Bureau de l’enquêteur correctionnel - rapport annuel 2021-2022
Le 30 juin 2022
L'honorable Marco Mendicino
Ministre de la Sécurité publique
Chambre des communes
Ottawa, Ontario
Monsieur le Ministre,
J'ai le privilège et le devoir conformément aux dispositions de l'article 192 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition de vous présenter le quarante-neuvième rapport annuel de l'Énquêteur correctionnel.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mes sentiments distingués.
Ivan Zinger, J.D., Ph.D.
Enquêteur correctionnel
Table des matières
Message de l’enquêteur correctionnel
Message de la directrice générale
Mises à jour nationales et enjeux importants
2. Stratégie antidrogue du Service correctionnel du Canada
4. Unités d’intervention structurée
5. Surreprésentation des femmes autochtones dans les milieux de garde fermés (sécurité maximale
ENQUÊTES NATIONALES
1. Mise à jour sur les expériences des personnes noires dans les pénitenciers fédéraux canadiens
Perspectives de l’enquêteur correctionnel pour 2022-2023
Prix Ed McIsaac pour la promotion des droits de la personne dans le système correctionnel
Annexe A : Résumé des recommandations
Annexe B : Statistiques annuelles
Annexe C : Autres statistiques
RÉPONSE AU 49E RAPPORT ANNUEL DE L’ENQUÊTEUR CORRECTIONNEL
Message de l’enquêteur correctionnel
Ce n’est pas un hasard de l’histoire si mon Bureau a été créé il y a près de 50 ans, en 1973, au milieu d’une série d’émeutes dans les prisons, de prises d’otages, de meurtres, de chaos et de mauvaise administration qui ont failli amener le Service des pénitenciers du Canada, comme on l’appelait alors, à ses genoux. La Commission d’enquête mise sur pied pour faire la lumière sur cette période de révolte et d’agitation sans précédent dans le système carcéral canadien a reconnu la valeur de fournir aux personnes purgeant une peine fédérale un système de recours indépendant et externe pour la présentation et la résolution de griefs légitimes. La première enquêtrice correctionnelle, madame Ingrid Hansen, a pris ses fonctions en juin 1973. Un demi-siècle plus tard, mon Bureau offre toujours un cadre nécessaire pour présenter des plaintes individuelles et systémiques des prisonniers. Mon Bureau continue d’exercer un contrôle et une surveillance indépendants du système correctionnel fédéral du Canada, en menant des enquêtes, en présentant des conclusions et en formulant des recommandations dans l’espoir d’apporter des changements durables et une réforme positive.
En tant qu’organisme de surveillance, ma capacité à influencer, à provoquer des changements ou à persuader d’adopter une autre ligne de conduite est liée à la qualité, à la rigueur, à la pertinence et à l’intégrité des enquêtes menées par mon Bureau. Dans ces cas, l’influence du Bureau repose sur un mélange de pouvoirs discrétionnaires et obligatoires, à la fois limités et conditionnels aux questions cernées et mises en avant dans les rapports publics. Il est certainement de mon ressort d’informer le Service correctionnel du Canada (SCC) lorsque je pense que son bateau s’enlise ou risque de couler, mais il n’est pas de mon ressort de lui construire un meilleur bateau ou un bateau plus étanche. Pour aller droit au but, ma capacité à influencer la politique ou la pratique au sein du SCC englobe les sujets de préoccupation systémique ou individuelle que je soulève dans mes rapports annuels, que je présente au Parlement ou que je choisis d’aborder occasionnellement avec les médias.
Il est vrai qu’à l’occasion, il m’arrive de laisser libre cours à ma frustration dans les médias ou d’exprimer publiquement mon mécontentement ou ma déception envers le SCC et de sa tendance à détourner les critiques, à y faire obstacle ou à s’en défendre. Bien que mes conclusions, en particulier celles de nature systémique, soient parfois ignorées ou laissées sans suite par le SCC, je suis fier du fait que l’ensemble des travaux du Bureau ne passe pas inaperçu pour beaucoup d’autres personnes, notamment les universitaires, les avocats, les médias, le Parlement, les autres Canadiens intéressés et les intervenants. Qu’il s’agisse de commissions d’enquête nationales, comme la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, de rapports de comités parlementaires permanents, ou encore d’universités et de salles d’audience dans tout le pays, les recommandations et les rapports du BEC sont fréquemment cités pour informer, enseigner, instruire et, oui, de temps en temps, pour plaider.
Pour une très bonne raison, les pouvoirs et les autorités conférés par la loi qui protège et garantit mon indépendance fonctionnelle par rapport au SCC et au ministre de la Sécurité publique prévoient également que je ne suis pas un témoin habile à témoigner dans toute procédure judiciaire. Je ne peux pas être assigné à comparaître devant un juge ou être appelé dans la salle d’audience pour fournir des preuves d’expert ou un témoignage de première main. Cela dit, le contenu et le contexte des rapports du Bureau sont fréquemment utilisés par les tribunaux ou les avocats, et servent souvent de renseignements généraux, voire d’éléments de preuve, à prendre en considération dans les poursuites individuelles et les recours collectifs. Les rapports du Bureau sur la surreprésentation et les résultats disparates des Autochtones (facteurs de l’arrêt Gladue et évaluations des risques actuariels) ou des Noirs (évaluations culturelles) dans le système correctionnel fédéral, par exemple, sont souvent pris en compte lors de la détermination de la peine. Les batailles juridiques longues et tortueuses et les contestations constitutionnelles visant à mettre fin à l’isolement cellulaire au Canada se sont appuyées sur des preuves, en partie documentées dans les conclusions du BEC au cours des nombreuses années de rapports sur cette question.
La vitalité, la pertinence et la force du Bureau résident dans sa capacité à témoigner, à documenter avec précision, de manière impartiale et sans crainte de représailles ou de licenciement. Nous pouvons entrer dans les prisons fédérales et les inspecter sans entraves et nous pouvons exiger la production de tout document sans délai ni censure. Nous nous efforçons de rendre compte avec précision de ce qui se passe réellement derrière ces murs imposants. Nous donnons l’heure juste. Je suis fier, à juste titre, du fait que nos rapports sont utilisés pour orienter la législation et les législateurs. Les recommandations, les rapports et les conclusions du Bureau se retrouvent souvent dans les priorités du gouvernement en matière de justice pénale, les discours du trône, les lettres de mandat des ministres ou des commissaires. Une référence récente dans la lettre de mandat du premier ministre au ministre de la Sécurité publique — à savoir qu’il doit « s’attaquer au racisme systémique et à la surreprésentation des Canadiens noirs et racialisés et des peuples autochtones dans le système judiciaire » — reflète une priorité du gouvernement qui remonte à plus d’une décennie de rapports du Bureau. De plus, notre enquête nationale 2019-2020 sur la coercition et la violence sexuelles derrière les barreaux ( une culture du silence ) a également été mentionnée dans la lettre de mandat du ministre dans la directive du premier ministre lui demandant de « considérer la façon de s’assurer que les établissements correctionnels fédéraux soient des environnements sûrs et humains, exempts de violence et de harcèlement sexuel, et qu’ils favorisent la réadaptation et la sécurité publique ». Nos rapports sont souvent cités par les rapporteurs spéciaux des Nations Unies — des experts en droits de la personne reconnus au niveau international qui font périodiquement rapport sur les conditions de détention ou le traitement des groupes vulnérables derrière les barreaux. On trouve également des citations du BEC dans les rapports du gouvernement aux organismes de surveillance de l’ONU établis pour veiller à ce que le Canada respecte les obligations découlant des traités internationaux en matière de droits de la personne.
Même en souhaitant, bien sûr, que mes recommandations soient davantage acceptées et que mon rôle de surveillance au sein du SCC soit reconnu, ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. En tant qu’ombudsman, mes pouvoirs sont limités à la formulation de recommandations. Je ne peux pas obliger le Service à accepter mes conclusions ou à mettre en œuvre mes recommandations. La seule obligation légale du SCC est de répondre dans un délai raisonnable à mes recommandations. J’ai peu de contrôle sur la manière, la méthode, le contenu, la véracité ou l’engagement des réponses du SCC.
À vrai dire, il peut être frustrant de recevoir une réponse du SCC qui répond à l’un de mes rapports ou à l’une de mes recommandations par « la politique dit ceci… » ou « la politique prévoit que… ». En réponse à un rapport donné, il se peut que la moitié de mes recommandations soient citées dans le vaste catalogue des directives du commissaire (DC) du SCC. Au sein du SCC, la collection de DC, qui ne cesse de s’étendre, a en quelque sorte atteint le même statut que la loi, à laquelle elle est censée donner un sens. Mes enquêteurs sont très au fait de ce que la politique exige ou n’exige pas. La raison pour laquelle nous soulevons ces questions en premier lieu est généralement que nous avons constaté une certaine non-conformité avec la mesure politique dans la pratique, qu’il s’agisse d’une mauvaise interprétation, d’une mauvaise application ou parfois même d’une lacune dans la politique. C’est ce que fait mon Bureau : nous contrôlons et assurons le respect de la loi et des politiques. Un acte d’omission ou un constat de non-conformité ne peut être épargné par le fait qu’une directive du commissaire existe déjà, qu’elle peut être citée mot pour mot ou qu’elle est en fait censée signifier autre chose. Répondre à une constatation de non-conformité en citant une politique est circulaire et ne tient pas compte de l’affaire en question. Ce n’est pas une réponse.
On dit que l’on ignore souvent les conseils à ses propres risques. Pour étendre cette métaphore, on pourrait dire que les conclusions et recommandations réémises par mon Bureau sont rejetées, ne sont pas suivies ou sont mises de côté aux risques et périls du SCC. Le rapport de cette année intègre un certain nombre de questions d’importance ou de préoccupation nationale qui ont été soulevées tout au long de la période visée par le rapport, souvent dans le cadre de la correspondance, de visites institutionnelles ou de réunions et d’échanges bilatéraux avec le SCC à tous les niveaux de l’organisation. Il ne s’agit généralement pas de nouvelles questions, mais plutôt de domaines de préoccupation non résolus, non traités ou actualisés qui font l’objet d’une enquête active. Dans de nombreux cas, les mêmes recommandations des rapports précédents sont répétées mot pour mot ou reformulées. Voici quelques-unes de ces mises à jour et leurs historiques de rapports respectifs inclus dans le rapport de cette année :
- Interdiction de recourir aux placements en cellule nue au-delà de 72 heures (recommandation formulée pour la première fois dans le rapport annuel 2011-2012 du Bureau, réitérée en 2018-2019 et rééditée en 2021-2022).
- Programme d’échange de seringues dans les prisons (PESP) qui, sur la base de faibles taux de participation, existe davantage en nom qu’en pratique (initialement signalé dans le rapport annuel 2018-2019 du Bureau).
- Dysfonctionnement à l’Établissement d’Edmonton (rapports annuels successifs).
- Surreprésentation des femmes autochtones dans les unités à sécurité maximale (nombreux rapports annuels, ainsi qu’un rapport et un avis au ministre en vertu de l’article 180 en juin 2018).
- Critères trop restrictifs qui limitent ou discriminent systématiquement la participation des femmes autochtones au volet avec cohabitation du Programme mère-enfant en établissement (question soulevée pour la première fois dans le rapport annuel 2009-2010).
- Absence de ceintures de sécurité pour les prisonniers dans les véhicules d’escorte du SCC (soulevée pour la première fois dans le rapport annuel 2016-2017 du Bureau).
Je pourrais facilement énumérer d’autres problèmes et leurs antécédents en matière de rapports ci-dessus, mais je pense que le message a été suffisamment clair. Nonobstant le fait que les services correctionnels relèvent d’un domaine de la politique publique qui résiste obstinément à la réforme et au changement, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles, dans le cadre de mon travail, je me sens souvent obligé de renouveler ou de mettre à jour des conclusions ou de reformuler des recommandations encore et encore. Pour ceux qui comptent encore, c’est la raison pour laquelle mon prédécesseur et moi-même avons jugé nécessaire de réitérer la recommandation au SCC de nommer un commissaire adjoint responsable des services correctionnels pour les Autochtones plus de dix fois en plus de vingt ans de rapports tenaces sur cette question. C’est également la raison pour laquelle un grand nombre des thèmes et sujets abordés dans le rapport de cette année ne sont pas de nouvelles questions en soi, mais comprennent plutôt une approche différente d’un sujet de préoccupation qui remonte à des années, voire à des décennies, de rapports du Bureau.
Au cours d’une année donnée, il y a, en fait, très peu de questions qui pourraient être considérées comme nouvelles ou qui n’ont jamais été signalées par mon Bureau. L’aide médicale à mourir (AMAM) est peut-être la dernière question vraiment nouvelle dans le domaine correctionnel à laquelle mon Bureau s’est attaqué, mais même alors, l’AMAM n’était qu’une extension de la législation à une catégorie largement oubliée de personnes incarcérées qui restent encore privées de la possibilité de décider comment, quand et où elles peuvent choisir de mettre fin à leur vie dans le respect et la dignité. D’autres questions et préoccupations plus « modernes » dans le domaine correctionnel contemporain - identité et expression de genre, coercition et violence sexuelles derrière les barreaux, répercussions des mesures et des restrictions liées à la COVID-19 sur les populations carcérales, vieillir derrière les barreaux, surreprésentation des Noirs dans les incidents où il y a recours à la force — ne sont « nouvelles » ou intéressantes que dans la mesure où les rapports sur ces sujets parviennent à atteindre la lumière du jour.
Je comprends aussi bien que quiconque que le changement systémique dans le domaine correctionnel n’est ni facile ni rapide. Le SCC et le ministère de la Sécurité publique ne font que commencer à prendre des mesures et à s’attaquer concrètement à la prévalence de la coercition et de la violence sexuelles derrière les barreaux. Cinq ans après l’ajout de la discrimination fondée sur le sexe aux motifs illicites de la Loi canadienne sur les droits de la personne , une nouvelle directive autonome du commissaire vient d’être promulguée. Bien que ces initiatives stratégiques répondent aux rapports du Bureau dans ces domaines, il existe un grand nombre d’autres questions pour lesquelles la politique et la pratique correctionnelles (par exemple, l’approche de tolérance zéro du SCC envers la consommation et la possession de drogues derrière les barreaux) sont considérablement déphasées.
Sur ce dernier point, mon rapport sur les mesures prometteuses de réduction des méfaits, comme un site de consommation supervisée (service de prévention des surdoses) et un service d’échange de seringues derrière les barreaux, qui sont activement subverties par des pratiques de sécurité à tolérance zéro, ne fait qu’effleurer les réformes substantielles nécessaires. Je signale que la dernière mise à jour de la stratégie nationale antidrogue du SCC remonte à 2007. La politique canadienne en matière de possession et de consommation de drogues simples a évolué de façon spectaculaire depuis lors, mais la culture du SCC reste enlisée dans un état d’esprit prohibitif et répressif. Le maintien d’une approche de tolérance zéro envers les drogues, qui repose sur des mesures de détection, de discipline et de répression toujours plus intrusives — fouilles à nu, fouilles des cavités corporelles, fouilles des cellules, inculpations, analyses d’urine — est un jeu coûteux aux rendements décroissants. Si une personne est désespérée, endettée ou dépendante au point de dissimuler des drogues dans des cavités corporelles, avec des conséquences potentiellement mortelles, alors ce niveau de désespoir devrait certainement nous inciter à envisager d’autres approches moins intrusives, fondées sur des données probantes et compatissantes pour lutter contre les méfaits de la consommation de drogues illicites derrière les barreaux. Des progrès supplémentaires et un traitement clinique sont également nécessaires de toute urgence pour réduire la demande.
Comme je l’explique plus loin dans ce rapport, le fait de placer un prisonnier dans une cellule austère sans plomberie, dans une jaquette de sécurité, sans aucune certitude de libération pendant des jours et des jours pour effectuer une fouille à la recherche de produits de contrebande présumés est inhumain, dégradant et très probablement illégal. La « guerre » contre la drogue derrière les barreaux ne pourra jamais être gagnée en utilisant des mesures extrêmes comme l’isolement indéfini . Il semble dommageable et inutile de punir les gens pour ce qui est, en fin de compte, des problèmes de toxicomanie et de dépendances. La prohibition absolue des drogues ne fonctionne pas dans la communauté et elle ne fonctionnera pas en prison. Une révision et un renouvellement de la politique antidrogue du SCC sont désespérément nécessaires si des mesures de réduction des méfaits plus prometteuses et novatrices, comme le service de prévention des surdoses de l’Établissement de Drumheller, ont un quelconque espoir de voir le jour au-delà de la mise en œuvre pilote initiale.
Même lorsque des changements transformateurs surviennent dans le secteur correctionnel, comme ce fut le cas récemment dans la bataille juridique de plusieurs décennies visant à mettre fin à la pratique de l’isolement cellulaire dans les prisons canadiennes, ils sont souvent insaisissables et il est difficile de maintenir les progrès ou l’élan au fil du temps. Le remplacement de l’isolement cellulaire par un ensemble de normes juridiques qui rendent obligatoire un contact humain significatif derrière les barreaux et imposent des limites statutaires à la durée pendant laquelle une personne peut être détenue dans des environnements ou des circonstances privatives, en est un exemple. En dehors des unités d’intervention structurée, toutes sortes de formes restrictives d’isolement (définies comme moins de quatre heures par jour hors de la cellule) restent une réalité tenace et substantielle, comme le montre mon enquête sur les établissements autonomes à sécurité maximale pour hommes. Le seuil du temps passé hors de la cellule, y compris les contacts significatifs avec d’autres personnes, est maintenant établi dans la loi fédérale, mais il existe encore de nombreuses formes d’isolement et de circonstances où même ces exigences minimales ne sont pas satisfaites ou respectées.
Le rapport de cette année comprend également une documentation actualisée et beaucoup plus étoffée sur l’expérience des prisonniers noirs au Canada, un sujet sur lequel mon Bureau a fait rapport pour la première fois en 2013. Dix ans plus tard, les principaux problèmes documentés dans ce rapport précurseur — discrimination, racisme, étiquettes, stéréotypes — restent d’actualité et ont un impact considérable sur l’égalité des résultats pour les personnes noires dans les prisons fédérales.
La première d’une enquête en deux parties qui met à jour le rapport spécial de 2013 du Bureau au Parlement, Une question de spiritualité : les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , déposée en mars 2013, est également à l’honneur. Peu de conclusions contenues dans ce document d’introduction et de mise en contexte surprendront ceux qui sont familiers avec la situation de surreprésentation ou de disparité des résultats pour les Autochtones en détention fédérale.
La capacité de mon Bureau à effectuer des changements doit également être comprise et évaluée dans le contexte de notre capacité, plutôt réussie, à traiter les plaintes et les problèmes au niveau des établissements ou des personnes en temps opportun. Mon équipe d’enquêteurs s’efforce d’établir des relations positives avec le personnel et les détenus des établissements auxquels ils sont affectés. Les relations entre mon personnel d’enquête, le personnel du SCC et la direction des pénitenciers du Canada sont uniformément productives, professionnelles, cordiales et adaptées. Le personnel du BEC travaille sans relâche, souvent sans grande reconnaissance, pour résoudre les problèmes de manière informelle et aux niveaux les plus bas possible. Notre taux de recours positif et de résolution des problèmes au niveau de l’établissement ou des plaintes individuelles est nettement supérieur aux progrès que nous réalisons sur les problèmes systémiques. Malgré les déplacements, les fermetures de prisons et les restrictions de visites imposées par la pandémie de COVID-19, mon équipe d’enquêteurs a pu, l’année dernière, effectuer plus de 60 visites en personne ou virtuelles dans des institutions fédérales.
Je suis immensément fier de l’ensemble du travail présenté ici, d’autant plus impressionnant qu’il a été réalisé au cours d’une autre année de restrictions liées à la COVID, qui a nécessité des conditions de travail adaptées.
Ivan Zinger, JD., Ph. D.
Enquêteur correctionnel
Juin 2022
Message de la directrice générale
Bien que nous ayons eu l’espoir que les restrictions imposées par la pandémie seraient levées au cours de l’année écoulée, nos espoirs ont été rapidement anéantis par les variants de la COVID-19 qui ont provoqué de nouveaux isolements, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des établissements correctionnels fédéraux. L’évolution et l’incertitude de la situation ont continué à causer beaucoup de difficultés non seulement pour les personnes que nous servons derrière les barreaux, mais aussi pour nos employés.
Malgré ces difficultés, le fait que nous ayons pu passer 83 jours dans les établissements, soit 46 visites, en dit long sur le dévouement et l’engagement de nos employés. Ces visites ont été effectuées dans toutes les régions. Certains établissements nécessitant notre attention ont été visités plus d’une fois, notamment les établissements à sécurité maximale, notamment Atlantique (2 x), Edmonton (2 x), Donnacona (2 x), Port Cartier (2 x), Millhaven (2 x) et Kent (3 x). Certains établissements pour femmes ont également été visités plus d’une fois. L’enquêteur correctionnel a visité à lui seul neuf établissements, fournissant son évaluation et ses conseils d’expert sur ce qu’il a observé. J’ai moi aussi eu l’occasion d’effectuer des premières visites dans huit établissements pour constater moi-même la réalité de la vie derrière les barreaux, tant pour les personnes incarcérées que pour les employés du SCC qui y travaillent. J’apprécie la coopération et la collaboration que nous recevons du personnel et de la direction du SCC. De nombreuses questions importantes sont résolues au niveau de l’établissement entre les employés du BEC et du SCC.
Le fait d’effectuer des visites en personne tout au long de la pandémie démontre notre attention constante aux besoins des personnes que nous servons et notre engagement à surveiller les prisons. Nos visites allaient de l’inspection d’un jour à des visites ouvertes avec une charge de travail complète pour rencontrer les personnes incarcérées, entendre les questions et les préoccupations qu’elles soulèvent et y donner suite.
Notre personnel chargé des politiques et de la recherche, ainsi que les enquêteurs, ont fait preuve de résilience dans leurs efforts en effectuant plusieurs visites en peu de temps alors que les restrictions étaient levées. Nos agents d’intervention préventifs ont été là pour répondre à des milliers d’appels et pour trier les plaintes que nous avons reçues. Je tiens également à souligner le travail de nos collègues des services corporatifs, qui fournissent le personnel et gèrent les coûts administratifs, et sans lesquels nous ne pourrions pas fonctionner. Non seulement ils s’occupent des obligations croissantes en matière de rapports gouvernementaux et de la charge disproportionnée à laquelle sont confrontés les micro-organismes, mais ils ont également contribué à nous guider dans le cadre des restrictions et des exigences liées à la COVID-19 pour assurer la sécurité de nos employés.
Au cours de l’année écoulée, l’organisation a progressé dans l’élaboration d’un plan stratégique triennal composé de quatre priorités clés :
- Créer un environnement où le BEC est un employeur de choix, en assurant un lieu de travail sûr et respectueux où les employés se sentent habilités et soutenus;
- Garantir une structure organisationnelle alignée sur les priorités du bureau, souple et agile pour répondre aux problèmes émergents;
- Améliorer la capacité et l’efficacité des enquêtes et des inspections systémiques par une planification et une collaboration accrues;
- Mettre en œuvre d’une stratégie de gestion des données répondant aux besoins des différentes fonctions au sein du bureau, afin de permettre au BEC de mesurer et de rendre compte plus efficacement des fonctions et de l’incidence positive du Bureau.
J’ai la chance de travailler avec une équipe de gestion aussi dévouée, un enquêteur correctionnel passionné et audacieux, et des employés qui se soucient sincèrement de l’important mandat de notre Bureau, qui consiste à assurer la garde sécuritaire et humaine des détenus au Canada. Leur travail acharné, leur passion pour la justice sociale et leur professionnalisme continuent de m’impressionner. Je me réjouis de commencer la mise en œuvre de notre plan stratégique au cours de l’année à venir, avec l’espoir que notre travail et nos vies soient moins touchés par les restrictions d’une pandémie, et que les choses reviennent un peu plus à la normale.
Monette Maillet
Directrice générale et avocate générale
Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada
Mises à jour nationales et enjeux importants
La présente section résume les enjeux politiques ou les cas individuels importants qui ont été examinés aux niveaux institutionnel et national au cours de la période visée par le rapport. Les enjeux et les cas présentés ici ont fait l’objet soit de discussions avec les directeurs d’établissements, soit d’un échange de correspondance ou d’un point à l’ordre du jour de réunions bilatérales entre la commissaire, moi-même et nos équipes respectives de la haute direction. Ces domaines de préoccupation non résolus, non traités ou mis à jour font toujours l’objet d’une enquête active. La présente section sert donc à documenter les progrès réalisés dans le traitement des enjeux qui revêtent une importance nationale ou qui sont source de préoccupation.
1. Cellules nues
Ainsi, à l’heure actuelle, nous n’avons pas d’interdiction absolue de placement de plus de 72 heures, car il est arrivé que des délinquants réinsèrent ou avalent des corps étrangers pour éviter d’être détectés, ce qui nécessite la poursuite du placement au-delà d’une période de 72 heures. (SCC, réponse au rapport annuel 2011-2012 )
Les placements en cellule nue excédant 72 heures ne sont pas interdits, car l’évacuation des selles à une fréquence de plus de 72 heures n’est pas hors du commun. En fait, plusieurs publications médicales soutiennent que certaines personnes n’évacuent leurs selles qu’une (aux 168 heures) ou deux fois (aux 80-90 heures) par semaine. C’est donc pour cette raison que les plus récents changements législatifs n’ont pas imposé des limites de temps, mais ont plutôt imposé une surveillance médicale. (SCC, réponse au rapport annuel 2019-2020 )
Dans une décision judiciaire récente (novembre 2021, Adams c. Nova Institution ), la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a jugé illégale la pratique consistant à utiliser une cellule nue pour les femmes soupçonnées de dissimuler des produits de contrebande dans leur vagin, car elles pourraient être soumises à des périodes de détention en cellule nue plus longues, voire indéfinies. Pour situer le contexte, la « détention en cellule nue » d’un prisonnier est une procédure extraordinaire qui nécessite une fouille à nu, une surveillance et une observation 24 heures sur 24, ainsi qu’un éclairage de la cellule 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Elle est effectuée dans l’espoir que le prisonnier finira par « expulser » l’objet interdit. Dans cette affaire, le tribunal a constaté qu’une ancienne prisonnière de l’établissement Nova pour femmes avait été soumise à une détention en cellule nue pendant plus de deux semaines consécutives après avoir été soupçonnée de dissimuler des drogues dans son vagin. Le 15e jour de sa détention en cellule nue, un examen pelvien a finalement confirmé qu’elle ne dissimulait aucun produit de contrebande dans son corps.
La Cour a initialement donné au gouvernement six mois pour revoir sa politique dans ce domaine, un délai qui a ensuite été prolongé et qui expire en juillet 2022. En réponse, en avril 2022, le gouvernement fédéral a fait part de son intention de modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition afin d’interdire l’utilisation de cellules nues pour les femmes soupçonnées de dissimuler des produits de contrebande dans leur vagin.
Le SCC a également pris connaissance de la décision, en publiant un bulletin de politique provisoire le 25 avril 2022. Le bulletin indique : « À compter de maintenant, les personnes incarcérées qui dissimulent présumément des objets interdits dans leur cavité vaginale, ou ailleurs que dans l’appareil digestif, ne seront plus placées en cellule nue ». Il stipule également que l’administration centrale (AC) du SCC doit être informée lorsqu’une mise en cellule nue dépasse 72 heures. Selon la directive provisoire, cette nouvelle exigence est destinée à « rehausser la surveillance » et à permettre à l’administration centrale « de fournir des directives additionnelles au besoin ».
Sur la base des réponses du gouvernement et du SCC jusqu’à présent, il ne semble pas y avoir d’intention d’aller plus loin et d’imposer une interdiction plus large ou d’introduire des restrictions supplémentaires sur la pratique controversée de l’utilisation de cellules nues, une procédure que j’ai précédemment décrite comme étant « de loin la plus dégradante, la plus austère et la plus restrictive que l’on puisse imaginer dans les services correctionnels fédéraux ». Le point de départ de cette affaire et la décision même reposent sur un ensemble assez restreint d'arguments et de faits. La Couronne a tenté de convaincre le tribunal que la détention en cellule nue du prisonnier était en fait illégale, qu’il s’agissait d’une sorte « d’incident isolé et localisé (et non systémique) de mauvaise administration » de la part de l’établissement et que, en tout état de cause, la définition de la fouille d’une « cavité corporelle » dans les services correctionnels fédéraux n’inclut pas la dissimulation d’objets interdits dans un vagin. Le jugement interdit l’utilisation de cellules nues pour les femmes détenues soupçonnées de porter des produits de contrebande dans leur vagin. Il ne se prononce pas plus largement que cela. Là où il existe un intérêt public clair et convaincant dans l’affaire Adams c. Nova Institution consiste à déterminer si la détention d’un prisonnier dans des conditions privatives et dégradantes, pour une durée indéterminée , devrait être considérée comme légale, particulièrement dans le contexte de l’abolition récente de l’isolement cellulaire dans les prisons canadiennes.
Le Bureau a soulevé pour la première fois une série de préoccupations concernant la pratique des cellules nues dans son rapport annuel 2011-2012, à une époque où il y avait peu de mesures de protection et pratiquement aucune surveillance interne de cette pratique. Depuis lors, le SCC a mis en place diverses mesures en matière de rapports et de procédures — l’obligation de donner un avis écrit sur les raisons du placement, la possibilité pour les personnes incarcérées de retenir les services d’un avocat et de lui donner des instructions sans délai, l’obligation de donner un avis aux services de santé et de recevoir leur visite quotidiennement, et l’examen quotidien des placements par le directeur.
Malgré cela, le SCC a résisté face à l’établissement de toute limite supérieure quant à la durée pendant laquelle une personne peut être détenue dans une cellule nue qui n’est munie d’aucune plomberie. Si les circonstances décrites dans le jugement de la Cour sont « isolées et localisées » (c’est-à-dire qu’elles ne sont pas de nature systémique), la pratique consistant à détenir un prisonnier dans une cellule nue pendant une période indéfinie est loin d’être inhabituelle. Au cours de la période visée par le rapport, le Bureau est intervenu dans le cas d’une jeune femme autochtone qui a été détenue en cellule nue pendant neuf jours consécutifs. À mon avis, il ne peut y avoir aucune autre raison ou justification pour détenir une personne dans de telles conditions privatives. Comme je l’ai déjà dit, je pense que cette pratique devrait être plafonnée à 72 heures. Après trois jours, je pense que cette procédure est excessive et déraisonnable, voire strictement punitive.
On ne sait pas combien de fois les cellules nues sont utilisées dans les prisons fédérales, car le Service n’est pas obligé de rendre compte publiquement de cette pratique. Plus de dix ans après le premier rapport du Bureau sur cette question, les pratiques varient encore considérablement d’une région à l’autre et même au sein des établissements en ce qui concerne l’interprétation et les procédures de détention en cellule nue. Les mécanismes actuels de tenue des dossiers et de rapports qui sont en place (c’est-à-dire la justification du placement, l’enregistrement des crises, les rapports d’observation, les carnets de bord détaillant les périodes de séjour) ne sont pas cohérents d’un établissement à l’autre. Les rapports d’incident et d’observation des placements en cellules nues sont enfouis dans les dossiers individuels de sécurité préventive.
Plus important encore, il y a peu de vérifications et d’équilibres en place pour examiner ou contester la qualité ou la validité des renseignements utilisés pour placer ou maintenir une personne dans une cellule nue. Les placements de cette nature nécessitent des « motifs raisonnables et probables », un seuil légal qui ne peut être satisfait sur la base d’une intuition ou d’un soupçon personnel. À part de la remise volontaire de la marchandise de contrebande, la seule certitude d’être libéré d’une cellule nue est la défécation, et seulement dans ce cas, s’il y a une sorte de contrebande expulsée et récupérée. Sinon, comme l’illustre l’arrêt de la Nouvelle-Écosse, les placements peuvent se prolonger indéfiniment avec peu de moyens pratiques pour contester, annuler ou mettre fin à ce qui pourrait potentiellement constituer un traitement ou une punition cruel et inhabituel. C’est précisément la nature indéfinie de l’isolement préventif (ou isolement cellulaire), défini comme une absence de deux heures ou moins de la cellule, qui a conduit le gouvernement actuel à abolir cette pratique correctionnelle particulière. On peut dire que l’utilisation de cellules nues est une forme de détention encore plus flagrante, qui ne fait l’objet d’aucune forme d’examen ou de surveillance externe.
On s’attend à ce que les placements de cellules nues soient limités à ce qui est raisonnablement nécessaire et à la période la plus courte possible. Cependant, étant donné les limites des données et de la tenue des registres, il est actuellement impossible de corroborer le nombre réel ou la durée de ces placements. En outre, l’obligation pour les services de santé de surveiller le placement en cellules nues constitue une autre violation de leur rôle de défenseur des patients — un autre problème de « double loyauté » qui oblige de manière inappropriée le personnel des services de santé à s’impliquer dans les questions de discipline et de sécurité.
Pour toutes ces raisons, je conclus que la mesure supplémentaire d’examen interne et de notification que le Service a mise en place pour répondre à la décision de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (obligation de faire rapport à l’AC sur les placements en cellule nue dépassant trois jours) est inadéquate et insuffisante. Cette mesure est loin d’être suffisante pour répondre aux préoccupations et aux intérêts en jeu en matière de vie, de liberté et de dignité.
- Je réitère ma recommandation d’interdire tout placement indéfini en cellule nue au-delà de 72 heures.
2. Stratégie antidrogue du Service correctionnel du Canada
Cette mise à jour passe en revue certains aspects de la politique du SCC en matière de drogues. Elle évalue les progrès réalisés pour répondre aux préoccupations et aux obstacles à la participation au Programme d’échange de seringues dans les prisons (PESP), soulevés pour la première fois dans mon rapport annuel 2018-2019. Elle documente également les observations préliminaires du Bureau concernant une mesure connexe de réduction des méfaits — le Service de prévention des surdoses (SPS) — à l’établissement de Drumheller, en Alberta. Elle conclut par quelques commentaires sur la politique de tolérance zéro du SCC en matière de drogues et prévoit à un énoncé de politique plus équilibré, fondé sur des données et mis à jour (Directive du commissaire 585 — Stratégie nationale antidrogue ) afin d’aborder de manière plus complète et avec plus de compassion les méfaits des dépendances et de la consommation de drogues chez les détenus fédéraux.
