du SCC, qui est de « changer des vies ».
Dans l’ensemble du SCC, cependant, il y a un manque fondamental de compréhension des cultures autochtones, des cérémonies et du rôle des Aînés au sein des établissements. Le manque de compréhension a des conséquences retentissantes, qui se manifestent souvent par un traitement discriminatoire, désobligeant ou irrespectueux. De nombreux Aînés ont indiqué qu’ils avaient rencontré des résistances à leurs enseignements et à leurs interventions au sein du SCC. Ils ont fait part de leur expérience en matière d’insensibilité culturelle et de réactions négatives de la part du personnel. Les Aînés attribuent ces attitudes à un manque de compréhension des problèmes auxquels sont confrontés les peuples autochtones et la communauté autochtone au sens large. Il est difficile de savoir si la résistance aux leçons, enseignements et activités des Aînés est due à un manque de compréhension ou de sensibilisation de la part du personnel du SCC ou à des attitudes racistes et discriminatoires plus générales dans la société. Quoi qu’il en soit, les exemples suivants de rencontres irrespectueuses ont été partagés :
« Nous n’avons pas de bonnes relations avec notre service de sécurité dans l’unité de garde en milieu fermé. Je suis ici depuis des années. C’est pas juste mon expérience ».
« Ce (manque de respect) est un problème constant que j’observe depuis sept ans, une attitude générale à l’égard de nos femmes [et] une attitude générale à l’égard de notre implication auprès de nos femmes ici ».
« Nous recevons des plaintes du reste de l’établissement concernant l’odeur de la cérémonie de purification par la fumée. Ça ne laisse qu’un sentiment de grand inconfort [ici]. Une année après l’autre, vous ne cessez de vous plaindre de nos remèdes ».
« Mon expérience m’a appris qu’il est bon d’avoir la peau dure. Il faut avoir la peau dure ici avec toute la politique qui s’y déroule ».
« La façon dont je le vois, je pense que les Premières Nations sont au fond du trou en ce qui concerne le service correctionnel, parce qu’on a aucune protection, aucune protection syndicale ou quoi que ce soit d’autre ».
« Les Aînés sont traités comme des enfants ou des nourrissons. Il en va de même pour les détenus autochtones ».
La plupart des Aînés ont raconté comment ils ont essayé de combattre l’apathie et l’insensibilité par l’éducation, la sensibilisation et les séances de compétence culturelle :
« J’ai essayé d’engager le dialogue avec la direction sur la nécessité de sensibiliser et d’éduquer davantage à l’histoire autochtone et aux problèmes actuels, mais j’ai toujours reçu une réponse négative. Je voulais créer ce genre de programme […] où il y aurait beaucoup d’activités qui sensibiliseraient à l’éducation sur ce que nous sommes aujourd’hui. Mais ils ont toujours dit non, nous ne voulons rien de ça. Ils ne m’ont pas donné de raison. Mais j’ai offert ces, ces services. À la fin, je pense que ce n’est pas vraiment mon rôle, d’après mon contrat et la manière dont il est rédigé, en ce qui concerne la sensibilisation et l’éducation aux questions autochtones. Mais je pense que ce serait une très bonne idée d’aller de l’avant avec le personnel et la direction pour comprendre qui nous sommes ».
D’autres ont fait état d’expériences plus positives et réussies :
« La semaine dernière, j’ai organisé une cérémonie de la suerie pour le personnel de [nom de l’établissement]. Le directeur et 10 autres participants sont venus. Ils sont tous nouveaux à nos méthodes, ils n’en savent rien. Il y a trois mois, le directeur a lancé l’idée d’organiser une cérémonie de la suerie pour le personnel, afin de leur présenter le type de travail que nous faisons. J’ai donc pris l’initiative d’organiser une cérémonie de la suerie pour eux vendredi dernier… Elle a commencé à neuf heures du matin et s’est terminée à quatre heures de l’après-midi. Je les ait eu pour toute une journée. Je leur ai essentiellement appris nos méthodes traditionnelles. [Les] résultats ont été très positifs. Aujourd’hui, quand je viens travailler, d’autres gardiens me disent que la cérémonie à laquelle l’un d’entre eux a participé a eu un impact positif sur eux et qu’ils veulent tous venir. Vous savez, ça me fait plaisir de voir, d’entendre qu’ils veulent apprendre, comme même le personnel ici à [nom de l’établissement] veut apprendre nos méthodes et ce que nous faisons, et comment nous aidons nos hommes dans ces établissements. Ils commencent à le comprendre. Ça me donne de l’espoir. Je travaille avec le directeur de l’établissement qui me soutient pleinement dans mon travail, ce [qui] fait une énorme différence. Il donne le ton [et] tous les autres suivent ».
« Cet agent correctionnel a dit : ‘Maintenant, je vais traiter ces gars différemment’. Vous savez, dans une unité, c’était si bon à entendre. Chacun d’entre nous, que tu sois un Aîné, un agent de probation ou [un] bar for bar , se trouve dans une position extraordinaire qui lui permet de faire la différence dans la vie de quelqu’un. Chacun d’entre nous a cette opportunité chaque jour».
Les Aînés ont indiqué que la participation du personnel et son intérêt pour l’apprentissage des méthodes autochtones dépendent de la réceptivité et de la volonté du personnel non autochtone, ainsi que du soutien de la direction, en particulier du directeur de l’établissement. La valeur de l’engagement et de la formation du personnel fait une énorme différence, comme l’a expliqué un participant : « Avant d’entrer dans un établissement, je devrais faire un enseignement à l’intérieur de la grande conférence de cas, où je pourrais expliquer aux gardiens et au personnel ce que je fais là et quelles sont mes intentions ».
Malgré la diversité des traditions et des cérémonies autochtones, les Aînés ont parlé d’une appartenance pan-autochtone omniprésente au sein du SCC. En effet, on pourrait supposer que le système correctionnel fédéral approuve de nombreuses pratiques, enseignements et cérémonies culturels largement inspirés par les Cris. Bien que les Aînés reconnaissent une certaine universalité à leurs enseignements, il existe également des distinctions claires d’une nation à l’autre et d’un océan à l’autre à l’autre. Comme l’a dit un participant: « Certains Aînés viennent des Prairies et organisent des cérémonies de sueries et des cérémonies du calumet, mais nous, les Salish de la Côte, nous organisons d’autres cérémonies, comme nos bains ». Un autre Aîné a donné son avis : « Beaucoup de pan-amérindianisme au SCC. Ils veulent que nous prenions des raccourcis pour organiser des cérémonies dans le cadre du SCC et ça ne fonctionne pas ». Un autre Aîné a déploré le fait que « leur système de gestion ne permet pas d’indiquer si le jeune est inscrit, non inscrit, métis ou inuit. Ils font de tout le monde des Premières Nations parce qu’ils ne savent pas ce que cela signifie ».
Cet amalgame des différences culturelles a des conséquences importantes, comme l’a indiqué un Inuit interrogé :
« Au début, quand j’ai commencé à travailler là-bas, la direction, etc., je pense qu’ils supposaient que nous [les Inuits] étions comme les Premières Nations, avec toutes les cérémonies, les sueries, les pavillons, la purification par la fumée et les cérémonies du calumet. Quelques semaines après mon entrée en fonction, on m’a demandé ‘qu’est-ce qui se passe? Tu n’organises pas de cérémonies ni rien de ce genre’. J’ai dit : Tu sais quoi? Nous ne sommes pas tous pareils! Ne faites jamais cette supposition. Je vais sensibiliser les gens à ce que nous sommes en tant qu’Inuits, parce que dans notre culture, il n’y a pas de cérémonies comme celles des Premières Nations ».
Les compréhensions non nuancées des méthodes traditionnelles du savoir et d’existence autochtones sont aggravées par les règles et protocoles institutionnels qui peuvent gravement déformer ou perturber les pratiques ou enseignements traditionnels. Plusieurs expériences ont été partagées concernant la façon dont le personnel du SCC s’impose ou applique des règles qui interfèrent avec les cérémonies :
« Je trouve que parfois la sécurité s’est impliquée dans certaines de nos cérémonies, et maintenant ils l’imposent à nos sueries […] Ce que j’ai réalisé avec le temps est que nos cérémonies commençaient à être changées, elles sont dans une certaine salle en fonction de la sécurité [par exemple]. […] Ensuite, ils imposent toutes les règles, et nous devons les suivre. Alors je pense, man, c’est vraiment en train de changer beaucoup de choses dans nos cérémonies et on n’est pas censé changer quoi que ce soit, comment nous faisons nos sueries, on est pas censé changer nos cérémonies [en] ajoutant ou en supprimant des éléments. Et je trouve que c’est un vrai problème ».
L’ingérence extérieure peut s’avérer particulièrement difficile lorsque l’application des politiques de sécurité du SCC oblige les Aînés à faire des compromis dans la prestation de leurs services. « Ça ne fait que cinq ans que je suis ici, mais je constate des changements où des non-autochtones essaient de nous dire comment organiser nos cérémonies, et il n’y a pas assez de personnes au-dessus de nous qui sachent comment faire ces choses ». Plusieurs Aînés ont raconté la nécessité d’obtenir des « autorisations » pour organiser des cérémonies: « Nous devons obtenir l’approbation des services de sécurité pour les grandes cérémonies, puis les réduire, alors je ne fais que des cérémonies plus petites ». Un autre Aîné a parlé de la nécessité de faire des cérémonies « quand il le faut, et non pas quand cela convient aux opérations ». Avec un certain humour, une personne interrogée a parlé de l’importance de préserver l’intégrité et l’authenticité des enseignements :
« J’essaie de m’assurer que je partage de bons enseignements, pas ceux de Grand-père Google. Nous devons préserver l’intégrité de nos enseignements et de nos cérémonies, faute de quoi nous suivrons le chemin du peuple Wendat. Nos cérémonies seront réduites. Le SCC doit nous donner la possibilité de maintenir l’intégrité des cérémonies ».
Aux niveaux de sécurité supérieurs, les Aînés ont parlé des restrictions de mouvement et d’association de la population qui entravent l’accès aux unités de vie et leur capacité à fournir et à mener des interventions. Sur ce point, les Aînés qui travaillent dans des établissements à sécurité maximale pour la population générale ont donné des exemples où leur seule présence a un effet apaisant. Ils ont signalé des cas où ils ont été appelés pour désamorcer des situations avant qu’elles ne deviennent incontrôlables. Quelques Aînés ont eu le sentiment qu’ils étaient utilisés par le personnel de sécurité qui semble ne pas se préoccuper de leur travail au-delà de la gestion des crises et du désamorçage des tensions.