Programme d’échange de seringues dans les prisons
Dans le rapport annuel 2018-2019 du Bureau, j’ai fait état des difficultés et des obstacles rencontrés lors de la mise en œuvre initiale du Programme d’échange de seringues dans les prisons du SCC. À cette époque (en avril 2019), le programme commençait tout juste à être mis en œuvre dans un nombre restreint d’établissements et il n’y avait qu’une poignée de personnes inscrites. J’ai formulé un certain nombre de conclusions et de recommandations préliminaires pour remédier au nombre étonnamment faible de participants au programme :
- Une approche de tolérance zéro envers la consommation et la possession de drogues par les détenus est en contradiction avec les principes et les pratiques de réduction des méfaits du PESP. Footnote 1
- L’utilisation d’une évaluation de la menace et des risques (EMR) comme condition préalable à la participation au PESP repousse les participants potentiels.
- L’accès aux aiguilles/seringues n’est pas déterminé en fonction du besoin (échange de seringues selon le principe du un contre un).
- Absence de points d’accès et de distribution multiples (les seringues usagées doivent être retournées aux Services de santé).
- Manque de confidentialité des participants/patients.
- Opposition active parmi le personnel de première ligne.
- Perception de la participation de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
À l’exception du dernier obstacle, tous les autres restent des préoccupations actives. Aujourd’hui, le nombre de détenus qui ont exprimé leur intérêt ou qui participent effectivement au Programme d’échange de seringues n’a pas augmenté de manière substantielle, même en tenant compte d’établissements supplémentaires où le PESP a été mis en œuvre par la suite. Actuellement, un service d’échange de seringues fonctionne dans neuf pénitenciers fédéraux, dont les cinq établissements pour femmes. Sur la base d’un profil instantané de mars 2022, 46 personnes participaient au programme, dont sept femmes purgeant une peine de ressort fédéral. Quelques établissements n’ont même pas encore attiré leur premier participant, tandis que quelques autres établissements où le programme avait été mis en œuvre ont été fermés dès le début de la COVID. Le déploiement national progressif prévu du Programme d’échange de seringues a également été temporairement suspendu, apparemment en raison de la pandémie.
Une évaluation intermédiaire du PESP menée par un expert indépendant a fait des constatations similaires à celles du Bureau. Le rapport d’évaluation préliminaire, daté d’octobre 2020, comprenait ces observations et les obstacles à la participation : Footnote 2
- 56 % des établissements ayant un PESP n’avaient aucun participant actif au moment de l’évaluation.
- La majorité des détenus et une partie du personnel de certains établissements où le PESP existait ne connaissaient pas le programme.
- Incohérence et ambiguïté des critères d’admissibilité au PESP, des procédures d’entreposage et d’élimination des trousses et autres restrictions d’accès entre les établissements.
- Manque de planification et de préparation adéquates pour la mise en œuvre.
Le Contrat d’information et de programme du PESP (voir image), que les participants doivent accepter et signer, contient de nombreuses relatives au comportement et des critères restrictifs qui pourraient contribuer à expliquer le manque d’intérêt et d’adhésion des détenus au programme. Jusqu’à présent, le programme n’a pas réussi à susciter beaucoup d’intérêt, de confiance ou d’assurance de la part des détenus ou du personnel de première ligne. Il reste un programme essentiellement en nom seulement.
En ce qui concerne les éventuelles « recommandations exploitables fondées sur des données pour la refonte des programmes et des politiques », l’évaluation intérimaire offre plusieurs suggestions pratiques :
- Réinventer et rafraîchir le matériel promotionnel du PESP et l’approche proactive pour promouvoir et expliquer le programme aux détenus lors de leur admission et au personnel correctionnel et opérationnel.
- Élaborer un document de politique standardisé pour assurer la cohérence de la mise en œuvre et de la procédure du PESP dans toutes les prisons fédérales.
- Retirer et communiquer de manière généralisée l’obligation de partager la participation au PESP avec la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
D’autres mesures connexes de réduction des méfaits ont été approuvées dans l’évaluation à mi-parcours du PESP :
- Améliorer l’accès au traitement par agonistes opioïdes derrière les barreaux.
- Rétablir un programme de tatouage plus sécuritaire dans les établissements correctionnels fédéraux.
- Offrir une plus grande disponibilité de la naloxone.
- Améliorer l’accès et la distribution d’équipements de reniflage plus sécuritaires.
Il est évident, d’après les conclusions et les recommandations provisoires de l’évaluateur externe, que l’on demande au SCC d’adopter un ensemble plus complet de mesures de réduction des méfaits liés à la consommation de drogues et aux dépendances dans les établissements correctionnels fédéraux, une position que le Bureau appuie depuis longtemps. Le problème, bien sûr, est que les pratiques de répression des drogues du SCC n’adhèrent pas aux principes de la réduction des méfaits et ne les respectent pas. La question demeure : comment y parvenir malgré la résistance et l’opposition au sein d’une culture organisationnelle de tolérance zéro? Un programme connexe de réduction des méfaits, le Service de prévention des surdoses, pourrait constituer un moyen d’aller de l’avant, avec des points d’apprentissage pouvant être mis en œuvre.
Service de prévention des surdoses (SPS)
Le SPS, exploité par les Services de santé, qui est essentiellement un site de consommation sécuritaire dans une prison, fonctionne à l’établissement de Drumheller en Alberta depuis juin 2019. Il s’agit apparemment de la première prison au monde à proposer un tel service, dans lequel les détenus peuvent accéder à des aiguilles, à des seringues, à des garrots et à d’autres équipements et matériels stériles pour s’autoadministrer et consommer une dose de leur substance par visite. Le personnel de santé suit les détenus utilisant le SPS pendant toute la durée de leur consommation et de leur période de rétablissement. Le site est ouvert de 7 h à 19 h. Tout le matériel doit être rendu au personnel soignant présent après utilisation.
Les objectifs établis de la politique et de la pratique du SPS sont les suivants
- Prévenir les surdoses non mortelles et les décès par surdose
- Faciliter l’entrée dans les services de traitement de la toxicomanie
Réduire le partage à usage multiple d’aiguilles non stériles
Réduire le partage à usage multiple d’aiguilles non stériles
- Réduire la transmission des infections virales transmises par le sang
Le personnel de santé du SCC qui s’occupe du SPS a reçu une formation spécialisée du Sheldon Schumer Centre de Calgary (un site communautaire de consommation sécuritaire). Le personnel a dû apprendre à cuisiner et à utiliser plusieurs types de substances différentes pour comprendre le contexte de la consommation de drogues injectables et ainsi aider leurs « patients ». La participation au SPS est volontaire (avec un consentement éclairé) et, contrairement au PESP, une évaluation de la menace et des risques n’est pas nécessaire pour y participer. Le Contrat et information sur le patient du SPS, qui précise les attentes et les conditions de participation, sont loin d’être aussi onéreux ou axés sur la sécurité que ceux du PESP. Des antécédents autodéclarés de surdose, de consommation de drogues illicites, de consommation active de drogues et l’expression d’un intérêt à participer au PSP, sont tous des indicateurs fondés sur des données de l’admissibilité à participer au PSP. Le personnel de santé fournit aux participants des renseignements et des conseils sur les pratiques de consommation sans risque dans le contexte du SPS.
Le service lui-même crée une zone de sécurité pour que les participants puissent se rendre de leur unité au site d’injection. En route vers le site, ils ne peuvent pas être accusés de contrebande par le personnel si la quantité de la drogue en question ne dépasse pas les limites de consommation personnelle. Un détenu participant au service n’est pas non plus soumis à des fouilles ou à des analyses d’urine supplémentaires au-delà de ce qui est prévu par la politique (il ne peut pas être isolé ou ciblé). La participation au service ne donne cependant pas carte blanche à la consommation de drogues ou à la possession d’attirail de drogues en dehors du SPS.
Comme l’a expliqué l’un de mes enquêteurs qui a effectué une visite sur place du SPS en novembre 2021, Drumheller a été choisi pour être le site du premier SPS dans les services correctionnels fédéraux en raison de l’incidence précédemment élevée des surdoses de drogues enregistrées et de la prévalence de la consommation de drogues, estimée à 70 % de l’ensemble des détenus qui consomment. Si, au départ, le personnel non médical s’est montré réticent, les perceptions et les attitudes ont depuis évolué vers une acceptation plus large du programme, en partie grâce à une campagne concertée et proactive des services de soins de santé visant à sensibiliser le personnel et à le faire accepter. Le personnel de première ligne a reconnu que la consommation de drogues et les surdoses de drogues étaient courantes avant la création du SPS. Ils devaient régulièrement administrer du NARCAN et (ou) la RCP à des personnes qui avaient fait une surdose, donc la possibilité de réduire l’occurrence de ces événements et interventions avec le SPS a été bien accueillie. Le SPS fournit également un moyen de diriger les personnes vers un endroit sûr et supervisé pour leur consommation, sans mettre en danger la sécurité du personnel. Selon les renseignements fournis à l’enquêteur affecté à Drumheller, le personnel de première ligne fait désormais activement la promotion du programme auprès des détenus lorsqu’il les trouve en possession ou en train de consommer des drogues ou des attirails.
En ce qui concerne l’adoption et l’utilisation, depuis la première ouverture en juillet 2019 jusqu’à mars 2022, le SPS a reçu 1 566 visites, dont 52 participants. Depuis le lancement du programme jusqu’en mars 2022, il y a eu 20 surdoses de drogue à Drumheller. Aucun de ces cas ne s’est produit au SPS. Aucun décès par surdose n’a été enregistré au cours de cette période.
Dans l’état actuel des choses, le modèle du SPS n’est pas parfait et n’est pas exempt de défauts (par exemple, ressources limitées, accessibilité et heures d’ouverture limitées, manque de soutien pour l’aide par les pairs, disponibilité et distribution de matériel de reniflage plus sécuritaire). Cependant, il offre une pratique exemplaire potentielle dans laquelle l’apprentissage et l’expérience fondés sur des données peuvent être partagés et appliqués à d’autres prisons fédérales. Il convient également de préciser que le SPS n’est pas un substitut ou une alternative à un programme d’échange de seringues repensé et mieux mis en œuvre ou à un meilleur accès à des programmes de traitement clinique et de lutte contre les dépendances fondés sur des données. Ces deux mesures de réduction des méfaits pourraient fonctionner de manière complémentaire pour lutter plus efficacement et en toute sécurité contre les méfaits de la consommation de drogues et de la toxicomanie derrière les barreaux.
La stratégie antidrogue du SCC
La nécessité d’un accès plus large à un plus grand nombre de mesures de réduction des méfaits derrière les barreaux semble désormais incontestable. Entre décembre 2016 — au début de la crise des opioïdes au Canada — et mai 2021, le SCC a augmenté de 185 % le nombre de personnes sous traitement par agonistes opioïdes (TAO). En mars 2022, 3 010 personnes étaient inscrites au TAO (2 774) ou sur une liste d’attente (236), ce qui représente près de 25 % de la population carcérale totale. L’augmentation spectaculaire de la prescription de TAO n’est pas sans soulever des inquiétudes, qui nécessitent une analyse et une évaluation beaucoup plus approfondies.
Si l’on se base uniquement sur les chiffres de la participation au TAO, il est loin d’être clair que le SCC dispose de ressources suffisantes en matière de soins de santé et de conseil pour fournir un soutien et une intervention efficaces et durables en matière de traitement.
Ces questions mises à part, d’autres facteurs, tendances et indicateurs suggèrent que l’approche actuelle du SCC en matière de drogues et de consommation de drogues parmi les détenus penche fortement en faveur de la suppression des drogues et de méthodes de surveillance et d’interdiction toujours plus sophistiquées et coûteuses, comme le fait de détecter et de stopper les largages de drones. Le nombre croissant de saisies de produits de contrebande dans les établissements du SCC, qui a fait un bond considérable pendant la pandémie de COVID-19, laisse supposer une recherche et une saisie plus actives, mais ces activités ne contribuent guère à réduire la demande.
De même, l’augmentation récente et spectaculaire du nombre de tests d’urine aléatoires qui se révèlent positifs (ce qui indique peut-être une « poussée » de la consommation de drogue liée à la COVID) est un autre indicateur de la demande insatiable de drogue derrière les barreaux.
Du côté des politiques, la directive 585 du commissaire : Stratégie nationale antidrogue n’a pas été mise à jour depuis mai 2007. Elle est entièrement redondante et non pertinente. Peu de tentatives ont été faites pour intégrer les mesures plus récentes de réduction des méfaits, comme le PESP et le SPS, ou pour élargir l’accès aux programmes de lutte contre la toxicomanie, dans le cadre d’une stratégie antidrogue plus équilibrée et plus complète pour les services correctionnels fédéraux. L’approche actuelle de tolérance zéro envers les drogues et la consommation de drogues dans les établissements du SCC laisse peu de place à d’autres mesures de non-interdiction fondées sur les données, le traitement, la réduction des méfaits et les principes de prévention. En tant qu’entité fédérale, le SCC est tellement désuet et non conforme à l’approche « globale, collaborative, compatissante et fondée sur des données probantes que le gouvernement du Canada en matière de politique sur les drogues Footnote 3 » qu’il est même difficile de savoir par où commencer pour tenter de rétablir un semblant d’équilibre et de pertinence. Ce qui semble certain, c’est qu’il est à la fois inutile et préjudiciable de continuer à s’appuyer sur une série de mesures de fouille et de saisie humilianteset dégradantes qui ciblent, punissent et disciplinent les personnes pour leur consommation de substances et leur dépendance, des problèmes qui ont souvent contribué à leur incarcération en premier lieu.
- En ce qui concerne la Stratégie antidrogue du SCC, je recommande la série de mesures suivantes :
- Les critères du Programme d’échange de seringues dans les prisons (PESP) doivent être réorganisés de manière significative afin d’encourager la participation conformément aux recommandations exploitables de ce Bureau et de l’évaluation intermédiaire externe, en vue d’une mise en œuvre nationale complète dans les 12 prochains mois.
- Le Service de prévention des surdoses (SPS) doit être déployé à l’échelle nationale, parallèlement à la mise en œuvre du PESP.
- La directive 585 du commissaire — Stratégie nationale antidrogue — doit être immédiatement mise à jour pour intégrer les principes et les pratiques de réduction des méfaits, de traitement et de prévention fondés sur des données probantes.
- La politique de tolérance zéro du SCC envers la consommation et la possession de drogues doit être rajustée pour se concentrer sur les mesures correctives en ce qui concerne le détournement et le trafic de drogues, plutôt que de stigmatiser, de cibler ou de discipliner les personnes aux prises avec des dépendances ou des troubles de toxicomanie.
3. Établissement d’Edmonton
Dans mon rapport annuel 2018-2019, j’ai commencé mon étude de cas sur le dysfonctionnement permanent de l’Établissement d’Edmonton par le diagnostic suivant : « L’Établissement d’Edmonton […] est aux prises avec une culture toxique et problématique en milieu de travail, un milieu où les dysfonctionnements, l’abus de pouvoir et le harcèlement sévissent depuis des années. » À ce moment-là, mon Bureau avait déjà signalé les problèmes de l’Établissement d’Edmonton depuis de nombreuses années. Le ministre et les commissaires du Service correctionnel précédents étaient tous deux intervenus personnellement et une série d’examens et d’enquêtes internes avaient été lancés. De nombreuses mesures disciplinaires ont également été prises à l’encontre du personnel de l’établissement, et de multiples enquêtes ont été menées auprès du personnel pour évaluer la culture et les besoins sur le lieu de travail.
Dans ce même rapport, j’ai également rendu publiques les conclusions d’une enquête menée par mon Bureau sur une série d’agressions entre prisonniers survenues à l’Établissement d’Edmonton entre août et octobre 2018. Ces conclusions suggèrent que le personnel de première ligne continue d’agir en toute impunité, permettant aux prisonniers d’agresser d’autres prisonniers à plusieurs reprises sans aucune conséquence. La réponse du commissaire a été rapide et décisive. Des mesures correctives ont été prises, notamment des suspensions de personnel, l’ouverture d’une enquête disciplinaire interne et des mesures de « renouvellement » pour traiter la culture du lieu de travail, comme la nomination d’un nouveau directeur et l’habilitation de la direction à rétablir un environnement de travail sain et respectueux.
Dans mon rapport annuel 2019-2020, j’ai fait le point sur les mesures disciplinaires qui avaient été prises en rapport avec les agressions de détenus. Bien que six des dix membres du personnel du SCC ayant fait l’objet d’une enquête aient été soumis à des mesures disciplinaires mineures, aucun d’entre eux, de rang supérieur, n’a reçu de réprimande d’aucune sorte.
Les visites virtuelles et en personne effectuées pendant la pandémie ont révélé une aggravation des problèmes et des tensions dans cet établissement en difficulté, notamment le manque de personnel, du temps insuffisant passé hors de la cellule, le déclin général de l’humeur et de la santé mentale des détenus, l’entreposage des détenus d’établissements à sécurité moyenne et l’accès restreint aux visites familiales privées. Ces problèmes ont été soulevés auprès du directeur en août 2021. Malgré un certain nombre de mesures prises par l’établissement pour régler ces problèmes, mon Bureau a continué à recevoir de nombreux appels, plaintes et demandes de renseignements liés à des allégations continues et très graves à l’Établissement d’Edmonton.
En novembre 2021, mon Bureau a effectué une visite exceptionnelle à huis clos de l’Établissement d’Edmonton, qui s’est déroulée sur trois jours (du 1er au 3 novembre 2021). Deux de mes enquêteurs principaux ont rencontré et interrogé des détenus de toutes les sous-unités, ainsi que des employés et des responsables de tous les services. Ils ont également mené une série d’entrevues approfondies avec plusieurs membres de l’équipe de direction, et ont recueilli les carnets de bord des unités et d’autres documents.
Les conclusions préliminaires ont été communiquées au commissaire le 12 novembre 2021, et comprenaient les éléments suivants :
- Le nombre croissant de sous-populations rend presque tous les mouvements de groupe impossibles.
- La surpopulation et la double occupation des cellules, deux phénomènes inhabituels dans les prisons à sécurité maximale.
- L’entreposage des prisonniers d’établissements à sécurité moyenne.
- Pendant des mois, les unités régulières ont eu un maximum de trois heures hors cellule, par jour.
- L’accès hors cellule est limité à la salle de sport, aux mini-cours ou aux salles communes; certaines unités sont limitées à 50 minutes de temps de pause, derrière des barrières, deux fois par semaine.
- L’accès aux douches, aux téléphones et à la buanderie est limité à des créneaux de 15 minutes, une personne à la fois, une ou éventuellement deux fois par jour en fonction du personnel.
- Une liste d’attente d’un an pour accéder aux services de santé mentale.
- Un poste de visite vidéo par ordinateur pour desservir 258 détenus.
- Aucun programme, aucune occasion de travail significative, l’accès à l’éducation est limité aux études en cellule, et les repas sont pris seuls et en cellule.
Mes enquêteurs ont observé des conditions de détention oppressives et intolérables à tous points de vue. Pour être clair, les restrictions des services et du temps hors cellule à l’Établissement d’Edmonton vont bien au-delà des effets ou de l’impact de la pandémie de COVID-19. Aussi inquiétant, il a semblé que des tensions et des conflits de longue date entre les différents groupes de personnel et la direction avaient refait surface. Il y avait peu de respect pour la direction dans les rangs de première ligne. Certains membres du personnel ont décrit la chaîne de commandement comme étant « brisée ». Le nombre d’agents correctionnels en congé de longue durée est extrêmement préoccupant et témoigne d’un milieu de travail en crise. Le manque de personnel restreint l’accès à toutes les formes de services et de programmes, y compris les soins de santé mentale et physique. Le personnel des programmes, de l’éducation et de la santé mentale n’a qu’un accès extrêmement limité à la population, et la communication avec les agents de libération conditionnelle se limite à des formulaires de demande ou passe par un agent de service.
À la lumière de ces conclusions préliminaires, j’ai suggéré une intervention au niveau national, y compris une assistance et un soutien immédiats de la part du commissaire. Le 8 décembre 2021, j’ai reçu une réponse satisfaisante du commissaire, qui a partagé mes préoccupations et m’a assuré que des mesures correctives étaient déjà en cours. Ces mesures comprennent :
- La remise en place de réunions en personne du comité consultatif de citoyens. Des réunions régulières comprenant les différentes divisions de l’établissement permettraient d’examiner les routines en établissement et le transfert des personnes en temps voulu.
- Les réunions de gestion de la population reprendront, et recevront les contributions des représentants d’unité et des autres détenus pour promouvoir et planifier les stratégies de réinsertion.
- La création d’un comité chargé du bien-être des détenus, qui se réunirait régulièrement avec la haute direction.
- Un examen complet des interventions sur place, y compris l’accès en temps opportun aux agents de libération conditionnelle, l’accès à des programmes correctionnels/d’éducation en dehors de la cellule et l’accès à des interventions culturelles.
- Au 8 décembre 2021, le nombre de prisonniers en occupation double est passé de 18 à 6, et 13 des 23 prisonniers à sécurité moyenne ont été transférés dans des établissements à sécurité moyenne.
- Des consoles de visite vidéo supplémentaires ont été installées, portant le total à quatre.
- L’administration centrale travaille avec l’établissement et la région pour résoudre les problèmes de recrutement et de maintien du personnel.
Les échanges entre mon Bureau, la direction de l’Établissement d’Edmonton et la participation de l’administration centrale sont des exemples de ce que j’appellerais « la surveillance en action ». Bien que la situation à l’établissement d’Edmonton soit loin d’être idéale et que les problèmes systémiques signalés soient loin d’être résolus, la collaboration et la réactivité du commissaire pour tenter de répondre aux conclusions et aux préoccupations du Bureau sont encourageantes. Mon Bureau continuera à surveiller de près la situation à Edmonton et à intervenir si nécessaire.
4. Unités d’intervention structurée
En novembre 2019, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été modifiée pour abolir l’isolement cellulaire en remplaçant le régime antérieur d’isolement préventif par des unités d’intervention structurée (UIS). Dans mon rapport annuel 2020-2021, j’ai fait part de mes observations préliminaires sur les UIS, qui ont été mises en œuvre en novembre 2019. À l’époque, j’ai fait quatre observations majeures :
- Le manque de données et de transparence de la part du SCC en ce qui concerne les opérations d’UIS a rendu difficile l’évaluation de sa conformité à la législation.
- Le retrait rapide des détenus des UIS et le respect des décisions de renvoi des décideurs externes indépendants (DEI) ont constitué un défi.
- Certaines personnes trouvent que les conditions de vie à l’UIS sont plus favorables que celles de la population carcérale régulière à sécurité maximale, en raison de leur meilleur accès aux services et aux interventions, aux visites quotidiennes des infirmières et des directeurs, aux possibilités accrues d’interaction avec le personnel n’appartenant pas à la sécurité et à la possibilité de passer plus de temps hors de la cellule. Étant donné cette situation, certaines personnes refusent de quitter les UIS, comme en témoignent même les DEI.
- La pandémie a généralement épargné aux personnes confinées dans les USI l’impact restrictif que la COVID-19 a eu sur les prisons en général, à l’exception des fermetures pendant les éclosions dans les établissements.
Sur la base de ces constatations, j’ai recommandé que le SCC rende public un registre trimestriel des autorisations de transfert des UIS et qu’il établisse un calendrier indiquant comment il prévoit de satisfaire aux exigences de déclaration prévues par la loi.
Au cours de la période considérée, j’ai appris que le Service tenait un registre interne des indicateurs des UIS. L’analyse de ces données par mon Bureau a mis en évidence des résultats très inquiétants, notamment en ce qui concerne les résultats différentiels des UIS pour les Noirs, les Autochtones et les personnes de couleur (BIPOC). Mon Bureau a constaté ce qui suit en ce qui concerne les UIS en 2020-2021 Footnote 4 :
- Environ la moitié des séjours en UIS ont duré 15 jours ou plus, et un tiers ont duré 30 jours ou plus.
- Dans l’ensemble, les personnes BIPOC ont connu des séjours plus nombreux et plus longs en UIS que les personnes blanches.
- Les Noirs semblent avoir de moins bons résultats que les autres groupes en ce qui concerne les résultats en UIS. Par exemple, ils étaient presque deux fois plus susceptibles que les personnes de race blanche d’être placés dans une UIS, et étaient plus susceptibles que les autres groupes de connaître des séjours de 60 jours ou plus dans une UIS.
- Par rapport aux personnes non autochtones, les personnes autochtones ont été transférées dans des UIS à un taux beaucoup plus élevé et étaient plus susceptibles de faire l’objet de séjours de 15 jours ou plus en UIS.
- Les données suggèrent également que le SCC ne respecte pas entièrement ses obligations légales d’offrir quatre heures de sortie de cellule et deux heures d’interaction humaine significative.
En février 2022, j’ai fait part de mes conclusions et de mes préoccupations dans une correspondance adressée au commissaire, notamment le fait que ces données étaient censées avoir été rendues publiques. J’ai également souligné mes préoccupations concernant les conditions générales de détention dans les établissements à sécurité maximale, qui résultent en partie de la mise en œuvre des UIS. Comme nous l’avons indiqué, certains détenus refusent de quitter les UIS parce qu’ils ont l’impression que les conditions en UIS sont moins restrictives ou plus sûres que l’environnement de la population carcérale ordinaire. De plus, j’ai remarqué une croissance substantielle et spectaculaire des sous-populations dans un certain nombre d’établissements à sécurité maximale, ce qui contribue à des conditions de détention plus restrictives, à des incompatibilités et à des personnes à sécurité moindre qui attendent un transfèrement. Je rends compte de mes conclusions en ce qui a trait aux établissements à sécurité maximale de manière plus détaillée plus loin dans ce rapport annuel.
En réponse à ma correspondance, le commissaire a salué le travail du Service pour maintenir un faible nombre de personnes au sein d’UIS et a indiqué qu’il a enquêté sur les problèmes mis en évidence dans l’analyse des indicateurs des UIS par mon Bureau ainsi que dans les environnements à sécurité maximale. Au-delà de la reconnaissance de mes préoccupations, aucune mesure ou initiative concrète n’a été cernée qui indiquerait comment ces questions seront traitées.
J’ai également fait part de mes conclusions sur les UIS à M. Howard Sapers, qui a été nommé en avril 2021 par le ministre de la Sécurité publique à la présidence d’un nouveau Comité consultatif sur la mise en œuvre des UIS (CC UIS). Le CC UIS a été créé pour surveiller, évaluer et rendre compte des questions liées à la mise en œuvre continue des UIS. J’ai toute confiance que M. Sapers et le CC UIS demanderont des comptes au SCC en ce qui concerne la mise en œuvre continue des UIS et les résultats disproportionnés pour les personnes BIPOC.
5. Surreprésentation des femmes autochtones dans les milieux de garde fermés (sécurité maximale)
Les femmes autochtones continuent de représenter l’une des populations incarcérées au niveau fédéral qui connaît la plus forte croissance au Canada. En décembre 2021, mon Bureau a publié un communiqué de presse contenant des données montrant que la proportion de femmes autochtones incarcérées n’a cessé d’augmenter et qu’elle atteint presque 50 % de toutes les femmes purgeant une peine fédérale. Le 28 avril 2022, le nombre de femmes autochtones incarcérées a atteint 50 % pour la première fois (298 femmes autochtones et 298 femmes non autochtones en détention fédérale). Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que parmi les femmes classées au niveau de sécurité maximale, près de 65 % sont des Autochtones. Malheureusement, il ne s’agit pas de nouveaux développements dans les services correctionnels fédéraux. Mon Bureau et d’autres organismes font état de l’autochtonisation des services correctionnels canadiens depuis des années. Un examen plus approfondi de la situation révèle que cette surreprésentation est en grande partie le résultat de préjugés et de racisme systémiques, notamment d’outils d’évaluation des risques discriminatoires, d’une gestion des cas inefficace, de retards et d’inerties bureaucratiques.
Que savons-nous aujourd’hui des femmes autochtones dans les unités de garde?
- Un examen des données du SCC extraites le 9 avril 2022 révèle ce qui suit : 29 des 45 (64,4 %) femmes classées au niveau de sécurité maximale sont autochtones.
- 25 des 29 femmes autochtones (86,2 %) sont considérées comme étant à haut risque et à besoin élevé.
- 20 femmes autochtones sur 29 (69 %) sont nées après 1990, ce qui reflète une population plus jeune.
- Le taux le plus élevé de surreprésentation des femmes autochtones se trouve dans la région des Prairies.
- Parmi les femmes autochtones classées au niveau de sécurité maximale :
- 8 femmes purgent des peines de durée indéterminée, avec des dates de début de peine allant de 1990 à 2021;
- 14 femmes purgent des peines de moins de quatre ans;
- Trois femmes purgent des peines comprises entre quatre et six ans;
- Trois femmes purgent des peines comprises entre 6 et 10 ans;
- 1 femme purge une peine déterminée de plus de 10 ans.
Échelle de classement par niveau de sécurité et processus de détermination de la cote de sécurité
Dès le début du processus de placement en détention, les femmes autochtones sont désavantagées. L’outil de classification par niveau de sécurité utilisé par le SCC pour toutes les personnes purgeant une peine fédérale est l’Échelle de classement par niveau de sécurité (ECNS). Il s’agit d’un instrument actuariel statique conçu pour, et testé sur, une population composée avant tout de délinquants blancs. Depuis des années, de graves lacunes de ce principal outil d’évaluation ont été signalées au Service — notamment pour son application inappropriée aux femmes et aux minorités visibles. Voici quelques-unes de ces critiques :
- 2001 : Une étude financée par Condition féminine Canada a recommandé au SCC « d’examiner et de concevoir une méthode d’évaluation et de classification qui tienne compte du genre et de l’origine ethnoculturelle Footnote 5 ».
- 2006 : La Revue canadienne de criminologie et de justice pénale a publié une étude prouvant que l’Échelle de classement par niveau de sécurité présente un biais systématique à l’encontre des détenus autochtones (par rapport aux non autochtones), une proportion importante de femmes autochtones étant injustement surclassées à des niveaux de sécurité plus élevés Footnote 6 .
- 2012 : Sécurité publique Canada a publié un rapport indiquant que l’échelle ne tient pas compte de la culture et du genre, de sorte que les femmes autochtones sont doublement désavantagées sur le plan de la race et du genre Footnote 7 .
- 2017 : Le Bureau du vérificateur général du Canada a recommandé que le Service correctionnel du Canada examine les moyens d’améliorer son processus de détermination de la cote de sécurité afin de tenir compte de façon appropriée des facteurs de risque pour les femmes incarcérées Footnote 8 .
Le Bureau a soulevé à plusieurs reprises des inquiétudes quant à l’utilisation de l’ECNS pour les femmes, et en particulier pour les femmes autochtones. En 2009, la surreprésentation des détenus autochtones dans les établissements à sécurité supérieure a été examinée dans un rapport publié par mon Bureau, intitulé, De bonnes intentions, des résultats décevants : Rapport d’étape sur les services correctionnels fédéraux pour Autochtones . À ce moment-là, les préoccupations concernant l’ECNS avaient déjà été signalées depuis plus de dix ans. Vingt-cinq ans plus tard, l’ECNS est toujours utilisée. Je ne peux pas m’empêcher de demander : Pourquoi?
Le SCC a toujours défendu l’ECNS, indiquant qu’il n’est pas le seul outil utilisé dans le processus de détermination de la cote de sécurité. Par conséquent, conformément à la directive 705-7 du commissaire : Cote de sécurité et placement pénitentiaire , les domaines de l’adaptation des établissements, du risque d’évasion et de la sécurité publique sont également évalués. Une partie de cette évaluation porte sur l’emploi, l’éducation, l’adaptation conjugale/familiale, les relations interpersonnelles, la consommation d’alcool et de drogues et les conditions de vie — des domaines dans lesquels les femmes autochtones sont plus susceptibles d’obtenir des résultats élevés. De plus, comme dans toute prise de décision concernant les prisonniers autochtones, les antécédents sociaux des Autochtones doit être prise en compte. La question est de savoir si le CSS tient compte de ces domaines de manière adéquate et appropriée lorsqu’il prend des décisions lors de la détermination de la cote de sécurité. Au lieu d’utiliser ces renseignements dans le seul but d’éclairer les besoins en matière de programmation, de traitement et d’intervention, ils semblent être utilisés contre ces femmes comme indicateurs de risque.
Antécédents sociaux des Autochtones
Le processus de prise de décision pour tous les prisonniers autochtones doit tenir compte des antécédents sociaux des Autochtones (ASA). L’ASA examine les facteurs sociaux et historiques directs et indirects qui ont eu un impact sur la personne et ont contribué à son implication dans le système de justice pénale. L’évaluation a pour but de garantir que les circonstances uniques des prisonniers autochtones sont prises en compte et que des options réparatrices et culturellement appropriées sont envisagées et proposées. En théorie, il devrait s’agir d’un exercice très complet d’examen et d’analyse des circonstances collectives et individuelles. Dans la pratique, cependant, les ASA ne consistent généralement qu’en une liste de facteurs qui ont eu un impact sur la personne. Il est rare de voir une analyse de ce que cela signifie en termes de gestion de cas ou de stratégies d’atténuation, et il est rare de voir des options de rechange ou réparatrices présentées dans le cadre de l’évaluation des ASA.
Citations des évaluations des ASA
Bien que le SCC offre une certaine formation et un outil sur les antécédents sociaux des Autochtones pour guider les agents de gestion de cas, tout au long de cet examen et lors de conversations informelles au fil des ans, le personnel a signalé à mes enquêteurs que la formation n’est pas suffisante pour bien comprendre et faire un lien entre les antécédents sociaux des Autochtones d’une personne et son plan de risque et de gestion de cas.
« Je fais du mieux que je peux, mais une formation supplémentaire est nécessaire. »
– Citation d’un agent de libération conditionnelle en établissement
Sans prendre en compte de manière adéquate tous les facteurs qui ont amené une femme autochtone à avoir des démêlés avec le système de justice pénale, l’ECNS et le processus d’évaluation ne comprennent pas la corrélation entre les circonstances de vie collectives et individuelles d’une femme autochtone. Le résultat est une pratique discriminatoire Footnote 9
.
Le SCC a informé mon Bureau qu’il a financé et conclu un contrat avec l’Université de Regina pour examiner le processus de détermination de la cote de sécurité dans son ensemble. Il s’agit d’un processus « de base » mené par une équipe autochtone.
- Je recommande au SCC d’accorder la priorité à l’examen actuel du processus de détermination de la cote de sécurité, particulièrement en ce qui concerne les femmes autochtones. Dans l’intervalle, je recommande que les antécédents sociaux des Autochtones (ASA) soient évalués de manière significative pour chaque décision rendue et que le personnel chargé de la gestion des cas reçoive une formation et un soutien adéquats pour appliquer les ASA.
Les femmes autochtones en milieu de garde fermé
Les milieux de garde fermés, comme leur nom l’indique, sont des zones distinctes à chaque établissement régional avec une sécurité statique et dynamique élevée et des déplacements limités. Ces milieux ont été créés dans les établissements correctionnels pour femmes en 1999, avec l’instauration de la Stratégie d’intervention intensive dans les établissements pour femmes , et sont destinés à héberger les femmes à sécurité maximale présentant un risque élevé ou des besoins importants, qui nécessitent un niveau accru de dotation en personnel, de soutien, de conseil ou d’autres aspects de la sécurité dynamique. Comme mon Bureau l’a signalé par le passé, les milieux de garde fermés sont des environnements où les femmes sont soumises à des routines modifiées, à des déplacements restrictifs, à des défis de gestion de la population, à l’absence d’espace physique, à des tensions accrues au sein de la population, à des incidents, à des crises de santé mentale et à l’isolement. L’environnement, les infrastructures et le manque de ressources font qu’il est souvent difficile pour les femmes de faire un transfèrement à un niveau de sécurité inférieur en temps voulu. En outre, ces milieux sont les plus coûteux à exploiter.
Aujourd’hui, les milieux de garde fermés sont très éloignés du modèle progressif proposé à l’origine dans la philosophie de La création de choix .
« [Le groupe de travail de La création de choix] a été informé par les femmes purgeant une peine de ressort fédéral qu’elles avaient besoin de soutien, et non de sécurité. De nombreuses autres personnes consultées pensent également que le système de sécurité traditionnel est peu pertinent pour les femmes dont les systèmes de valeurs sont davantage ancrés dans les relations que dans les systèmes. (…) Le modèle punitif est donc particulièrement peu pertinent et difficile dans ses effets sur les femmes [autochtones] Footnote 10 ».
Les cinq principes qui font partie intégrante de l’approche correctionnelle axée sur la femme — responsabilisation, choix valables et responsables, respect et dignité, environnement de soutien et responsabilité partagée — sont en fait inexistants dans les milieux de garde fermés. De plus, ils abritent une population majoritairement autochtone.
Alors que de nombreuses femmes autochtones présentant un risque et des besoins élevés peuvent bénéficier d’un environnement plus structuré, l’approche restrictive et axée sur la sécurité adoptée dans le milieu de garde fermé exacerbe souvent les problèmes de santé mentale, empêche une participation significative aux interventions et éloigne encore plus les femmes autochtones de leur culture.
« Je ne veux pas mourir ici. »
– Citation d’une femme autochtone dans le milieu de garde fermé.
Dans les milieux de garde fermés, les femmes à sécurité maximale sont également soumises à un système de classification, ou niveau, unique. Par conséquent, ce système entraîne des restrictions de déplacement qui touchent de manière disproportionnée les femmes autochtones, étant donné leur surreprésentation dans les établissements à sécurité maximale. Mon Bureau a déjà fait état de préoccupations importantes concernant ce système de niveau dans le passé. Dans mon rapport annuel 2016-2017, j’ai recommandé l’annulation du système de niveaux dans les établissements correctionnels pour femmes, car il est arbitraire et n’est pas inclus dans la loi. Les niveaux de déplacement ont été remplacés par le Plan de déplacements en vue de la réintégration en 2019, avec la promulgation de la directive 578 révisée du commissaire, Stratégie d’intervention intensive dans les établissements pour femmes . Bien que les révisions aient porté sur les délais d’examen et d’enregistrement, ainsi que sur les critères du plan, les exigences en matière de supervision du personnel et les pouvoirs de décision, la réalité est que le système de niveaux reste en vigueur.
Des femmes ont signalé au Bureau que le fait de « perdre leur niveau » (c.-à-d. le fait d’être davantage restreint dans leurs déplacements hors du milieu de garde fermé) a des effets dévastateurs. Pour les femmes autochtones, cela peut signifier qu’elles n’ont plus accès aux cérémonies (par exemple, les sueries) ou aux événements culturels (par exemple, les tambours) dans l’enceinte principale, qui ne sont pas disponibles dans le milieu de garde fermé. Ces femmes rapportent que lorsqu’elles ont le plus besoin de ces soutiens, elles ne sont pas autorisées à y participer. Par conséquent, elles ont le sentiment que l’accès à leur culture est quelque chose qui se mérite.
- Une fois de plus, je recommande que le système de niveaux pour les femmes placées dans des unités à sécurité maximale cesse immédiatement.
L’accès à la culture est un droit, et non un privilège. Les milieux de garde fermés ne sont pas équipés ni dotés des ressources nécessaires pour apporter le soutien culturel et les ressources dont les femmes autochtones ont besoin. Par exemple, tous les milieux de garde fermés ne disposent pas d’un lieu sacré, d’un Aîné, d’un personnel autochtone ou d’un programme d’intervention préparatoire aux Sentiers autochtones. Les interventions et les services sont nettement plus limités pour une population de femmes dont les besoins sont jugés élevés. Une femme autochtone a expliqué à mon personnel qu’elle ne pouvait pas faire d’ouvrages en perles sans l’accompagnement d’un membre du personnel, car la petite aiguille utilisée est considérée comme un risque pour la sécurité. Le perlage est un passe-temps traditionnel et thérapeutique pour de nombreux Autochtones et le fait d’avoir recours à des pratiques trop sécurisées qui entravent cette activité s’écarte clairement de la philosophie de , La création de choix.
Les enquêtes et les inspections menées par mon Bureau ont révélé que de nombreux milieux de garde fermés ne disposent pas d’une liste d’intervenants de première ligne qui assurent une présence constante dans l’unité. En outre, la proportion de personnel autochtone est loin de correspondre à la proportion de prisonnières autochtones. Bien que certaines femmes autochtones aient indiqué à mon Bureau que le personnel non autochtone pouvait être compréhensif et respectueux, d’autres ont déclaré que le fait de travailler avec du personnel ayant une histoire et une culture communes était beaucoup plus bénéfique et leur permettait de mieux communiquer.
De nombreuses femmes décrivent le sentiment d’être dans le milieu de garde fermé comme comparable à celui d’être retirées de leur communauté d’origine. Un placement dans le milieu de garde fermé est, en soi, une autre forme de déracinement et de déplacement. Les femmes qui ont connu le système des pensionnats ou qui ont un membre de leur famille qui l’a fréquenté se disent particulièrement stressées dans les milieux de garde fermés. Certaines femmes ont parlé de la façon dont le système de justice pénale et les prisons perpétuent la colonisation, entraînant les mêmes conséquences. Les formes modernes de colonisation et leurs effets restent omniprésents et insidieux. Pour les femmes autochtones incarcérées, cela peut signifier être déracinée de sa communauté et envoyée dans un établissement fédéral loin de chez elle, ou être isolée dans une unité qui ne répond pas à ses besoins.
- Je réitère ma recommandation de mettre en place des hébergements alternatifs pour les femmes logées dans les milieux de garde fermés et de les fermer éventuellement. Le financement et les ressources actuellement consacrés au fonctionnement des milieux de garde fermés devraient être réorientés pour mieux soutenir et répondre aux besoins uniques des femmes, en particulier des femmes autochtones.
Pratiques exemplaires
Tout au long de cette étude, l’établissement de la vallée du Fraser a réussi à réduire considérablement le nombre de femmes autochtones — et de femmes en général — dans son milieu de garde fermé. Voici quelques pratiques exemplaires qui ont été suivies :
- Un examen rigoureux de tous les cas sur une base bihebdomadaire;
- Un examen des stratégies d’atténuation qui pourraient être mises en œuvre dans les établissements à sécurité moyenne (par exemple, le placement dans un milieu de vie structuré ou dans un environnement de soutien accru, des soutiens supplémentaires);
- La participation du délinquant au plan de transition;
- La continuité des soins;
- L’épuisement de toutes les options avant le placement dans le milieu de garde fermé;
- La participation combinée du Bureau du renseignement de sécurité et de l’aîné pour gérer les tensions entre gangs,
- Un aîné dédié au milieu de garde fermé.
6. Programme mère-enfant
La séparation mère-enfant par l’emprisonnement de la mère peut avoir des effets dévastateurs sur les personnes et les familles qui vont bien au-delà de la durée de la peine d’emprisonnement. Bon nombre des perturbations développementales, émotionnelles et pratiques subies par les enfants, ainsi que les conséquences traumatiques des mères séparées de leurs enfants par l’expérience de l’incarcération, ont été bien documentées Footnote 11 . Pour tenter de résoudre ce problème, en 2001, les services correctionnels fédéraux ont mis en œuvre leur première politique officielle sur le programme mère-enfant en établissement dans tous les établissements pour femmes, en grande partie en réponse aux recommandations émises par le Groupe d’étude sur les femmes purgeant une peine fédérale dans son rapport de 1990, intitulé La création de choix Footnote 12 .
Le programme mère-enfant, tel que décrit dans la directive 768 du commissaire : Le programme mère-enfant en établissement est « un continuum de services et de soutiens qui vise à favoriser des relations positives entre les mères incarcérées dans des établissements et milieux de garde fermés et leur enfant et à fournir un environnement de soutien qui contribue à la stabilité et à la continuité de la relation mère-enfant ». Essentiellement, le programme permet à certaines mères incarcérées de demander que leurs enfants résident avec elles, à temps plein ou à temps partiel, dans le cadre du volet de cohabitation (les enfants vivent avec leur mère en détention); sinon, toute mère peut demander à participer au volet non résidentiel (qui comprend des services tels que des visites vidéo, des visites familiales privées et (ou) l’enregistrement d’histoires). Les mères incarcérées ne sont pas automatiquement invitées à demander à participer au programme et la disponibilité des places pour la participation dépend de la « capacité de l’établissement »; par conséquent, toutes les mères ne sont pas admissibles et toutes les mères admissibles n’ont pas la possibilité de participer.
Rapport de la Bibliothèque du Parlement sur le programme mère-enfant
En janvier 2022, la Bibliothèque du Parlement a produit un rapport sur le Programme mère-enfant en établissement du SCC Footnote 13 . Le rapport décrit l’évolution du programme depuis sa création, donne un aperçu des données disponibles sur les taux de participation et résume les recherches existantes (principalement aux États-Unis) sur les effets de l’incarcération de la mère sur les enfants. Les principales conclusions du rapport, en ce qui concerne le Programme fédéral mère-enfant en établissement, sont les suivantes :
- Données/suivi insuffisants : Le programme a été « sous-étudié et sous-documenté ». Aucune évaluation formelle n’a été réalisée, il existe peu de données concrètes sur la participation au programme et les participants, et l’information descriptive de base sur les enfants qui ont participé au programme chaque année est inconnue (par exemple, le nombre total, l’âge, la durée du séjour).
- Faible taux de participation : Les taux de participation ont été faibles depuis la création du programme et les fluctuations des taux de participation ont correspondu aux changements apportés aux critères d’admissibilité du programme en 2008 et en 2016.
- Critères restrictifs : Les critères d’admissibilité restrictifs des programmes contribuent aux faibles taux de participation en général, et pour les femmes autochtones en particulier.
- Pratiques incohérentes : Les approbations et les taux de participation varient considérablement selon les établissements.
- Impacts inconnus sur les enfants : There is currently no research examining the experiences of or impacts on, children of whom participated in the Mother-Child Program in Canada.
J’aimerais souligner quelques-uns des sujets de préoccupation cernés dans le rapport de la Bibliothèque du Parlement, que le Bureau a également soulevés précédemment.
Critères d’admissibilité restrictifs et faible participation
Au total, 154 mères ont participé au Programme mère-enfant en établissement au cours des vingt années d’existence du programme (voir tableau 1), avec un taux de participation annuel médian de cinq mères par an. Malheureusement, le SCC n’assure pas le suivi du nombre total de femmes incarcérées qui sont des mères, de sorte qu’il est difficile de déterminer qui pourrait avoir besoin d’un tel programme ou y être admissibles; toutefois, selon certaines estimations, environ 66 % des femmes incarcérées au fédéral sont des mères Footnote 14 . Dans le contexte du nombre de femmes en détention fédérale aujourd’hui, cela représenterait près de 400 mères incarcérées Footnote 15 . Cinq mères participent au programme chaque année; il ne semble pas que ce programme réponde aux besoins d’une partie importante des mères incarcérées.
Il est compréhensible que, dans le but de protéger et de promouvoir l’intérêt supérieur de l’enfant, les critères d’admissibilité au programme aient été rigoureux; toutefois, les changements apportés en juin 2008 ont permis de restreindre considérablement les personnes admissibles Footnote 16 . Ces changements comprennent :
- Exclure du programme les personnes reconnues coupables de crimes graves avec violence envers des enfants ou de nature sexuelle;
- Limiter le programme à temps partiel aux enfants de six ans ou moins;
- Exiger le soutien des services à l’enfant et à la famille locaux avant que la participation d’une délinquante au Programme ne soit approuvée;
- Réévaluer l’admission au Programme des délinquantes qui refusent que leurs enfants fassent l’objet d’une fouille pour de la drogue ou d’autres produits de contrebande, avant d’entrer dans l’établissement.
Tableau 1. Décisions finales sur les demandes du Programme mère-enfant par année financière Footnote 17
DÉCISION FINALE | 02-03 | 03-04 | 04-05 | 05-06 | 06-07 | 07-08 | 08-09 | 09-10 | 10-11 | 11-12 | 12-13 | 13-14 | 14-15 | 15-16 | 16-17 | 17-18 | 18-19 | 19-20 | 20-21 | 21-22 | TOTAL |
APPROUVÉ | 2 | 4 | 1 | 1 | 5 | 9 | 3 | 3 | 4 | 3 | 1 | 3 | 6 | 14 | 24 | 13 | 18 | 20 | 13 | 7 | 154 |
NON APPROUVÉ | – | – | 1 | – | 2 | 1 | 3 | 2 | – | 1 | – | – | 1 | 1 | 3 | 2 | 2 | – | 7 | 3 | 29 |
TOTAL | 2 | 4 | 2 | 1 | 7 | 10 | 6 | 5 | 4 | 4 | 1 | 3 | 7 | 15 | 27 | 15 | 20 | 20 | 20 | 10 | 183 |
À la suite à ces modifications des critères d’admissibilité, les taux de participation déjà faibles ont encore baissé. Préoccupé par le fait que le programme n’existe plus que de nom, mon Bureau a émis une recommandation dans son rapport annuel 2009-2010 selon laquelle le Service devrait « revoir les restrictions d’admissibilité au Programme mère-enfant en vue de maximiser une participation sûre ». Bien que la participation ait augmenté de manière assez significative en 2015-2016, probablement en raison des modifications apportées aux critères d’admissibilité et de la mise en œuvre d’un volet avec cohabitation à temps partiel pour les enfants jusqu’à l’âge de la majorité, les taux sont restés obstinément bas Footnote 18 . Les chiffres de participation que ce Bureau a obtenus directement des cinq établissements étaient inférieurs à ceux obtenus à partir des données internes du SCC. Au 31 mars 2022, les établissements ont indiqué qu’il n’y avait que quatre femmes participant au programme mère-enfant (deux à temps plein et deux à temps partiel). Si la pandémie de COVID-19 a sans aucun doute eu un impact sur la capacité de ce programme à fonctionner comme prévu (comme c’est le cas pour la plupart des autres programmes de l’établissement), les faibles taux de participation de longue date suggèrent que le programme ne répond pas aux besoins de la grande majorité des mères incarcérées. En outre, le programme n’est pas à la hauteur de l’intention et de l’esprit de ce que le Groupe d’étude sur les femmes purgeant une peine fédérale avait envisagé lorsqu’il avait demandé que les nouveaux établissements pour femmes « offrent un environnement semblable à celui d’un foyer et suffisamment de souplesse pour permettre à un ou plusieurs enfants de vivre avec leur mère Footnote 19 ».
Critères d’admissibilité au programme mère-enfant pour le volet de cohabitation
Selon la DC 768 — Programme mère-enfant en établissement , les critères d’admissibilité pour la participation des mères et des enfants au programme sont les suivants :
Critères d’admissibilité pour les mères
- Classée à sécurité minimale ou moyenne, ou maximale et en cours de considération pour la sécurité moyenne.
- A fait l’objet d’une vérification dans les registres provinciaux de protection de l’enfance afin de vérifier s’il existe des renseignements qui devraient être pris en compte dans le processus décisionnel.
- A eu le soutien des services de protection de l’enfance pour leur participation.
- N’a pas eu d’évaluation actuelle d’un professionnel de la santé mentale indiquant que la mère est incapable de s’occuper de son enfant en raison d’un problème de santé mentale documenté de l’enfant ou de la mère.
- N’a pas été reconnu coupable d’une infraction contre un enfant ou d’une infraction qui pourrait raisonnablement être perçue comme mettant en danger un enfant. Une détenue qui ne satisfait pas à ce critère peut être envisagée si une évaluation psychiatrique ou psychologique permet d’établir qu’elle ne présente pas de danger pour son enfant.
- N’est pas assujettie à une ordonnance du tribunal ou à des obligations juridiques lui interdisant tout contact avec son ou ses enfant(s).
Critères d’admissibilité pour les enfants
- N’est pas âgé de plus de quatre ans pour une cohabitation à plein temps dans une unité résidentielle, ou n’est pas âgé de plus de six ans pour une cohabitation à temps partiel dans une unité résidentielle, ou n’a pas atteint l’âge de la majorité pour résider à temps partiel dans l’unité de visite familiale privée.
Participation des mères autochtones
Selon les données du SCC, sur un total de 183 mères qui ont demandé à participer au Programme mère-enfant depuis 2002, 29 % (53 mères) sont des femmes des Premières Nations ou des Métisses. Il convient de noter qu’aucune femme inuite n’a demandé à participer au programme Footnote 20 . D’après ces données, les femmes autochtones semblent être sous-représentées dans le programme par rapport à leur représentation importante dans la population carcérale, qui s’élève actuellement à 50 % Footnote 21 . Les faibles taux de participation des mères autochtones peuvent être en partie attribuables aux critères qui excluent de manière disproportionnée les femmes autochtones et aux exigences du programme qui peuvent les rendre moins susceptibles de faire une demande. Plus précisément, le taux élevé de femmes autochtones classées à sécurité maximale les rend inadmissibles à la participation. Les femmes autochtones sont largement surreprésentées dans les établissements à sécurité maximale (elles représentent 64 % des femmes placées dans ces établissements) et la majorité d’entre elles ont déjà commis une infraction violente à leur dossier Footnote 22 . Outre les critères d’exclusion, l’obligation de faire appel à des organismes de protection de l’enfance pourrait dissuader les femmes autochtones de demander à participer, compte tenu de l’histoire douloureuse et unique des organismes de protection de l’enfance et de leur participation continue à la dissolution des familles autochtones, notamment dans le cadre de la rafle des années 1960 et du placement des enfants autochtones dans des familles d’accueil Footnote 23 .
Conformément aux appels à l’action lancés dans les récents rapports parlementaires, les commissions gouvernementales et les enquêtes nationales, et compte tenu des problèmes relevés par le Bureau et la Bibliothèque du Parlement, le Service doit faire des efforts plus intentionnels pour que les mères autochtones restent en contact avec leurs enfants.
La directive du commissaire sur le programme mère-enfant doit être révisée en janvier 2023 :
- Je recommande que le SCC :
- Procède à un examen des exigences du programme et des critères d’admissibilité au Programme mère-enfant en établissement, en vue d’accroître l’accès et la participation au programme et d’éliminer les obstacles, en particulier pour les mères autochtones,
- recueillir, suivre et rendre compte publiquement la participation au Programme mère-enfant en établissement afin de mieux comprendre qui il sert et comment le programme fonctionne.
7. Véhicules d’escorte
En réponse aux préoccupations en matière de sécurité, de conception et de droit soulevées dans le rapport annuel 2016-2017 du Bureau concernant les véhicules d’escorte des détenus du SCC, le Service s’est engagé à remplacer son parc actuel pour « tenir compte des progrès récents de l’industrie en matière de conception et de configuration Footnote 24 ». À l’époque, le SCC avait également accepté d’examiner les véhicules d’escorte spécialisés actuellement utilisés par la GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada dans le cadre de son projet de remplacement du cycle de vie Footnote 25 .
En septembre 2019, le Bureau a été invité à voir et à inspecter le prototype de véhicule que le SCC envisageait pour remplacer son parc d’escortes vieillissant et inadéquat. Lors d’une réunion entre les équipes de direction du SCC et du BEC en novembre 2019, j’ai fait part de mes préoccupations concernant le véhicule prototype, principalement axées sur la conception et les caractéristiques de sécurité du compartiment pour prisonniers (absence de ceinture de sécurité, absence de barres d’appui ou de mains courantes, intérieurs austères, durs et claustrophobes). J’ai également contesté la nécessité que ces véhicules soient conçus de manière à pouvoir accueillir jusqu’à cinq agents accompagnateurs, notant par contraste l’espace insuffisant des sections où les prisonniers seraient assis.
À la suite de cet échange, la commissaire s’est engagée à inspecter personnellement le véhicule prototype en compagnie des membres de son équipe de direction. Sur la base de cette inspection, et à la suite de notre réunion, la commissaire m’a écrit fin janvier 2020 pour m’indiquer qu’elle avait « demandé d’envisager des options potentielles pour agrandir l’espace disponible pour les détenus et répondre aux préoccupations liées aux ceintures de sécurité, y compris la possibilité d’ajouter un banc supplémentaire ». J’ai pris cela comme une expression de l’engagement du SCC à répondre à mes préoccupations de manière sérieuse et substantielle.
Les problèmes d’approvisionnement et de production causés par la pandémie de COVID-19 ont entraîné des retards imprévus, bien que compréhensibles, dans les plans de remplacement du SCC. En mars 2021, lors d’une réunion des membres principaux du BEC et de l’équipe du SCC, le Service a présenté les progrès réalisés dans ses efforts pour concevoir et acquérir un véhicule de transport de prisonniers approprié. Selon le Service, les nouvelles modifications de conception comprenaient « plusieurs améliorations », comme un banc en forme de L de chaque côté des deux sections pour prisonniers et une extension de la longueur totale du compartiment (de huit pouces) — deux caractéristiques de conception qui permettraient ostensiblement à une personne de grande taille de s’asseoir face à l’arrière tout en étirant ses jambes. Notamment, le prototype ne comprenait toujours pas d’assemblage de ceinture de sécurité dans le compartiment du prisonnier. De plus, le véhicule présentait des caractéristiques permettant à cinq agents correctionnels d’occuper les sièges avant et arrière du fourgon Ford Transit 350 reconfiguré en toute sécurité et en tout confort. Ces caractéristiques de conception m’ont semblé égoïstes et largement dépourvues d’engagement ou de préoccupation pour la sécurité des prisonniers.
En décembre 2021, sans préavis et seulement après avoir demandé une mise à jour de l’état d’avancement de cette question, le Bureau a été informé que le prototype modifié présenté à la réunion de mars 2021 avait été approuvé par la haute direction du SCC en mai 2021. Le Bureau a également été informé qu’un certain nombre de nouveaux véhicules avaient déjà été livrés aux établissements dans l’ensemble du pays et que d’autres livraisons étaient prévues pour répondre aux plans de remplacement et au budget du SCC. Dans un échange de suivi concernant les ceintures de sécurité, le Bureau a été informé en janvier 2022 que « des options pour leur inclusion future sont en cours de discussion en collaboration avec les principaux intervenants et nous serons en contact lorsque des solutions potentielles seront prêtes à être présentées ». Aucun de ces développements ne semblait conforme à l’engagement pris par la commissaire un an plus tôt d’examiner et de consulter mon Bureau sur les progrès réalisés par le SCC pour renouveler son parc de véhicules d’escorte.
Il s’avère que le SCC s’est considérablement écarté du véhicule d’escorte de type GRC proposé par les fournisseurs du gouvernement. Le SCC appelle ces modifications des « adaptations correctionnelles ». En ce qui concerne les écarts spécifiques par rapport au véhicule de type GRC, le processus de personnalisation du SCC exige de retirer le compartiment avant qui peut accueillir trois passagers, de raccourcir le compartiment arrière et de réduire sa capacité de huit à quatre passagers. Par conséquent, alors que le véhicule de type GRC peut accueillir jusqu’à 11 détenus, les compartiments pour prisonniers du SCC peuvent accueillir un maximum de quatre personnes (mais très probablement jamais plus qu’une seule personne, ou très rarement deux, assises dans des sections séparées).
Ces « adaptations » permettent d’ajouter une deuxième rangée de sièges dans la cabine avant afin de répondre aux besoins en personnel pour les escortes au sol des prisonniers à sécurité maximale et moyenne. Selon la politique, deux agents sont nécessaires pour le premier prisonnier (y compris le conducteur), et un agent supplémentaire pour chaque passager additionnel. Il n’est pas certain que ces véhicules ne soient jamais utilisés pour transporter plus de deux prisonniers de sécurité moyenne ou maximale à la fois. Il est fort probable que le nombre maximum de personnes transportées à un moment donné soit de deux, assises sur des côtés opposés de la section, pour de prétendues raisons de sécurité publique et personnelle.
Comme le montrent les photos du nouveau véhicule d’escorte actuellement en service, le compartiment où sont détenus les prisonniers est spartiate, construit d’aluminium inoxydable et l’espace est toujours aussi étroit et claustrophobe que la conception précédente. La largeur de la banquette, la hauteur du siège au plafond et l’espace global en pieds cubes ne sont pas des améliorations significatives par rapport aux anciens compartiments qu’il remplacera. En effet, il y a peu de choses dans la conception reconfigurée qui indiqueraient que la santé, la sécurité, la dignité ou le confort des prisonniers ont été pris en compte de manière adéquate.
En fait, le SCC a confirmé qu’il n’avait pas consulté les personnes incarcérées lors des étapes de conception ou d’approvisionnement, ce qui contrevient à l’article 74 de la LSCMLC : « Le Service doit donner aux détenus la possibilité de contribuer aux décisions du Service touchant la population carcérale dans son ensemble, ou touchant un groupe avec la population carcérale, à l’exception des décisions relatives aux questions de sécurité ». Pour ne citer qu’un domaine important de surveillance de la santé et de la sécurité des détenus : il n’existe pas de système audio bidirectionnel ni de bouton d’appel d’urgence pour les détenus qui pourraient être utilisés en cas d’urgence. La surveillance vidéo ne remplace pas l’audio pour une personne qui tente de communiquer sa détresse.
Comme nous l’avons mentionné, la zone des sièges des prisonniers ne contient pas d’assemblages de ceintures de sécurité, même si le compartiment est fourni à l’origine et expédié du fabricant américain au SCC avec des assemblages de ceintures de sécurité intacts. Les ceintures de sécurité sont intentionnellement retirées lorsque l’assemblage du compartiment du prisonnier traverse la frontière et fixées au véhicule Ford modifié selon les spécifications de conception choisies par le SCC. Le Service cite trois préoccupations généralisées en ce qui a trait à la présence de ceintures de sécurité dans les véhicules d’escorte :
- Crainte que les ceintures de sécurité deviennent des armes et soient utilisées contre le personnel ou d’autres détenus de manière violente (atténuée par le fait évident que les sections de chaque côté du compartiment ont à peine assez de place pour accueillir un seul passager).
- Inquiétude pour la sécurité du personnel lorsqu’il s’agit d’atteindre l’intérieur du véhicule pour attacher ou détacher un prisonnier (qui est menotté à l’avant et retenu par des entraves au corps ou aux jambes, ou les deux, selon les circonstances et le prisonnier).
- Préoccupation dans le cas où un détenu se blesse ou s’automutile intentionnellement avec la boucle ou la sangle de la ceinture.
Ces risques de sûreté et de sécurité continuent d’être soulevés, même si les véhicules d’escorte des prisonniers du SCC n’ont jamais été équipés de ceintures de sécurité et qu’il n’existe donc aucun point de référence réel pour étayer ou réfuter ces affirmations. En fait, au cours des six années qui se sont écoulées depuis que le Bureau a soulevé cette question pour la première fois, le SCC n’a jamais fourni de cas ou de renseignements spécifiques ou étayés pour démontrer que les ceintures de sécurité des prisonniers pouvaient être utilisées de manière aussi dangereuse.
Plus précisément, on ne voit pas comment un prisonnier enchaîné et immobilisé est censé monter les marches jusqu’à l’arrière du véhicule de transport, se mettre en position et prendre place dans l’espace d’isolement sans l’aide d’un agent accompagnateur. Des solutions et des adaptations aux politiques et (ou) techniques pourraient être apportées pour éviter que les agents n’aient à passer la main près ou au-dessus d’un détenu enchaîné pour attacher sa ceinture (par exemple, en desserrant les attaches du corps ou des poignets, en fournissant des poignées, en donnant des instructions orales, en effectuant une surveillance vidéo). Le fait que les détenus soient soumis à une surveillance vidéo continue lorsqu’ils sont escortés par un véhicule — une spécification technique qui alerterait vraisemblablement les agents accompagnateurs de risques potentiels pour la sécurité ou de situations d’automutilation, et leur permettrait donc d’évaluer ces comportements et d’agir en conséquence — ferait partie de toute stratégie d’atténuation visant à traiter ou à réduire les risques. Il semble qu’il n’y ait pas eu de tentative sérieuse de s’engager dans une stratégie d’atténuation pour répondre à l’inquiétude que suscite l’utilisation des ceintures de sécurité de manière nuisible.
Ce n’est que récemment que le service a fait savoir qu’il travaillait à une évaluation de la menace et des risques (EMR) portant sur la question des ceintures de sécurité pour les détenus. Aucune échéance ou point de pratique n’a été fourni pour la réalisation de cet exercice interne. Sur ce point, je répondrais également qu’une EMR ne serait nécessaire que pour enlever, modifier ou adapter de quelque manière que ce soit un harnais et un ensemble de ceintures de sécurité fixes et obligatoires que sur la preuve qu’un détenu se présente comme une menace réelle ou perçue pour lui-même ou pour les autres lorsqu’il est sous escorte de sécurité.
Enfin, sur la question des ceintures de sécurité, le SCC prétend que la mosaïque de normes, de lois et de règlements provinciaux (et fédéraux) sur les véhicules en vigueur dans tout le pays, y compris la Loi d’interprétation fédérale , l’exempte d’équiper ses véhicules d’escorte de ceintures de sécurité. Le SCC affirme également qu’il est conforme à la législation et à la réglementation de Transports Canada. Cependant, il n’existe pas de normes, de règles ou de règlements fédéraux spécifiques qui régissent la conception, la sécurité ou les spécifications des véhicules pour les compartiments de prisonniers au Canada. La réglementation fédérale dans ce domaine est distincte en ce sens qu’elle s’applique normalement aux véhicules qui effectuent des transports interprovinciaux (ce qui est le cas des véhicules d’escorte du SCC). Bien que le port de la ceinture de sécurité soit spécifiquement exclu des véhicules d’escorte des prisonniers (certaines citent même la pratique du SCC en la matière), il convient de noter qu’elles n’interdisent pas non plus expressément leur utilisation.
Il est important de noter qu’avant les plus récentes modifications apportées aux règlements fédéraux qui visaient principalement les ceintures de sécurité dans les autobus destinés au transport de passagers, ces règlements ne traitaient pas des véhicules réservés au transport de détenus. Dans les dernières modifications, Transports Canada a adopté les normes américaines en ce qui a trait aux caractéristiques de sécurité des autobus et, ce faisant, a adopté des exclusions semblables aux ceintures de sécurité pour ce que l’on appelle les « voitures cellulaires » (par définition, des véhicules destinés au transport d’au moins dix prisonniers). Toutefois, puisque les véhicules d’escorte du SCC comptent moins de dix sièges désignés, ils ne sont pas exclus de l’exigence fédérale d’être munis de ceintures de sécurité.
Quoi qu’il en soit, je conclus que la légalité de l’équipement des véhicules d’escorte du SCC avec des ceintures de sécurité est en grande partie un point discutable. Si ma prémisse est que le compartiment du prisonnier lui-même n’est pas un moyen de transport sûr, alors le SCC peut être considéré comme étant en violation de son mandat principal. Plus important encore, le SCC semble assumer une responsabilité inutile et potentiellement coûteuse (nous sommes au courant d’un litige en cours dans lequel un prisonnier fédéral aurait été blessé à l’arrière d’un de ces véhicules) en retirant délibérément ou en ne fournissant pas de dispositifs de retenue pour les prisonniers dans ses véhicules d’escorte. Mon Bureau continu de recevoir des plaintes et de faire enquêter sur celles-ci de personnes qui affirment avoir été blessées à l’arrière de ces véhicules, précisément parce qu’elles n’ont aucun moyen de se retenir ou de se protéger d’une conduite erratique ou dangereuse, de conditions routières peu sûres ou de dangers invisibles, comme des nids de poule, des pentes raides ou des virages serrés. Un prisonnier a décrit avec justesse l’expérience vécue à l’arrière de l’un de ces véhicules comme étant celle de « rebondir dans une tasse à thé en étain ». Nous avons également connaissance de cas où les prisonniers refusent tout simplement d’être escortés à l’arrière de l’un de ces véhicules, même pour obtenir un traitement médical externe nécessaire.
Le SCC a l’occasion et l’obligation de montrer la voie dans ce domaine. Le SCC pourrait et devrait continuer à collaborer avec Transports Canada et d’autres intervenants pour assurer le transport sécuritaire et humain des prisonniers. La sécurité du personnel et celle des prisonniers ne sont pas des catégories mutuellement exclusives ou biaisées.
- Je recommande que, sans plus tarder, le SCC équipe tous ses véhicules d’escorte de prisonniers, y compris ceux qui sont actuellement en service, de ceintures de sécurité, de poignées et d’autres dispositifs de sécurité et de retenue qui lui permettraient de respecter son obligation d’assurer la garde sécuritaire et humaine des prisonniers sous escorte de sécurité. Je recommande en outre que le SCC retourne à la table à dessin pour reconsidérer son projet de « modernisation » de son parc de véhicules d’escorte qui répond mieux aux préoccupations et aux recommandations du Bureau.