Plusieurs Aînés ont raconté des histoires concernant le tabac, qui est considéré comme un produit de contrebande dans les établissements fédéraux. Ils ont parlé des contrôles exercés sur leurs remèdes et les éléments de leurs cérémonies, y compris l’obligation d’être « témoin » de la distribution ou de l’utilisation des remèdes en fonction des besoins. Dans certains établissements, l’accès des Aînés aux remèdes traditionnels, tel que le tabac, est limité, ces produits sont mis sous clé ou carrément interdit. Plusieurs Aînés ont raconté qu’ils s’étaient fait confisquer des objets culturels ou cérémoniels par le personnel de sécurité et qu’ils ne leur avaient pas été rendus. Quelques-uns ont fait état d’un manque d’endroits sécuritaires pour conserver les objets sacrés et cérémoniels tels que les tambours, les calumets et les remèdes. Les contrôles d’accès aux objets traditionnels peuvent parfois friser le ridicule, comme le rationnement des trousses pour les cérémonies de purification par la fumée ou le décompte hebdomadaire des allumettes.
Dans un certain nombre de cas, les Aînés ont parlé de la nécessité de s’adapter et de faire preuve de créativité pour contourner la myriade de règles lors de l’organisation de la cérémonie : « Parfois, nous devons faire de petits changements parce que nous n’avons pas le droit d’avoir du tabac ici et nous ne pouvons donc pas faire ces offrandes de tabac dans le feu. Nous ne pouvons pas utiliser de tabac lors de la cérémonie de la suerie. Nous utilisons donc de la sauge à la place du tabac ». Lorsque confronté aux griefs du personnel au sujet de la purification, un Aîné s’est montré particulièrement direct quant à la réalité à laquelle ses proches font face: « Lorsque le personnel se plaint de l’odeur de la cérémonie de purification par la fumée, il devrait peut-être déménager, car nos proches ne le peuvent pas ».
Il y a un point plus large et beaucoup plus important à noter ici. Tout d’abord, l’accès et la participation à la culture et à la spiritualité autochtones ne constituent pas un programme, un privilège ou une simple intervention de plus, comme certaines personnes au sein du SCC voudraient le faire croire. Ce sont des droits. Les remèdes destinés à la pratique spirituelle, y compris l’usage et les offrandes de tabac, ne doivent pas être refusés si l’on estime qu’ils sont nécessaires à la cérémonie. L’accès aux Aînés ou à la spiritualité autochtone ne peut être annulé, retiré ou supprimé à la discrétion des autorités correctionnelles. En dehors du SCC, les Aînés sont vénérés, honorés, respectés et on leur fait confiance, en fonction de leur statut dans la communauté. Ils ont besoin d’espace et d’autonomie pour accomplir leur travail au sein d’un système qui comprend, adopte et prend en compte les pratiques spirituelles et cérémonielles correspondant à leur rôle et à leur statut.
4. Vulnérabilité des Aînés
Bien que les Aînés autochtones ne soient pas définis par leur âge, il est indéniable que les dons de la sagesse, du savoir et des compétences spirituelles et culturelles s’accumulent au cours de toute une vie d’expérience. Le fait est qu’un grand nombre d’Aînés du SCC sont des personnes âgées ou très âgées, souvent à la retraite et ayant largement dépassé l’âge de la retraite. Ce seul fait suggère la nécessité d’un meilleur soutien, plus complet et plus compatissant de la part de leur employeur.
De nombreux Aînés ont indiqué que la nature de leur travail créait un environnement dans lequel ils se sentaient souvent isolés et non soutenus par leur employeur :
« Parfois, on se sent vraiment seul. Je pense que le simple fait d’avoir cette [conversation] aujourd’hui signifie beaucoup pour moi de pouvoir entendre les autres et de savoir ce qu’ils vivent ».
« Je pense que je fais du bon travail, j’essaie de faire de mon mieux. Je pleure. J’ai des journées difficiles, quand la plupart des gens seraient en position fœtale après une journée passée avec moi. Après ce que j’écoute et ce que les autres Aînés écoutent ».
« Nous avons besoin de soutien. Nous avons besoin de personnel autochtone, nous devons arrêter d’embaucher uniquement des personnes intéressées par notre culture. Il est bon d’avoir des alliés, mais nous avons vraiment besoin d’une gestion par les Autochtones ».
De nombreux Aînés ont exprimé le besoin de se réunir plus souvent, dans un cadre confidentiel et sûr, pour échanger et prendre soin les uns des autres :
« Nous n’avons pas assez de réunions en face à face ou de conférences avec les autres Aînés, nous en avons besoin, je pense que c’est très important parce que le travail que nous faisons est très spécialisé. Nous n’avons pas vraiment d’occasions de renforcer l’esprit d’équipe pour apprendre à nous connaître et à interagir. Comprendre que nous ne sommes pas seuls dans le travail que nous essayons de faire ».
« Les Aînés doivent se rassembler pour se soutenir mutuellement. Ici, nous nous réunissons, mais dans d’autres établissements, ce n’était pas le cas. Nous avons besoin de plus de partage et de rassemblement entre les Aînés aux niveaux régional et national ».
« Nous, les Aînés, devons pouvoir prendre du temps pour nous réunir, nous soigner, manger ensemble, nous soutenir mutuellement ».
« Il serait bon de rencontrer d’autres Aînés de tout le pays pour comprendre ce qu’ils font et pour dire au SCC ce dont nous avons besoin ».
« Des réunions d’Aînés, au moins une fois par année, seraient parfait. Je suis juste un jeune homme et je pourrais apprendre beaucoup des autres qui ont plus de connaissances ».
Quelques Aînés ont fait remarquer que les seuls rassemblements semblent avoir lieu lorsqu’il y a un conflit ou une discorde entre eux. 70 Les Aînés ont également estimé qu’une meilleure formation était nécessaire, notamment en ce qui concerne les traumas. La plupart des questions que les Aînés tentent de résoudre avec les détenus sont troublantes et peuvent avoir un impact profond sur eux en tant que membres de la communauté autochtone. Les Aînés ont souvent fait remarquer qu’ils devaient supporter les traumatismes qui leur étaient rapportés et que leur propre bien-être en souffrait :
« Certains des obstacles que je vois sont liés au fait que nous avons besoin d’une formation plus poussée en matière de trauma. Plus de formation sur les questions de santé mentale. Les problèmes de santé mentale sont considérables ici dans les [établissements]. Et je n’ai pas les outils pour les aider. Je fais face à des cas de dépression, d’anxiété et d’institutionnalisation. Ce sont quelques-uns des obstacles auxquels je fais face ».
Une formation adéquate sur la gestion des traumatismes, à la fois pour aider les détenus à faire face à leurs traumatismes et pour éviter qu’ils ne se fassent du mal à eux-mêmes, serait un moyen efficace de soutenir les Aînés travaillant pour le SCC.
L’effet combiné des problèmes de vulnérabilité des Aînés soulevés dans cette enquête (manque de soutien, mauvaise gestion, rémunération inadéquate, manque de respect, lourdes charges de travail) fait que de nombreux Aînés se sentent stressés, isolés et épuisés.
« Quel est l’intérêt pour moi de travailler pour… Tout le monde démissionne. Tous les Aînés que je connais. Je connais tant d’Aînés partout au Canada et même mon propre père occupe ce travail depuis 14 ans, par intermittence. Il a dit que c’est le pire emploi au Canada. Nous devrions avoir la place de stationnement à côté du directeur, mais au lieu de ça, nous sommes le sous-traitant à l’arrière, traités comme des briseurs de grève sans rien pour nous protéger ».
« Nous nous épuisons si nous ne travaillons pas ensemble. Si nous avons besoin de prendre un jour, un jour pour la santé mentale, pourquoi ne pouvons-nous pas le faire sans perdre notre salaire? […] Pourquoi ne pas prendre cet après-midi pour parler à un autre Aîné? ».
Une dernière préoccupation soulevée par les Aînés participants et qui nécessite une certaine réflexion de la part du SCC est la question de l’auto-identification des Autochtones. 71 Les non-Autochtones qui prétendent être autochtones est un phénomène qui s’est récemment développé au Canada, et il existe peu de guides institutionnels sur la manière de vérifier l’appartenance à une population autochtone. L’absence de contrôles dans ce domaine entraîne une charge de travail supplémentaire pour les Aînés qui doivent s’occuper de personnes ayant un lien ténu avec l’héritage autochtone. Le fait que des personnes non-autochtones se fassent passer pour des Autochtones afin d’avoir accès à des mesures de soutien réservées aux détenus autochtones prive ces derniers de l’aide dont ils ont besoin et empêche les Aînés de leur apporter un soutien total.
La gestion de cette question, avec peu ou pas d’orientation de la part du SCC, ajoute au défi et au stress de la charge de travail des Aînés, comme l’illustrent les commentaires ci-dessous :
« Le deuxième problème le plus important que nous rencontrons est celui de l’auto-identification lorsque les détenus arrivent dans l’établissement et qu’ils cochent la case « Métis ». C’est tellement démoralisant. […] J’essaie de construire un groupe et tout le monde se bat. Les francophones qui s’auto-déclarent se battent avec les vrais Cris qui ne le sont pas vraiment. Je dis simplement qu’il y a de gros problèmes d’auto-identification ».
« Tout le monde me parle de ses problèmes, mais la moitié de ces personnes n’ont même pas d’antécédents sociaux des Autochtones. La moitié de ces personnes se disent autochtones parce qu’elles veulent un hamburger de bison gratuit une fois par mois ».
« Par le temps qu’ils arrivent jusqu’à moi, ils devraient déjà être autochtones. Je ne devrais pas enseigner à ces personnes comment être Indien ».
« Cela fait 20 ans que nous travaillons à l’intérieur, et ce qui a changé, c’est l’afflux de détenus qui s’auto-identifient. Ils ne sont pas vraiment autochtones, mais ils affirment que leurs racines remontent à très, très loin. Ils entrent dans le groupe, mais n’ont pas le même lien avec les communautés. Ils créent des problèmes pour le groupe ».
« Ils [le SCC] leur demandent simplement « êtes-vous autochtone» et il [le détenu] répond « je ne sais pas, peut-être que mon arrière-arrière-grand-mère l’était ». Il décide donc d’être autochtone. [...} Ces jeunes qui viennent ici ont grandi en étant blancs, ils ne savaient pas qu’ils étaient autochtones en grandissant. Mais on leur a dit que s’ils disaient qu’ils étaient autochtones, ils obtiendraient des privilèges particuliers ».