Mise à jour sur les expériences des personnes noires dans les pénitenciers fédéraux canadiens
En novembre 2013, le Bureau a rendu publique son enquête novatrice examinant les expériences des personnes noires en détention fédérale Footnote 26 . À cette époque, la population noire incarcérée était l’une des sous-populations à la croissance la plus rapide dans les services correctionnels fédéraux, représentant 9,5 % de la population totale incarcérée, alors qu’elle représentait moins de 3 % de la population canadienne. Les principales conclusions de l’enquête sont les suivantes :
- Les Noirs incarcérés sont surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale et dans les unités d’isolement, faisaient l’objet d’un nombre disproportionné d’accusations d’infractions disciplinaires et étaient plus susceptibles d’être impliqués dans des incidents relatifs au recours à la force.
- Bien que seulement une personne noire sur cinq ait été identifiée comme appartenant à un gang, les attitudes discriminatoires et préjudiciables de certains membres du personnel du SCC se traduisent souvent par le fait que les personnes n’appartenant pas à un gang étaient étiquetées et traitées comme telles.
- Les programmes correctionnels doivent être revus et mis à jour du point de vue de la diversité et l’accent doit être mis sur l’embauche et la rétention d’un personnel de première ligne et de prestation des programmes plus diversifié.
- La programmation culturelle et le soutien communautaire pertinent étaient limités.
- Une formation sur la diversité et la sensibilité était nécessaire pour le personnel du SCC
Le Bureau a formulé deux recommandations, à savoir l’élaboration d’un plan de formation national sur la sensibilisation à la diversité pour le personnel et la création d’un poste d’agent de liaison sur l’ethnicité dans chaque établissement. En réponse aux recommandations du Bureau, le Service s’est montré généralement favorable et s’est engagé à surveiller les griefs des détenus afin de déterminer les besoins d’apprentissage de l’organisation dans ce domaine et à intégrer à ses programmes de formation des scénarios spécifiques portant sur la diversité, la sensibilisation aux réalités et à la compétence culturelle. Le SCC n’a pas accepté de mettre en place un agent de liaison sur l’ethnicité (ALE) dans chaque établissement parce qu’il y avait « … des membres du personnel dans chaque établissement qui exerçaient les fonctions du coordonnateur des services ethnoculturels (CSE) dans le prolongement de leurs fonctions… [de sorte que] les rôles et les responsabilités du CSE sont semblables à ce qu’on attend de l’ALE ». Toutefois, on s’est engagé à ce que des directives claires et spécifiques soient fournies aux régions et aux établissements afin d’assurer une cohérence nationale pour répondre aux délinquants ethnoculturels. Par exemple, le SCC veillerait à ce que les rôles et les responsabilités du CSE soient définis, élaborerait une stratégie nationale définissant les besoins spécifiques des délinquants ethnoculturels, des stratégies visant à garantir l’égalité d’accès aux services et aux interventions, et s’appuierait sur les partenariats communautaires pour élargir la gamme des interventions destinées à ce segment de la population carcérale.
Contexte
Lorsque le Bureau a mené son enquête en 2013, la seule étude d’envergure au Canada établissant les préjugés et le racisme systémiques au sein du système de justice pénale remontait à un rapport publié en 1994 par la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario Footnote 27 . La Commission a trouvé des preuves de racisme systémique dans chacune des composantes du système de justice pénale de l’Ontario et a formulé un certain nombre de recommandations visant à améliorer sa responsabilisation. Depuis lors, le discours public sur le recours à la force contre les Noirs et le racisme systémique au sein du système de justice pénale a pris de l’ampleur, tant au niveau international qu’au niveau national, et des études universitaires et des rapports gouvernementaux ont suivi en reprenant les conclusions de la Commission.
Au niveau international, afin de « promouvoir le respect, la protection et la réalisation de tous les droits de la personne et de toutes les libertés fondamentales par les personnes d’ascendance africaine », l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé la période de 2015 à 2024 Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Cette proclamation engage les États membres des Nations Unies, dont le Canada, à veiller à ce que les personnes d’ascendance africaine aient pleinement accès à une protection et à des recours efficaces contre la discrimination raciale.
La bannière de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies
En ce qui concerne les services correctionnels fédéraux canadiens, le Groupe de travail d’experts des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine a déclaré, dans son rapport sur sa mission au Canada en 2016, ce qui suit :
Selon le Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada, en 2015-2016, les détenus noirs représentaient 9 % de la population carcérale fédérale et 7,5 % de la population sous surveillance fédérale bien que les Canadiens noirs ne représentent que 3 % de la population canadienne. En ce qui concerne les résultats correctionnels, les Noirs en détention fédérale sont surreprésentés dans les cas de sécurité maximale, d’isolement cellulaire et de recours à la force. Ils encourent un nombre disproportionné d’accusations d’infractions disciplinaires, en particulier ceux qui pourraient être considérés comme discrétionnaires de la part du personnel correctionnel, et sont libérés plus tard dans leur peine et moins susceptibles d’obtenir une semi-liberté ou une libération conditionnelle totale.
Le Bureau de l’enquêteur correctionnel a signalé que les prisonniers noirs étaient 1,5 fois plus susceptibles d’être placés dans des établissements à sécurité maximale où les programmes, l’emploi, la formation, le perfectionnement de l’éducation, les programmes de réadaptation et les activités sociales sont limités. De plus, les Noirs sont victimes de discrimination de la part des agents correctionnels, qui utilisent un langage raciste, et sont ignorés et méprisés d’une manière qui accroît leurs sentiments de marginalisation, d’exclusion et d’isolement. Ces détenus sont aussi souvent étiquetés avec des stéréotypes discriminatoires tels que membre d’un gang, fauteur de troubles, trafiquant de drogue ou coureur de jupons. Un examen des données de 2008 à 2013 a montré que les personnes noires étaient systématiquement surreprésentées en isolement administratif, en particulier les placements involontaires et disciplinaires, et en 2012-2013, elles ont été impliquées de manière disproportionnée dans les incidents de recours à la force.
Le Groupe de travail d’experts des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine a également recommandé que le Canada :
- Élaborer et mettre en œuvre une stratégie nationale sur les services correctionnels pour éliminer les taux disproportionnellement élevés de Canadiens d’ascendance africaine au sein du système correctionnel et veiller à l’exécution des programmes non discriminatoires et adaptés à la culture à l’intention des détenus canadiens d’ascendance africaine;
- Élaborer un plan de formation national sur la sensibilisation à la diversité pour les services correctionnels fédéraux et provinciaux et nommer un agent de liaison sur l’ethnicité dans chaque établissement. Augmenter de toute urgence les effectifs de l’administration pénitentiaire et étudier des solutions de rechange à l’isolement qui n’entraîneront pas d’atteinte aux droits fondamentaux des détenus.
À ce jour, ces deux recommandations clés n’ont pas été substantiellement mises en œuvre par le SCC.
Au Canada, les événements actuels ont également contribué à une plus grande prise de conscience collective de l’importance de s’attaquer à la discrimination et aux autres formes de violence fondée sur la race envers des personnes noires Footnote 28 . L’un des événements les plus médiatisés est le meurtre de l’Américain George Floyd en mai 2020 par des membres de la police de Minneapolis, qui a donné lieu à une mobilisation internationale contre le racisme anti-Noir. Au Canada, le mouvement social Black Lives Matter a secoué le pays, rappelant de manière inquiétante les vies noires perdues dans les interactions avec les forces de police canadiennes. Elle a également rappelé les nombreux cas de profilage racial qui ont entraîné des arrestations et des détentions abusives de personnes noires. Parmi les incidents graves qui ont troublé l’opinion publique canadienne envers le système de justice pénale figure le cas d’Abdirahman Abdi, un résident d’Ottawa d’origine somalienne qui est décédé en juillet 2016 lors d’une intervention policière alors qu’il souffrait de problèmes de santé mentale. Plus récemment, l’étudiant guinéen Mamadi Camara, faussement accusé par la police de Montréal de tentative de meurtre sur un policier, a été brutalement arrêté et détenu en janvier 2021 Footnote 29 .
En 2019 et 2021, le gouvernement canadien a publié des rapports sur les droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral. Ces rapports ont conclu qu’il est urgent de développer des stratégies ciblées, « … pour éliminer les causes profondes de la surreprésentation des Noirs dans le système correctionnel fédéral, y compris le racisme systémique et la discrimination de longue date Footnote 30 ». Par exemple, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a fait les observations préliminaires suivantes Footnote 31 après avoir visité des pénitenciers fédéraux :
Le comité tient à faire remarquer que presque toutes les personnes noires avec qui il a eu des échanges lors des visites des établissements lui ont raconté avoir été victimes de racisme ou de discrimination. Cela touche aussi bien les personnes purgeant des peines que celles qui les administrent. La discrimination était souvent basée sur de multiples facteurs d’identité croisés, comme le sexe ou le genre, la race, la langue et l’origine ethnique. Les expériences relatées dépassent le cadre correctionnel et conditionnent la façon dont les personnes noires au Canada appréhendent le monde. Comme l’a déclaré un témoin, « un des aspects du racisme dirigé contre les Noirs dans le système carcéral, c’est qu’il vise non seulement des prisonniers, mais aussi les communautés, les familles et les porte-paroles noirs ». Une autre témoin a dit au comité que pour bien comprendre ce qu’elle vivait, il leur faudrait être dans sa peau pendant une année.
L’enquêteur correctionnel a indiqué au comité que le SCC ne s’est pas attaqué aux problèmes systémiques de racisme ou de discrimination envers les personnes noires purgeant une peine de ressort fédéral que le BEC a documentés dans un rapport de 2013.
Dans son rapport final, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a formulé les observations suivantes :
Lors de ses visites, le comité a rencontré quelques personnes noires purgeant une peine de ressort fédéral qui étaient découragées par la qualité et la disponibilité de programmes adaptés à leur culture. Le comité a appris que l’absence de programmes adaptés à la culture perpétue le cycle de la criminalisation et de la discrimination systémique à l’encontre des Canadiens noirs.
Le comité a entendu de nombreux témoignages de personnes noires purgeant une peine de ressort fédéral concernant des cas flagrants de racisme ciblant des personnes noires sous responsabilité fédérale et des agents correctionnels noirs. Par exemple, certains se faisaient traiter de tous les noms, n’avaient pas accès à des possibilités d’emploi, et étaient présumés être affiliés à des gangs parce qu’ils portaient un doo-rag ou qu’ils étaient vus dans un groupe d’autres personnes noires purgeant une peine fédérale.
Ces conclusions condamnables ont incité le premier ministre du Canada à adresser une lettre de mandat au ministre de la Sécurité publique pour qu’il s’attaque au racisme systémique dans le système de justice pénale, y compris les services correctionnels fédéraux. Le premier ministre a demandé au ministre de :
Continuer à combattre le racisme et la discrimination systémiques dans le système de justice pénale, y compris dans tous les ministères et organismes fédéraux responsables de la sécurité nationale et de la sécurité des Canadiens. Il s’agit également de soutenir le ministre de la Justice et le procureur général du Canada dans leur travail de lutte contre le racisme systémique et la surreprésentation des Canadiens noirs et racialisés et des peuples autochtones dans le système judiciaire.
Mon Bureau est très encouragé par ces nouveaux engagements récents et offre cette mise à jour sur les expériences des personnes noires dans les pénitenciers fédéraux canadiens comme une occasion pour le gouvernement du Canada de répondre aux principales préoccupations concernant le racisme systémique dans les services correctionnels fédéraux. Une réponse positive à mes recommandations contribuera grandement à résoudre les problèmes systémiques de droits de la personne dans les services correctionnels fédéraux.
Méthodologie
Tout comme l’enquête de 2013, cette enquête a utilisé une approche qualitative et quantitative qui comprenait les éléments suivants :
- Un examen des recherches et des politiques pertinentes;
- Une analyse des données du SCC;
- Des entrevues avec le personnel du SCC, des personnes incarcérées, des universitaires et des représentants de groupes communautaires noirs.
Les entrevues ont été réalisées dans les régions de l’Ontario, du Québec et de l’Atlantique. La plus grande proportion de Noirs est incarcérée dans la région de l’Ontario (54,8 %), suivie de la région du Québec (19,2 %), de la région des Prairies (13,6 %), de la région du Pacifique (7,1 %) et de la région de l’Atlantique (5,3 %). En raison des inquiétudes liées à la pandémie de COVID-19, les entrevues ont été menées principalement de manière virtuelle, à l’exception de ceux menés à l’Établissement Grand Valley pour femmes, qui ont été réalisés en personne.
Tableau 1 : Établissements fédéraux où les entrevues ont été menées.
ÉTABLISSEMENT | RÉGION | NIVEAU DE SÉCURITÉ | PERSONNES NOIRES PAR |
ATLANTIQUE | ATLANTIQUE | MAXIMALE | 12,8 % |
SPRINGHILL | ATLANTIQUE | MOYENNE | 6,5 % |
COLLINS BAY | ONTARIO | MAXIMALE | 29,6 % |
WARKWORTH | ONTARIO | MOYENNE | 21,9 % |
ÉTABLISSEMENT GRAND | ONTARIO | MAXIMALE, | 8,2 % |
COWANSVILLE | QUÉBEC | MOYENNE | 13 % |
Au total, 56 entrevues ont été menées auprès de personnes noires incarcérées, de sept membres du personnel du SCC, ainsi que des services de sécurité et du renseignement de sécurité de l’administration centrale. Des consultations ont également été menées auprès de cinq groupes communautaires ou défenseurs des Noirs travaillant avec des personnes noires incarcérées.
Profil des personnes noires incarcérées
À l’instar des conclusions du Bureau en 2013, les personnes noires continuent d’être surreprésentées dans les établissements fédéraux. En 2021-2022, les Noirs représentaient 9,2 % de la population carcérale globale, alors que dans la population canadienne générale, ils représentent environ 3,5 % Footnote 32 . Le nombre total de Noirs dans les pénitenciers fédéraux a diminué de 12,4 % depuis 2012. Cette diminution doit être comprise dans le contexte plus large où la population totale des prisonniers fédéraux a diminué de 16,5 % au cours de la même période et où le nombre de Blancs a diminué de 23,5 %. Dans le cadre de cette enquête, le terme « Noir » désigne les personnes s’identifiant comme Noirs, Africains sub-sahariens et Caribéens, catégories raciales et géographiques autodéclarées utilisées par le SCC.
Plaintes auprès du BEC
Sur la période du 31 décembre 2017 au 6 novembre 2021, 110 plaintes individuelles (105 hommes et 5 femmes) de personnes de couleur noire ont été déposées auprès du Bureau. La majorité de ces plaintes avaient été formulées par des personnes se trouvant dans des établissements à sécurité maximale (36 %) et moyenne (35 %). La plupart ont déclaré avoir été victimes de discrimination, de victimisation, de racisme, de harcèlement ou d’agression physique et (ou) verbale. Le nombre de plaintes déposées auprès du Bureau pour lesquelles la discrimination et (ou) le racisme étaient à l’origine de la plainte semble augmenter au fil du temps. En 2018, 16 plaintes ont été déposées auprès du Bureau, contre 24 en 2019, 39 en 2020 et 30 au 6 novembre 2021.
Aperçu de la population noire incarcérée
Voici un profil général des caractéristiques démographiques et de condamnation des personnes qui se sont identifiées, lors de leur admission dans un pénitencier fédéral, comme étant de race noire, Caribéens ou Africains sub-sahariens. Des statistiques ont également été fournies pour les personnes s’identifiant comme étant blanches Footnote 33 , autochtones Footnote 34 et personnes de couleur Footnote 35 aux fins de comparaison (voir l’annexe A) : Profil de la population, à la fin de cette enquête).
La majorité des personnes noires incarcérées sont de jeunes hommes, la plus grande proportion de personnes noires se situant entre 18 et 30 ans. Comme c’est le cas pour tous les prisonniers fédéraux, les Noirs sont pour la plupart logés dans des établissements à sécurité moyenne; cependant, une plus grande proportion de Noirs est logée dans des établissements à sécurité maximale par rapport aux autres groupes. L’une des différences les plus apparentes entre les Noirs et les autres groupes ethniques est la proportion de personnes purgeant leur troisième peine fédérale ou plus. Les Blancs (15,3 %) et les Autochtones (15,1 %) sont trois fois plus susceptibles de purger leur troisième peine fédérale ou plus que les Noirs (5,4 %). Cette différence corrobore les constatations antérieures selon lesquelles les Noirs ont tendance à mieux s’en sortir une fois retournés dans la communauté (c’est-à-dire qu’ils sont moins susceptibles de récidiver ou de retourner en détention fédérale pour une nouvelle infraction). Les Noirs sont semblables aux personnes d’origine autochtone en termes d’affiliation à un gang, puisque 23,8 % des Noirs et 21,9 % des Autochtones font partie d’un gang. En comparaison, seuls 5,7 % des Blancs et 12,7 % des personnes de couleur sont affiliés à un gang. Enfin, les personnes de couleur noire semblent être similaires aux prisonniers de couleur blanche en ce qui concerne le risque, le besoin, la motivation, la responsabilité et le potentiel de réinsertion, bien que la proportion de personnes noires ayant une faible responsabilité et un faible potentiel de réinsertion soit légèrement plus élevée que pour les prisonniers blancs.
Qu’a fait le SCC depuis l’enquête menée par le Bureau en 2013?
Dans le cadre de l’enquête actuelle, il a été demandé au SCC de fournir des documents montrant où les progrès ont été réalisés par rapport aux conclusions et recommandations du rapport de 2013 du Bureau. Dans l’ensemble, bon nombre des initiatives cernées par le SCC depuis le rapport de 2013 du Bureau étaient déjà en place lors de la première enquête du Bureau; cependant, cette fois-ci, le Service a établi un certain nombre d’initiatives organisationnelles. Le SCC a procédé à un examen de la Directive du commissaire (DC) 767 : Délinquants ethnoculturels : Services et interventions pour refléter la nouvelle structure organisationnelle du SCC et une nouvelle DC a été promulguée en janvier 2021. En outre, un aspect ethnoculturel a été ajouté à un certain nombre de directives politiques. Par exemple, parmi d’autres, les DC suivantes ont été révisées pour inclure des éléments ethnoculturels :
- DC 705-6 Planification correctionnelle et profil criminel (ANNEXE E) — « Définition et analyse des facteurs dynamiques — indique au personnel qui effectue l’évaluation de tenir compte des différences culturelles lorsqu’il effectue l’évaluation Footnote 36 ».
- DC 715-2 Processus de décision après la mise en liberté — « L’agent de libération conditionnelle et la personne ayant l’autorité désignée tiendront compte des facteurs décrits dans le cadre d’évaluation du risque (annexe D) pour déterminer l’intervention la plus appropriée parmi les suivantes : (f) des interventions culturelles de rechange appropriées Footnote 37 ».
Le SCC a également élaboré un Cadre d’action ethnoculturel (CAE, avril 2021), qui « … fournit des directives pour assurer des approches cohésives et cohérentes dans tous les établissements, et encourage la collaboration à tous les niveaux de l’organisation Footnote 38 » pour les délinquants ethnoculturels. Le CAE se compose de quatre phases : 1) Cibler les besoins, 2) Former l’équipe, 3) Faire des progrès, et 4) Maintenir l’élan. Les quatre phases peuvent être activées à tout moment et sont spécifiques aux personnes ethnoculturelles. De plus, dans le cadre du CAE, le SCC a identifié plus de soixante coordonnateurs d’établissement ethnoculturels afin de fournir un soutien pour répondre aux besoins des personnes ethnoculturelles au niveau des établissements.
La grande majorité des personnes noires interrogées dans le cadre de cette enquête ont exprimé leur scepticisme quant à l’impact réel des coordinateurs d’établissement ethnoculturels, qui semblent être principalement composés de bénévoles à temps partiel. De nombreuses personnes noires incarcérées, y compris celles qui dirigent les Black Inmate and Friends Associations (BIFA), ont déclaré qu’elles doutaient de l’utilité de ces bénévoles pour répondre à leurs besoins au sein de l’établissement. Certains ont indiqué qu’ils n’avaient même pas rencontré le coordonnateur d’établissement ethnoculturel au cours de l’année écoulée. Il est peu probable que les postes occupés par des bénévoles répondent aux besoins de tous les délinquants ethnoculturels. De plus, le fait de catégoriser un si large éventail de personnes racialisées sous un terme générique tel que « ethnoculturel » ne tient pas compte de l’hétérogénéité et de la complexité de chacun de ces groupes. La communauté noire au Canada est extrêmement diversifiée et hétérogène, comprenant de nombreuses origines régionales et ethniques, des facteurs historiques variés, parlant de nombreuses langues et représentant diverses affiliations religieuses.
Le CAE s’inscrit dans le Cadre et mesures de lutte du SCC contre le racisme (mis à jour en octobre 2021), qui contient un certain nombre de mesures à l’échelle de l’organisation visant à mobiliser le personnel, les personnes incarcérées et les intervenants afin de « créer une organisation antiraciste plus inclusive, plus diverse et plus équitable Footnote 39 ». Le Cadre et mesures de lutte du SCC contre le racisme adopte une approche à trois volets comprenant une collaboration avec des partenaires clés :
- Volet axé sur le personnel : constituer un effectif diversifié, représentatif, inclusif et respectueux.
- Volet axé sur les délinquants : évaluer les outils et les pratiques d’évaluation des délinquants, communiquer avec les détenus et favoriser des environnements sécuritaires et respectueux.
- Volet axé sur les intervenants, les Autochtones et les experts externes : écouter les voix, les commentaires et l’expérience vécue des acteurs externes, et prendre connaissance des données probantes pour éclairer notre voie à suivre.
Bien que ces cadres constituent des étapes importantes dans la résolution des problèmes de discrimination et de racisme, il s’agit de cadres de haut niveau, axés sur l’organisation, qui doivent être mis en œuvre et compris au niveau opérationnel et dans les interactions quotidiennes. En décembre 2021, le SCC a annoncé la création d’un champion de la lutte contre le racisme, de la diversité et de l’inclusion et, peu après, d’une unité dédiée à la lutte contre le racisme, à la diversité et à l’inclusion au sein de son administration centrale. Là encore, il s’agit d’une avancée importante, mais il est tout aussi important que les personnes qui occupent ces postes (c’est-à-dire les champions et les membres de l’unité de lutte contre le racisme, de la diversité et de l’inclusion) puissent s’identifier aux personnes qui ont fait l’expérience du racisme et de la discrimination. Enfin, le SCC s’est engagé à développer des formations supplémentaires pour le personnel sur des sujets comme l’identification et la lutte contre les préjugés inconscients, ainsi qu’une trousse à outils pour les gestionnaires afin de soutenir les conversations des employés sur le racisme systémique et la discrimination raciale.
Peu de progrès sur les problèmes cernés par le Bureau en 2013
Malgré les efforts concertés du SCC pour apporter des changements en matière d’inclusion, de diversité et de lutte contre le racisme, les personnes noires incarcérées ont rapporté aux enquêteurs du BEC que très peu de choses s’étaient améliorées au fil des ans. Ils continuent d’être victimes d’un racisme omniprésent et d’une discrimination systémique, ont des difficultés à accéder à des services et à des interventions adaptées à leur culture et doivent participer à des programmes correctionnels qui ne reflètent pas leurs expériences vécues.
Il y a près de dix ans que le Bureau a terminé son enquête sur les expériences des Noirs dans les pénitenciers fédéraux. Notre examen suggère que très peu de choses ont changé pour les personnes noires et que, à bien des égards, leur situation s’est encore détériorée. Tous les problèmes cernés en 2013 demeurent aujourd’hui. Ce qui suit est un examen et une évaluation des progrès réalisés par le SCC dans la résolution des problèmes précédemment cernés par le bureau. Les personnes noires incarcérées ont également déterminé un certain nombre de nouveaux problèmes au cours des entrevues, qui sont incluses ci-dessous.
Femmes noires
Le nombre de femmes noires purgeant une peine fédérale est à son point le plus bas depuis dix ans, avec un total de 21 femmes noires en détention le 24 avril 2022 Footnote 40 . Actuellement, les femmes noires représentent 3,5 % de la population des femmes purgeant une peine de ressort fédéral. En 2011-2012, on comptait 55 femmes noires, soit le chiffre le plus élevé de ces dix dernières années. En moyenne, il y a eu environ 36 femmes noires incarcérées dans des établissements fédéraux au cours des 20 dernières années (entre un minimum de 24 en 2005-2006 et un maximum de 58 en 2012-2013). De nombreuses questions soulevées par les femmes noires lors de l’enquête menée par le Bureau en 2013 restent d’actualité.
Discrimination et traitement différentiel
Les femmes noires continuent de faire l’objet d’un traitement différentiel dans diverses circonstances, notamment lorsqu’elles sont rassemblées et comment leur comportement est interprété par le personnel et les autres femmes incarcérées. Les groupes de femmes noires sont souvent approchés par le personnel du SCC qui leur demande ce qu’elles « planifient » ou « complotent ». Les femmes noires ont déclaré ne pas être autorisées à vivre ensemble dans la même maison, même si elles en faisaient la demande. Lorsqu’un petit groupe de femmes noires a habité dans la même maison, le personnel les a qualifiées de « gang jamaïcain » et les a réprimandées pour avoir parlé ensemble leur propre langue. Les femmes noires ont également rapporté que le personnel tentait d’arbitrer les désaccords entre les autres femmes, mais que lorsqu’une femme noire était impliquée, elle était immédiatement identifiée par le personnel comme « l’instigatrice », « l’intimidatrice » ou « l’agresseuse ». Plusieurs femmes noires ont rapporté que le personnel du SCC entrant dans une maison parlait souvent à toutes les femmes sauf à la seule femme noire de la maison. Une femme a déclaré : « Ils [le SCC] me dépouillent de tout, mais je n’ai toujours pas ma place et je suis traitée différemment ». La plupart des femmes noires ont déclaré qu’elles ne signalaient pas les incidents de discrimination ou de stéréotypes au personnel parce qu’elles avaient « … peur de la réaction négative » et « … savaient que rien ne serait fait de toute façon ».
Les groupes communautaires noirs ont encore très peu d’occasions d’apporter leur soutien aux femmes noires incarcérées. Des femmes ont déclaré avoir dû se battre pour obtenir la nourriture qu’elles souhaitaient ou des intervenants pour célébrer le Mois de l’histoire des Noirs chaque année. Par exemple, une femme a rapporté que le groupe de diversité des femmes de race noire a été forcé par le personnel du SCC à accepter du café et du gâteau pour célébrer le Mois de l’histoire des Noirs alors qu’elles auraient préféré une nourriture qui représente mieux leur culture. Au moment de l’enquête, le groupe de diversité des femmes de race noire de l’ÉGV avait cessé ses activités pour protester contre la façon dont les femmes du comité avaient été traitées par le personnel de l’ÉGV.
Disponibilité des produits de soins personnels
Nous avons entendu à plusieurs reprises des préoccupations concernant la difficulté d’accéder aux produits de soins personnels nécessaires pour les cheveux et la peau. Même si l’établissement Grand Valley Footnote 41 a mis en place un processus d’achat de produits spécialisés pour les femmes noires tous les trois mois, dans la pratique, il est souvent retardé. Au moment de l’entrevue dans le cadre de cette enquête, l’établissement venait de terminer une commande pour les femmes noires, qui était en retard de six mois. Plusieurs femmes ont montré aux enquêteurs du BEC comment leurs cheveux étaient tombés en raison du manque de produits appropriés et une femme a déclaré utiliser de l’huile d’olive dans ses cheveux comme substitut. Les femmes noires sont contraintes de rationner leurs produits de soins personnels dans l’espoir de pouvoir passer une nouvelle commande tous les trois mois, alors que les autres femmes peuvent commander des produits à la cantine à tout moment. Les produits destinés aux femmes noires ont également tendance à être plus chers, ce qui leur laisse moins de ressources pour acheter d’autres articles. Les femmes ont indiqué que le système provincial de l’Ontario offrait de meilleurs produits de soins capillaires à la cantine pour les femmes noires et que les bonnets, qui peuvent aider à protéger leurs cheveux, étaient autorisés dans le système provincial, mais pas dans le système fédéral (voir l’encadré sur les do-rags ci-dessous).
Les besoins uniques des femmes et des hommes noirs en matière de soins capillaires et cutanés ont été ignorés pendant des décennies dans les milieux universitaires et professionnels Footnote 42 . Cependant, on reconnaît de plus en plus les conditions uniques dont souffrent les personnes à la peau foncée, par exemple le mélasme, les chéloïdes, les blessures causées par les rasoirs (pseudo-folliculite) et l’acanthosis nigricans. Cette reconnaissance a incité le géant des cosmétiques, L’Oréal, à accorder à trois éminents scientifiques africains sa bourse de recherche sur la peau et les cheveux africains Footnote 43 . Pour prévenir et traiter ces affections cutanées, les personnes de race noire doivent avoir accès à des produits de soins spécifiques, en plus de ce qui est généralement disponible pour les types de peau non mélanique. De même, les cheveux noirs ont des besoins uniques en raison de leur élasticité, de leurs boucles serrées et de leur texture Footnote 44 . Cependant, les coiffures naturelles, qui sont apparues à la fois comme une expression de l’identité et comme un moyen de conserver des cheveux sains, ont longtemps été la cible de discriminations. Cela inclut les obstacles à l’accès aux produits comme les huiles et les shampooings destinés à entretenir les cheveux noirs. Par conséquent, des efforts ont été faits pour protéger les personnes contre la discrimination raciale en matière de cheveux en adoptant la loi CROWN (Creating a Respectful and Open World for Natural Hair) dans tous les États américains.
Accès aux do-rags
Au cours des entrevues, un certain nombre de Noirs se sont plaints de ne pas pouvoir disposer d’un do-rag dans leurs biens personnels. Cette politique semble varier d’un établissement à l’autre, certains les autorisant et d’autres non, généralement parce que les do-rags sont considérés comme un symbole de gang. En plus d’être une expression de l’identité culturelle, les do-rags sont souvent utilisés pour protéger les cheveux. Lorsque mon Bureau a porté la plainte devant le SCC, l’administration centrale (AC) a convenu que, bien que Directive du commissaire (DC) 566-12 Biens personnels des délinquants ne fournit pas de directives spécifiques sur les do-rags, les directives sur les articles culturels s’appliqueraient aux do-rags, car ils peuvent être considérés comme des articles culturels pour les détenus noirs.
Le paragraphe 6 de la DC 566-12 précise :
Le sous-directeur de l’établissement, ou son délégué qui sera d’un niveau égal ou supérieur à celui de directeur adjoint, autorisera les articles de santé non essentiels (y compris les bracelets médicaux), les articles religieux, spirituels ou culturels, les manuels ou fournitures scolaires et le matériel d’artiste ou d’artisanat, après avoir consulté le secteur concerné.
Le paragraphe 25 de la DC 566-12 précise :
Avant d’autoriser des articles de santé non essentiels, des articles religieux, spirituels ou culturels, des manuels ou fournitures scolaires (y compris un dictionnaire général et (ou) analogique) et du matériel d’artiste ou d’artisanat, le sous-directeur, ou son délégué qui sera d’un niveau égal ou supérieur à celui de directeur adjoint, consultera le responsable du secteur concerné et tiendra compte des exigences en matière de sécurité et de sécurité-incendie.
Dans la DC 566-12, le paragraphe 27 précise :
Le sous-directeur, ou son délégué qui sera d’un niveau égal ou supérieur à celui de directeur adjoint, peut interdire des articles religieux ou culturels s’il détermine, en consultation avec les aumôniers, les Aînés/conseillers spirituels, que les objets en question sont utilisés à d’autres fins que celles prévues.
L’ordre permanent d’un établissement peut exiger que les do-rags soient noirs afin d’éviter les couleurs qui pourraient être associées à des gangs particuliers. Dans ces conditions, l’administration centrale devrait envoyer une communication pour s’assurer que tous les établissements autorisent l’utilisation des do-rags.
Plusieurs femmes ont également soulevé des problèmes concernant les préoccupations de sécurité non fondées du SCC en ce qui concerne les extensions de cheveux. Des femmes ont déclaré avoir été obligées de couper leurs extensions de cheveux lors de leur admission parce qu’elles étaient considérées comme ne faisant pas partie de leur personne et comme un problème de sécurité potentiel. Ces interdictions ne semblent pas être appliquées de manière cohérente dans les établissements pour femmes du SCC. Presque toutes les femmes noires interrogées à l’ÉGV ont soulevé cette question. Une femme qui a été forcée d’enlever ses extensions de cheveux et qui a ensuite signalé une perte de cheveux a déclaré : « J’ai hâte de sortir et de me coiffer, de me sentir bien et sentir que j’ai de la valeur ». Une autre femme, parlant de son apparence devant la Commission des libérations conditionnelles, a déclaré : « J’espère qu’ils ne me regarderont pas différemment pour la libération conditionnelle à cause de mes cheveux ». Il est inacceptable de ne pas fournir un accès régulier à des produits de soins capillaires appropriés au point que les cheveux d’une femme tombent, ou de forcer les femmes noires à couper leurs extensions de cheveux pour des raisons de sécurité qu’aucun membre du personnel du SCC n’a pu expliquer ou légitimer par un incident consigné.
Personnel diversifié
Les femmes noires ont exprimé le sentiment très fort qu’elles voulaient davantage de personnel leur ressemblant et ayant des expériences de vie similaires, y compris des travailleurs primaires, des agents de libération conditionnelle et du personnel de santé mentale. Les femmes ont déclaré qu’actuellement, de nombreux membres du personnel noir ont peur de les aider ou d’être perçus comme les favorisant par leurs collègues, de sorte que certains se contentent de parler aux femmes noires, « … dans les coins de l’établissement ». Un effectif plus diversifié contribuerait à réduire le manque de confiance qui existe actuellement entre les personnes incarcérées et le personnel du SCC.