Un Aîné a fait remarquer que son contrat ne mentionnait qu’il fournirait des services qu’aux Autochtones, mais que certains membres de l’établissement attendaient de lui qu’il travaille avec l’ensemble de la population de l’établissement. Dans certains cas, les prisonniers non-autochtones étaient tellement frustrés de ne pas pouvoir accéder au soutien destiné aux Autochtones qu’ils en sont venus à crier sur l’Aîné et à l’accuser de racisme. En outre, certains Aînés ont indiqué qu’ils seraient heureux de fournir des services à l’ensemble de la population carcérale, à condition que cela soit fait de manière appropriée et que cela n’empiète pas sur les services qu’ils fournissent aux détenus autochtones :
« Je suis prêt à venir vous voir et à vous rencontrer pour savoir si vous suivez notre voie ou nos méthodes autochtones. Si c’est le cas, j’aimerais que vous participiez à une cérémonie de la suerie avec nous ».
« J’essaie d’être ouvert d’esprit et de ne pas imposer une seule voie. Enseigner les enseignements par l’exemple, le respect, la gentillesse, l’ouverture d’esprit. Tu n’as pas besoin de rien dire. Il suffit de montrer l’exemple par la manière dont on se comporte et dont on traite les gens, et ils apprennent ».
Conclusion et recommandations
Les résultats de la présente enquête ne sont pas entièrement nouveaux, ni même révolutionnaires, mais les engagements et les méthodes par lesquels les opinions des Aînés ont été recueillies le sont. En donnant la parole aux Aînés et en relatant leurs expériences, les participants à l’enquête ont fait part de certaines préoccupations fondamentales et d’engagements non tenus :
- Manque de compréhension du rôle et de la contribution des Aînés au sein du SCC.
- Absence d’une approche cohérente et nationale de l’engagement des Aînés.
- Absence de représentation des Aînés au sein des structures décisionnelles du SCC.
- Reconnaissance, rémunération et soutien des Aînés insuffisants à tous les niveaux.
Il n’est pas certain que ces problèmes systémiques soient résolus par un nouvel examen du modèle contractuel pour les Aînés ou par une clarification des indicateurs de ressources pour les services d’Aînés, bien que le SCC semble obstinément refaire sans cesse la même chose. Les efforts déployés pour assurer un soutien et une gestion adéquats des services d’Aînés au sein du SCC ne seront pas couronnés de succès si l’on ne décide pas comment et où le contrôle, l’évaluation et le suivi de ces activités s’inscrivent au sein de l’agence. Plus directement, si les Aînés n’ont pas leur place à la table, si leurs nations ne sont pas représentées ou accueillies comme des partenaires égaux lors de la prise de décisions du SCC, si les dépenses du système correctionnel continuent de ne pas être liées aux taux de représentation autochtone, alors le risque persiste que les initiatives autochtones au sein du SCC ne soient jamais dirigées par des Autochtones.
Les Aînés ont une sagesse et un savoir à partager, mais le SCC doit être beaucoup plus disposé à accepter et à intégrer ces dons et à faire un meilleur usage de la vaste expérience des Aînés en ce qui concerne les modes de connaissance et d’existence autochtones. Le SCC a intégré les Aînés dans son plan et son cadre de travail sur le système correctionnel autochtone, mais il est loin d’avoir adopté une approche axée sur les Autochtones . Les services correctionnels pour les Autochtones combinent les connaissances occidentales et les perspectives autochtones. Les Aînés sont le lien entre ces deux visions du monde et la ressource la plus importante pour les détenus autochtones. Ils ont été engagés pour apporter un soutien spirituel et culturel aux hommes et aux femmes autochtones sous le coup d’une peine fédérale. L’intégrité de leurs enseignements et de leurs pratiques doit être honorée et respectée. Le SCC a le devoir d’offrir aux Aînés un espace sûr pour effectuer leur travail, à l’abri du harcèlement, de la discrimination et du manque de respect.
Le SCC reconnaît à juste titre qu’il a besoin d’Aînés pour répondre aux besoins des Autochtones en détention. Toutefois, l’une des principales conclusions de cette enquête est qu’il ne semble pas savoir où et comment les interventions des Aînés s’intègrent dans ses structures globales organisationnelles et d’établissement de rapports. Les Aînés qui ont accepté de participer à cette enquête ont souvent fait part de leur confusion et de leur incertitude quant aux personnes auxquelles ils rendent compte, à celles qui les supervisent et les contrôlent, ou à la manière dont leurs contributions sont intégrées au sein du SCC. À tous les niveaux de l’organisation, il semble y avoir un manque fondamental de compréhension du rôle des Aînés. Comme l’ont indiqué les Aînés eux-mêmes, il y a très peu de cohérence dans la manière dont le SCC s’engage dans leur travail, dans la manière dont il sélectionne, embauche et conserve leurs services ou dans la manière dont l’agence reconnaît ou soutient leur travail. Malheureusement, cette mauvaise administration et cette mauvaise gestion généralisées font que de nombreux Aînés se sentent extrêmement vulnérables, isolés, marginalisés, exclus, non soutenus, non respectés et épuisés.
Au sein du SCC, les services d’Aînés sont souvent qualifiés de «complémentaires », comme si, à petites doses, les interventions des Aînés contribuaient à un ensemble plus grand ou plus complet. Il serait peut-être plus judicieux de considérer les services d’Aînés comme des services substantiels, ayant une valeur indépendante et significative, qui ne doivent pas être subordonnés ou considérés uniquement en relation avec les interventions du SCC. Dans l’état actuel des choses, il y a peu de place dans le monde du SCC pour traiter les Aînés comme des partenaires complémentaires et égaux dans le but de « changer des vies ». Cette situation doit changer.
Bien que le SCC reconnaisse souvent publiquement l’importance des Aînés, ceux qui ont participé à cette étude ont indiqué qu’ils étaient constamment confrontés à des obstacles, des interférences et des pressions au sein du SCC, un milieu de travail qui exacerbe leur vulnérabilité dans leur rôle. Les Aînés ont fait état de responsabilités accrues, en particulier de tâches administratives, sans soutien supplémentaire, ce qui les détourne de leur obligation première de répondre aux besoins culturels et spirituels des délinquants autochtones. Le manque de sensibilisation et de compétences culturelles au sein du SCC sape l’autorité des Aînés sur les interventions autochtones, comme l’initiative des Sentiers autochtones, qu’ils sont chargés de diriger. Les Aînés ont décrit faire face à la discrimination et au manque de respect à tous les niveaux du SCC, en grande partie en raison d’un manque de compréhension de leur contribution et de leur rôle. Ces conditions de travail peuvent les rendre vulnérables à l’épuisement émotionnel et professionnel.
Lorsque les Aînés se sentent soutenus et valorisés, ces sentiments dépendent de la culture et de la direction des établissements dans lesquels ils travaillent. Pratiquement tous les Aînés ont cité les administrations centrales et régionales comme un obstacle à leur travail; peu d’entre eux ont pu comprendre la logique ou le raisonnement des autorités régionales qui agissent en tant que « détenteurs » et « superviseurs » de leurs contrats. Les Aînés se sentent beaucoup plus valorisés lorsqu’ils travaillent en collaboration avec leur établissement d’origine :
« Les gens d’Ottawa, loin d’ici (geste de la main pour montrer la distance), nous donnent toujours des indications, mais ne connaissent pas notre façon de faire. La situation n’a pas été meilleure à l’administration régionale. L’administration centrale nous a demandé si nous voulions que nos contrats soient gérés par l’Administration nationale ou par un établissement, nous voulions que ce soit l’établissement, mais le contrat a quand même été envoyé à l’Administration nationale ».
« La direction (de l’établissement) nous comprend, nous écoute et veut nous laisser faire des choses, mais le bureau de la (RÉGION) dit « non ». Parfois, l’administration régionale et l’établissement sont d’accord, mais ensuite Ottawa dit « non ». Ottawa est si loin et la façon dont ils font les choses là-bas en Ontario n’est pas la façon dont nous faisons les choses ici ».
« Personne ne se sent soutenu par la région. Une partie de ça est que l’administration régionale est responsable pour toute la région, ils sont trop occupés pour nous! ».
Les Aînés accordent une grande importance à leur autonomie et à leur indépendance (et les défendent farouchement), ce qui ajoute à la complexité de la relation, mais il est manifestement inutile que leur travail soit supervisé par des autorités régionales qui sont très éloignées ou incapables de résoudre les problèmes sur leur lieu de travail local.
En outre, comme de nombreux Aînés employés par le SCC ne restent pas longtemps dans leurs fonctions, leur mémoire et leur point de vue sur l’évolution de ces structures au fil du temps (y compris depuis le rapport Une question de spiritualité ) sont limités. Il est important que le SCC travaille à l’élaboration d’indicateurs de suivi et de mécanismes de rétroaction afin que les Aînés puissent faire part de leurs préoccupations et formuler des recommandations d’amélioration pour l’avenir sans crainte de représailles.
Les changements durables et à long terme qui favorisent le bien-être des Autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux, notamment en soutenant les Aînés qui travaillent au sein du SCC pour offrir une guérison culturelle et spirituelle, des conseils, une orientation et un leadership, nécessiteront des actions plus transformationnelles. Certaines de ces mesures peuvent être prises au sein du SCC, par exemple en donnant aux Aînés plus de contrôle sur les programmes culturels destinés aux délinquants autochtones, en offrant des incitations au maintien de poste telles qu’une plus grande sécurité de l’emploi et une meilleure rémunération plutôt qu’un emploi contractuel, et en intégrant des Aînés et des chefs d’autres populations autochtones dans les structures de gouvernance et la planification stratégique du SCC.
Cette enquête détaille les expériences des Aînés qui travaillent dans les établissements correctionnels du Canada. Les idées partagées offrent une orientation et une voie à suivre pour mieux reconnaître et soutenir les Aînés au sein du SCC. Ces recommandations correspondent à l’analyse thématique du présent rapport.
- Je recommande au SCC de créer une sécurité d’emploi et des aides financières supplémentaires pour les Aînés :
- Les Aînés devraient être rémunérés de manière comparable au personnel du SCC, ainsi qu’à ceux qui occupent des fonctions similaires, comme les employés du gouvernement fédéral qui travaillent comme aumôniers.
- Les Aînés devraient se voir proposer l’accès à un régime de prestations qui favorisera leur bien-être à long terme, y compris l’accès à des ressources et un soutien en matière de santé mentale et de traumatismes, aux congés de maladie, aux vacances, au régime de pension et à l’épargne, ainsi qu’aux soins auto-administrés, au même titre que les employés du gouvernement fédéral.
- Le SCC devrait supprimer les énoncés de travail onéreux qui imposent un fardeau administratif excessif aux Aînés.