Dans l’ensemble, la situation des femmes noires a très peu évolué depuis l’enquête menée par le Bureau en 2013. Toutes les questions soulevées précédemment continuent d’être des problèmes, avec quelques domaines supplémentaires cernés dans l’enquête actuelle. Lorsqu’on leur a demandé ce qui améliorerait leur situation, les femmes noires ont le plus souvent cité les changements concrets suivants :
- Accès constant à des produits de soins personnels appropriés;
- Des aliments plus diversifiés sur la liste de la cantine;
- Une liaison pour aider à établir des liens avec la communauté;
- Une maison désignée pour les femmes noires et un lieu où les femmes noires peuvent guérir
- Un personnel plus diversifié (notamment des travailleurs de première ligne, des agents de libération conditionnelle et du personnel de santé mentale); et des programmes correctionnels comportant des exemples et des scénarios qui trouvent un écho chez les femmes noires.
Ces suggestions sont loin d’être compliquées, coûteuses ou difficiles à mettre en œuvre. La plupart des suggestions pourraient être mises en œuvre facilement et rapidement et contribueraient grandement à résoudre bon nombre des problèmes de longue date cernés par les femmes noires au fil des ans.
- Je recommande que le SCC :
- Élabore une politique visant à garantir que tous les prisonniers noirs aient un accès constant à des produits de soins personnels appropriés et qu’une sélection plus large de produits alimentaires reflétant la diversité culturelle de la population carcérale figure sur la liste nationale des cantines.
- Élabore et distribue immédiatement un bulletin pour que tous les établissements sachent que les do-rags sont considérés comme un bien culturel et peuvent faire partie des biens personnels d’une personne. Ceci devrait être intégré dans la prochaine révision de la DC 767 : Délinquants ethnoculturels — Services et interventions.
- Revoit ses positions en ce qui concerne les extensions de cheveux sous l’angle de la dignité et de la diversité plutôt que sous le seul angle de la sécurité.
Classement par niveau de sécurité
Comme dans les conclusions précédentes du Bureau, les Noirs sont surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale et sous-représentés dans les établissements à sécurité minimale. En 2021-2022, les Noirs représentaient 14 % des détenus en sécurité maximale et 6,5 % des détenus en sécurité minimale, alors qu’ils représentaient 9,2 % de la population carcérale fédérale. En outre, les Noirs sont les plus nombreux à être incarcérés dans des établissements à sécurité maximale et les moins nombreux à être incarcérés dans des établissements à sécurité minimale, notamment par rapport aux Blancs. Par exemple, le 12 décembre 2021, 18,4 % des personnes noires étaient en sécurité maximale et 12,3 % en sécurité minimale, contre 10,3 % des détenus blancs en sécurité maximale et 19,8 % en sécurité minimale. Ces tendances se maintiennent sur plusieurs années (voir l’annexe B pour plus de données) Footnote 45 .
Les entrevues avec les personnes noires ont permis de cerner les raisons possibles pour lesquelles une plus grande proportion de personnes noire sont incarcérées dans des établissements à sécurité maximale ou pourquoi elles ont tendance à passer de plus longues périodes en sécurité maximale par rapport aux autres groupes. Un certain nombre de facteurs (par exemple, l’indice de gravité de l’infraction, le niveau de risque, le risque d’évasion, l’achèvement du programme correctionnel, les incidents de sécurité) sont pris en compte dans le classement par niveau de sécurité. De nombreuses personnes noires ont déclaré que leurs agents de libération conditionnelle (ALC) ne pouvaient pas leur donner une raison précise pour laquelle elles ne pouvaient pas être reclassées ou ce qu’elles devaient faire exactement pour passer à un niveau de sécurité inférieur. Les personnes interrogées ont rapporté que les ALC « blâmaient les autres ou les processus », prétendaient « se pencher sur la question » depuis des mois ou « n’avaient pas eu le temps de se pencher sur le problème ». La plupart des hommes noirs ont déclaré ce qui suit au sujet de leur ALC :
- très peu de soutien en ce qui concerne l’avancement de leur plan correctionnel;
- un taux de roulement élevé des ALC;
- de longues périodes sans ALC;
- un manque de volonté d’explorer leurs antécédents sociaux;
- les ALC ont une très faible connaissance de leur expérience vécue.
De nombreux hommes noirs ont déclaré avoir attendu parfois des années avant de bénéficier de programmes correctionnels, souvent parce qu’ils avaient été condamnés à de longues peines. Les programmes correctionnels sont destinés en priorité aux personnes condamnées à de courtes peines et à celles dont la date d’admissibilité à la libération conditionnelle est proche. Bien que cette approche de la programmation correctionnelle ait certains mérites, elle est discriminatoire à l’égard des personnes condamnées à de longues peines, qui risquent de rester plus longtemps dans des environnements à sécurité maximale que si elles avaient pu participer à un programme plus tôt. Par exemple, les Noirs sont plus susceptibles que les autres groupes de purger une peine de durée indéterminée (perpétuité) (Noirs : 34,6 %, Blancs : 32 %, Autochtones : 27,2 %). Les personnes noires condamnées à une peine déterminée purgent, en moyenne, une peine légèrement plus longue par rapport aux autres groupes (Noirs : 5,93 ans, Blancs : 5,67 ans, Autochtones : 5,32 ans) Footnote 46 . Malgré tout, il faudrait envisager d’offrir plus tôt des programmes correctionnels aux personnes qui purgent de longues peines dans des établissements à sécurité maximale, afin de leur permettre de passer plus rapidement à des niveaux de sécurité inférieurs où il y a plus d’occasions de faire un travail intéressant et de participer à une plus grande variété d’activités de réadaptation.
Les prisonniers noirs sont surreprésentés et sursécurisés dans les prisons fédérales. Le SCC doit systématiquement examiner le classement par niveau de sécurité à l’admission afin de minimiser les préjugés inconscients, les pratiques discriminatoires et les obstacles systémiques (par exemple, l’accès aux programmes correctionnels, les changements fréquents d’ALC et les longues périodes sans ALC) pour les personnes de race noire qui cherchent à faire un transfèrement.
- Je recommande au SCC de mener une étude comparative, en partenariat avec des groupes communautaires noirs ou des experts externes, afin d’examiner le temps cumulé passé par les personnes noires avant leur reclassement et leur transfèrement à des niveaux de sécurité inférieurs.
Transferts involontaires
Tant les défenseurs de la communauté noire que les personnes noires incarcérées ont établi les transferts involontaires comme un sujet de préoccupation. Les transferts involontaires de la région de l’Ontario vers la région du Québec, en particulier, obligent certains Noirs à purger leur peine loin de leur famille et de leurs soutiens sociaux. Il est très difficile pour ces personnes d’obtenir une libération conditionnelle au Québec ou de trouver une place dans une maison de transition. De plus, il peut être difficile d’accéder aux programmes ou aux interventions dans la langue de leur choix. Un examen des données indique que les personnes noires sont systématiquement surreprésentées dans les transferts involontaires. Par exemple, en 2020-2021, alors qu’ils représentaient 9,4 % de la population incarcérée, les Noirs représentaient 14,6 % des personnes transférées contre leur gré (voir l’annexe C pour plus de données). Si les transferts involontaires sont sans aucun doute le résultat de la tentative du SCC de gérer les incompatibilités et les affiliations aux gangs, ces bouleversements désavantagent encore plus un groupe qui est déjà confronté à un nombre démesuré de barrières et d’obstacles.
Étiquetage et stéréotypes de gang
Près d’un quart (23,8 %) de la population noire incarcérée a été identifiée comme appartenant à un groupe menaçant la sécurité (GMS) ou à un gang. En comparaison, 21,9 % des Autochtones, 5,7 % des Blancs et 12,7 % des personnes de couleur ont une affiliation à un gang dans leur dossier. Si les Noirs semblent statistiquement plus susceptibles d’être affiliés à un gang, comme dans les résultats précédents, de nombreux Noirs ont déclaré avoir été étiquetés ou traités comme des membres de gangs par le personnel du SCC, alors que leur dossier ne contenait pas d’affiliation officielle à un GMS Footnote 47 T. Ils ont indiqué que le personnel les qualifiait de membres de gangs sur la base de divers facteurs, notamment le quartier où ils ont grandi, les personnes qu’ils fréquentent dans leur rangée de cellules, les groupes de Noirs qui se rassemblent, les vêtements qu’ils portent ou la façon dont ils interagissent avec d’autres Noirs. Un membre du personnel a confirmé au Bureau que l’étiquetage et les stéréotypes existent :
« Des choses normales comme marcher, parler, le dialecte, les poignées de main sont stéréotypées comme des comportements de gang. Les prisonniers noirs sont également souvent coupables par association, ou par la couleur de leurs vêtements. Le personnel est peu sensibilisé à la signification des différentes couleurs. Cela peut toucher la façon dont le personnel considère les délinquants ou les étiqueter à tort comme membres de gangs, mais sur le plan opérationnel, cela nuit aux possibilités de travail ».
La tendance à considérer les comportements, le langage et les renseignements sur les antécédents à travers le « prisme des gangs » nuit à ces personnes, car l’étiquette d’appartenance à un gang rend difficile le passage à des niveaux de sécurité inférieurs, l’obtention d’un emploi ou le soutien d’une équipe de gestion de cas pour participer à d’autres activités de réadaptation.
Plusieurs hommes noirs ont également rapporté que le SCC leur a attribué une affiliation à un gang actif, avec peu ou aucune preuve. Ils ont dit au Bureau qu’il n’y avait aucun document de la Cour ou décision judiciaire dans leur dossier indiquant une affiliation à un gang, mais que le SCC leur avait attribué cette désignation. Une personne noire a déclaré :
« Peu importe que votre condamnation criminelle n’ait rien à voir avec une appartenance réelle ou supposée à un GMS, pour environ 95 % des cas que nous connaissons, c’est après votre entrée en prison que le SCC, grâce à des renseignements fabriqués par les services de renseignement de sécurité, vous colle ce statut dont vous aurez ensuite du mal à vous débarrasser, avec toutes les conséquences imaginables pour votre incarcération ».
À première vue, l’affiliation à un gang telle qu’identifiée, évaluée et définie par le SCC semble reposer sur des critères objectifs :
- identification de sources fiables (informateurs, sources communautaires ou institutionnelles);
- renseignements relatifs à l’application de la loi;
- preuves écrites ou électroniques tangibles (par exemple, des photos);
- auto-divulgation ou fait d’admettre;
- arrêté alors qu’il participait à une activité criminelle avec des associés connus;
- implication criminelle dans une activité d’organisation criminelle;
- constatation judiciaire que le délinquant est un associé;
- identification commune et (ou) symbolique (par exemple, cicatrices, marques et tatouages ou attirail d’organisation criminelle);
- comportement observé qui, par sa nature ou son association, donne des motifs raisonnables et probables de croire que le délinquant est affilié à un gang Footnote 48 .
Dans la pratique, certains de ces critères sont discrétionnaires et sujets au biais de confirmation (la tendance à interpréter les renseignements ou les comportements d’une manière qui confirme les idées préconçues et les jugements subjectifs). Une fois appliquées, la validité et la fiabilité de l’étiquette de gang semblent être rarement remises en question, en particulier parmi les personnes occupant des postes opérationnels. Ce type d’étiquetage est particulièrement contestable lorsqu’il s’appuie sur des renseignements provenant des services de renseignement de la sécurité internes ou d’informateurs de la prison, qui ne sont pas toujours corroborés par les autorités extérieures chargées de l’application de la loi, les tribunaux ou la justice. Afin d’approfondir cette question, le Bureau a demandé et examiné trente formulaires aléatoires utilisés pour désigner une affiliation GMS (formulaire 184-02 : Évaluation de l’affiliation à un groupe menaçant la sécurité ). Nous avons constaté que la majorité d’entre eux ont indiqué que l’affiliation à un gang était basée sur les renseignements de la police. Il convient d’être prudent, car même les agents d’application de la loi sont enclins au profilage racial et à des interventions policières excessives au sein des communautés racialisées Footnote 49 . Sur la base des résultats de cette enquête, je suis d’accord avec le Comité sénatorial permanent des droits de la personne (2021) qui a demandé au SCC de procéder à un examen systématique de son utilisation du classement du groupe menaçant la sécurité et de « … son application disproportionnée aux peuples autochtones et aux groupes racialisés Footnote 50 ».
L’expérience d’une personne qui tente de faire supprimer son affiliation à un gang
Après être arrivé dans un établissement fédéral en provenance d’une prison provinciale sans être affilié à un gang, il a déclaré que le SCC a appliqué l’affiliation « simplement parce que je provenais de Montréal-Nord. Je l’ai contesté et j’ai refusé de signer. Transféré à Donnacona, confronté aux obstacles pour obtenir un emploi dit de confiance, j’ai été informé que les renseignements concernant mon affiliation provenaient de Montréal… mon avocat a contacté le SPVM [Service de police de Montréal] qui a répondu par écrit que j’étais inconnu de leurs services. L’ARS a ensuite changé sa version des faits et a déclaré que la province avait fourni les renseignements. C’est faux, puisque j’étais dans la population générale au niveau provincial où personne n’a jamais mentionné un tel statut. J’ai dû me battre pendant cinq ans pour que cette mention soit supprimée, en vain… mes demandes de transfert dans des établissements où j’aurais pu bénéficier d’un meilleur soutien, mes recherches d’emploi dans les établissements, en ont souffert. J’ai déménagé de Drummondville à Cowansville où j’ai immédiatement alerté la sécurité préventive de l’erreur. Ils m’ont donné six mois pour prouver ma non-affiliation. Comme ma conduite était irréprochable, ils m’ont donné un statut de non actif, ce qui est absurde, mais j’étais à bout de nerfs. Ils m’ont épuisé. »
Une fois qu’une affiliation à un gang est appliquée à une personne, il est presque impossible de la faire disparaître. Le Bureau a entendu plusieurs personnes noires qui tentent depuis des années de faire retirer une affiliation, qui se sont isolées des autres et qui n’ont pas participé à des organisations noires (p. ex. le Comité de détenus noirs) ou à des événements pour prouver qu’elles n’y sont pas associées. Certaines personnes ont fait appel à un conseiller juridique.
De plus, peu d’options ou de ressources sont offertes par le SCC à ceux qui souhaitent se désaffilier. La seule assistance identifiée dans la Directive du Commissaire 568-3 : Identification et gestion des groupes menaçant la sécurité est que si une personne souhaite se désaffilier d’un gang, elle doit soumettre une notification écrite de son intention de mettre fin à son affiliation à un groupe menaçant la sécurité. Un agent du renseignement de sécurité s’entretient alors avec le délinquant, compile les renseignements pertinents relatifs à la notification de cessation d’emploi et remplit les parties applicables du formulaire Évaluation de l’affiliation à un groupe menaçant la sécurité . La décision finale d’accepter ou de rejeter la demande de désaffiliation revient au responsable de l’établissement, en consultation avec le président du comité régional des renseignements stratégiques.
Interrogé sur les programmes destinés spécifiquement à ceux qui souhaitent se désaffilier, le SCC n’a mis en avant que les programmes correctionnels offerts dans le cadre du modèle de programme correctionnel intégré qui « … comprend des volets multi-cibles qui visent de manière holistique les facteurs de risque individuels et les besoins criminogènes, y compris les comportements communs aux membres du GMS, comme la personnalité antisociale, les attitudes/cognitions et les associés Footnote 51 ». En bref, il n’existe pas de programmes ciblant spécifiquement l’appartenance à un gang pour ceux qui souhaitent se désaffilier.
- Je recommande que le SCC procède à un examen systémique de son utilisation des critères de classement des groupes menaçant la sécurité afin de s’assurer que seuls les renseignements pertinents corroborés par des autorités extérieures chargées de l’application de la loi, des tribunaux ou des autorités judiciaires, et étayées par des preuves, soient utilisés pour désigner une personne comme appartenant à un groupe menaçant la sécurité.
- Je recommande qu’au cours de l’année prochaine, le Service élabore une stratégie de désaffiliation des gangs. Cette stratégie doit :
- Répondre aux besoins uniques des jeunes Noirs, des Autochtones et des personnes de couleur, ainsi que des femmes.
- Favoriser des occasions (par exemple, des ateliers, des séminaires, des conférenciers) où les personnes peuvent s’impliquer dans leur culture et (ou) leur spiritualité.
- Intégrer des pratiques exemplaires et des leçons retenues d’autres initiatives communautaires, administrations correctionnelles et d’autres domaines de la sécurité publique.
Recours à la force
Dans mon plus récent rapport annuel (2020-2021), publié en février 2022, j’ai fait état d’une enquête menée par mon Bureau sur l’intersection entre la race et l’implication dans les incidents de recours à la force, où l’on a constaté que la race était uniquement associée à la surreprésentation des Noirs, des Autochtones et des personnes de couleur (BIPOC) dans les incidents de recours à la force dans les prisons fédérales. Plus précisément, les personnes BIPOC ont été à l’origine de 60 % de tous les recours à la force, alors qu’elles représentent 44 % de la population carcérale fédérale. Indépendamment du niveau de risque, du niveau de sécurité, de l’âge, de la durée de la peine ou du genre, le fait de s’identifier comme Autochtone ou Noir était associé à une plus grande probabilité d’être impliqué dans un incident de recours à la force. Plus précisément, les prisonniers noirs et autochtones représentaient 51 % de toutes les personnes impliquées dans des incidents de recours à la force au cours des cinq dernières années, alors qu’elles représentent 37 % de la population carcérale fédérale. De plus, les Noirs et les autochtones sont confrontés à un plus grand nombre de recours à la force par personne en moyenne. Sur la base de ces résultats, j’ai conclu que la force est utilisée de manière disproportionnée contre les personnes noires et autochtones incarcérées dans les établissements pénitentiaires fédéraux et que la race est associée de manière significative et unique à l’application de la force dans les prisons fédérales.
Ma principale recommandation demandait au SCC de s’attaquer aux préjugés systémiques et de rendre compte publiquement des changements réalisables en matière de politique et de pratique du recours à la force, afin de réduire les causes de la surreprésentation des Autochtones et des Noirs. Comme je l’ai déclaré lors de ma conférence de presse (10 février 2022), je ne suis pas convaincu que le SCC ait reconnu ou répondu de manière adéquate à mes préoccupations concernant le rôle unique que la race semble jouer dans la manière dont la force est appliquée,
- Je recommande à nouveau que le SCC élabore rapidement un plan d’action, en consultation avec les intervenants, afin d’examiner la relation entre le recours à la force et le racisme systémique à l’égard des Autochtones et des Noirs, et qu’il rende compte publiquement des changements réalisables aux politiques et aux pratiques qui permettront de réduire efficacement la surreprésentation de ces groupes parmi les personnes exposées au recours à la force.
Accusations d’infractions disciplinaires
Bien que les règles pénitentiaires soient rigoureusement encadrées, les accusations d’infractions disciplinaires peuvent être hautement discrétionnaires ou subjectives. Entre 2016-2017 et 2020-2021, le nombre d’accusations d’infractions disciplinaires encourues par les personnes noires incarcérées a augmenté de 16,7 %, malgré le fait que le nombre total d’accusations disciplinaires déposées au cours de la même période a diminué de 3,8 %. À l’instar de la constatation précédente de mon Bureau Footnote 52 , l’annexe D démontre qu’entre 2016-2017 et 2020-2021, les personnes noires incarcérées étaient systématiquement surreprésentées pour les accusations discrétionnaires, comme la désobéissance à un ordre ou à une règle, le manque de respect envers une personne ou un membre du personnel et la mise en danger de la sécurité de l’établissement. À l’inverse, les prisonniers noirs étaient sous-représentés dans les catégories d’accusations nécessitant moins de discrétion et plus de preuves concrètes, comme l’endommagement ou la destruction de biens, la possession d’un objet non autorisé et l’échec à un test d’urine. Au cours des entrevues, les personnes noires ont décrit avoir été ciblées par des accusations d’infractions disciplinaires. Les femmes noires ont expliqué qu’elles étaient souvent étiquetées comme des « agresseuses » par le personnel du SCC et qu’elles recevaient par conséquent des accusations d’infractions disciplinaires. Une femme a déclaré : « On me qualifie d’intimidatrice et on m’accuse parce que je dis ce que je pense et que je me défends ». Une autre femme a expliqué qu’elle parlait rarement aux intervenants de première ligne du SCC parce que « … si vous ne dites rien, ils n’ont rien à vous reprocher ».
La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP), dans son rapport intitulé Un impact disparate : Deuxième rapport provisoire relatif à l’Enquête de la Commission ontarienne des droits de la personne sur le profilage et la discrimination raciale par le service de police de Toronto , a révélé une tendance très similaire en ce qui concerne les accusations déposées par le service de police de Toronto. Dans l’ensemble, la CODP a constaté que le taux d’inculpation des Noirs vivant à Toronto était 3,9 fois plus élevé que celui des Blancs à Toronto et que « les personnes noires sont largement surreprésentées dans les statistiques sur les accusations discrétionnaires de faible gravité et elles sont plus susceptibles que les personnes blanches d’encourir des accusations ayant peu de chances d’aboutir à une condamnation Footnote 53 ». Par exemple, alors qu’ils représentent 8,8 % de la population de Toronto, les Noirs représentent 42,5 % des personnes impliquées dans des accusations d’entrave à la justice, 35,2 % des personnes accusées d’infractions de la route « hors de vue » (comme l’absence d’assurance valide) et 37,6 % des personnes accusées de possession de cannabis. En outre, le rapport conclut que « bien qu’elles fassent l’objet d’accusations à un taux disproportionnellement élevé, les personnes noires étaient surreprésentées dans les statistiques sur les accusations retirées et elles étaient moins susceptibles d’être condamnées que les personnes blanches Footnote 54 ».
Le SCC doit s’assurer que la discrimination et les préjugés inconscients n’entraînent pas d’accusations d’infractions disciplinaires inappropriées ou disproportionnées à l’égard des Noirs. Bien que le SCC offre une formation sur la sensibilité, le personnel du SCC nous a dit que tous les employés ne prennent pas cette formation au sérieux. Un membre du personnel du SCC a déclaré que la formation sur la diversité est « … purement théorique, une formation PowerPoint que les collègues survolent et répondent ensuite aux tests en cochant des cases, sans apporter aucune expérience pratique utile à leur travail dans la prison ». Un autre membre du personnel du SCC a déclaré : « Il est difficile de donner une formation sur la diversité à un homme blanc ayant 25 ans de service au moyen d’une présentation PowerPoint ennuyeuse. De 25 à 50 % du cours portait sur la race et l’ethnicité. La plupart des autres questions portaient sur les LGBTQ+ et les mots à utiliser. C’est assez corporatif ». Ce membre du personnel a poursuivi en déclarant ce qui suit :
« La formation sur la diversité devrait être offerte durant [la formation de base]. On nous l’enseigne au cours de la formation de base , mais pas “comment” le faire, comme écouter avec empathie. Ils devraient également inviter la communauté à participer à la formation. Pour l’instant, ils ne sont pas du tout impliqués. Une fois par mois, il y a une activité de la BIFA et le Mois de l’histoire des Noirs, mais ces activités sont mal organisées. Un agent ethnoculturel est nécessaire et devrait être similaire à l’ALO [agent de liaison autochtone] ».
- Je recommande que le SCC élargisse la formation de son personnel en matière de diversité afin d’y inclure des représentants de groupes communautaires noirs et des experts externes qui peuvent fournir une perspective plus complète et plus pertinente. Cette formation devrait être obligatoire, en personne et axée sur les expériences pratiques et vécues des personnes noires.
Unités d’intervention structurée
En 2013, le Bureau a constaté que les personnes noires étaient systématiquement surreprésentées dans les placements en isolement cellulaire. En novembre 2019, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été modifiée afin d’abolir l’isolement cellulaire tel que défini par les Règles Nelson Mandela (isolement d’un détenu pendant 22 heures ou plus par jour sans contact humain réel) en remplaçant le régime antérieur d’isolement préventif par des unités d’intervention structurée (UIS). Mises en place à la fin de novembre 2019, il existe désormais des UIS dans dix établissements pour hommes ainsi que dans les cinq établissements régionaux pour femmes. Un aperçu des statistiques des UIS indique ce qui suit :
- Les Noirs sont surreprésentés dans les UIS, puisqu’ils en constituent 15 % de la population (Autochtones : 49 %, Blancs : 28 %, autres personnes de couleur : 5 %).
- Les Noirs sont logés dans les UIS à un taux de 173 pour 1 000 prisonniers noirs, suivis des prisonniers autochtones (137 pour 1 000) et des prisonniers blancs (95 pour 1 000).
- Les Noirs étaient presque deux fois plus susceptibles que les Blancs de faire l’objet d’au moins un séjour à l’UIS, et étaient plus susceptibles de faire l’objet de séjours de 60 jours ou plus.
L’utilisation des antécédents sociaux des Noirs
En 2021, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a statué que les juges de première instance devaient tenir compte de l’histoire du racisme et de la marginalisation subis par la communauté noire lors de la détermination de la peine Footnote 55 . Dans une décision déterminante, la juge Anne Derrick a écrit que « le fait qu’un juge chargé de la détermination de la peine ignore ou omette d’examiner les facteurs systémiques et contextuels détaillés dans une évaluation de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle (ÉIEC) ou autrement soulevés lors de la détermination de la peine d’un délinquant afro-néo-écossais peut constituer une erreur de droit ». Le juge Derrick a également souligné l’importance de comprendre l’histoire sociale des Noirs lors de la détermination des peines, afin de réduire les niveaux d’incarcération au sein de la communauté. Tout comme les rapports Gladue Footnote 56 , les ÉIEC sont des rapports présentenciels qui aident les juges à comprendre les effets du racisme, de la discrimination, de la pauvreté, de la marginalisation, ainsi que d’autres facteurs, sur les expériences de vie d’une personne noire. Le juge Derrick a écrit : « La culpabilité morale d’un délinquant afro-néo-écossais doit être évaluée dans le contexte des facteurs historiques et du racisme systémique ».
Un rapport d’ÉIEC a été utilisé pour la première fois dans la condamnation d’une personne d’origine afro-canadienne dans la décision de 2014, R. c. « X Footnote 57 ». L’ÉIEC a examiné de près l’intersection entre la race, la santé mentale, la protection de l’enfance et le système judiciaire dans cette affaire. Un certain nombre d’ÉIEC ont été réalisées depuis 2014; cependant, jusqu’à récemment, elles sont restées un outil principalement utilisé en Nouvelle-Écosse. Le 13 août 2021, l’honorable David Lametti, ministre de la Justice et procureur général du Canada, a annoncé l’investissement par le gouvernement du Canada de 6,64 millions de dollars sur cinq ans à compter du 1er avril 2021, suivi de 1,6 millions de dollars par année sur une base permanente, pour la mise en œuvre des ÉIEC dans tout le Canada Footnote 58 . Le financement est destiné à contribuer au développement d’un programme de formation pour les rédacteurs de l’ÉIEC, à la formation aux avocats et aux juges et à la rédaction des rapports. Un défenseur de la communauté à qui le Bureau a parlé pour cette enquête a déclaré que les rapports d’ÉIEC ont été couronnés de succès en Nouvelle-Écosse :
« … à cause de l’expertise derrière ces rapports. Vous avez besoin d’une communauté de soutien et d’expertise, travaillant dans une optique de lutte contre le racisme noir. Pas le racisme anti-noir dans l’abstrait. Vous devez voir la personne dans son ensemble, dans le contexte de l’ascendance africaine et en relation avec la communauté et la culture. Avec les ÉIEC, nous pouvons parler en toute confiance des besoins des personnes noires ».
L’utilisation des antécédents sociaux dans le processus décisionnel de la gestion des cas correctionnels n’est pas nouvelle pour le SCC. À la suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada de 1999 qui obligeait les juges à tenir compte des années de désavantage systémique des peuples autochtones dans leurs décisions en matière de détermination de la peine, le SCC a intégré ce principe dans sa politique à l’égard des délinquants autochtones. Compte tenu des récentes décisions judiciaires et de l’engagement du gouvernement du Canada à l’égard des rapports d’ÉIEC, le SCC devrait, comme il est tenu de le faire pour la gestion des cas des Autochtones, adopter immédiatement une approche similaire pour les personnes noires incarcérées, en veillant à ce que les facteurs contenus dans un rapport sur les antécédents sociaux soient utilisés pour la gestion de la peine.
Discrimination et traitement différentiel
À l’instar des constatations précédentes de mon Bureau, de nombreuses personnes de race noire ont signalé de multiples incidents de discrimination explicite, de stéréotypes, de préjugés et (ou) de traitement différentiel de la part du personnel du SCC, et ce, malgré les efforts déployés par le SCC pour inciter le personnel, les délinquants et les intervenants à créer une organisation plus diversifiée, inclusive et équitable grâce à l’élaboration de ses cadres ethnoculturels et antiracistes. Une personne ayant séjourné à l’établissement d’Edmonton a vécu une expérience très négative, affirmant que la discrimination et le racisme envers les prisonniers noirs (ainsi que le personnel) étaient à la fois intentionnels et omniprésents Footnote 59 .
« À Edmonton, des gardiens noirs nous ont dit sans détour qu’ils étaient victimes de racisme. Le racisme à Edmonton est inquiétant. Il n’y a pas de comité de la BIFA [Black Inmates and Friends Association] à Edmonton. Dès que l’on voit trois ou quatre détenus noirs ensemble, on les sépare ou on les met en isolement! Chaque fois qu’un détenu noir devenait représentant d’unité, il n’obtenait rien. Même les détenus blancs disaient : “C’est raciste!”.
Une autre personne, faisant référence à la discrimination, a déclaré : “On s’y habitue et on s’immunise contre elle”.
Les Noirs nous ont dit qu’en général, ils ne signalent pas les incidents de discrimination ou de racisme, soit parce que rien n’est fait, soit parce qu’ils sont systématiquement rejetés ou refusés. Ils ont également peur de déposer une plainte, car ils craignent d’attirer l’attention des agents, d’être fouillés tous les jours ou de voir leur urine constamment analysée. Un détenu a déclaré : “C’est une bataille perdue d’avance pour les détenus que d’aller et venir avec les gardiens; cela pourrait mettre en péril votre plan correctionnel”. Une autre personne a raconté aux enquêteurs du BEC qu’après avoir déposé un grief contre un agent correctionnel pour ce qu’il percevait comme une insulte raciale, son agent de libération conditionnelle l’a fait asseoir dans son bureau. Il a ensuite placé la liste des rapports d’observation rédigés à son encontre à côté de sa plainte et “… m’a demandé quel était mon choix : retirer la plainte ou laisser les accusations portées contre moi détruire mon plan correctionnel. Je n’avais pas vraiment le choix, je savais qu’ils l’avaient fait à d’autres avant moi”. Au fil des ans, mon Bureau a formulé plusieurs recommandations concernant l’accessibilité et l’efficacité du système de règlement des griefs du SCC. Il ressort clairement des entrevues que le système de règlement des griefs n’a pas été amélioré et qu’il reste un système défaillant. Bien que mon Bureau ne fasse pas de recommandation spécifique concernant le système pour le moment, je reste préoccupé par le fait qu’il s’agit d’une question qui justifie une enquête distincte, en particulier à la lumière des plaintes en matière de racisme et de discrimination.
Voix des personnes noires et du personnel du SCC sur la discrimination et le racisme
Tel que rapporté par un membre du personnel du SCC : Un homme noir était allongé sur le sol et demandait une assistance médicale. L’un des agents correctionnels qui s’est approché de lui a commencé à se moquer de lui : « Regardez-le, il s’étouffe comme George Floyd ». Ses collègues blancs ont ri.
Les personnes noires ont signalé qu’il est courant que les agents correctionnels utilisent un langage raciste à leur encontre ou les traitent de « singes » verbalement ou par des gestes. Une personne noire, qui faisait un suivi auprès d’un membre du personnel du SCC pour une permission de sortir avec escorte (PSAE), s’est vu demander, en présence d’autres personnes incarcérées : « Vous voulez donc une PSAE pour aller au zoo. C’est pour aller voir des amis? »
On demande à un groupe de Noirs assis ensemble en train de boire du café : « De quoi a parlé le gang? » ou « Qu’est-ce qui a été dit aujourd’hui à la réunion du gang? »
Tel que rapporté par un membre du personnel du SCC : « Ayant moi-même été témoin de tant de commentaires et de comportements racistes de la part de collègues blancs, le conseil que je donne régulièrement aux détenus noirs est qu’ils doivent se comporter de manière à ne pas servir d’alibi aux racistes qui ont du pouvoir sur eux. Pourtant, on ne devrait pas leur demander d’être plus prudents que les autres détenus ».
D’un bénévole qui travaille au SCC dans les pénitenciers depuis plus de 10 ans : « Les détenus noirs me rapportent subir beaucoup de racisme. Néanmoins, ce que j’ai remarqué depuis que je suis au Québec, c’est que les délinquants noirs anglophones subissent encore plus de racisme. C’est comme s’ils avaient deux circonstances aggravantes aux yeux de certains membres du personnel : la couleur de la peau et la langue anglaise ».
Contrairement à ce qui s’était passé lors de la précédente enquête du Bureau, la plupart des personnes interrogées étaient convaincues qu’une plus grande représentation des Noirs parmi le personnel du SCC contribuerait à réduire le manque de confiance entre le personnel et les détenus. Comme le dit un membre de la Black Inmates and Friends Association (BIFA) : « Ces agents [blancs] ne savent pas comment s’associer à nous. Ils ont peur, ou hésitent à nous connaître ». Un autre a déclaré : « J’ai pu avoir une agente de libération conditionnelle noire pour la première fois ici à [l’établissement] et j’ai vu la différence dans sa façon de travailler, car elle tenait compte de mes origines qui ne lui étaient pas si étrangères ». L’impact d’un manque de diversité parmi le personnel peut être important, comme l’explique une personne interrogée :
« Parce qu’ils ne connaissent pas nos cultures et la façon dont nous interagissons dans la communauté, le moindre signe qui leur semble inhabituel ou bizarre est interprété négativement : un simple vêtement porté d’une certaine façon, le ton de la voix, l’absence de contact visuel, une trop grande gaieté, seront autant de preuves pour un rapport qui sera ensuite utilisé contre vous par votre agent de libération conditionnelle ou votre équipe de gestion de cas, sans aucun recours ».
Le personnel du SCC a également confirmé que les prisonniers noirs semblent se sentir plus à l’aise d’approcher le personnel qui leur ressemble. Un membre du personnel du SCC a expliqué à quel point la représentation est importante pour fournir des modèles aux jeunes hommes noirs derrière les barreaux : « Ces gars-là avaient peu de modèles positifs dans la communauté, et cela se répercute dans l’établissement. Ils sont aussi généralement méfiants à l’égard des hommes blancs en uniforme ». Les officiers noirs créent un environnement qui facilite la discussion et l’engagement, enracinés dans des expériences partagées.