- Le SCC devrait repenser la manière dont les Aînés rendent compte et à qui ils rendent compte.
- Le SCC devrait veiller à ce que les idées des Aînés soient correctement prises en compte et intégrées dans les dossiers et les décisions de gestion de cas.
- Je recommande au SCC d’intégrer les Aînés dans ses structures de direction et de gouvernance, dans le respect de leur autonomie et de leur indépendance avec la même révérence, la même reconnaissance et le même statut que ceux accordés aux Aînés dans les communautés autochtones.
- Je recommande au SCC de mettre au point une formation d’accueil normalisée pour les Aînés, qui décrive les attentes, les règles et les pratiques en matière d’établissement de rapport du SCC. Le SCC devrait s’efforcer de réduire les écarts et les différences entre les établissements et leurs pratiques à l’égard des Aînés. Il pourrait s’agir de l’élaboration de lignes directrices ou de politiques nationales pour le travail avec les Aînés, ainsi que d’un soutien par les pairs.
- Je recommande que le SCC fournisse aux Aînés, dans le cadre de leurs conditions de travail, des espaces intérieurs et extérieurs appropriés, prioritaires et dédiés à l’organisation des cérémonies et des programmes, ainsi qu’à des consultations confidentielles. Les Aînés devraient garder le contrôle sur tous les objets utilisés pour les cérémonies culturelles et spirituelles, y compris les remèdes sacrés. Pour plus de clarté, le SCC ne doit pas interférer avec le droit des peuples autochtones à la propriété, au contrôle, à l’accès et à la possession (PCAP) de la propriété intellectuelle autochtone, y compris les programmes d’études, les cérémonies et les connaissances, partagées par les Aînés, dans le cadre de leur travail avec le SCC.
Message de conclusion
Considérée dans son ensemble, cette enquête, en deux parties et menée sur deux ans, révèle des thèmes communs et des problèmes fondamentaux dans le cadre d’ Autochtones d’abord du SCC. Basé sur la voix de plus de 200 personnes qui vivent et travaillent dans le système correctionnel fédéral, ainsi que sur des perspectives des organisations et des groupes autochtones externes que nous avons rencontrés en cours de route, il est plus clair que jamais que les composantes du continuum de soins autochtones du SCC (c.-à-d. les pavillons de ressourcement, l’initiative des Sentiers autochtones et les Aînés) ne fonctionnent pas comme prévu, et que la poursuite des mêmes activités ne contribuera guère à régler les problèmes sous-jacents. Il est devenu tout à fait clair qu’un changement radical est nécessaire au niveau institutionnel, structurel, culturel et même philosophique du système correctionnel fédéral, afin de redéfinir le rôle que le Service correctionnel a joué dans la perpétuation de la surreprésentation, et de contribuer à sa résolution.
Selon nos estimations, l’aboutissement de nos enquêtes et de leurs conclusions fournissent des preuves irréfutables de l’existence de problèmes plus vastes et dominants au sein du système correctionnel, suggérant ce qui suit :
- le paternalisme organisationnel et les risques liés à la politique de reconnaissance;
- l’homogénéisation et la prescription de l’appartenance autochtone ;
- l’utilisation de la culture comme programme;
- les critères d’exclusion et les investissements à courte portée du continuum de soins autochtones;
- la nécessité de mieux exploiter les possibilités existantes pour progresser. .
Paternalisme organisationnel et politique de reconnaissance
Le service correctionnel ne peut pas nier son histoire. Il s’agit d’une institution profondément coloniale, parmi d’autres, qui a joué un rôle central dans la marginalisation et la criminalisation des peuples autochtones dans ce pays. Aujourd’hui, alors que les institutions publiques semblent faire des efforts délibérés pour se réconcilier avec les peuples autochtones, le système correctionnel doit lui aussi naviguer dans ces vagues de changement. Si les pressions publiques et sociales se sont effectivement intensifiées ces dernières années, comme indique le présent rapport, les attentes en matière de système correctionnel pour redresser la barre, en particulier en ce qui concerne la surreprésentation des Autochtones dans le système correctionnel, sont littéralement en gestation depuis des dizaines d’années. Comme nous l’avons suggéré, le manque d’innovation et l’inertie ont conduit à un héritage ininterrompu de promesses non tenues.
Dans le meilleur des cas, le SCC est enclin à conserver le pouvoir, l’autorité et le contrôle, ce qui limite sa capacité à réaliser sa propre forme de prise en compte de la décolonisation. Cette incapacité à l’autoréflexion s’est faite au détriment de son engagement envers les peuples autochtones. Que ce soit intentionnel ou non, le SCC a utilisé la situation critique des peuples autochtones pour se donner de plus en plus de ressources et investir ces fonds dans des modèles obsolètes de pratiques correctionnelles courantes sous de nouveaux noms (p. ex. l’initiative des Sentiers autochtones, les pavillons de ressourcement gérés par l’État, le continuum de soins, la gestion par les Autochtones).
Les outils législatifs et les soutiens politiques mis à la disposition du système correctionnel depuis des décennies, qui ont offert des moyens nouveaux et originaux de bâtir des ponts avec les communautés (par exemple, les pavillons de ressourcement, les accords au titre des articles 81 et 84), ou des possibilités d’élever et d’habiliter un ensemble différent de voix et de dirigeants tels que les Aînés, ont été négligés et leur potentiel a été gâché. Sous prétexte d’être « dirigé par les Autochtones », le SCC s’est toujours placé dans le siège du conducteur, tenant les peuples autochtones à distance, sans les inviter à la table des décisions au niveau local, régional et national. Malheureusement, le Service correctionnel a conservé les vestiges d’une institution coloniale, en s’accaparant l’autorité, les ressources et la capacité de dicter ce qui doit être fait, comment et pour qui. Ce faisant, le rôle et la portée des individus et des communautés autochtones sont tellement marginalisés et insuffisamment financés qu’il est difficile d’ignorer la conclusion selon laquelle ils ont été voués à l’échec. Les dés sont tournés en faveur du système correctionnel traditionnel, d’une manière qui garantit que « la maison gagne toujours ».
Plus inquiétant encore, on a l’impression que le Service correctionnel a joué un jeu de politique de reconnaissance, où il a appris à parler de réconciliation pour augmenter sa base de ressources, calmer les inquiétudes des détracteurs et des défenseurs, et gagner encore du temps. Cela n’a été d’aucune utilité pour les Autochtones qui se trouvent derrière les barreaux, ni pour leurs familles à la maison. En outre, comme il est clairement ressorti de nos entrevues, cette situation a contribué à nuire à la crédibilité des efforts de réconciliation dans leur ensemble, en inspirant la méfiance à ceux qui considèrent que le système correctionnel vit « sur le dos des populations autochtones ». L’un des plus grands risques d’une reconnaissance creuse est qu’elle donne au système une excuse pour continuer à gagner du temps, en envoyant le message qu’il est dans un processus constant de prise de conscience , d’apprentissage et de transformation. On peut dire sans risque de se tromper qu’il n’est plus temps de plaider pour la patience des peuples autochtones de ce pays, en particulier de ceux qui passent leur temps derrière les barreaux.
S’engager dans une démarche de reconnaissance implique une grande responsabilité. La reconnaissance d’un problème crée l’attente que vous fassiez quelque chose pour le résoudre. Il est donc compréhensible que la situation invite à l’examen public et à la reddition de comptes. Feindre les efforts de réconciliation ne fera pas seulement reculer le système correctionnel dans l’opinion des peuples autochtones, mais risque également de ternir la réputation d’autres institutions publiques qui tentent de s’engager plus sérieusement dans l’établissement de relations sérieuses de nation à nation.
Prescrire l’appartenance autochtone
Comme nous l’avons décrit, le fait d’assumer le travail et la responsabilité d’une véritable réconciliation comporte des risques. Il y a à la fois le danger de le faire de manière malhonnête (ou pour servir de prétexte à d’autres motifs) et le danger de le faire mal. Une partie de ce travail consiste à décider qui est le mieux placé pour mener la charge. Par conséquent, ces risques soulignent encore davantage la raison pour laquelle la direction de ce type de travail ne devrait pas du tout relever du système correctionnel. Pour illustrer ce dernier risque, l’une des principales conclusions des trois enquêtes est que le système correctionnel s’est aventuré sur le terrain délicat de la définition de ce que signifie être Autochtone . En utilisant une approche largement pan-autochtone et un point de vue principalement non-autochtone, le SCC a pris l’habitude de prescrire une marque particulière de l’appartenance autochtone, exigeant que les détenus y souscrivent afin d’avoir accès à tout type de services et de programmes « adaptés à la culture », ou à des formes plus opportunes de libération. C’est ce que nous avons entendu à maintes reprises au cours de nos entrevues. Il en résulte souvent des conceptualisations grossières, exagérées et homogénéisées de la culture, superposées aux interventions correctionnelles classiques. La marque de l’appartenance autochtone établie par le SCC ne tient pas compte du fait que la plupart des Autochtones vivent dans deux mondes et que la diversité de la culture autochtone existe dans un riche éventail de cultures et d’identités individuelles. En outre, une approche unique ne tient pas compte des différences culturelles importantes qui existent entre les Premières Nations, les Métis et les Inuits.
Le système correctionnel ne devrait pas avoir pour mission de choisir ou d’imposer une marque de culture ou d’identité à qui que ce soit. Il ne doit pas non plus faire de l’acceptation d’une telle marque la condition pour accéder aux services, aux programmes et à la libération en temps opportun. Si nous avons appris quelque chose du passé, exiger que des Autochtones s’assimilent ou s’émancipent, pour avoir accès à la justice, n’est rien d’autre qu’une violation des droits de la personne.
La culture en tant que programme
L’un des nombreux risques liés à la définition et à la prescription de la culture est qu’elle ouvre la porte à l’utilisation de la culture comme une sorte de programme « souple » qui peut être conditionné, dosé et mis en œuvre comme n’importe quelle autre intervention correctionnelle. D’après les résultats des enquêtes, on a l’impression que le SCC a greffé son propre langage, ses attentes et ses critères (respect de la planification correctionnelle, potentiel de réinsertion, modification du comportement) sur ces initiatives et les a ensuite renommées comme si elles étaient en quelque sorte dirigées par des Autochtones ou accordent la priorité aux Autochtones. La culture n’est pas un programme. De plus, en traitant la culture comme un programme, elle caractérise mal les expériences de culture, de formation de l’identité et de guérison comme un processus simpliste, linéaire, additif ou graduel, pour lequel les signes de régression peuvent être pénalisés, comme dans le cas d’autres programmes correctionnels (par exemple, expulsion du programme, renvoi en prison). L’accès ou la participation à la culture ou à la guérison d’une personne ne devrait pas se mériter. Il ne devrait pas être nécessaire de démontrer que l’on est prêt à suivre un cheminement de guérison traditionnelle ou que l’on a le potentiel pour le faire. La culture ne doit pas être utilisée comme une incitation ou une récompense pour un placement plus favorable. Le SCC ne semble guère reconnaître que l’accès à la culture, aux cérémonies et à la guérison traditionnelle est en fait un droit et non un privilège . Comme nous l’avons documenté, il y a peu de conséquences observables lorsque le personnel entrave, obstrue, nie, manque de respect ou interfère avec l’intégrité ou l’authenticité de la cérémonie autochtone ou l’accès à ces droits dans un contexte correctionnel.
Critères d’exclusion et investissements à court terme
Comme le montrent les règles d’accès aux programmes et initiatives tels que les pavillons de ressourcement et l’initiative des Sentiers autochtones, le Service correctionnel a fixé des normes largement inatteignables pour la plupart des peuples autochtones afin qu’ils puissent bénéficier des dispositions prévues par la loi. De son propre fait, le SCC a établi des obstacles et des critères qui excluent intentionnellement les personnes qui ont le plus besoin de ce soutien. Il y a des avantages évidents à placer la barre très haut pour les placements dans le cadre des initiatives des Sentiers autochtones ou des pavillons de ressourcement : cela permet de sélectionner les personnes qui semblent les plus susceptibles de réussir, ce qui fait que ces interventions semblent « efficaces » selon leurs propres critères et mesures étroits, et franchement, ces personnes peuvent être plus obéissants et donc faciliter le travail avec elles. Cependant, le nombre de bénéficiaires potentiels a été réduit à un point tel que plus de 90% des Autochtones emprisonnés n’y ont pas accès. En outre, si les fonds alloués aux initiatives autochtones sont faibles par rapport à la population importante qu’elles sont censées servir, ils ne sont en fait utilisés que pour soutenir une minorité des personnes parmi les plus prometteuses. Trop d’efforts et de ressources sont réservés à un si petit groupe de personnes, qui n’ont probablement pas besoin autant de ce niveau de soutien que la majorité exclue, ce qui explique pourquoi ces initiatives ont si peu contribué à faire avancer les choses en ce qui concerne le problème plus important de la surreprésentation.
Possibilités existantes de pistes pour l’avenir
Dix ans après Une question de spiritualité , il est clair que très peu de progrès ont été réalisés pour améliorer la situation de la majorité des Autochtones qui purgent des peines fédérales. Des changements fondamentaux doivent d’abord avoir lieu pour permettre de telles transformations systémiques. Cela dépendra en grande partie si et quand les communautés autochtones se voient confier ou non une part importante du contrôle et des ressources. Il y a là matière à un optimisme prudent. Comme nous l’avons constaté, une voie plus prometteuse consiste à investir davantage dans les communautés, par exemple, par l’intermédiaire de pavillons de guérison gérés par les communautés, d’accords relevant de l’article 81 avec les communautés et les organisations, afin de favoriser la réconciliation et de réduire l’incarcération excessive des Autochtones.
L’une des pratiques les plus prometteuses, que nous avons entendues dans les trois enquêtes, est l’importance des Aînés et le rôle essentiel qu’ils jouent dans le soutien profondément significatif aux personnes, autant aux personnes incarcérées qu’aux membres du personnel. Pour des nombreuses personnes que nous avons rencontrées, ce sont les Aînés qui ont fait toute la différence en les aidant à retrouver le chemin de leur culture, de leur identité et de leur objectif. En fin de compte, le Service correctionnel n’a pas nécessairement besoin de comprendre ce que font les aînés, et il ne devrait pas non plus s’efforcer d’emballer et d’offrir en masse ce que font les aînés dans le cadre d’un autre programme correctionnel. Le SCC doit simplement être convaincu que les Aînés apportent quelque chose d’intangible que le Service correctionnel ne peut et ne doit pas offrir; le Service est donc le mieux placé pour écouter, respecter, protéger et investir dans les Aînés, comme ces derniers et tant d’autres le demandent.
Il y a beaucoup à dire sur le fait de confier des ressources à des initiatives locales prometteuses. Au cours de nos enquêtes, nous avons entendu de nombreux exemples d’idées testées et non testées, conçues en grande partie au niveau local, qui ont été développées dans le but de résoudre des problèmes qui ne sont probablement pas propres à un établissement, à un groupe ou à une région en particulier.
Par exemple, nous avons entendu parler du programme de guérison traditionnelle du pavillon de ressourcement Okimaw Ohci. Il s’agit d’un programme qui a cherché à combiner les approches occidentales et traditionnelles de la médecine en intégrant des guérisseurs traditionnels, des remèdes et des cérémonies, afin de mieux répondre aux besoins de santé des résidents d’une manière plus respectueuse de leur culture. Le Programme de guérison traditionnelle, qui était au départ un projet de démonstration de deux ans, a reçu un soutien pour une période supplémentaire de cinq ans afin de pouvoir continuer à fonctionner dans ce pavillon de guérison.
D’autres nous ont fait part de leurs idées, y compris des suggestions de cliniques mobiles autochtones pour mieux soutenir les établissements qui sont soit sous-financés, soit éloignés. Nous avons entendu des idées sur la manière de diversifier les expériences culturelles des individus avec, par exemple, la création d’un Programme de visite des Aînés. Cette initiative permettrait de faire appel à des Aînés spécialisés dans diverses médecines, cérémonies, à ceux qui sont les gardiens de l’histoire, des clans familiaux, des structures politiques ou des grandes lois. Les individus auraient ainsi davantage d’occasions d’interagir avec les Aînés de leur nation ou groupe linguistique respectifs. L’initiative pourrait servir à contrer la pan-autochtonisation au sein du SCC. De nombreuses idées créatives et réfléchies existent au niveau local, mais il leur manque la plateforme, le financement de démarrage et/ou la conviction de la direction pour les tester ou les mettre en œuvre. La création d’occasions de partage et d’exploration d’idées développées localement pourrait offrir des solutions plus crédibles aux problèmes locaux, régionaux ou nationaux. Là encore, la situation nécessite des investissements et le respect de l’autonomie au niveau de la communauté locale.
Message de clôture
Les considérations relatives à la redistribution des pouvoirs et à la réaffectation des ressources ne sont pas uniquement des questions du Service correctionnel fédéral. Des nombreux autres établissements publics s’efforcent actuellement d’apprendre comment s’engager dans un travail de nation à nation, sans répéter par inadvertance les erreurs du passé. Le Bureau a lui-même beaucoup appris tout au long du processus d’enquête, grâce au soutien, à l’orientation, à la voix et à la tutelle de divers partenaires autochtones. Le changement systémique dans l’ADN d’un établissement n’est en aucun cas une tâche facile. Le changement est intrinsèquement inconfortable. Mais la réalité est que les peuples autochtones subissent depuis des générations un inconfort bien plus grand. C’est pourquoi nous ne nous contentons pas d’uniquement formuler des recommandations, nous mettons au défi le Service correctionnel de faire face à cet inconfort. Ce travail de changement nécessitera non seulement un changement de méthode, mais aussi d’identité institutionnelle, car le Service correctionnel devra se repositionner à une place différente de celle qu’il a l’habitude d’occuper dans le spectre de la résolution des problèmes. Nous mettons au défi le Service correctionnel, comme nous l’avons intégré dans nos recommandations, de se défaire d’un grand nombre d’autorités, de contrôles et de ressources qu’il a conservés depuis bien trop longtemps et qui n’ont pas apporté grand-chose en termes de progrès pour les peuples et les communautés autochtones. Nous demandons au Service correctionnel de faire confiance aux peuples, communautés et organisations autochtones qui ont le plus de chances de créer des changements significatifs et durables pour le mieux, aujourd’hui et pour les générations à venir et de leur accorder des fonds.
Pour conclure la mise à jour par le Bureau de notre rapport initial « Une question de spiritualité » de 2013, je lance trois appels à l’action :
- Je recommande au SCC de veiller à ce que l’ensemble de son personnel suive une formation obligatoire et annuelle sur la sécurité et la sensibilisation à la culture autochtone, dispensée par un organisme externe. Cette formation doit reconnaître la diversité des Premières Nations, des Métis et des Inuits afin d’éviter de perpétuer des hypothèses pan-autochtones.
- Je recommande que le SCC rende compte chaque année et publiquement d’indicateurs de rendement, de résultats et de gains afin de réduire la surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux. Ces indicateurs et résultats doivent être élaborés en collaboration avec les intervenants autochtones, notamment les Aînés et les dirigeants communautaires, et refléter les concepts autochtones de guérison et de progrès.
- Je recommande que le ministre de la Sécurité publique travaille conjointement avec les ministres des Relations entre la Couronne et les Autochtones et des Affaires du Nord Canada et des Services aux Autochtones Canada, ainsi qu’avec le ministre de la Justice et le procureur général du Canada, afin d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie nationale de remise en liberté des Autochtones.
ANNEXE A : Résumé des recommandations
- Je recommande que le SCC consulte les groupes communautaires autochtones sur la description de poste, le rôle, le mandat et le processus d’embauche pour le poste de sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones, et qu’il rende compte publiquement de ses plans et de ses échéanciers à court terme pour créer et doter ce poste.
- Je recommande au ministre de la Justice et procureur général du Canada d’inclure le Service correctionnel du Canada et le Bureau de l’enquêteur correctionnel dans l’élaboration et la mise en œuvre de la Stratégie de justice autochtone (SJA). De plus, la SJA devrait chercher à redistribuer une partie importante des ressources actuelles du système correctionnel fédéral aux communautés et aux groupes autochtones pour les soins, la garde et la surveillance des Peuples autochtones.
- Je recommande au ministre de la Sécurité publique d’ordonner au SCC de financer une initiative nationale externe d’engagement, menée par des Autochtones, afin de créer de la capacité, de l’intérêt et de l’innovation parmi les communautés et les organisations autochtones (urbaines et rurales) afin de conclure des accords au titre des articles 81 et 84 pour la prise en charge, la garde et la supervision des Autochtones sous le coup d’une peine fédérale.
- Je recommande au ministre de la Sécurité publique d’ordonner au SCC d’élaborer des actions claires, des calendriers, des objectifs mesurables et des résultats à atteindre , afin d’atteindre les objectifs suivants :
- impliquer plus efficacement les communautés et les organisations autochtones pour établir un plus grand nombre d’accords relevant de l’article 81, en particulier dans les domaines où des lacunes ont été constatées (par exemple, en Ontario et dans la région de l’Atlantique, pour les femmes autochtones et les personnes originaires des régions nordiques, en milieu urbain);
- établir des accords relevant de l’article 81 dans les zones urbaines et rurales;
- transférer le contrôle et la propriété des pavillons de ressourcement existants gérés par le SCC à la communauté locale, ou à un groupe ou une organisation autochtone, relevant de l’article 81 de la LSCMLC, dans un délai de trois ans.