À l’échelle nationale, les nouveaux employés du SCC qui s’identifient comme membres d’une minorité visible dépassent le taux de disponibilité de la population active Footnote 60 . Bien que cela soit encourageant, la représentation des minorités visibles parmi les agents correctionnels est particulièrement faible dans certains des établissements les plus diversifiés (voir le tableau 2 ci-dessous). Par exemple, alors que 43,3 % des personnes incarcérées s’identifient à une minorité visible à l’Établissement de Collins Bay, seulement 9,3 % des agents correctionnels s’identifient à une minorité visible. Il convient de mettre davantage l’accent sur le recrutement d’un personnel correctionnel diversifié, en particulier dans les établissements dont la population est diversifiée, car ce sont les membres du personnel qui ont des interactions quotidiennes en personne avec les personnes incarcérées et qui peuvent avoir la plus grande incidence en ce qui concerne les conseils, le soutien et le leadership.
Tableau 2 : Pourcentage de la population carcérale et du personnel CX s’identifiant comme appartenant à une minorité visible, par établissement sélectionné
ÉTABLISSEMENT | POURCENTAGE DE LA POPULATION | POURCENTAGE D'AGENTS |
COLLINS BAY | 43,3 | 9,3 |
MILLHAVEN | 31 | 7,1 |
WARKWORTH | 30,8 | 8,4 |
GRAND VALLEY | 15 | 27,3 |
ATLANTIQUE | 19,5 | 3,6 |
SPRINGHILL | 7,9 | 9,8 |
COWANSVILLE | 20,9 | 6,9 |
Source : SCC SIR-M pour les chiffres concernant la population carcérale et renseignements et demande de documents du SCC pour les chiffres concernant le personnel (reçu du SCC le 20 décembre 2021).
Préjugés raciaux et soins de santé
« Un détenu noir qui souffre sera souvent traité avec mépris. Ils l’accuseront d’exagérer la douleur, d’essayer de susciter la pitié, alors que sa souffrance est en réalité insupportable. Mais si un Blanc se présente avec beaucoup moins de douleur, il sera pris au mot. On lui prescrira immédiatement des analgésiques ou on le transférera à l’hôpital pour un examen approfondi ».
« Ils ne comprennent pas ou ne cherchent pas à comprendre notre détresse psychologique. Au contraire, toute information qui peut être utilisée contre nous par le Service finit par se retourner contre nous après que nous nous soyons confiés à eux. J’ai vu la différence depuis que l’établissement a récemment lancé un programme de consultation individuelle en santé mentale avec un spécialiste noir qui nous reçoit par vidéo. On voit tout de suite qu’il veut créer un climat de confiance pour vous aider ».
– Extraits d’entrevues avec deux personnes noires incarcérées
Au cours de l’enquête, plusieurs prisonniers noirs se sont plaints de préjugés raciaux de la part du personnel de santé du SCC, qui minimisait parfois les douleurs physiques ou mentales des personnes noires incarcérées. Les plaintes concernant la discrimination dans le diagnostic et le traitement des personnes noires incarcérées sont révélatrices d’un problème de plus en plus documenté en médecine et en psychologie ces dernières années. Par exemple, des études récentes menées aux États-Unis ont montré que les personnes noires sont systématiquement sous-traitées pour la douleur par rapport aux personnes blanches. Ce préjugé racial serait lié à de fausses croyances sur les différences biologiques entre les Noirs et les Blancs. Les professionnels de la santé peuvent utiliser des croyances erronées sur les différences biologiques entre les Noirs et les Blancs pour étayer leurs jugements médicaux, ce qui peut contribuer aux disparités raciales dans l’évaluation et le traitement de la douleur Footnote 61 ».
Dans un environnement carcéral, les professionnels de la santé sont confrontés à un défi lorsqu’ils prescrivent des analgésiques, car de nombreux détenus ont des problèmes de dépendance et peuvent chercher à obtenir des analgésiques pour gérer leur dépendance. Néanmoins, la douleur physique et psychologique se présente sous de nombreuses formes, et les préjugés raciaux dans l’évaluation, la gestion et le traitement de la douleur peuvent avoir de graves conséquences pour les patients noirs. Les professionnels de la santé doivent être sensibles à d’éventuels préjugés inconscients lorsqu’ils évaluent et traitent des prisonniers noirs.
- Je recommande que le SCC élabore un programme de formation pour les professionnels de la santé de première ligne. Ce programme devrait s’appuyer sur les recherches les plus récentes sur les préjugés raciaux et leur impact sur les décisions et procédures médicales.
Interventions correctionnelles
Malgré les tentatives du SCC de rendre les programmes correctionnels plus accessibles aux diverses cultures et origines, nous avons entendu dire que le contenu des cours continue d’être trop générique et ne tient pas compte des expériences socioculturelles ou vécues des Noirs. Bien qu’il soit difficile de déchiffrer exactement les changements spécifiques apportés par le SCC aux programmes correctionnels pour mieux refléter les expériences et les besoins de la communauté noire, il semble que ces changements ne fassent qu’effleurer ce qui est en fait nécessaire. Une personne interrogée a fait le commentaire suivant :
« Nous avons affaire à des programmes qui traitent de la violence, par exemple, mais à aucun moment ils ne tiennent compte des schémas familiaux dont beaucoup d’entre nous sont issus, de la pauvreté dans laquelle nous avons grandi, de la stigmatisation que nous avons subie à l’école et dans nos quartiers, en particulier dans nos relations avec tout ce qui représentait l’autorité. Comment un tel programme peut-il nous être utile quand on voit qu’il a été conçu pour un détenu blanc? ».
Un défenseur des communautés s’est exprimé en ces termes : « Il [le SCC] manque d’interventions puissamment éclairées qui peuvent être liées aux antécédents d’un prisonnier noir ». C’est le cas, malgré le fait que la Directive du Commissaire 726-1 : Normes relatives aux programmes correctionnels nationaux stipule que tous les programmes correctionnels du SCC doivent « comporter des méthodes adaptées aux facteurs de réceptivité propres à chaque délinquant, comme les besoins des femmes, des délinquants autochtones, des délinquants ayant des besoins en matière de santé et d’autres groupes » (c’est nous qui soulignons). Un grand nombre des personnes interrogées dans le cadre de cette enquête, y compris des groupes communautaires et des défenseurs des droits, ont dit à mon Bureau qu’elles aimeraient que le SCC élabore des programmes correctionnels adaptés spécifiquement aux personnes noires afin de maximiser l’efficacité des programmes correctionnels pour la communauté noire.
Certaines personnes noires se sont retrouvées face à un choix difficile. D’une part, ils considèrent que les programmes correctionnels ne sont pas du tout adaptés à leur réalité culturelle et sociale, qu’ils sont axés sur les cycles de la criminalité et qu’ils n’ont aucun rapport avec leur réussite future dans la communauté. D’autre part, en ne participant pas aux programmes correctionnels, ils risquent d’avoir un faible taux de motivation, ce qui a une incidence directe sur leur trajectoire correctionnelle, notamment sur leur admissibilité à la libération conditionnelle, leurs perspectives d’emploi et leur niveau de rémunération, pour ne citer que quelques exemples. Les programmes correctionnels doivent être ancrés dans les expériences de personnes qu’ils visent et dispensés par des agents de programmes correctionnels qui ont été exposés, sensibilisés ou formés à ces réalités particulières. Le fait d’inviter divers experts et groupes communautaires à venir discuter et partager leurs expériences, ou de permettre aux Noirs d’utiliser les permissions de sortir avec escorte (PSAE) pour participer à des programmes pertinents offerts par des organisations communautaires appropriées dans le cadre de leur programme correctionnel, contribuerait grandement à résoudre bon nombre des problèmes soulevés par les Noirs en ce qui a trait à ce que la plupart perçoivent comme des programmes correctionnels non pertinents.
Alors que les Noirs bénéficient de PSAE dans la communauté aux fins de programme, ils sont constamment sous-représentés parmi les personnes approuvées pour des PSAE aux fins de programme. Par exemple, entre 2015-2016 et 2019-2020, les personnes noires représentaient entre 5,4 et 7 % des personnes bénéficiant d’une permission de sortir aux fins de programme (pendant cette période, les personnes noires représentaient de 8,2 à 9,4 % de la population incarcérée). La seule exception était en 2020-2021, où elles représentaient 14,8 % des personnes ayant accédé à une permission de sortir aux fins de programme, alors qu’elles représentaient 9,4 % de la population (voir l’annexe E pour les données). L’accès communautaire est un moyen efficace d’élargir les soutiens et les services disponibles pour les personnes noires. Les programmes communautaires sont souvent plus efficaces et plus pertinents.
Emploi
L’emploi en prison est important, car il peut contribuer à la réintégration d’une personne dans la société en lui offrant la possibilité d’acquérir des compétences et une expérience professionnelle. L’emploi CORCAN Footnote 62 est souvent considéré comme le type d’emploi préféré, car de nombreux emplois CORCAN offrent des compétences monnayables, comme la soudure, la construction et la réparation de petits moteurs. En 2020-2021, les Noirs représentaient 7 % de toutes les affectations de CORCAN et 7,3 % des personnes incarcérées affectées à CORCAN, alors qu’ils représentent plus de 9 % de la population carcérale. Les taux de participation à CORCAN peuvent être influencés par le fait que les Noirs sont surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale où le SCC n’offre pas de possibilités de formation en cours d’emploi de CORCAN dans tous les établissements à sécurité maximale. Le SCC offre également plusieurs types de possibilités d’emploi au sein de l’établissement. Les emplois en établissement sont souvent décrits comme des « emplois avec horaire chargé » et n’offrent guère de compétences ou de formation. En termes d’emploi au SCC, les personnes noires incarcérées représentaient 8,8 % des affectations en établissement et 9,2 % des personnes employées dans un emploi en établissement en 2020-2021.
Au cours des entrevues, beaucoup ont déclaré avoir été victimes de discrimination pendant le processus d’embauche. Ils ont déclaré qu’il est très rare qu’un délinquant noir obtienne un « emploi de confiance », par exemple à la cantine. « Ce type d’emploi est presque exclusivement réservé aux Blancs, même si ce n’est écrit nulle part », a déclaré un détenu qui est employé comme nettoyeur depuis plusieurs mois. Les cinq principaux emplois pour les Noirs étaient les suivants : nettoyeur, préposé à la préparation des aliments, comité de détenus, plongeur et préposé aux loisirs. Alors que la majorité des personnes incarcérées gagnent une rémunération de niveau C (5,80 $/jour), les Noirs sont moins susceptibles de gagner les niveaux de rémunération les plus élevés (niveau A à 6,90 $/jour et niveau B à 6,35 $/jour). En avril 2022, 3,7 % des Noirs touchaient une rémunération de niveau A, contre 6,2 % des Blancs, et 18,1 % des Noirs touchaient une rémunération de niveau B, contre 21,7 % des Blancs Footnote 63 .
Pratiques prometteuses
Agent d’inclusion : L’établissement de Cowansville a créé un poste d’agent d’inclusion visant à aborder les questions de racisme et de discrimination. Ce poste était occupé par deux agents correctionnels. Selon des personnes noires et des membres du personnel du SCC, ce poste a permis de dénoncer plus souvent des situations de discrimination ou des comportements racistes, y compris entre collègues. Différentes approches sont adoptées pour traiter ces situations, comme la médiation ou le signalement à la direction, en fonction de la gravité de la situation et des circonstances qui l’entourent. Malheureusement, en raison du manque de personnel pendant la COVID-19, ces deux membres du personnel ont retrouvé leur ancien poste.
Affectation de réintégration afro-canadienne : L’établissement de l’Atlantique a mis en place une mission de réintégration des Afro-Canadiens dans le cadre de laquelle le personnel du SCC a travaillé directement avec les groupes communautaires pour repérer les ressources communautaires et les conseillers en emploi qui pourraient venir dans les établissements pour cerner les besoins des personnes noires incarcérées avant leur libération. L’objectif du programme était de préparer les Noirs à trouver un emploi ou un soutien professionnel après leur retour dans la communauté. Malheureusement, il semble que le financement et le soutien de cette initiative aient pris fin.
Programme pour aider les détenus afro-canadiens à acquérir résilience et force mentale
En 2018, le programme Résilience et force mentale des détenus afro-canadiens a été proposé à quatre endroits : Bureau de libération conditionnelle de Keele, Établissement de Warkworth, Établissement de Beaver Creek et Établissement de Grand Valley. Le contenu du programme visait à permettre aux participants :
- de trouver leur Symbole Adinkra et affirmation puissante*;
- d’évaluer leurs difficultés associées à la récidive;
- de déterminer leurs priorités personnelles en matière de virilité des hommes noirs.
De nombreuses personnes incarcérées ont trouvé ce programme bénéfique, mais il n’a pas été poursuivi.
Antécédents sociaux des Noirs
Le district central de l’Ontario a lancé une initiative pilote appelée « Black Social History » (BSH). Cette initiative prend en compte la BSH dans la planification correctionnelle. Les agents de libération conditionnelle reçoivent des conseils sur la manière de prendre en compte les besoins et les intérêts culturels des Noirs dans la planification correctionnelle. Le SCC est en train d’étendre le BSH à tous les établissements communautaires de l’Ontario et à l’unité d’évaluation de Joyceville. L’initiative a été intégrée au Cadre de lutte contre le racisme de 2021.
Centre correctionnel communautaire Jamieson
Le CCC Jamieson a créé un poste d’agent de réintégration afro-écossais chargé d’élaborer des programmes pour les personnes d’origine ethnoculturelle de la communauté et d’offrir un soutien continu. Cette personne est également en contact avec les représentants du soutien communautaire et assure la liaison avec eux.
*Pour obtenir plus de renseignements : MacDonald, J. (26 mars 2007). West African Wisdom: Adinkra Symbols & Meanings. Adinkra.org.
Participation des groupes de la communauté noire
La Directive du commissaire (DC) 767 — Délinquants ethnoculturels : Services et Interventions exige que le SCC :
8 (c) favorisera la mise en œuvre des initiatives ethnoculturelles dans les régions afin de répondre aux besoins culturels des délinquants ethnoculturels;
8 (d) favorisera la participation des organisations communautaires et établira des partenariats avec des communautés ethnoculturelles afin de soutenir les délinquants ethnoculturels tout au long de leur peine et lors de leur mise en liberté dans la collectivité;
8(e) dressera et gérera, en consultation avec les communautés ethnoculturelles, les comités consultatifs et (ou) les associations ethnoculturelles, une liste de ressources ethnoculturelles qui sera mise à la disposition du personnel du SCC et mise à jour au besoin.
En dépit de ces directives, et à l’instar des conclusions précédentes du Bureau, l’examen a révélé que les liens avec les groupes communautaires noirs sont pour la plupart inexistants. La COVID-19 a certainement rendu l’accès aux groupes communautaires plus difficile. Nous avons fréquemment entendu dire que les comités de détenus noirs ne pouvaient même pas entrer en contact avec les groupes ou les leaders de la communauté noire en utilisant la technologie virtuelle au cours des deux dernières années. En outre, le SCC a rendu l’accès à la prison encore plus difficile pour les groupes et les dirigeants de la communauté noire, invoquant souvent des problèmes de sécurité. Comme l’a dit une personne noire incarcérée :
« Peut-être que certaines de ces personnes ont eu un passé criminel, mais ce n’est pas une raison pour les exclure, au contraire, c’est la façon dont elles s’en sont sorties pour devenir des modèles qui nous offre à nous, qui sommes enfermés, des perspectives d’avenir autres que de retourner en prison. »
Un leader de la communauté noire nous a dit : « Ils se méfient de la communauté. Ils disent que nous sommes des “membres de gang”. Je suis professeur d’université, pour l’amour du ciel! Les bénévoles et les défenseurs sont impuissants et à la merci des établissements. C’est un système complètement imperméable, et si vous essayez de le pénétrer, ils vous mettent de côté. Si les seules options sont la famille proche et les amis, alors comment puis-je leur rendre visite? Dans quel cadre? ».
Les membres du Comité des détenus noirs nous ont dit que l’organisation d’événements et de conférenciers pour le Mois de l’histoire des Noirs était un défi, souvent avec peu d’aide du personnel du SCC. Lors d’un événement organisé dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs dans l’un des établissements pour hommes, le personnel du SCC a été invité à participer à l’événement, mais aucun membre du personnel du SCC ne s’est présenté. Un organisateur a déclaré : « Nous avions des représentants de la communauté noire de Toronto, des gens qui font de grandes choses pour les jeunes dans nos quartiers et avec lesquels le Service aurait pu entamer un dialogue pour travailler ensemble. Ils ne sont tout simplement pas intéressés et ils ne prennent même pas la peine de le cacher ». Il est clair qu’un travail important est encore nécessaire.
Il existe un certain nombre d’organisations communautaires noires qui font un travail important pour la communauté noire. Seulement quelques-unes ont été répertoriées ci-dessous :
- Community Enhancement Association : Cette initiative consiste à libérer les Noirs des établissements fédéraux et à les placer dans des maisons de transition pour des programmes de jour. Une personne participant à la mise en place de ce programme a déclaré : « Cela a été transformateur pour les participants… C’était leur première introduction à la psychologie noire ».
- The Peoples’ Counselling Clinic en Nouvelle-Écosse est une clinique de santé mentale communautaire qui fournit des services directs et une éducation publique axée sur les questions de traumatisme, de race, de sexe et de genre. La Peoples’ Counselling Clinic gère également l’admission et l’attribution des évaluations de l’impact de la race et de la culture pour les tribunaux de la Nouvelle-Écosse.
- 902 Man-Up est un programme de réintégration communautaire desservant la Nouvelle-Écosse. Ce groupe offre un soutien à la réintégration des jeunes hommes et femmes noir(e)s en Nouvelle-Écosse. L’une des personnes qui dirige ce groupe a déclaré : « Nous établissons des liens avec eux pendant leur incarcération, puis nous les aidons à établir des liens avec la communauté. Ils ont parfois une mauvaise réputation, alors nous les présentons sous un jour plus positif à la communauté ». Ce groupe a indiqué que le SCC était plus disposé à travailler avec 902 Man-Up que le système provincial.
- DESTA est une organisation basée à Montréal qui offre des services de réinsertion et de défense des droits aux personnes noires actuellement et anciennement incarcérées qui se préparent à être libérées, qui se trouvent dans des logements temporaires ou qui ont des antécédents en matière de justice pénale.
Il n’y a pas de manque de services et d’interventions disponibles au sein de la communauté; cependant, il semble qu’il y ait un manque d’effort concerté ou de volonté de la part du SCC pour entrer en contact avec ces groupes, les consulter et développer des partenariats solides avec eux. Comme l’a déclaré un défenseur interrogé dans le cadre de l’enquête :
« Les institutions religieuses ont le plus grand accès et la plus grande capacité à faire du travail de réintégration à partir de la communauté, alors nous travaillons avec elles… [Cependant] Nous n’avons pas la capacité de mener des programmes derrière les barreaux… L’accès aux prisonniers est généralement difficile pour les Noirs et nos relations avec les personnes quoi ont des démêlés avec la justice rendent les choses plus difficiles. S’ils font une évaluation de sécurité approfondie sur moi, ils trouveront certainement des gens liés à moi qui sont impliqués. Lorsque nous commençons à faire venir des personnes dans les institutions pour nous aider dans notre travail ou lorsque nous obtenons des contrôles de sécurité approfondis, toute personne ayant un passé douteux est mal vue. Leur accès est limité et cet examen est teinté de racisme. En somme, le fait d’être noir peut avoir un effet négatif sur mon accès ».
Conclusion
Il est clair que très peu d’initiatives ou de programmes de fond, destinés à la communauté noire incarcérée, ont été mis en œuvre pour améliorer de manière significative la vie des Noirs dans les pénitenciers fédéraux. Tous les problèmes et préoccupations cernés dans l’enquête de 2013 du Bureau, notamment le racisme, la discrimination, les stéréotypes et l’étiquetage des prisonniers noirs, restent omniprésents et continuent de susciter d’importantes préoccupations. L’incapacité du SCC à reconnaître pleinement les expériences et les besoins uniques des Noirs et à mettre en œuvre des interventions appropriées l’a empêché de fournir à ce segment de la population carcérale des programmes, des interventions et un soutien pertinents. Le SCC ne dispose pas d’une stratégie globale qui réponde aux besoins de la communauté noire. Les besoins des personnes noires sont uniques et ancrés dans les conséquences historiques de l’esclavage et du racisme systémique tout au long de l’histoire du Canada Footnote 64 . Compte tenu de cette situation et des piètres résultats correctionnels relevés dans le présent rapport, je recommande au SCC d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie qui tienne compte de la voix des détenus, des intervenants et des collectivités de race noire.
- Je recommande que le SCC élabore une stratégie nationale qui aborde spécifiquement les expériences vécues et les obstacles uniques auxquels sont confrontés les Noirs purgeant une peine de ressort fédéral. Cette stratégie devrait inclure les éléments suivants :
- Une programmation correctionnelle ciblée et adaptée;
- Un programme d’agents de liaison dédié aux besoins des personnes de race noire;
- L’utilisation des antécédents sociaux dans la prise de décision en matière de gestion de cas en s’inspirant des leçons tirées de l’utilisation d’ÉIEC en Nouvelle-Écosse;
- Un programme de recherche ciblé examinant les résultats correctionnels;
- La participation régulière des groupes de la communauté noire dans l’intervention des prisons visant à éliminer les obstacles à leur participation;
- Un financement dévoué et à long terme.
Annexe A : Profil de la population
NOIR | BLANC | AUTOCHTONE | PERSONNES | |
GENRE** | ||||
% D'HOMMES | 97,4 | 95,7 | 93,2 | 95,9 |
% DE FEMMES | 2,6 | 4,3 | 6,7 | 4,1 |
ÂGE | ||||
% 18 À 30 | 37,7 | 16,3 | 32,5 | 30,5 |
% 31 À 40 | 33,3 | 26,9 | 33,8 | 32,8 |
% 41 À 50 | 16,7 | 22,4 | 17,5 | 18,9 |
% 51+ | 12,3 | 34,3 | 16,2 | 17,8 |
NIVEAU DE SÉCURITÉ*** | ||||
% MAXIMALE | 17,1 | 10,2 | 15,4 | 11,4 |
% MOYENNE | 59,1 | 60 | 62,9 | 59,2 |
% MINIMALE | 12,2 | 19 | 12,9 | 17,1 |
NOMBRE DE PEINES FÉDÉRALES | ||||
% PREMIÈRE | 75,1 | 64,6 | 62,2 | 86,3 |
% DEUXIÈME | 19,5 | 20 | 22,7 | 10,5 |
% TROISIÈME OU PLUS | 5,4 | 15,3 | 15,1 | 3,2 |
RISQUE*** | ||||
% ÉLEVÉ | 65,5 | 65,7 | 69,8 | 53,2 |
% MOYEN | 24,7 | 24,8 | 23,9 | 33,4 |
% FAIBLE | 4,0 | 3,5 | 2,1 | 6,3 |
BESOIN*** | ||||
% ÉLEVÉ | 65,5 | 65,5 | 78,1 | 58 |
% MOYEN | 26,1 | 26 | 17 | 29,9 |
% FAIBLE | 2,6 | 2,4 | 0,7 | 4,8 |
RESPONSABILITÉ*** | ||||
% ÉLEVÉE | 9,4 | 12,9 | 10,3 | 12,2 |
% MEDIUM | 54 | 56,5 | 65 | 53,5 |
% FAIBLE | 28,7 | 21,7 | 18,3 | 25,4 |
MOTIVATION*** | ||||
% ÉLEVÉE | 13,8 | 17,9 | 13,9 | 17,2 |
% MOYEN | 60,7 | 58,3 | 66,6 | 57,9 |
% FAIBLE | 19,6 | 17,6 | 15,3 | 17,2 |
POTENTIEL DE RÉINTÉGRATION*** | ||||
% ÉLEVÉE | 8,7 | 10 | 4 | 17,1 |
% MOYEN | 37,3 | 39,7 | 33,1 | 40,1 |
% FAIBLE | 48,1 | 44 | 58,7 | 34,4 |
% AVEC UNE AFFLILIATION | 23,8 | 5,7 | 21,9 | 12,7 |
Source : Entrepôt de données du SCC (18 juillet 2021).
*L’auto-identification de la race est fondée sur les catégories définies et recueillies par le SCC pour chaque personne lors de son admission dans le système correctionnel. La catégorie Personnes de couleur comprend 14 groupes de minorités visibles auto-identifiés (à l’exception des Autochtones et des Noirs) selon les catégories raciales du Système de gestion des délinquants (SGD) du SCC.
**Il existe une catégorie de genre « autre » dont les chiffres sont très faibles et qui n’est pas rapportée dans ce tableau. De ce fait, il se peut que la somme des pourcentages ne soit pas égale à 100.
***Il manquait des renseignements sur le niveau de sécurité, le risque, le besoin, la responsabilité, la motivation et le potentiel de réintégration pour chaque groupe racial; par conséquent, les pourcentages ne totalisent pas 100.
Annexe B : Proportion de personnes noires et blanches par niveau de sécurité
2016-04-10 | NOIRS (n=1 319) | BLANCS (n=8 143) |
MAXIMALE | 20,8 | 12,8 |
MOYENNE | 59,7 | 58,1 |
MINIMALE | 14,3 | 22,1 |
2017-04-09 | NOIRS (n=1 215) | BLANCS (n=7 646) |
MAXIMALE | 19,2 | 12,1 |
MOYENNE | 58,2 | 56,6 |
MINIMALE | 14,2 | 22,2 |
2018-04-08 | NOIRS (n=1 179) | BLANCS (n=7 325) |
MAXIMALE | 16,1 | 11,6 |
MOYENNE | 59,5 | 55,8 |
MINIMALE | 15,0 | 23,8 |
2019-04-07 | NOIRS (n=1 166) | BLANCS (n=6 994) |
MAXIMALE | 17,4 | 10,8 |
MOYENNE | 58,7 | 59 |
MINIMALE | 15,6 | 21,9 |
2020-04-12 | NOIRS (n=1 308) | BLANCS (n=6 779) |
MAXIMALE | 17,6 | 10,8 |
MOYENNE | 60,9 | 60 |
MINIMALE | 12,8 | 21,5 |
2021-04-11 | NOIRS (n=1 168) | BLANCS (n=5 901) |
MAXIMALE | 17,8 | 10,9 |
MOYENNE | 60,7 | 62,2 |
MINIMALE | 11,4 | 19,2 |
2021-12-12 | NOIRS (n=1 172) | BLANCS (n=5 900) |
MAXIMALE | 18,4 | 10,3 |
MOYENNE | 61,8 | 60,1 |
MINIMALE | 12,3 | 19,8 |
Source : Entrepôt de données du SCC (28 janvier 2022).
Remarque : Il manquait des renseignements sur le niveau de sécurité pour les deux groupes raciaux; par conséquent, les pourcentages ne totalisent pas 100. Il convient de noter qu’en moyenne, sur la période de sept ans indiquée dans le tableau, des renseignements sur le niveau de sécurité pour 8,2 % des personnes noires et 8,3 % des personnes blanches étaient manquants.
Annexe C : Proportion de transferts involontaires concernant des personnes noires, de 2015-2016 à 2021-2022
2015-16 | 2016-17 | 2017-18 | 2018-19 | 2019-20 | 2020-21 | 2021-22 |
12,5 | 10,4 | 9,9 | 12,2 | 12,3 | 14,6 | 12,7 |
Source : Entrepôt de données du SCC, accès le 1er avril 2022
Annexe D : Proportion de Noirs faisant l’objet d’accusations d’infractions disciplinaires
2016/2017 | 2017/2018 | 2018/2019 | 2019/2020 | 2020/2021 | 2021/2022 | |
Tous les frais | 11,3 | 10,8 | 12,3 | 12,7 | 13,7 | |
LES 10 PRINCIPALES ACCUSATIONS D’INFRACTIONS DISCIPLINAIRES | ||||||
Possession de produits interdits | 9,9 | 12,1 | 12,1 | 11,8 | 13,6 | |
Dommages ou destruction des biens | 9,5 | 10,4 | 10,4 | 9,4 | 5,8 | |
Désobéissance à un ordre | 21,1 | 16,7 | 17,6 | 18,1 | 20,7 | |
Désobéissance à une règle | 12,9 | 12,4 | 15,1 | 15,3 | 15,8 | |
Manque de respect envers une personne ou un membre du personnel | 12,1 | 9,5 | 12,2 | 9,4 | 12,3 | |
Bagarre/agression | 10,7 | 9,1 | 10,3 | 10,8 | 13,9 | |
Intoxiquant dans le corps | 10,7 | 11,1 | 12,8 | 10,4 | 10,6 | |
Mise en péril de la sécurité de l’établissement | 9,1 | 9,4 | 12,8 | 22,3 | 15,7 | |
Article non autorisé | 6,9 | 6,2 | 6,7 | 8,6 | 7,6 | |
Échantillon d’urine (ne pas le fournir ou refuser de le fournir lorsqu’il est demandé) | 7,8 | 8,6 | 7,8 | 8,1 | 9,0 |
Source : Entrepôt de données du SCC (juillet 2021)
Annexe E : Proportion de sortie avec escorte aux fins de la programmation à laquelle ont accès les personnes de race noire
2015-16 | 2016-17 | 2017-18 | 2018-19 | 2019-20 | 2020-21 | 2021-22 |
5,5 | 5,9 | 5,4 | 6,4 | 7,0 | 14,8 |
Source : Entrepôt de données du SCC (1er avril 2022)
Remarque : Une personne peut avoir plus d’une sortie avec escorte. En outre, il y a eu beaucoup moins de sorties avec escorte en 2020-2021 (2 580) en raison de la COVID-19, par rapport à une moyenne de 50 387 sorties avec escorte entre 2015-2016 et 2019-2020.
Annexe F : Proportion de personnes noires et blanches libérées par année et par type de libération
2016-17 | 2017-18 | 2018-19 | 2019-20 | 2020-21 | 2021-22 | |
Semi-liberté | ||||||
Noir | 29,3 | 33,2 | 38,6 | 36,6 | 36,4 | 39,3 |
Blanc | 37,3 | 40,4 | 41,5 | 40,6 | 39,7 | 34,3 |
Libération | ||||||
Noir | 2,9 | 3,8 | 5,1 | 3,3 | 2,7 | 0,67 |
Blanc | 2,0 | 2,8 | 2,7 | 2,4 | 1,6 | 0,8 |
Libération d’office | ||||||
Noir | 64,9 | 60,1 | 53,5 | 56,2 | 57,1 | 56,7 |
Blanc | 59,8 | 55,6 | 54,9 | 56 | 57,8 | 63,9 |
Ordonnance de surveillance | ||||||
Noir | 0,5 | 0,36 | 0,19 | 0,18 | 0,39 | 0 |
Blanc | 0,23 | 0,44 | 0,18 | 0,32 | 0,41 | 0,38 |
Expiration du mandat | ||||||
Noir | 1,0 | 0,73 | 0,94 | 1,47 | 2,3 | 1,3 |
Blanc | 0,62 | 0,79 | 0,76 | 0,66 | 0,55 | 0,59 |
Source : SCC, SIR-M (8 mars 2022)
Remarque : La somme des pourcentages n’est pas égale à 100, car un certain nombre de libérations d’autres types représentent un très faible pourcentage du total des libérations.
Annexe G : Proportion de personnes noires et blanches atteignant la date d’expiration du mandat et retournant au SCC dans un délai de deux ans
2013-14 | 2014-15 | 2015-16 | 2016-17 | 2017-18 | 2018-19 | |
Noir | 6,3 | 4,6 | 2,0 | 5,5 | 4,4 | 4,6 |
Blanc | 7,2 | 7,4 | 5,8 | 6,4 | 5,8 | 3,8 |
Formes restrictives de détention dans les établissements pénitentiaires fédéraux (pénitenciers à sécurité maximale pour hommes)
À mon avis, je ne considère pas absurde de dire qu’une personne ne devrait pas être enfermée dans une petite cellule 24 heures sur 24, car même s’il y avait des problèmes sur le plan de la sécurité, il devrait y avoir d’autres solutions que de simplement refuser à une détenue la possibilité de sortir de sa cellule.... Cependant, là aussi, il semble que même si la loi est connue, on perçoit en général qu’on peut toujours y déroger pour des motifs valables, et que, de toute façon, le respect des droits des détenues ne constitue pas une priorité… il s’agissait d’une attitude générale de nature punitive voulant que les détenues méritent leurs droits à tout ce qui est considéré comme un privilège et non comme un droit Footnote 65 .
– L’honorable Louise Arbour (1996)
Malgré les décisions des tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario qui ont jugé que la pratique de l’isolement préventif (isolement cellulaire) violait les droits fondamentaux protégés par la Charte, et l’élimination subséquente de cette pratique par l’adoption du projet de loi C-83 en 2019, un nombre important de prisonniers fédéraux continuent d’être confinés dans leur cellule pendant de longues périodes.
Par l’intermédiaire du projet de loi C-83 et de l’introduction des unités d’intervention structurée (UIS), le gouvernement a cherché à inscrire dans la loi des normes minimales pour la prise en charge et la garde des détenus, comme :
- Un temps minimum hors cellule de quatre heures, y compris l’accès à l’exercice en plein air;
- Des bilans de santé réguliers et des visites quotidiennes de la direction de l’établissement;
- Un contact « significatif » avec les autres;
- Un contrôle externe et un examen indépendant;
- L’accès aux programmes et aux services;
- L’indépendance clinique des fournisseurs de soins de santé.
Cependant, ces normes semblent vulnérables à l’interprétation et n’ont pas encore été reconnues ou appliquées aux secteurs de la prison en dehors des UIS. Comme je l’ai mentionné dans mon précédent rapport annuel, le cadre législatif des UIS n’a pas permet d’empêcher la création, l’utilisation ou l’extension des conditions de détention semblable à l’isolement. Il existe un large éventail de conditions et de pratiques d’isolement restrictives en dehors des UIS, qui ne font l’objet que de peu ou d’aucune surveillance externe ou de contrôle indépendant. Il s’agit notamment :
- des unités à association limitée sur la base volontaire;
- des rangées thérapeutiques Footnote 66 (dans les établissements à sécurité maximale pour hommes);
- des milieux de garde fermés pour les femmes.