- Je recommande que le ministre de la Sécurité publique ordonne au SCC de travailler avec les pavillons de ressourcement relevant de l’article 81 pour déterminer les principales causes des taux d’inoccupation et déterminer les mesures à prendre pour augmenter et maintenir des taux d’occupation plus élevés, en accordant une attention particulière aux points suivants :
- développer de nouveaux outils de classification de sécurité rigoureusement validés pour les peuples autochtones, à partir de la base, afin de réduire leur surreprésentation dans les établissements à sécurité moyenne et maximale, conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Ewert, 2018;
- examiner et modifier les politiques et les pratiques relatives aux indicateurs de groupes menaçant la sécurité (gangs) en vue de faciliter la suppression de ces indicateurs, le cas échéant;
- élaborer et mettre en œuvre une stratégie de désaffiliation et de sortie des gangs gérée par des personnes et/ou des organisations communautaires autochtones;
- accroître la disponibilité de soins tenant compte des traumatismes dans les établissements pour femmes et pour hommes et la possibilité pour les personnes autochtones incarcérées de recevoir des diagnostics et des traitements appropriés en matière de santé mentale;
- augmenter le nombre d’Autochtones qui passent à des niveaux de sécurité inférieurs (par exemple, en acceptant des populations à sécurité moyenne) et accélérer les transferts vers les pavillons de ressourcement, en particulier ceux relevant de l’article 81.
- Je recommande au ministre de la Sécurité publique d’ordonner au SCC d’élaborer, en collaboration avec les communautés et les organisations, un nouveau modèle de financement pour les accords relevant de l’article 81 et augmenter considérablement le financement des pavillons de ressourcement relevant de l’article 81 afin de mieux répondre à leurs besoins particuliers et de remédier aux disparités existantes avec les pavillons gérés par l’État, en vue d’atteindre la parité en matière de ressources.
- Je recommande au SCC d’améliorer l’impact et la portée des initiatives institutionnelles en faveur des populations autochtones des façons suivantes :
- Mener un examen des participants actuels à l’initiative des Sentiers autochtones afin de déterminer et de recommander des personnes pour des placements en pavillon de ressourcement et d’autres solutions sans mise sous garde (par exemple accords en vertu de l’article 84).
- Élaborer une approche globale adaptée à la culture et comprenant des initiatives institutionnelles pour les personnes autochtones qui ne bénéficient pas du modèle actuel de l’initiative des Sentiers autochtones. Il s’agirait notamment d’étendre les avantages offerts par l’initiative des Sentiers autochtones (par exemple, l’accès aux Aînés, aux ALA, aux plans de guérison, aux conseils personnalisés) à un plus grand nombre de personnes.
- Élaborer des objectifs clairs et concrets de la planification correctionnelle qui guident la planification des peines pour les délinquants purgeant des peines de 10 ans à perpétuité, et fournir des mesures d’incitation plus significatives aux condamnés à perpétuité autochtones (par exemple, les permissions de sortir avec escorte, les transferts à un niveau de sécurité inférieur et les placements dans des pavillons de ressourcement).
- Collaborer avec les initiatives autochtones aux niveaux régional et institutionnel afin d’élaborer des plans d’action nationaux annuels qui permettent aux communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits, aux organisations communautaires, aux organisations à but non lucratif, aux établissements d’enseignement postsecondaire et à d’autres intervenants d’établir des liens et des systèmes de soutien avec les personnes incarcérées, dès l’admission et après l’expiration du mandat.
- Je recommande au SCC de créer une sécurité d’emploi et des aides financières supplémentaires pour les Aînés :
- Les Aînés devraient être rémunérés de manière comparable au personnel du SCC, ainsi qu’à ceux qui occupent des fonctions similaires, comme les employés du gouvernement fédéral qui travaillent comme aumôniers.
- Les Aînés devraient se voir proposer l’accès à un régime de prestations qui favorisera leur bien-être à long terme, y compris l’accès à des ressources et de soutien en matière de santé mentale et de traumatismes, aux congés de maladie, aux vacances, au régime de pension et à l’épargne, ainsi qu’aux soins auto-administrés, au même titre que les employés du gouvernement fédéral.
- Le SCC devrait supprimer les énoncés de travail onéreux qui imposent un fardeau administratif excessif aux Aînés.
- Le SCC devrait repenser la manière dont les Aînés rendent compte et à qui ils rendent compte.
- Le SCC devrait veiller à ce que les idées des Aînés soient correctement prises en compte et intégrées dans les dossiers et les décisions de gestion de cas.
- Je recommande au SCC d’intégrer les Aînés dans ses structures de direction et de gouvernance, dans le respect de leur autonomie et de leur indépendance avec la même révérence, la même reconnaissance et le même statut que ceux accordés aux Aînés dans les communautés autochtones.
- Je recommande au SCC de mettre au point une formation d’accueil normalisée pour les Aînés, qui décrive les attentes, les règles et les pratiques en matière d’établissement de rapport du SCC. Le SCC devrait s’efforcer de réduire les écarts et les différences entre les établissements et leurs pratiques à l’égard des Aînés. Il pourrait s’agir de l’élaboration de lignes directrices ou de politiques nationales pour le travail avec les Aînés, ainsi que d’un soutien par les pairs.
- Je recommande que le SCC fournisse aux Aînés, dans le cadre de leurs conditions de travail, des espaces intérieurs et extérieurs appropriés, prioritaires et dédiés à l’organisation de cérémonies et de programmes, ainsi qu’à des consultations confidentielles. Les Aînés doivent garder le contrôle sur tous les objets utilisés pour les cérémonies culturelles et spirituelles, y compris les remèdes sacrés. Pour plus de clarté, le SCC ne doit pas interférer avec le droit des peuples autochtones à la propriété, au contrôle, à l’accès et à la possession (PCAP) de la propriété intellectuelle autochtone, y compris les programmes d’études, les cérémonies et les connaissances partagées par les Aînés dans le cadre de leur travail avec le SCC.
- Je recommande au SCC de veiller à ce que l’ensemble de son personnel suive une formation obligatoire et annuelle sur la sécurité et la sensibilisation à la culture autochtone, dispensée par un organisme externe. Cette formation doit reconnaître la diversité des Premières Nations, des Métis et des Inuits afin d’éviter de perpétuer des hypothèses pan-autochtones.
- Je recommande que le SCC rende compte chaque année et publiquement d’indicateurs de rendement, de résultats et de conséquences mesurables afin de réduire la surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux. Ces indicateurs et résultats doivent être élaborés en collaboration avec les intervenants autochtones, notamment les Aînés et les dirigeants communautaires, et refléter les concepts autochtones de guérison et de progrès.
- Je recommande que le ministre de la Sécurité publique travaille conjointement avec les ministres des Relations entre la Couronne et les Autochtones et des Affaires du Nord Canada et des Services aux Autochtones Canada, ainsi qu’avec le ministre de la Justice et le procureur général du Canada, afin d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie nationale de remise en liberté des Autochtones.
Endnote 1
Macdonald, N. (18 février 2016). Canada’s prisons are the “new residential schools.” Macleans.ca.
Endnote 2
Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC). (mars 2013). Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition . Ottawa: ON.
Endnote 3
L’article 84 fait partie du processus de libération et s’applique aux personnes qui souhaitent purger leur libération conditionnelle ou légale dans une communauté autochtone ou dans une zone urbaine avec le soutien et la direction d’une organisation autochtone.
Endnote 4
Service correctionnel du Canada. (SCC; avril 2021). Système intégré des rapports – modernisé (SIR-M)..
Endnote 5
Sécurité publique Canada (janvier 2022). Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition .
Endnote 6
BEC. (janvier 2020). Communiqué de presse : Les Autochtones sous garde fédérale dépassent les 30 %; et BEC (décembre 2021). Communiqué de presse : La proportion de femmes autochtones détenues par le gouvernement fédéral approche les 50 %.
Endnote 7
SCC. (15 février 2022). SIR-M.
Endnote 8
Selon la DC 568-3 Identification et gestion des groupes menaçant la sécurité , les GMS comprennent tout groupe, gang, organisation ou association composé de trois membres ou plus, appartenant à l’un des groupes suivants : gangs de rue ou de prison, bandes de motards hors-la-loi, crime organisé, bandes autochtones, groupes de suprématie blanche, groupes subversifs, organisations terroristes et groupes haineux.
Endnote 9
SCC. (15 février 2022). SIR-M .
Endnote 10
Sécurité publique Canada. (2020). Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition . Note : L’âge médian des Autochtones et des non-Autochtones au moment de leur admission dans les établissements correctionnels fédéraux est respectivement de 32 et 35 ans.
Endnote 11
La libération d’office est une exigence législative selon laquelle les personnes incarcérées au niveau fédéral doivent purger le dernier tiers de leur peine dans la communauté. Elle n’est pas conditionnelle et n’est pas accordée par la CLCC; le SCC supervise plutôt ces personnes et leur impose des conditions de libération similaires à la libération conditionnelle totale.
Endnote 12
SCC. (2022). SIR-M – Mouvement des délinquants : cube de données sur les libérations.
Endnote 13
Stewart, L. A., Wilton, G., Baglole, S. et Miller, R. (août 2019). Une étude détaillée des taux de récidive des délinquants sous responsabilité fédérale . SCC : Division de la recherche.
Endnote 14
SCC. (2022). SIR-M – Mouvement des délinquants : cube de données sur les libérations.
Endnote 15
Sentiers autochtones est une initiative phare du Continuum de soins pour les Autochtones du SCC offerte aux personnes incarcérées. Selon le SCC, il s’agit d’une initiative de guérison intensive qui est dirigée par un Aîné et qui soutient le mode de vie traditionnel des Autochtones grâce à un counseling individuel plus intensif, à un meilleur accès aux cérémonies et à une capacité accrue de suivre un cheminement de guérison plus traditionnel et conforme aux valeurs et aux croyances autochtones traditionnelles.
Endnote 16
SCC. (11 juin 2019). Plan national relatif aux Autochtones . Présentation du COMEX.
Endnote 17
Ewert c. Canada, 2018 SCC 30, [2018] 2 R.C.S. 165.
Endnote 18
Ministre de la Sécurité publique du Canada (octobre 2020). Investissements budgétaires du SCC depuis 2015 . Notes prises lors de la comparution du ministre devant le comité permanent de la sécurité publique et nationale (consulté le 3 mars 2022).