Certaines de ces zones peuvent avoir des fonctions opérationnelles et des routines strictes en vertu de la politique, mais, dans la pratique, ces environnements échappent souvent à l’examen externe et ont parfois violé les normes de détention sûre et humaine.
L’objectif de cette enquête est de déterminer et de décrire les différentes formes d’isolement restrictif au sein des services correctionnels fédéraux Footnote 67 , et plus particulièrement dans les établissements autonomes à sécurité maximale pour hommes Footnote 68 . Cette enquête ne s’est pas penchée sur les formes temporaires d’isolement, comme les routines de restriction des mouvements, les isolements et les mesures d’intervention en cas de pandémie, comme l’isolement médical.
Méthodologie
Définition du confinement restrictif
L’ ensemble des règles minimale pour le traitement des prisonniers des Nations Unies (Règles Nelson Mandela) définit l’isolement cellulaire comme une privation de contacts humains significatifs pendant au moins 22 heures par jour Footnote 69 . À l’heure actuelle, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) et le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (RSCMLC) fournissent des paramètres généraux pour les conditions de vie dans les pénitenciers fédéraux, ce qui pourrait influer sur la qualité et la quantité de temps passé hors des UIS. Deux dispositions, le principe des « mesures les moins restrictives » énoncé à l’alinéa 4c) de la LSCMLC et la protection de la dignité humaine mentionnée aux articles 69 et 70 de la même loi, peuvent servir de guide. Cependant, la seule mention explicite du temps passé hors de la cellule inscrite dans la législation fédérale (en dehors des dispositions relatives aux conditions dans l’UIS [art. 36]) est l’heure d’exercice quotidien prévue par l’article 83 (2) (d) du RSCMLC.
Les dispositions de la LSCMLC relatives aux UIS établissent une norme juridique minimale de quatre heures de sortie de cellule. Comme nous l’avons déjà dit, bien que cette norme soit exigée par la loi pour les UIS, le Service n’est pas tenu de l’appliquer aux autres secteurs des pénitenciers fédéraux. En fait, au cours de la pandémie, les populations de prisonniers ordinaires ont été régulièrement maintenues dans leurs cellules pendant 22 heures ou plus Footnote 70 , parfois pendant des semaines et pour la plupart, sans accès à l’exercice en plein air.
Aux fins de la présente enquête, le Bureau a déterminé qu’il était raisonnable de définir l’isolement restrictif comme toute période de moins de quatre heures par jour hors de la cellule.
Collecte des données
Mon personnel a contacté tous les établissements à sécurité maximale pour hommes et leur a demandé leurs routines opérationnelles (pour la population carcérale générale et les unités de vie spécifiques). Certaines routines étaient définies dans des notes ou des notes de service au personnel, mais la plupart se trouvaient dans les ordres permanents établis en vertu de la Directive du commissaire 566-3 : Déplacement des détenus . Il a été demandé aux enquêteurs principaux de consulter à la fois les prisonniers et le personnel pour établir les zones au sein des établissements où les prisonniers pourraient ne pas bénéficier de quatre heures par jour hors de leur cellule. Sur la base de ces renseignements, les six établissements autonomes à sécurité maximale ont été identifiés pour des enquêtes de suivi et des visites en personne : Établissement d’Edmonton, Établissement de Millhaven, Établissement de l’Atlantique, Établissement Port-Cartier, Établissement de Kent et Établissement de Donnacona.
L’examen des routines opérationnelles n’a pas permis de déterminer clairement le nombre d’heures de sortie de cellule dont bénéficiaient les détenus. Dans leur application, les routines sont adaptées pour tenir compte des horaires de travail, des programmes, des visites, du déplacement de sous-populations incompatibles, etc. Comme nous le démontrerons dans ce rapport, les visites sur place ont révélé que les routines en établissement sont davantage utilisées comme des lignes directrices générales.
Afin de corroborer les routines opérationnelles et de mieux comprendre la disponibilité du temps hors cellule, des carnets de bord ont été demandés pour certaines unités, des questionnaires ont été remis aux détenus et au personnel, et des entrevues en personne ont été menées. Au total, 43 détenus et plus de 30 membres du personnel ont été interrogés entre novembre 2021 et mars 2022 Footnote 71 .
Constatations
Temps limité hors cellule
Notre enquête a révélé un certain nombre de zones — en dehors des UIS et des mesures d’isolement médical temporaire en place pour la COVID-19 — où les détenus bénéficiaient de moins de quatre heures de sortie de cellule.
Dans un établissement, le temps passé hors de la cellule et les conditions de détention dans les unités ordinaires et le quartier thérapeutique étaient systématiquement inférieurs aux normes en vigueur dans l’UIS. En effet, en dehors de l’UIS, le reste de l’établissement fonctionnait comme s’il s’agissait d’une ancienne rangée de cellules d’isolement préventif, avec moins de trois heures de sortie de cellule.
Dans un autre établissement, la pression exercée pour maintenir le nombre d’UIS à un faible niveau et l’augmentation des sous-populations incompatibles (nous y reviendrons) ont entraîné l’utilisation de « cellules cachées » (un terme souvent utilisé par le personnel de cet établissement), où les détenus sont maintenus dans des conditions semblables à l’isolement pendant des semaines.
En revanche, lors de notre visite dans un troisième établissement, nous avons constaté que le personnel utilisait son pouvoir discrétionnaire pour accorder plus de temps hors cellule que ce qui était prévu par l’article 566-3 du Règlement. Par conséquent, aucun des prisonniers que nous avons interrogés à cet établissement ne s’est plaint du temps passé hors de la cellule, et ils ont tous déclaré recevoir plus de quatre heures par jour. Un membre du personnel a expliqué la situation comme suit :
« Si nous suivions l’article 566-3 à la lettre, nous serions beaucoup plus restrictifs. Mais nous laissons cette décision à la discrétion du personnel de l’unité. Les portes des rangées de cellules sont généralement plus ouvertes pour permettre à tous d’accéder à la cuisinière, au réfrigérateur, aux commodités, etc. Normalement, il n’y a pas de problème ».
Même lorsque les détenus bénéficient de plus de quatre heures hors cellule, ceux qui n’ont pas d’emploi ou qui choisissent de ne pas participer aux programmes et aux activités prévues ont tendance à passer plus de temps dans leur cellule. Beaucoup de ces personnes passent leurs journées « enfermées », ne pouvant sortir que pendant trois heures ou moins pour prendre une douche, passer des appels téléphoniques ou accéder à la buanderie, à la cour ou à la salle de sport. Même ce temps est réparti en courts intervalles, souvent interrompus par des exigences opérationnelles, comme des dénombrements, des fouilles et d’autres procédures. Certains prisonniers ont indiqué que les routines étaient appliquées de manière incohérente, ce qui rendait difficile l’optimisation de leur temps hors cellule.« Je ne sais jamais quand ça va arriver, donc c’est difficile de planifier! » a déclaré un prisonnier.
Certaines de ces personnes sont prêtes à participer à des programmes ou sont sur liste d’attente pour un emploi, mais sont enfermées parce que les occasions sont rares ou ne correspondent pas à leurs besoins. Un prisonnier s’est plaint à juste titre : « Si les gars cherchent vraiment un emploi ou quelque chose à faire, laissez-les au moins sortir », laissant entendre que les personnes ne devraient pas être punies pour les lacunes de l’établissement.
Qualité du temps hors cellule
« Il n’y a rien à faire, les jours se mélangent les uns aux autres, il n’y a juste rien. Je veux faire un programme ou juste faire quelque chose, mais il n’y a rien… Vous restez assis dans votre cellule et vous attendez, il n’y a aucun moyen de vous améliorer, vous restez assis ici et vous attendez. Et ils se demandent pourquoi tu es fou, c’est à cause de la façon dont ils nous traitent »
– D’un détenu interviewé
De nombreux prisonniers que nous avons interrogés ont déclaré qu’ils choisissaient, comme d’autres, de rester dans leur cellule même lorsqu’on leur proposait de sortir de leur cellule. Ils ont fourni un certain nombre de raisons pour lesquelles ils choisissent de ne pas profiter du temps hors cellule, notamment :
- Les activités significatives hors de la rangée de cellules sont limitées ou peu attrayantes. Aucun programme, aucune possibilité de travail rémunéré, et l’accès à l’éducation est limité aux études en cellule.
- Le temps passé hors de la rangée de cellules est limité à l’espace situé derrière des barrières verrouillées, ce qui fait que les prisonniers font les cent pas avec la porte de leur cellule ouverte.
- Les espaces communs, les espaces de loisirs et les cours sont souvent peu attrayants et austères. L’accès à la cour principale ou au gymnase est souvent limité, de courte durée, et les détenus se plaignent souvent qu’il n’y a rien à faire.
- Les repas sont généralement pris dans les cellules ou dans les salles communes. Certaines personnes préfèrent rester dans leur cellule plutôt que d’interagir avec les autres dans la salle commune.
Il a été constaté qu’un certain nombre de facteurs justifiables affectent la disponibilité et la qualité du temps passé hors de la cellule, comme le manque de personnel, le mauvais temps, les infrastructures abandonnées, les isolements imprévus, la présence d’incompatibles et la normalisation des mesures restrictives en cas de pandémie. Cependant, certaines raisons étaient moins excusables, comme le fait que le personnel retardait le temps de sortie de cellule et l’écourtait ensuite pour s’accorder des pauses plus longues.
Conformément à l’article 4 (c.2) de la LSCMLC , le Service contribue à la réadaptation des personnes et à leur réintégration dans la société en tant que citoyens respectueux des lois en assurant « la prestation efficace de programmes offerts aux délinquants, notamment des programmes correctionnels, les programmes d’éducation, de formation professionnelle et de bénévolat, en vue d’améliorer l’accès aux solutions de rechange à la mise sous garde dans un pénitencier et de promouvoir la réadaptation ». L’application de ce principe ne dépend pas du niveau de sécurité de l’établissement. Pourtant, comme le démontre le tableau 1, seuls 61,1 % des détenus des établissements autonomes à sécurité maximale autonomes avaient un emploi en mai 2022. L’établissement de Donnacona avait le taux d’emploi le plus bas (41,6 %), tandis que l’établissement d’Edmonton avait le taux le plus élevé (87,1 %). Toutefois, 80,2 % des affectations à l’établissement d’Edmonton étaient des emplois de nettoyage. En fait, près de la moitié des tâches effectuées dans les établissements autonomes à sécurité maximale étaient des postes de nettoyage. Parmi les autres emplois courants, citons les laveurs de vaisselle, les préparateurs de repas, les ouvriers ordinaires Footnote 72 et les comités de détenus. Dans le contexte des prisons à sécurité maximale, ces postes peuvent difficilement être considérés comme rémunérés ou comme permettant d’accroître les compétences et les capacités professionnelles qui aideraient une personne à réussir dans la communauté.
Tableau 1. Affectation à un emploi Footnote 73 dans les établissements autonomes à sécurité maximale
VOCATION | ATLANTIQUE | DONNACONA | PORT | MILLHAVEN | EDMONTON | KENT | TOTAL |
Cuisinier | – | 1 | 14 | – | – | – | 15 |
Laveur de vaisselle | – | 1 | 3 | 49 | – | – | 53 |
Soignant | – | – | 4 | – | – | – | 4 |
Nettoyeur | 56 | 45 | 52 | 41 | 174 | 7 | 375 |
Ouvrier | – | 4 | – | – | – | – | 4 |
Ouvrier de textile | – | – | 4 | 2 | – | – | 6 |
Tapissier-garnisseur | 4 | – | – | – | – | – | 4 |
Ethnoculturel | – | – | 1 | – | – | – | 1 |
Services | 1 | – | – | 1 | 1 | 11 | 14 |
Secrétaire | 2 | 2 | 1 | – | – | 20 | 25 |
Bibliothécaire | 2 | – | 2 | 2 | – | 2 | 8 |
Administratif | – | 5 | – | – | – | – | 5 |
Barbier | – | 13 | 1 | 15 | 1 | 6 | 36 |
Cantine des détenus | 2 | 6 | 2 | 6 | – | – | 16 |
Comité des détenus | 12 | 1 | – | 9 | 1 | 16 | 39 |
Loisirs | – | – | – | 1 | – | 5 | 6 |
Buanderie | – | 1 | 11 | 12 | – | 2 | 26 |
Préparation | 22 | 13 | 10 | 3 | – | – | 48 |
Ouvrier général | 3 | – | – | 1 | 1 | 35 | 40 |
Coordonnateur | – | 10 | 1 | – | 2 | 12 | 25 |
Photographe | – | – | – | – | – | 2 | 2 |
Défenseur des | – | – | – | – | – | 1 | 1 |
Représentant de | – | – | 8 | – | – | – | 8 |
Travailleur assigné | 1 | 2 | 4 | 3 | – | – | 10 |
Travailleur assigné | 1 | – | – | – | – | 3 | 4 |
Travailleur assigné | – | 1 | 1 | – | 12 | – | 14 |
Travailleur | – | – | – | – | – | 5 | 5 |
Tuteur | – | – | – | 4 | – | – | 4 |
Affectations à | 106 | 105 | 119 | 149 | 192 | 127 | 798 |
Total des détenus | 99 | 89 | 116 | 116 | 189 | 1116 | 725 |
Total des prisonniers | 141 | 214 | 190 | 195 | 217 | 230 | 1 187 |
Pourcentage de | 70,2 | 41,6 | 61,1 | 59,5 | 87,1 | 50,4 | 61,1 |
Capacité en lits | 301 | 451 | 237 | 340 | 300 | 378 | 2 007 |
Source : Entrepôt de données du SCC (mai 2022).
*Depuis le début de l’exercice. Peut différer des populations carcérales pour la date à laquelle le nombre d’emplois ont été extraits.
À de nombreuses reprises, les prisonniers ont déclaré qu’ils n’avaient absolument rien à faire. Les emplois étaient rares ou peu attrayants et les programmes de base n’étaient tout simplement pas disponibles en raison du manque de personnel ou des restrictions liées à la COVID-19. Un représentant d’unité a décrit la situation dans son unité occupée par lui-même et un autre prisonnier : « Nous sommes tous les deux moyens. Je suis sans charge depuis un an… littéralement coincé dans la rangée de cellules. Pas de déplacement, pas de travail en dehors de la rangée, j’ai demandé des programmes, j’ai demandé à faire ceci et cela, aucun accès ». Un autre prisonnier a exprimé sa frustration quant à la manière dont les programmes étaient attribués : « Ils imposent des programmes aux gens alors qu’ils ne sont pas prêts ou sur le point d’être transférés, mais quand le moment est venu où un programme est nécessaire, ils ne l’ont pas. Forcer les gars qui ne veulent pas d’un programme à entrer dans un programme, et les gars qui veulent des programmes n’y ont pas accès ».
Aujourd’hui, les prisons pour hommes à sécurité maximale fonctionnent à environ 60 % de leur capacité, avec un ratio personnel/détenus de 1:1 ou plus. Il semble qu’il n’y ait aucune excuse pour continuer à priver les personnes d’activités de qualité, comme les sports organisés, les salles de musculation bien équipées, la cuisine traditionnelle, les emplois de gestion de cuisine, les repas en commun, les activités culturelles menées par des organisations communautaires, les expériences professionnelles significatives, l’éducation et d’autres possibilités intéressantes.
D’après mon expérience, lorsque les conditions de détention et la qualité de vie s’améliorent derrière les barreaux, nous avons également tendance à constater une meilleure utilisation de la sécurité dynamique, une plus grande confiance entre les détenus, moins de plaintes et de meilleurs rapports avec le personnel. Bien sûr, de temps en temps, un incident se produit. Ces événements peuvent être utilisés pour justifier la réduction de l’environnement carcéral au strict nécessaire, mais ils ne doivent pas l’être. Ces privations ne peuvent que servir à déshumaniser davantage les personnes en détention, ce qui a des effets en cascade sur la santé mentale, la socialisation, les incidents et les sentiments de désespoir et d’impuissance. « Serrer la vis » conduit souvent à des dysfonctionnements, à des problèmes de moral du personnel, à une hausse des incidents, et va à l’encontre de la réhabilitation ou d’une réintégration sûre et rapide.
Croissance des sous-populations
En vertu de l’article 17 de la Directive du commissaire 568-7 : Délinquants incompatibles (version révisée promulguée le 23 août 2021), le personnel est tenu d’envisager « diverses options de gestion des risques » pour les « incompatibilités non résolues ».
Ces « options de gestion des risques » entraînent parfois des restrictions supplémentaires pour les détenus, car les routines en établissement doivent être adaptées afin de gérer les déplacements et les interactions des personnes jugées « incompatibles ». Il en résulte des sous-populations qui peuvent être constituées d’une ou de plusieurs personnes.
Dans deux établissements, la croissance des sous-populations a considérablement augmenté pendant la pandémie pour atteindre plus d’une douzaine (contre quatre ou cinq en 2019). La croissance des sous-populations dans ces établissements limite non seulement le temps passé hors des cellules, mais aussi les déplacements des personnes « hors de la rangée de cellules ». Dans un établissement en particulier, le nombre démesuré de sous-populations rendait presque tous les déplacements de groupe impossibles. Dans un autre établissement, le personnel a signalé une hausse des incidents liés aux agressions, aux comportements perturbateurs et à l’automutilation, y compris les tentatives de suicide, à la suite de l’élimination de l’isolement préventif, ce qui a entraîné une nouvelle augmentation des sous-populations. Lorsque j’ai demandé à mon personnel de vérifier cette affirmation, nous avons constaté que le nombre total de ces incidents avait augmenté de 117 % au cours de la période d’un an comprise entre novembre 2019 et novembre 2020.
Bien qu’il soit difficile d’établir la cause exacte de la hausse des sous-populations, certains éléments suggèrent qu’il s’agit d’une combinaison des facteurs suivants :
- L’élimination de l’isolement préventif;
- La pression exercée pour que le nombre d’UIS reste faible;
- L’introduction de mesures de confinement en cas de pandémie, y compris des restrictions sur les transferts et des options limitées pour le passage à des niveaux de sécurité inférieurs.
Comme décrit dans le rapport annuel 2020-2021, de nombreux détenus continuent de demander des placements en UIS pour obtenir de meilleures conditions de détention, une sécurité relative et un espace personnel dans les établissements à sécurité maximale. Certains vont jusqu’à faire des menaces ou à commettre des actes violents, s’automutiler ou à avoir un comportement perturbateur afin d’obtenir un placement en UIS (ou d’y être maintenu).
Pour éviter de placer des prisonniers dans les UIS, le Service a demandé à ses régions de maintenir leur nombre d’UIS à un niveau faible. Comme l’a dit un membre du personnel : « il faut sacrifier une chèvre pour placer des gars dans une UIS! ». En conséquence, la plupart des UIS sont à la moitié de leur capacité ou en dessous. Le SCC affirme que cela est dû à un « changement de mentalité de la part du personnel et des détenus », ce qui laisse peut-être croire à un changement de culture moins axé sur l’isolement Footnote 74 . Cependant, nos constatations suggèrent que le nombre faible d’UIS ne raconte qu’une partie de l’histoire, car les établissements ont de plus en plus recours à des mesures provisoires (comme les sous-populations et les solutions de rechange semblables à l’isolement) pour isoler, contenir et contrôler les déplacements des prisonniers.
C’est dans ce contexte que le temps hors cellule doit être compris. Le nombre ingérable et croissant de sous-populations, la réticence à placer des personnes dans des UIS et (à certains endroits) le nombre croissant d’incidents, signifient que les détenus sont souvent confinés dans leurs cellules ou rangées de cellules pendant de longues périodes. La situation est particulièrement problématique pour les personnes qui doivent passer à des niveaux de sécurité inférieurs ou qui ne peuvent plus être placées en toute sécurité dans l’une des populations existantes.
Transfèrement pour les détenus de sécurité moyenne
Les données recueillies par le BEC en février 2022 montrent que dans presque tous les établissements autonomes à sécurité maximale, environ 10 à 15 % des détenus avaient un classement de sécurité moyenne. Bien sûr, les restrictions sur les transferts pendant la pandémie ont contribué au maintien des détenus à sécurité moyenne dans les établissements à sécurité maximale au cours des deux dernières années; toutefois, ces proportions reflètent les normes de la dernière décennie (voir graphique 1). Quoi qu’il en soit, l’isolement d’un prisonnier de sécurité moyenne dans un établissement à sécurité maximale est excessivement restrictif et justifie une enquête plus approfondie.
Remarque : Ces données ne comprennent que les établissements autonomes à sécurité maximale : Atlantique, Donnacona, Port-Cartier, Millhaven, Edmonton, Kent et le pénitencier de Kingston (avant 2013). Il s’agit d’installations où il n’est pas possible de passer à des niveaux de sécurité inférieurs au sein de l’établissement, comme c’est le cas dans les installations à plusieurs niveaux.
Lorsqu’on leur a demandé pourquoi les prisonniers de sécurité moyenne n’étaient pas transférés dans des établissements à sécurité inférieure, les employés ont cité un certain nombre de raisons, comme le confort des routines, l’institutionnalisation, la crainte du changement et (ou) la préférence pour les cellules isolées. Un membre du personnel de direction a déclaré que les prisonniers de sécurité moyenne « préfèrent les populations séparées. Vous n’avez pas à vous intégrer à l’ensemble de l’établissement », ce qui est le cas dans les établissements à sécurité moyenne. Un autre membre du personnel a parlé des condamnés à perpétuité et des prisonniers soumis à la règle des deux ans Footnote 75 , « ils arrivent ici et ne voient pas la lumière au bout du tunnel, ils se disent “pourquoi s’embêter”. Donc ils ne veulent pas être transférés ».
Dans certains établissements, le personnel a indiqué que l’engagement avec les détenus de sécurité moyenne et les examens de gestion de cas sont en cours pour encourager le transfèrement.
La marche au ralenti en sécurité maximale
« [C’est] comme un entrepôt ».
« C’est une prison pour aller se calmer ».
« Vous restez en suspens jusqu’à ce que vous partiez ».
Certains prisonniers interrogés lors des visites sur place ont exprimé ces sentiments. Ils ont déclaré que le temps qu’ils passent en sécurité maximale est le plus souvent inactif; les emplois et les programmes ne les préparent pas à la libération, et ils n’acquièrent aucune compétence utile. Cependant, ils n’étaient pas surpris et déclaraient souvent qu’après tout, « c’est un max! ».
Il est important de soulever un point général concernant l’attitude de nombreux membres du personnel du SCC envers les prisons à sécurité maximale. Nous avons fréquemment entendu le personnel dire que « les détenus ne devraient pas vouloir être ici », ce qui laisse croire que les prisons à sécurité maximale devraient être inhospitalières. En outre, les placements dans ces établissements sont souvent temporaires, par exemple, ceux qui sont détenus en vertu de la règle obligatoire de deux ans Footnote 76 ou des cotes de sécurité accrues des délinquants résultant d’incidents survenus dans des établissements à sécurité moindre.
En dépit du fait que les fondements criminologiques du SCC exigent que les personnes présentant un risque et des besoins plus élevés reçoivent un « dosage » plus élevé de services et d’interventions, la culture correctionnelle de certains établissements résiste à l’idée de rendre les placements à sécurité maximale plus productifs.
Création d’environnements similaires à l’isolement
L’élimination de l’isolement par le projet de loi C-83 a limité la disponibilité des cellules que le personnel pouvait utiliser pour la séparation temporaire des prisonniers. Les UIS nouvellement introduites garantissaient les droits de base par la législation, ce qui a séduit de nombreux prisonniers à sécurité maximale qui trouvaient leurs conditions de détention intolérables. La demande de placements volontaires au sein d’UIS a augmenté, tout comme l’a fait la pression pour maintenir le nombre d’UIS à un niveau bas. Dans un établissement, le personnel a signalé que le nombre d’incidents avait augmenté en raison du fait que les détenus « faisaient des caprices » afin d’être placés ou maintenus dans l’UIS. Les données obtenues par mon Bureau ont confirmé ces affirmations.
Parallèlement à la mise en œuvre des UIS, les établissements fédéraux ont dû trouver des mesures provisoires pour, d’une part, isoler, contenir et contrôler les « détenus difficiles » et, d’autre part, assurer la sécurité des personnes à risque dans la population carcérale ordinaire. Nous examinons ci-dessous une de ces mesures : les unités à association limitée sur base volontaire.
Unités à association limitée sur base volontaire
Notre bureau a identifié une unité à association limitée sur base volontaire (UALBV) dans chacun des six pénitenciers autonomes à sécurité maximale. Un instantané d’une seule journée, le 4 mars 2022, a montré une population totale de 83 UALBV. Ceux-ci se répartissent plus ou moins également entre les six établissements, l’Établissement de Donnacona ayant le taux le plus bas (8) et Kent le plus élevé (20). Sur ce total, 45 prisonniers en UALBV étaient blancs (54,2 %), 23 étaient autochones (27,7 %), 12 étaient noirs (14,5 %) et trois appartenaient à d’autres minorités visibles. Trente personnes (36,1 %) détenues dans des UALBV à ce moment-là avaient des peines indéterminées Footnote 77 .
Selon une note de service datée du 4 juin 2019 Footnote 78 , du commissaire adjoint, Opérations et programmes correctionnels du SCC, les UALBV « sont destinées aux d��tenus qui ne veulent pas s’intégrer dans la population carcérale générale et qui ne répondent pas aux critères de placement en isolement préventif ». La note de service poursuit en disant que les prisonniers en UALBV « bénéficieront d’une routine et de conditions de détention similaires à celles des autres détenus de la population générale de l’établissement ».
Cinq mois plus tard, les UIS ont remplacé les unités d’isolement et les UALBV ont commencé à recevoir des placements volontaires qui ne répondaient pas aux critères d’admission des UIS et refusaient de s’intégrer à la population générale. En théorie, les prisonniers en UALBV doivent travailler à leur intégration. Par conséquent, l’association avec l’une des populations carcérales existantes doit être une possibilité afin qu’ils puissent être intégrés lorsqu’ils seront prêts.
Le personnel a caractérisé les personnes résidant dans les UALBV comme suit :
- Celles qui montrent des signes d’institutionnalisation ou qui ont peur de s’intégrer, même si elles pourraient le faire en toute sécurité.
- Celles qui se sont déjà intégrées, mais dont la date de libération approche. Ces personnes demandent parfois à être transférées à l’UIS et à y rester jusqu’à leur libération. Cela est dû soit au fait qu’ils ont des dettes, soit parce qu’ils ont peur de commettre des actes qui pourraient entraver leur libération.
- Celles qui ont besoin d’une protection.
Les détenus classés en sécurité moyenne préfèrent parfois rester dans des établissements à sécurité maximale parce qu’ils souhaitent bénéficier de l’intimité et de la protection (perçues) offertes par l’UALBV. Comme l’a expliqué un prisonnier : « Si j’avais su pour l’UALBV, j’y serais allé depuis longtemps ». L’UALBV permet aux prisonniers de se tenir à l’écart, séparés de la population générale. Ce n’est souvent pas une option dans les établissements à sécurité moyenne où les prisonniers partagent de grands espaces de vie ouverts.
Conformément à la politique, le temps passé hors de la cellule dans les UALBV doit refléter celui de la population carcérale générale. Par conséquent, plus les conditions générales de détention dans l’établissement sont restrictives, plus les conditions dans l’UALBV le sont aussi. Nous avons également observé que les prisonniers en UALBV sont pratiquement toujours limités à leur rangée de cellules. Les activités hors rangées sont rares pour cette population, surtout dans les établissements comportant de nombreuses sous-populations où le déplacement des prisonniers est difficile.
Lors d’une de mes visites personnelles dans une UALBV, j’ai constaté que les conditions de détention étaient bien pires que dans l’UIS. On m’a expliqué que chaque jour, les prisonniers en UALBV ont droit à une douche, à un appel téléphonique, à une heure dans la cour et à une chance de faire des activités avec un groupe compatible assigné. J’ai passé en revue les carnets des deux jours précédents — tous les prisonniers ont refusé de rejoindre le groupe assigné pour les activités hors cellule. Cela suggère qu’ils ont reçu moins de deux heures de temps hors cellule pour chacun de ces jours. Ceci est inacceptable et contraire à la loi. L’absence de politique pour l’utilisation de l’UALBV crée une incohérence et ne garantit pas le respect des droits des détenus.
- Je recommande que le SCC élabore immédiatement une politique nationale pour l’utilisation des unités à association limitée sur base volontaire (UALBV) et de toute autre unité de vie ou rangée de cellules de groupes de population clairement identifiée :
- Les motifs du placement en dehors de la population générale.
- Les processus juridiques qui définissent la mesure dans laquelle les droits, les libertés et les privilèges peuvent être restreints, y compris l’association, les programmes et les services fournis, et le temps passé hors de la cellule.
- Les droits, les privilèges et les conditions de détention qui doivent leur être accordés.
- Le degré d’examen (surveillance) requis pour faciliter le retour des personnes incarcérées dans un environnement correctionnel moins restrictif, y compris les mesures qui devraient être prises pour permettre la libération dans la population générale dès que possible.
Dix ans depuis Une question de spiritualité : Enjeux liés aux Autochtones dans le système correctionnel fédéral (Partie I)*
*La deuxième partie de cette enquête nationale sera achevée au cours de l’exercice 2022-2023 et comprendra des entrevues avec des Autochtones incarcérés ou en liberté conditionnelle et avec le personnel du SCC, ainsi que des visites sur place.
Les mauvais traitements infligés aux Peuples autochtones sont depuis longtemps une plaie de l’histoire du Canada et, par extension, des services correctionnels canadiens. Appelé par certains le nouveau système des pensionnats, le système correctionnel est devenu emblématique du néocolonialisme moderne et un microcosme pour des maux sociaux plus larges Footnote 79 . Il est vrai que le système pénitentiaire est souvent blâmé pour les échecs d’autres institutions sociales, dont il hérite. Bien qu’ils ne soient pas les seuls responsables des personnes qui franchissent leurs portes, les organismes correctionnels détiennent un pouvoir considérable sur la façon dont (et à qui) la justice est administrée derrière les barreaux, ce qui, dans une large mesure, dicte la composition du paysage correctionnel. En outre, les autorités correctionnelles ont toujours eu un contrôle important sur l’éthique culturelle dominante dans la façon dont les prisons sont gérées, sur les personnes qui les dirigent et sur l’affectation et la détermination des ressources et des priorités. Toutes ces réalités ont servi à préserver le système pénitentiaire comme l’institution intrinsèquement coloniale qu’il a toujours été, malgré certaines tentatives d’amélioration. Au niveau instrumental, le système carcéral fédéral, qui date d’avant la Confédération, a longtemps servi à marginaliser, à surcriminaliser et à surincarcérer les Peuples autochtones.
Les inégalités et les résultats disparates dont souffrent les Peuples autochtones sous le coup d’une peine fédérale au Canada constituent une priorité et une préoccupation majeures pour le Bureau depuis sa création. Il y a près de 50 ans, dans le tout premier rapport annuel publié par le Bureau en juillet 1974, le traitement discriminatoire des personnes autochtones sous la garde du gouvernement fédéral figurait parmi les premières questions soulevées. Au cours des décennies suivantes, le Bureau a émis plus de 70 recommandations spécifiques aux services correctionnels pour Autochtones, dans le cadre de ses rapports annuels. En 2013, le rapport spécial du Bureau sur les services correctionnels pour Autochtones intitulé « Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition » a été déposé au Parlement. Vingt ans après l’introduction de la LSCMLC en 1992, Une question de spiritualité a cherché à déterminer dans quelle mesure les services correctionnels fédéraux avaient respecté l’intention du Parlement en ce qui concerne les dispositions législatives, en se concentrant plus particulièrement sur les articles 81 (pavillons de ressourcement gérés par les communautés autochtones) et 84 (planification de la mise en liberté et de la réinsertion dans les communautés autochtones) de la LSCML Footnote 80 . Les résultats de cette enquête ont révélé des lacunes nombreuses et importantes. Ensemble, les recommandations issues des rapports annuels intitulés Une question de spiritualité et du BEC sur les services correctionnels pour Autochtones ont couvert de nombreux sujets, en se concentrant largement sur le besoin de changement dans les domaines clés suivants :
- Expansion des pavillons de ressourcement de l’article 81 (gérés par les communautés autochtones);
- Meilleure utilisation et facilitation du processus, des mises en liberté de l’article 84;
- Meilleur leadership autochtone (c’est-à-dire la nomination d’un commissaire adjoint des services correctionnels pour Autochtones);
- Meilleure libération et la réintégration en temps voulu des Peuples autochtones;
- Analyse et rapports publics plus intentionnels et transparents sur les répercussions des décisions correctionnelles sur les populations autochtones;
- Meilleure allocation de ressources et participation des communautés et organisations autochtones à la prise de décision et à l’administration du système correctionnel;
- Meilleurs programmes de garde et les programmes communautaires pour répondre aux besoins des Peuples autochtones;
- Meilleure utilisation des facteurs Gladue /antécédents sociaux des Autochtones pour éclairer la prise de décision, l’évaluation et le classement;
- Résolution des problèmes récurrents auxquels sont confrontés les Aînés autochtones;
- Plus grand nombre d’employés autochtones et offrir au personnel existant une meilleure formation sur la culture, les antécédents et la spiritualité des Autochtones;
Stratégie de désaffiliation des gangs, en mettant l’accent sur les gangs autochtones.
Dans les années qui ont suivi Une question de spiritualité , un certain nombre de commissions, d’enquêtes, de travaux de journalisme d’enquête sans précédent et d’études de comités parlementaires ont été réalisés sur les besoins et les expériences des personnes autochtones incarcérées. Les rapports issus de la plupart de ces initiatives ont émis des recommandations et des appels à l’action spécifiques, dont beaucoup ont été adressés aux services correctionnels fédéraux. Les préoccupations soulevées dans chacun de ces rapports font, dans l’ensemble, écho à bon nombre de celles exprimées par le Bureau, et certaines (par exemple, le rapport final sur les FFADA : Réclamer notre pouvoir et notre place ) ont pleinement approuvé et réédité les recommandations du Bureau en matière de services correctionnels pour Autochtones, souvent mot pour mot. Plus précisément, les recommandations se chevauchent considérablement dans les appels au changement dans les quatre domaines suivants :
- Augmenter le recours aux pavillons de ressourcement, aux libérations en vertu de l’article 84 et à l’engagement auprès des communautés autochtones;
- Offrir davantage de programmes et de meilleure qualité fondés sur la culture;
- Améliorer les outils de dépistage, d’évaluation et de classement;
- Avoir davantage de leadership autochtone, de représentation des employés et de compétences culturelles parmi tout le personnel.