Endnote 19
L’article 84 fait partie du processus de libération et s’applique aux personnes qui souhaitent purger leur libération conditionnelle ou d’office dans une communauté autochtone ou dans une zone urbaine avec le soutien et la direction d’une organisation autochtone.
Endnote 20
Obtenu grâce à une demande de données auprès du SCC. Services d’entrepôt de données, RADAR-Prime, DIA-Admission (Date d’extraction : 2021-10-10); et Rendement en direct (données jusqu’à la fin de l’année financière 2020-2021).
Endnote 21
Selon le SCC, des accords d’échange de services sont conclus entre le ministre de la Sécurité publique et les gouvernements provinciaux et territoriaux en ce qui concerne la détention temporaire, le transfert et la surveillance communautaire des délinquants. Ils détaillent les rôles et les responsabilités de chaque juridiction et comprennent des protocoles particuliers concernant les indemnités journalières, l’échange de renseignements sur les délinquants et la facturation.
Endnote 22
Blackburn, M. (25 avril 2023). Can Kathy Neil fix Canada’s prison system for Indigenous inmates? Some people aren’t so sure. APTN News. Consulté le 26 avril 2023 sur : https://www.aptnnews.ca/national-news/indigenous-corrections-kathy-neil-correctional-service-of-canada-section-81/
Endnote 23
Alors que les taux d’occupation sont en baisse constante depuis 2017, ils ont augmenté en 2022-2023 pour atteindre 67 % d’occupation. Un suivi plus long est toutefois nécessaire pour déterminer si cette augmentation se maintient en tant que tendance ou s’il s’agit simplement d’une augmentation sur une année.
Endnote 24
Bureau du Vérificateur général (mai 2022). Rapport 4 - Obstacles systémiques - Service correctionnel du Canada.
Endnote 25
Alors que les transferts ont régulièrement diminué au cours des cinq derniers exercices, ils ont augmenté en 2022-2023 pour atteindre un total de 240. Un suivi plus long est nécessaire pour déterminer si cette augmentation se maintient en tant que tendance ou s’il s’agit simplement d’une augmentation sur une année.
Endnote 26
SCC. (2022). Données du Plan national relatif aux Autochtones du SCC (2021-2022).
Endnote 27
SCC. (2022). Coûts de maintenance et des délinquants - 2021-2022. .
Endnote 28
Hanby, L., Ridha, T., Sullivan, R. et Farrell MacDonald, S. (2022). Pavillon de ressourcement pour Autochtones : répercussions sur la réinsertion sociale des délinquants et sur les résultats dans la collectivité (Rapport de recherche R-437). Ottawa, ON : Service correctionnel du Canada.
Endnote 29
Tout au long du présent rapport, les personnes participant à Sentiers autochtones seront souvent désignées par le terme « participants ».
Endnote 30
Green, N. (2002). Sentiers autochtones dans les services correctionnels fédéraux. FORUM sur la recherche correctionnelle. Ottawa, Ontario : Service correctionnel du Canada.
Endnote 31
SCC. (2004). Rapport final - Initiative pour des services correctionnels efficaces - Réintégration des Autochtones.
Endnote 32
SCC. (en vigueur, novembre 2013). Lignes directrices 702-1 : Création et fonctionnement des initiatives des Sentiers autochtones. Remarque : Depuis, le SCC a revu les lignes directrices 702-1 et a d’abord communiquée ses révisions provisoires au BEC en avril 2023. Sauf indication contraire, toutes les références aux lignes directrices 702-1 renvoient à la version 2013.
Endnote 33
SCC (2017). Les voies de la guérison : un guide pour les Sentiers autochtones dans les établissements pour hommes à sécurité moyenne.
Endnote 34
SCC. (5 septembre 2019). Plan national relatif aux Autochtones — Un cadre de travail national visant à transformer le processus de gestion des cas et les services correctionnels destinés aux Autochtones . Site Web. Consulté le 27 avril 2023.
Endnote 35
Lignes directrices 702-1 non publiées et révisées - Initiatives des Sentiers autochtones . Document communiqué pour la première fois avec notre bureau en avril 2023.
Endnote 36
Le continuum de soins des services correctionnels pour Autochtones (voir le plan stratégique 2006-2011 du SCC pour les services correctionnels destinés aux Autochtones) commence dès l’admission dans les centres d’intervention autochtones, ou lors de l’engagement initial avec les Aînés et les interventions préparatoires aux Sentiers autochtones dans les établissements à sécurité maximale. Il passe ensuite par les niveaux de sécurité décrits ici. En théorie, tout au long de ce processus, un soutien doit être apporté pour assurer la continuité des soins et une réintégration réussie dans la communauté.
Endnote 37
Les candidats en liste d’attente dans les sites à sécurité moyenne résident dans la population générale et sont considérés comme des interventions préparatoires aux Sentiers autochtones.
Endnote 38
L’objectif ultime du SCC avec Sentiers autochtones est de transférer les participants à sécurité moyenne directement dans les pavillons de ressourcement, mais cela n’est pas toujours possible. Les mouvements de sécurité minimale sont considérés comme des « transitions » jusqu’à la détermination d’un pavillon de ressourcement approprié.
Endnote 39
SCC. (2004). Rapport final - Initiative pour des services correctionnels efficaces - Réintégration des Autochtones . Les dépenses initiales pour Sentiers autochtones entre 2000 et 2005 se sont élevées à 2,9 millions de dollars.
Endnote 40
Cela suppose que tous les participants à l’initiative des Sentiers autochtones sont autochtones; or, nous savons qu’une minorité d’entre eux ne sont pas autochtones. Cette proportion est donc surestimée.
Endnote 41
Établissement de l’Atlantique, Établissement d’Edmonton, Établissement de Kent, Établissement Port-Cartier et Établissement de Millhaven. En 2022-2023, l’établissement de Millhaven n’avait pas de places affectées au programme d’intervention préparatoire aux Sentiers autochtones, bien qu’il en ait eu dans le passé. L’établissement de Donnacona n’avait pas d’initiative des Sentiers autochtones au moment de la collecte des données.
Endnote 42
Voir, par exemple, le Cadre de responsabilisation des services correctionnels pour Autochtones - Rapport annuel (2019-2020) du SCC, qui indique que l’initiative des Sentiers autochtones génère « des résultats positifs pour les délinquants autochtones, notamment une amélioration du niveau d’étude, moins d’accusations graves dans les établissements, un taux plus faible d’implication dans des incidents de sécurité, moins de résultats positifs aux analyses d’urine par échantillonnage aléatoire et un taux plus élevé de mises en liberté discrétionnaire, par rapport aux délinquants autochtones qui ne participent pas à l’initiative des Sentiers autochtones ».
Endnote 43
Dans sa version révisée des lignes directrices 702-1, communiquée pour la première fois à notre bureau en avril 2023, le SCC explique ce que l’on entend par dirigée par un Aîné : « Le conseiller spirituel est le chef spirituel de l’initiative des Sentiers autochtones et il est donc responsable de l’intégrité spirituelle et culturelle de l’initiative. Un Aîné ou un conseiller spirituel doit participer à temps plein à l’initiative des Sentiers autochtones, car il s’agit d’une initiative dirigée par les Aînés. L’Aîné/conseiller spirituel détermine, avec le délinquant, le cheminement spirituel/de guérison qu’il doit suivre pendant sa participation à l’initiative des Sentiers autochtones. L’Aîné/conseiller spirituel établit le calendrier des cercles, des cérémonies et des séances individuelles avec le délinquant, en collaboration avec la direction de l’établissement. L’Aîné/le conseiller spirituel est la personne la mieux placée pour déterminer si un délinquant est prêt à être accepté dans une initiative des Sentiers autochtones et aucun délinquant ne doit être placé dans une telle initiative ou sur la liste d’attente sans avoir consulté l’Aîné/le conseiller spirituel et obtenu son accord ».
Endnote 44
Établissement Stony Mountain. En fait, bien qu’il s’agisse de l’un des plus anciens établissements du SCC, notre Bureau a constaté que dans l’ensemble, l’établissement Stony Mountain était le plus réceptif, le plus progressif et le mieux géré en termes d’initiatives autochtones. Cependant, il est difficile de comparer l’établissement Stony Mountain à d’autres pénitenciers fédéraux. L’établissement Stony Mountain est un établissement regroupé où les trois niveaux de sécurité sont situés dans la même prison, et où l’on trouve des variantes de l’initiative des Sentiers autochtones ou de programme d’intervention préparatoire aux Sentiers autochtones à tous les niveaux. L’établissement Stony Mountain est également unique en ce sens qu’il bénéficie de la proximité d’un grand centre urbain (Winnipeg), ce qui lui permet d’avoir un meilleur accès aux ressources humaines et une stabilité de la main-d’œuvre peu commune dans les pénitenciers fédéraux. En outre, la direction de l’établissement Stony Mountain est relativement avant-gardiste, ce qui crée de fréquentes possibilités pour les intervenants et les organisations communautaires d’offrir des services aux détenus. Il serait difficile, voire impossible, de reproduire ce type d’activité dans les établissements plus éloignés du SCC.
Endnote 45
Articles 4 (g) de la LSCMLC stipule que les « directives d’orientation générale, programmes et pratiques » respecteront les différences et l’identité des détenus sous responsabilité fédérale et « tiennent compte » des besoins propres aux personnes autochtones. L’article 80 exige que le SCC offre « des programmes adaptés aux besoins des délinquants autochtones». Enfin, l’article 83 fournit aux détenus autochtones « les services d’un chef spirituel ou d’un aîné autochtones… »
Endnote 46
Bureau du vérificateur général (2016) Rapport 3 - La préparation des détenus autochtones à la mise en liberté - Service correctionnel du Canada . Ottawa, ON.
Endnote 47
Joseph, B (2018). 21 Things You May Not Know About the Indian Act: Helping Canadians Make Reconciliation with Indigenous Peoples a Reality . Page, 67. Indigenous Relation’s Press.
Endnote 48
Commission de vérité et de réconciliation du Canada. (2015). Canada’s Residential Schools: The Legacy – The Final Report of the Truth and Reconciliation Commission of Canada, volume 5 . Page, 171. McGill-Queen’s University Press.
Endnote 49
Cram, S. et Farrell MacDonald, S. (2019). Habitudes de consommation d’alcool et de drogues chez les délinquantes autochtones et les délinquantes non-autochtones . Ottawa, ON : Service correctionnel du Canada.
Endnote 50
Stewart, L., K. Wardrop, G. Wilton, J. Thompson, D. Derkzen et L. Motiuk (2017). Fiabilité et validité de l’Instrument de définition et d’analyse des facteurs dynamiques, révisé (Rapport de recherche R-395). Ottawa, ON : Service correctionnel du Canada.
Endnote 51
Au lieu de cela, un nouveau texte a été ajouté, soulignant l’importance de définir des attentes claires et du fait « que les délinquants qui participent aux initiatives des Sentiers autochtones resteront abstinents ». Le texte indique encore que la violation de la politique d’abstinence peut avoir des conséquences, mais que celles-ci seront « déterminées au cas par cas et prendront en compte le passé social autochtone du délinquant ». Il conclut en soulignant que « le test d’urine n’est pas un critère spécifié pour l’admission ou la participation à une initiative des Sentiers autochtones ».
Endnote 52
Même avec la version révisée des lignes directrices 702-1 (2023), le modèle continue de s’adresser à une petite cohorte de personnes motivées, autodisciplinées et dociles, prêtes à s’engager dans des approches de guérison traditionnelles.
Endnote 53
Bien que nous n’ayons pas été en mesure de dresser un profil des participants pour l’ensemble des initiatives des Sentiers autochtones, nous avons analysé quelques-unes des initiatives les plus importantes et avons constaté que l’initiative des Sentiers autochtones s’adresse à une diversité de personnes ayant des profils correctionnels différents. Cependant, la grande majorité de ceux qui ont été inclus dans notre analyse a obtenu une note élevée pour l’ engagement dans la planification correctionnelle .
Endnote 54
Motiuk, L. et Hayden, M. (mai 2021). Délinquants sous responsabilité fédérale purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité : 2015-2016 à 2019-2020. Voir également Sécurité publique Canada (2022). 2020 Aperçu statistique du système correctionnel et la mise en liberté sous condition.
Endnote 55
Certains de ces jeunes trouvent leur chemin vers l’initiative des Sentiers autochtones par l’intermédiaire des centres d’intervention autochtones. Selon le SCC (Hanby et Beauchamp, 2022), les centres d’intervention autochtones ont été conçus pour « répondre aux besoins individuels des délinquants autochtones grâce à une approche intégrée et culturellement adaptée de la gestion des cas ». Grâce au processus des centres d’intervention autochtones, les candidats sont identifiés et leur cas est accéléré dans le continuum de soins autochtone, généralement par l’intermédiaire de l’initiative des Sentiers autochtones. Officieusement, nous avons constaté que les centres d’intervention autochtones visent également à éviter le recrutement de gangs dans la population générale. Entre avril 2018 et mars 2020, 21 % (477 / 2 263) des hommes autochtones et 64 % (172 / 267) des femmes autochtones admis dans les établissements pénitentiaires fédéraux ont été identifiés comme participants à des centres d’intervention autochtones. En outre, 297 hommes et 32 femmes étaient « admissibles, mais n’ont pas participé pour diverses raisons ». Bien que l’on pense que les personnes recrutées par l’intermédiaire des centres d’intervention autochtones bénéficient d’un transfèrement et/ou d’une libération conditionnelle plus rapidement que les autres, ces mesures sont généralement dues au fait que leurs peines sont plus courtes qu’à un engagement dans le cheminement de guérison. En fait, nous avons constaté que les résidents des centres d’intervention autochtones semblaient moins attachés aux enseignements traditionnels, aux cérémonies et aux interventions culturelles.
Endnote 56
L’article 7 de l’annexe B de la version révisée des lignes directrices 702-1 du SCC propose de supprimer le libellé suivant concernant les condamnés à perpétuité, à savoir que les places disponibles pour les condamnés à perpétuité ne doit normalement pas dépasser 20 % des places disponibles. Plus loin dans ce document de politique, à l’annexe C, on peut lire ce qui suit : « Les délinquants condamnés à une peine indéterminée ou à perpétuité peuvent participer à l’initiative des Sentiers autochtones pour une période déterminée n’excédant pas trois ans ».
Endnote 57
Au cours des entrevues, nous avons également appris que de nombreux membres du personnel opérationnel se portaient volontaires pour travailler dans les unités des Sentiers autochtones et souhaitaient le faire pour les bonnes raisons. Ces personnes sont disposées à suivre une formation et sont pleinement engagées dans le modèle/la vision de l’initiative des Sentiers autochtones, mais elles ont déclaré avoir rencontré des obstacles dans leurs efforts pour obtenir des affectations dans ces unités.
Endnote 58
Il était possible d’atténuer le problème de la fumée secondaire en installant un nouveau système de ventilation, mais il semble que le projet n’avance pas.
Endnote 59
Récupéré du site Web le 19 avril 2023. Date de modification : 2019-09-05.
Endnote 60
Bien que le service de recherche du SCC nie qu’il s’agisse d’une préoccupation, il a admis que les facteurs liés aux antécédents sociaux des Autochtones ne semblent pas influencer les évaluations pour les décisions relatives au classement de sécurité et à la mise en liberté discrétionnaire (voir Keown, L. A., Gobeil, R., Biro, S. et Beaudette, J. N., 2015. Facteurs liés aux antécédents sociaux des Autochtones dans la gestion des cas [Rapport de recherche R-356]. Ottawa, ON : Service correctionnel du Canada).
Endnote 61
Les permissions de sortir avec escorte sont utilisées dans les établissements pénitentiaires pour faciliter la réinsertion progressive et rapide des détenus sous responsabilité fédérale. Les permissions de sortir avec escorte sont l’occasion pour les individus de nouer des liens dans la communauté et de montrer qu’ils sont prêts à être libérés. Dans le contexte de l’initiative des Sentiers autochtones, les permissions de sortir avec escorte sont une étape obligatoire avant le passage à un niveau de sécurité minimale ou le transfert dans les pavillons de ressourcement. Les permissions de sortir avec escorte peuvent consister à rendre visite à des proches et à des soutiens communautaires ou à participer à des activités culturelles. Un membre du personnel a expliqué que les détenus font souvent une permission de sortir avec escorte dans un pavillon de ressourcement ou au minimum pour participer à des cérémonies et avoir une connaissance directe de leur fonctionnement ». En résumé, l’objectif des permissions de sortir avec escorte est de faire progresser les plans de guérison et la planification correctionnelle, et de se préparer à une remise en liberté progressive dans la communauté. Cependant, au moment des entrevues, les permissions de sortir avec escorte étaient retardées (ou complètement arrêtées) dans de nombreux établissements depuis des mois en raison des répercussions persistantes de la COVID-19 et de l’absence des Aînés et du personnel de la gestion de cas. Par conséquent, les résidents de l’initiative des Sentiers autochtones n’ont pas pu progresser dans le continuum des soins.
Endnote 62
Il semble que ce soit particulièrement le cas pour les condamnés à perpétuité.
Endnote 63
Sur la base des commentaires du personnel et des Aînés des initiatives des Sentiers autochtones et des pavillons de ressourcement.
Endnote 64
Lorsque le SCC a communiqué à mon bureau ses lignes directrices révisées en avril 2023, il lui a également transmis un projet de « Manuel national de l’initiative des Sentiers autochtones » à des fins d’examen. À la page 12 dudit manuel, on peut lire : « Après six mois de participation à l’initiative des Sentiers autochtones, les participants ont généralement fait des progrès significatifs dans leur guérison, ce qui est démontré par leur comportement ». Dans notre réponse, nous avons indiqué qu’il était irréaliste et culturellement insensible de fixer un délai pour la « guérison » des personnes autochtones touchées par un traumatisme direct et intergénérationnel. Nous avons suggéré de supprimer ce délai ou de modifier la formulation afin qu’il n’apparaisse pas que le SCC attend d’un Autochtone qu’il «guérisse » en six mois, dans une prison.
Endnote 65
Dans le cadre de cette enquête, le Bureau remercie Archipel Research and Consulting Inc., une entreprise autochtone dirigée par des femmes, pour son soutien, son rapport circonstanciel et ses recherches. L’équipe du BEC et les chercheurs d’Archipel ont travaillé en collaboration pour partager des idées, élaborer des questionnaires et affiner les méthodologies. Bien que les réunions et les entrevues avec les Aînés aient été menées séparément et simultanément par chaque organisme, les conclusions du présent rapport représentent une compilation conjointe et consensuelle de la collecte de données internes et externes et de l’analyse thématique. Grâce à ce partenariat, le Bureau a bénéficié et a énormément appris sur la façon de mener des activités enracinées dans les méthodes et les pédagogies autochtones.
Endnote 66
Il s’agissait notamment d’examiner les notes et les procès-verbaux du Comité consultatif national sur les questions autochtones (CCNQA) et du Groupe national de travail sur les Aînés (GNTA).
Endnote 67
SCC. (2017). Vulnérabilité des Aînés au sein du Service correctionnel du Canada (SCC): Un résumé des discussions avec les aînés, des recommandations et des plans d’action.
Endnote 68
SCC. (05 août 2022). Audit de la gestion des services d’Aînés.
Endnote 69
Rowe, G., Straka, S., Hart, M., Callahan, A., Robinson, D. et Robson, G. (2020). Prioritizing Indigenous Elders’ knowledge for intergenerational well-being. Canadian Journal on Aging, 39 (2), 156-168.
Endnote 70
Plusieurs Aînés ont parlé de l’expérience de la violence latérale ou horizontale (une forme d’intimidation ou de harcèlement ou d’autres comportements préjudiciables dirigés contre d’autres collègues). Au-delà de la portée de cette enquête, ces expériences concernent souvent les tâches et les relations de travail entre les Aînés et les autres membres du personnel autochtone. Une partie de cette violence est liée à des pratiques d’embauche et de sélection inappropriées ou à un manque perçu de compétences culturelles (comme le fait de détenir les titres nécessaires à l’accomplissement de certaines cérémonies). Il n’est pas surprenant que les différences et les politiques, à la fois au sein des différentes nations et entre elles, débordent parfois en créant des tensions et des luttes intestines entre collègues. Comme l’a fait remarquer une personne interrogée, « il y a aussi beaucoup de violence latérale, à cause de l’histoire coloniale entre nous tous. Même les initiatives autochtones ».
Endnote 71
L’autoidentification autochtone fait référence au processus d’autodéclaration par lequel toute personne détenue dans un établissement correctionnel fédéral peut s’identifier comme autochtone sans aucun processus de vérification pour s’assurer que cette revendication est authentique et légitime. Cette pratique a été jugée problématique par certains Aînés, car ils avaient l’impression que certaines personnes prétendaient être autochtones alors qu’elles ne pouvaient démontrer d’aucune façon leur identité autochtone, tout cela pour avoir accès aux mesures de soutien destinées aux détenus autochtones.