Rapports clés sur les questions autochtones dans le système correctionnel depuis Une question de spiritualité (2013)
- Bureau de l’enquêteur correctionnel, Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (2013)
- Commission Vérité et Réconciliation — Rapport final : Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir (2015)
- Bureau du vérificateur général - Rapport d’automne : La préparation des détenus autochtones à la mise en liberté (2016)
- Comité permanent de la Chambre des communes sur la sécurité publique et nationale — Étude : Les personnes autochtones dans le système correctionnel fédéral
- Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes — Étude : Les femmes autochtones dans les systèmes judiciaires et correctionnels fédéraux (2017)
- Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées - Rapport final : Réclamer notre pouvoir et notre place (2020)
Dix ans depuis Une question de spiritualité
La surreprésentation des autochtones dans le système correctionnel fédéral
Au cours des trente dernières années en particulier, certains efforts ont été déployés pour apporter une plus grande équité aux Peuples autochtones qui entrent dans le système correctionnel, comme l’introduction de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (articles 79 à 84) et les modifications apportées au Code criminel (par exemple, l’article 718.2 [e]). Dans les services correctionnels fédéraux, les efforts systémiques visant à « décoloniser » les prisons ont largement débuté en 2003 avec l’introduction du modèle du Continuum de soins pour les Autochtones . Malgré les divers changements, enquêtes, plans et investissements, les différents efforts déployés n’ont malheureusement pas atteint leurs objectifs de lutte contre la discrimination systémique et la surreprésentation des Peuples autochtones dans le système correctionnel. Alors que la population carcérale a globalement diminué au cours des dernières années, la surreprésentation des Autochtones a non seulement persisté, mais elle a augmenté à un rythme soutenu. Depuis 2012, la population incarcérée au niveau fédéral a diminué de 16,5 % et la population carcérale de Blancs a diminué de 23,5 %; cependant, pendant la même période, la population carcérale autochtone a augmenté de 22,5 % Footnote 81 . Rien qu’au cours de la dernière décennie, la population autochtone totale de délinquants (incarcérés et communautaires) a augmenté de 40,8 % Footnote 82 .
En janvier 2016, le Bureau a indiqué que la proportion d’Autochtones sous la garde du gouvernement fédéral avait atteint le chiffre record de 25 %, et a prévenu que cette tendance allait se poursuivre, sans intervention significative. Au cours des deux dernières années, les services correctionnels fédéraux ont franchi deux nouvelles étapes historiques, lorsque la proportion a dépassé la barre des 30 % dans l’ensemble et approché les 50 % pour les femmes autochtones incarcérées Footnote 83 . Aujourd’hui, bien qu’ils représentent environ 5 % de la population adulte, les Peuples autochtones continuent d’être largement surreprésentés dans le système correctionnel fédéral, puisqu’ils constituent 28 % de toutes les personnes purgeant une peine de ressort fédéral et près d’un tiers (32 %) de toutes les personnes en détention.
Santé et résultats en prison
Si l’aggravation de la surreprésentation et de l’ autochtonisation du système pénitentiaire constitue à elles seules un critère déterminant du progrès, un large éventail d’indicateurs et de résultats en matière de santé dans les prisons témoigne également de la trajectoire inquiétante des services correctionnels pour Autochtones. Par exemple, au moment de la rédaction de ce rapport, les Peuples autochtones dans les prisons fédérales étaient toujours surreprésentés dans les domaines suivants :
- Le placement en détention, par rapport à la supervision communautaire (68,3 % des Autochtones sont en détention contre 54,8 % des non-Autochtones);
- Le recours à la force (les Autochtones représentaient 39 % des personnes impliquées dans des recours à la force au cours des cinq dernières années);
- La sécurité maximale (38 % des personnes en sécurité maximale sont des Autochtones);
- Des unités d’intervention structurée (anciennement isolement, près de 50 % des personnes placées dans ces unités sont des Autochtones);
- Une affiliation à un groupe menaçant la sécurité (la proportion de personnes autochtones affiliées à un GMS est deux fois plus élevée que celle des personnes non autochtones en détention, soit 22 % contre 9 %) Footnote 85 ;
- Les incidents d’automutilation (55 % de tous les incidents d’automutilation impliquaient une personne autochtone);
- Les tentatives de suicide (40 % des tentatives de suicide au cours de la dernière décennie);
- Les suicides (83 % [5 sur 6] de toutes les personnes incarcérées dont le décès est survenu par suicide en 2020-2021 étaient autochtones) Footnote 86 .
En outre, les Autochtones entrent de plus en plus tôt dans le système Footnote 87 , passent beaucoup plus de temps derrière les barreaux et retournent dans le système correctionnel fédéral à un rythme sans précédent par rapport à leurs homologues non autochtones. Plus précisément, les Autochtones continuent de purger une plus grande partie de leur peine que les non-Autochtones avant d’être libérés en semi-liberté ou en liberté conditionnelle totale, et bénéficient d’une très faible proportion de libérations conditionnelles, la libération d’office étant de loin le type de libération le plus probable Footnote 88 . En 2020-2021, 75 % des libérations de délinquants autochtones étaient des libérations d’office Footnote 89 . En ce qui concerne les résultats après la libération, les hommes autochtones présentent les taux de récidive les plus élevés de tous les groupes (65 % pour toute récidive, avec des taux de 70 % et plus dans la région des Prairies) et près de la moitié de toutes les admissions chez les Autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux l’an dernier concernaient des révocations Footnote 90 Footnote 91 . Pris individuellement ou dans leur ensemble, ces indicateurs montrent clairement que le système correctionnel canadien est, et ce depuis un certain temps, en crise perpétuelle. D’année en année, les prisons sont de plus en plus remplies par des Autochtones qui sont pris dans le fameux phénomène de la porte tournante, dont les conditions de vie ont empiré à l’intérieur, avec peu d’options viables pour sortir et ne pas retourner en prison.
Progrès du SCC sur les recommandations
Bien qu’il n’ait pas réagi aux recommandations formulées par le Bureau et d’autres organismes, le SCC a élaboré, dans les années qui ont suivi Une question de spiritualité , un grand nombre de plans et d’initiatives concernant les services correctionnels pour Autochtones. Principalement par l’intermédiaire du Modèle de la continuité des soins des Autochtones (2003), du Plan stratégique relatif aux services correctionnels pour Autochtones en 2006 (suivi de son « renouvellement » en 2013) et, plus tard, du Plan national relatif aux Autochtones — Un cadre de travail national visant à transformer le processus de gestion des cas et les services correctionnels destinés aux Autochtones (2017), le SCC s’est engagé à plusieurs reprises à « transformer » les services correctionnels pour Autochtones en améliorant les initiatives le long de ce qu’il appelle le Continuum des soins pour les Autochtones, notamment :
- Augmenter la capacité des pavillons de ressourcement, de l’article 84 et des sentiers Footnote 92 ;
- Augmenter le nombre d’employés autochtones et la compétence culturelle du personnel;
- Créer une plus grande collaboration avec les communautés autochtones;
- Améliorer les interventions et les programmes adaptés à la culture;
- Répondre aux besoins en matière de santé mentale des délinquants autochtones;
- Améliorer les résultats en matière de réinsertion sociale afin de combler l’écart entre les délinquants autochtones et non autochtones Footnote 93 .
Malgré l’évolution constante et l’expansion des plans et des intentions ministériels en matière de services correctionnels pour Autochtones, l’itération actuelle du modèle du Continuum de soins pour les Autochtones continue d’être remplie d’engagements non respectés, par exemple :
- les disparités dans la validité de l’évaluation des risques ne sont toujours pas résolues, malgré la décision de la Cour suprême du Canada dans l’ affaire Ewert c. Canada Footnote 94 ;
- Les efforts coordonnés pour répondre aux besoins de santé mentale des Autochtones (en particulier des femmes autochtones) sont inexistants;
- L’utilisation des antécédents sociaux des Autochtones dans le processus décisionnel continue d’être aussi incohérente et superficielle qu’elle l’était au moment de la rédaction de Une question de spiritualité ;
- Les programmes correctionnels pour les Autochtones sont sans doute moins efficaces aujourd’hui qu’il y a dix ans.
Au cours des dernières années, grâce à une meilleure prise de conscience suscitée par des commissions et des enquêtes de grande envergure, à une pression sociale croissante et à un changement considérable (et plus transparent) des mandats et des priorités du gouvernement en faveur de la réconciliation, le gouvernement a réalisé des investissements financiers substantiels dans le portefeuille fédéral des services correctionnels pour les Autochtones. Dans le cadre du budget 2017, par exemple, le SCC a reçu 55,2 millions de dollars (et 10,9 millions de dollars pour chaque année subséquente) pour accroître sa capacité à fournir des interventions efficaces aux délinquants autochtones Footnote 95 . Même un examen superficiel de ce que ces plans et ces investissements ont donné est déconcertant, et le peu de progrès réalisé par le SCC pour respecter ses propres engagements illustre encore mieux les raisons pour lesquelles ce Bureau, et bien d’autres, sont frustrés par l’inefficacité du Service en matière de services correctionnels pour Autochtones. Les investissements les plus importants semblent être consacrés à des initiatives de détention élaborées par le SCC, comme les centres d’intervention pour Autochtones (CIA) qui, de l’avis général, ne sont guère plus qu’une gestion de cas de correctionnelle précoce ou ciblée sous un autre nom. De même, des initiatives correctionnelles institutionnelles de longue date, telles que Sentiers autochtones, continuent de recevoir des ressources substantielles, sans qu’il y ait vraiment d’évaluation externe ou de validation de leur efficacité ou de leur capacité à répondre aux besoins des personnes autochtones en détention, en particulier celles qui ont le plus besoin de soutien. Proportionnellement, peu de nouveaux fonds ont été alloués aux initiatives correctionnelles communautaires contrôlées ou gérées par les Autochtones. Les efforts du SCC en matière de services correctionnels pour les Autochtones demeurent principalement axés sur les prisons. Je voudrais prendre un moment pour mettre en lumière quelques sujets de préoccupation spécifiques pour lesquels des recommandations ciblées ont été émises et des engagements pris.
Pavillons de ressourcement et libérations en vertu de l’article 84
De toutes les recommandations formulées à l’intention du Service sur les services correctionnels pour Autochtones, l’expansion des pavillons de ressourcement (article 81) et la libération dans la communauté (article 84) sont les deux recommandations les plus fréquentes. Bien que ces sections de la loi aient été établies comme des priorités elles-mêmes, le SCC a fait très peu de progrès. Depuis Une question de spiritualité , un nouveau pavillon de ressourcement s’est ajouté (le pavillon de ressourcement Eagle pour femmes au Manitoba) et le nombre de places dans les pavillons de ressourcement gérés par la communauté n’a augmenté que de 53 lits - un nombre largement insuffisant pour suivre le rythme de l’augmentation du nombre de personnes autochtones placées sous garde fédérale. De plus, il n’y a toujours pas de capacité d’accueil pour les pavillons de ressourcement dans les régions de l’Ontario et de l’Atlantique, qui ont toutes deux connu une augmentation substantielle des admissions d’Autochtones, en particulier dans la région de l’Atlantique où la population autochtone incarcérée a augmenté de près de 90 % au cours des dix dernières années.
Le nombre de places dans les pavillons de ressourcement étant déjà limité, il convient de noter que la pandémie de COVID-19 a eu un impact marqué sur les taux d’occupation des pavillons de ressourcement. Par exemple, au cours des deux années précédant la pandémie, le taux d’occupation moyen des pavillons de ressourcement était d’environ 78 %. Au moment de la rédaction de ce rapport, le taux d’occupation moyen était d’environ 51 %, ce qui soulève la question suivante : avec si peu de places disponibles dans les pavillons de ressourcement, pourquoi les taux d’occupation sont-ils si bas? J’ai l’intention d’examiner cette question, parmi d’autres, au cours de l’année à venir.
Tableau 1. Comparaison sur dix ans de la capacité et des taux d’occupation des pavillons de ressourcement
- Augmenter le recours aux pavillons de ressourcement, aux libérations en vertu de l’article 84 et à l’engagement auprès des communautés autochtones;
2012/13 | 2021/22 | ||||||
INSTALLATION | CAPACITÉ | CAPACITÉ | % | CAPACITÉ | CAPACITÉ | % | PRÉ-COVID |
Pavillon de ressourcement géré par la communauté (art.81) | |||||||
Centre de guérison Stan Daniels | 30 | 19 | 63,33 | 30 | 13 | 43,33 | 53,33 |
Pavillon de ressourcement de la Première Nation | 24 | 22 | 91,67 | 24 | 12 | 50 | 81,25 |
Centre de guérison Waseskun | 15 | 15 | 100 | 15 | 8 | 53,33 | 80 |
Buffalo Sage | 12 | 16 | 133,33 | 28 | 21 | 75 | 91,1 |
Pavillon de ressourcement spirituel | 5 | nr | – | 12 | 7 | 58,33 | 83,3 |
Pavillon de ressourcement Eagle pour femmes** | – | – | – | 30 | 4 | 13,33 | 0 |
Pavillon de ressourcement géré par le SCC | |||||||
Kwìkwèxwelhp Healing Village | 50 | 44 | 88 | 50 | 20 | 40 | 81 |
Village de guérison Kwìkwèxwelhp | 60 | 47 | 78,33 | 60 | 44 | 73,33 | 79,17 |
Willow Cree Healing Centre | 40 | 40 | 100 | 80 | 33 | 41.25 | 66.88 |
Centre Pê Sâkâstêw | 40 | 33 | 82,5 | 60 | 36 | 60 | 85,58 |
Total | 276 | 236 | 85,5 | 389 | 198 | 50,9 | 77,97 |
Remarque : Les données sur l’occupation ont été obtenues à partir du rapport SIR-M sur le dénombrement en établissement du SCC; ns = non signalé;
*Le % d’occupation moyen sur deux ans est basé sur le compte de capacité pondérée par rapport à la capacité réelle de 2018-2019 et de 2019-2020, pour avoir une idée de l’occupation pré-pandémique.
**Le pavillon de ressourcement Eagle pour femmes a ouvert ses portes en tant qu’établissement en 2019 (en vertu de l’art. 81).
Outre les changements limités en matière de capacité, il ne semble pas y avoir eu de changements appréciables dans les mécanismes d’établissement d’accords en vertu de l’article 81 ou de l’article 84 avec les communautés ou les organisations autochtones. Ces préoccupations, associées aux critères d’admissibilité étroits pour l’admission dans la plupart des pavillons de ressourcement, remettent sérieusement en question le fait que ces pavillons soient mis en place pour répondre aux besoins d’une proportion importante de personnes autochtones incarcérées.
De même, en ce qui concerne l’article 84, nous avons constaté peu de progrès dans le respect des engagements et des recommandations depuis Une question de spiritualité Footnote 96 . Le nombre de personnes exprimant un intérêt pour une libération en vertu de l’article 84 ou recevant une telle libération est demeuré essentiellement inchangé aujourd’hui par rapport à 2012. Même si l’augmentation du nombre d’admissions de personnes autochtones au fil du temps aurait dû à elle seule entraîner une augmentation correspondante du nombre de recours à l’article 84, les modifications apportées au processus lourd et bureaucratique de l’article 84, tel que recommandé, auraient aussi dû théoriquement entraîner des améliorations — et donc une augmentation — du recours à ce processus de libération.
Représentation autochtone et compétence culturelle
Malgré les divers engagements pris dans ce domaine, le manque de représentation autochtone au sein du personnel du SCC, en particulier aux postes de direction, ainsi que les faibles niveaux de sensibilisation culturelle sont un problème de longue date sur lequel le SCC a apparemment fait peu de progrès significatifs. À l’échelle nationale, les Autochtones continuent d’être sous-représentés parmi le personnel par rapport à la composition de la population carcérale (c’est-à-dire que 10 % du personnel du SCC s’identifie comme Autochtone contre 32 % des personnes incarcérées), et sont encore plus sous-représentés dans les postes de direction. Par exemple, selon les données fournies par le SCC, sur les 111 postes de direction de l’administration centrale, seuls trois (2,7 %) sont occupés par des Autochtones. De même, les Aînés, qui sont déjà confrontés à de nombreuses vulnérabilités — en grande partie en raison de leur statut de contractants — sont trop peu nombreux pour servir la population croissante, sont dispersés et doivent jouer de nombreux rôles différents. Il n’y a actuellement que 133 Aînés dans tout le pays pour les 3 953 personnes autochtones en détention. Bien que tous les Autochtones ne cherchent pas à travailler avec un Aîné, ces chiffres se traduisent par un ratio global de 30 Autochtones pour un Aîné. Bien que la proportion d’Aînés varie considérablement d’un établissement à l’autre et d’une région à l’autre, c’est dans la région des Prairies que l’on trouve le plus grand nombre d’Autochtones incarcérés et le pire rapport Aînés-détenus, avec une moyenne de 35 pour un. Dans un établissement, le ratio est de 105 prisonniers autochtones pour un Aîné.
Bien qu’il soit complexe de recruter et de conserver des Aînés pour travailler en milieu carcéral, bon nombre des obstacles surmontables qui ont existé pour attirer et retenir les Aînés (parmi les autres membres du personnel autochtone) n’ont pas été résolus. Certains ont attribué cette situation à un manque de compréhension ou d’appréciation du travail effectué par les Aînés et les autres employés autochtones. Nous avons entendu à maintes reprises que le travail des Aînés, entre autres, ne bénéficie pas de la crédibilité qu’il mérite, ni de la crédibilité qui est accordée à d’autres secteurs ou postes dans la gestion de cas et le travail d’intervention. Il est clair qu’il faut faire davantage, non seulement pour recruter davantage d’Aînés et protéger ceux qui effectuent actuellement ce travail, mais aussi pour sensibiliser le personnel de manière plus générale au rôle important que jouent les Aînés et les services pour Autochtones dans l’avancement du travail de réadaptation et de guérison.
D’après les renseignements et les commentaires que nous avons reçus, les divers plans et stratégies que le SCC a créés pour régler la question de la représentativité et du recrutement ont apparemment été largement inefficaces (par exemple, la Consultation nationale des employés autochtones : Travailler ensemble en partenariat pour l’inclusion 2012; Relier les esprits, créer des occasions, 2019). En outre, les membres du personnel et les personnes incarcérées nous ont dit que la formation à la compétence culturelle est intrinsèquement limitée dans sa valeur et son incidence, car elle fournit souvent des perspectives pan-autochtone de surface sur les visions du monde et les modes de connaissance autochtones. L’amélioration du recrutement, de la fidélisation et de la promotion du personnel autochtone permettrait d’accroître la sensibilité et la crédibilité culturelles, ce qui aurait une incidence directe sur la vie des personnes purgeant des peines de ressort fédéral. En termes clairs, le SCC doit faire davantage pour attirer et embaucher des Autochtones, pour reconnaître et promouvoir la valeur de leur travail et pour collaborer sérieusement avec les communautés autochtones afin de faire avancer les choses de manière significative sur ces questions. L’absence de progrès concernant les pavillons de ressourcement, en vertu de l’article 84, la représentation autochtone et la compétence culturelle sont des exemples indéniables des conséquences attribuables à l’absence d’une stratégie nationale d’engagement communautaire et de codéveloppement pour les services correctionnels pour Autochtones — une lacune qui, à mon avis, a eu un impact sans précédent sur la capacité du Service à produire un changement transformateur pour les services correctionnels pour Autochtones.
Un sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones
La nécessité de nommer un sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones est une recommandation que notre Bureau a formulée près d’une douzaine de fois au cours des vingt dernières années, et qui a été répétée par d’autres comités et commissions qui reconnaissent également la nécessité d’un leadership et d’un pouvoir décisionnel autochtones dans le système correctionnel fédéral (p. ex., ENFFADA, 2020; Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, 2017; Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, 2017)
En juin 2021, dans ce que le Bureau a considéré comme un pas en avant prometteur concernant cette recommandation, le gouvernement a identifié la priorité et l’objectif à court terme suivants dans le plan d’action national en réponse au rapport final de l’ENFFADA :
Objectif n° 6 (d) : « Création d’un poste de commissaire délégué pour les services correctionnels autochtones et réponse aux problèmes des femmes et des personnes 2ELGBTQQIA+ contrevenantes, »
En octobre 2021, le Bureau a demandé au SCC une mise à jour de ses plans pour respecter cet engagement. En janvier 2022, le SCC a fourni la réponse suivante : « La position du SCC reste la même : il n’est pas prévu de créer un poste de sous-commissaire pour les Services correctionnels pour Autochtones. »
Le 27 mai 2022, la lettre de mandat du ministre de la Sécurité publique adressée à la commissaire aux services correctionnels prévoyait la création d’un nouveau poste de sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones . Quelques jours plus tard, dans une déclaration publiée en réponse aux conclusions du rapport de la vérificatrice générale sur les services correctionnels fédéraux, la commissaire aux services correctionnels a indiqué : « Je suis en train de pourvoir un poste de sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones ».
Je suis heureux de voir ce point soulevé dans la lettre de mandat et je suis encouragé par la réponse de la commissaire. Toutefois, étant donné l’absence de progrès au cours des deux dernières décennies concernant cette recommandation particulière, j’attendrai pour considérer cette question comme close qu’un sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones soit officiellement en place. En attendant, je vous propose la recommandation suivante (et j’espère la dernière) sur cette question :
- Je recommande que le SCC consulte les groupes communautaires autochtones sur la description de poste, le rôle, le mandat et le processus d’embauche pour le poste de sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones, et qu’il rende compte publiquement de ses plans et de ses échéanciers à court terme pour créer et doter ce poste.
Les prochaines étapes
Au cours des dernières années, ce pays a dû faire face aux abus intergénérationnels perpétrés par les gouvernements, les établissements et les personnes à l’encontre des Peuples autochtones. Depuis les organisations locales jusqu’aux différents niveaux de gouvernement, il y a eu une vague de reconnaissance et un nouveau sentiment d’urgence quant à la nécessité de réparer les relations et les systèmes, y compris les systèmes correctionnels, qui ont été brisés depuis longtemps. En juin 2021, la loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones (DNUDPA) est entrée en vigueur, fournissant une feuille de route indispensable pour une réconciliation plus large au Canada. Dans la lettre de mandat adressée au ministre de la Justice et procureur général du Canada, le gouvernement s’est engagé à élaborer une stratégie de justice autochtone « afin de remédier à la discrimination systémique et à la surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire ». Alors que les stratégies de justice à grande échelle dans ce domaine ont eu tendance à se concentrer sur les contributions des services de police et des tribunaux pour élaborer une stratégie efficace de lutte contre la discrimination dans le système judiciaire, les services correctionnels fédéraux doivent faire partie de la conversation. Dans le but de tirer parti de l’élan des initiatives gouvernementales existantes dans ce domaine, notamment l’élaboration d’une stratégie nationale de justice, je formule la recommandation suivante :
- Je recommande au ministre de la Justice et procureur général du Canada d’inclure le Service correctionnel du Canada et le Bureau de l’enquêteur correctionnel dans l’élaboration et la mise en œuvre de la Stratégie de justice autochtone (SJA) . De plus, la SJA devrait chercher à redistribuer une partie importante des ressources actuelles du système correctionnel fédéral aux communautés et aux groupes autochtones pour les soins, la garde et la surveillance des Peuples autochtones.
De plus, les services correctionnels fédéraux doivent être tenus responsables de l’atteinte d’objectifs et de résultats concrets et mesurables, en particulier ceux qui relèvent directement d’eux, et utiliser plus efficacement leurs leviers d’influence pour s’attaquer aux obstacles de longue date, comme la détention prolongée des Autochtones derrière les barreaux et les taux élevés de récidive. Bien entendu, les services correctionnels fédéraux ne peuvent pas remplir cette mission à eux seuls. Le fait d’être inclus dans une stratégie d’engagement nationale coordonnée, dirigée par les Autochtones, est une étape nécessaire vers la résolution du problème. Au niveau le plus élémentaire, le système correctionnel ne devrait pas servir à perpétuer les désavantages, ce qui est précisément ce que nous avons vu se refléter dans les résultats et les indicateurs de santé des détenus autochtones, en particulier par rapport à leurs homologues non autochtones. La promesse d’administrer la peine d’une personne autochtone selon le principe de l’arrêt Gladue ne s’est pas concrétisée et, dans la pratique, les histoires familiales et communautaires de fragmentation, de déracinement et de dépossession sont trop souvent utilisées pour valider des classements de sécurité plus élevés et des scores de potentiel de réintégration plus faibles. L’administration pénitentiaire doit faire face à un ensemble de problèmes certes complexes, mais nous avons atteint un point où la complexité n’est plus une excuse suffisante pour la stagnation.
Perspectives de l’enquêteur correctionnel pour 2022-2023
Alors que nous entamons la troisième année de la pandémie mondiale de COVID-19, nous sommes apparemment passés à une nouvelle phase endémique — des mesures provisoires à une réflexion à plus long terme sur la façon dont nous allons apprendre à vivre et à nous adapter à cette soi-disant « nouvelle normalité ». Même si nous nous adaptons, innovons et explorons de nouvelles façons de remplir notre mandat (comme un nouveau processus de « triage » pour répondre aux plaintes), nous devons maintenir et toujours garder l’intégrité et la vitalité de notre fonction principale bien en vue et en permanence. Au cours de l’année à venir, nous avons hâte de reprendre la réalisation d’une série complète de visites d’établissements en personne et de nous organiser pour entreprendre et poursuivre le déploiement de notre nouveau cadre d’inspection des prisons. Je me réjouis également de l’élaboration et de la mise en œuvre d’une stratégie globale d’engagement des intervenants.
Près de trente ans après l’introduction de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , 2023 marquera également les dix ans du dépôt au Parlement du rapport du Bureau intitulé Une question de spiritualité . Dans le cadre de notre engagement continu à faire progresser le sort des Autochtones purgeant une peine de ressort fédéral, mon Bureau mènera, au cours de l’année à venir, une enquête approfondie sur les Services correctionnels pour Autochtones. Dans le cadre de cette enquête, nous examinerons de près les progrès réalisés en ce qui concerne les principales recommandations formulées par ce Bureau et d’autres, les résultats des investissements effectués et des initiatives entreprises par le Service (p. ex., les centres d’intervention autochtones et les sentiers autochtones), les pratiques prometteuses et les nouveaux défis qui se sont présentés depuis Une question de spiritualité . À la suite de cette enquête, nous formulerons des recommandations ciblées dans les domaines où des changements transformateurs peuvent et doivent être apportés pour les Services correctionnels pour Autochtones à l’avenir.
En plus de ce travail, nous continuerons à surveiller, à enquêter et à faire rapport sur les questions systémiques et (ou) thématiques concernant les services correctionnels pour femmes, les besoins des personnes de sexe différent, les progrès réalisés par rapport aux engagements pris par le Service en matière de coercition et de violence sexuelles dans les prisons fédérales, entre autres questions soulevées dans le présent rapport.
Il va sans dire que la pandémie a été un défi pour tout le monde, y compris pour mon personnel. Au cours de l’année à venir, je ferai de la santé et du bien-être de l’organisation une priorité essentielle. Entre autres initiatives, nous entreprendrons également des travaux visant à améliorer l’efficacité de notre Bureau et continuerons à progresser pour devenir un employeur de choix et un centre d’excellence.
Pour conclure, je souhaite revenir sur l’un des thèmes de mon message d’ouverture en appuyant les Principes pour la protection et la promotion de l’institution de l’ombudsman. Créés en mars 2019 par la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, ces principes, appelés « Principes de Venise » », constituent le premier ensemble de normes indépendantes et internationalement acceptées qui définissent, encouragent et protègent le rôle des ombudsmans dans le renforcement de la démocratie et la promotion des droits fondamentaux. Comme l’indiquent les 25 principes de Venise , l’ombudsman est un élément important — je dirais même essentiel — des États fondés sur la démocratie, la primauté du droit, la bonne administration et le respect des droits de la personne et des libertés. C’est dans l’esprit de ces principes qu’au cours de l’année à venir, mon Bureau continuera de travailler sans relâche pour assurer le traitement juste et humain des personnes purgeant des peines de ressort fédéral, en attirant l’attention sur les obligations en matière de droits de la personne et en tenant le Service responsable de l’administration des services correctionnels fédéraux d’une manière conforme à la loi, aux politiques et à un processus décisionnel équitable. Dans notre travail quotidien, nous continuerons à nous efforcer d’incarner et de démontrer notre leadership dans l’exécution de ces principes de bonne et efficace médiation.
Prix Ed McIsaac pour la promotion des droits de la personne dans le système correctionnel
Le Prix Ed McIsaac pour la promotion des droits de la personne dans le système correctionnel a été créé en décembre 2008 en l’honneur de Monsieur Ed McIsaac, directeur exécutif de longue date du Bureau de l’enquêteur correctionnel et ardent promoteur et défenseur des droits de la personne dans le système correctionnel fédéral. Il commémore les réalisations et les engagements exceptionnels en vue d’améliorer les services correctionnels au Canada et de protéger les droits des personnes purgeant une peine.
Le lauréat 2021 du prix Ed McIsaac pour les droits de la personne dans le système correctionnel est Fergus « Chip » O’Connor. Chip pratique le droit à Kingston depuis 1975. Il a été membre fondateur de l’Association canadienne du droit carcéral et a été directeur du projet de droit correctionnel (aujourd’hui Queen’s Prison Law Clinic) à l’Université Queen’s. Depuis plus de quatre décennies, Chip défend activement la cause des personnes incarcérées. Il a fait preuve d’un leadership, d’un engagement et d’une conviction exceptionnels, et il est reconnu par ses pairs comme une éminence dans le domaine du droit correctionnel.
Annexe A : Résumé des recommandations
- Je réitère ma recommandation d’interdire tout placement indéfini en cellule nue au-delà de 72 heures.
- En ce qui concerne la Stratégie antidrogue du SCC, je recommande la série de mesures suivantes :
- Je recommande au SCC d’accorder la priorité à l’examen actuel du processus de détermination de la cote de sécurité, particulièrement en ce qui concerne les femmes autochtones. Dans l’intervalle, je recommande que les antécédents sociaux des Autochtones (ASA) soient évalués de manière significative pour chaque décision rendue et que le personnel chargé de la gestion des cas reçoive une formation et un soutien adéquats pour appliquer les ASA.
- Une fois de plus, je recommande que le système de niveaux pour les femmes placées dans des unités à sécurité maximale cesse immédiatement.
- Je réitère ma recommandation de mettre en place des hébergements alternatifs pour les femmes logées dans les milieux de garde fermés et de les fermer éventuellement. Le financement et les ressources actuellement consacrés au fonctionnement des milieux de garde fermés devraient être réorientés pour mieux soutenir et répondre aux besoins uniques des femmes, en particulier des femmes autochtones.
- Je recommande que le SCC :
- Je recommande que, sans plus tarder, le SCC équipe tous ses véhicules d’escorte de prisonniers, y compris ceux qui sont actuellement en service, de ceintures de sécurité, de poignées et d’autres dispositifs de sécurité et de retenue qui lui permettraient de respecter son obligation d’assurer la garde sécuritaire et humaine des prisonniers sous escorte de sécurité. Je recommande en outre que le SCC retourne à la table à dessin pour reconsidérer son projet de « modernisation » de son parc de véhicules d’escorte qui répond mieux aux préoccupations et aux recommandations du Bureau.
- Je recommande que le SCC :
- Je recommande au SCC de mener une étude comparative, en partenariat avec des groupes communautaires noirs ou des experts externes, afin d’examiner le temps cumulé passé par les personnes noires avant leur reclassement et leur transfèrement à des niveaux de sécurité inférieurs.
- Je recommande que le SCC procède à un examen systémique de son utilisation des critères de classement des groupes menaçant la sécurité afin de s’assurer que seuls les renseignements pertinents corroborés par des autorités extérieures chargées de l’application de la loi, des tribunaux ou des autorités judiciaires, et étayées par des preuves, soient utilisés pour désigner une personne comme appartenant à un groupe menaçant la sécurité.
- Je recommande qu’au cours de l’année prochaine, le Service élabore une stratégie de désaffiliation des gangs. Cette stratégie doit :
- Je recommande à nouveau que le SCC élabore rapidement un plan d’action, en consultation avec les intervenants, afin d’examiner la relation entre le recours à la force et le racisme systémique à l’égard des Autochtones et des Noirs, et qu’il rende compte publiquement des changements réalisables aux politiques et aux pratiques qui permettront de réduire efficacement la surreprésentation de ces groupes parmi les personnes exposées au recours à la force.
- Je recommande que le SCC élargisse la formation de son personnel en matière de diversité afin d’y inclure des représentants de groupes communautaires noirs et des experts externes qui peuvent fournir une perspective plus complète et plus pertinente. Cette formation devrait être obligatoire, en personne et axée sur les expériences pratiques et vécues des personnes noires.
- Je recommande que le SCC élabore un programme de formation pour les professionnels de la santé de première ligne. Ce programme devrait s’appuyer sur les recherches les plus récentes sur les préjugés raciaux et leur impact sur les décisions et procédures médicales.
- Je recommande que le SCC élabore une stratégie nationale qui aborde spécifiquement les expériences vécues et les obstacles uniques auxquels sont confrontés les Noirs purgeant une peine de ressort fédéral. Cette stratégie devrait inclure les éléments suivants :
- Je recommande que le SCC élabore immédiatement une politique nationale pour l’utilisation des unités à association limitée sur base volontaire (UALBV) et de toute autre unité de vie ou rangée de cellules de groupes de population clairement identifiée :
- Je recommande que le SCC consulte les groupes communautaires autochtones sur la description de poste, le rôle, le mandat et le processus d’embauche pour le poste de sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones, et qu’il rende compte publiquement de ses plans et de ses échéanciers à court terme pour créer et doter ce poste.
- Je recommande au ministre de la Justice et procureur général du Canada d’inclure le Service correctionnel du Canada et le Bureau de l’enquêteur correctionnel dans l’élaboration et la mise en œuvre de la Stratégie de justice autochtone (SJA). De plus, la SJA devrait chercher à redistribuer une partie importante des ressources actuelles du système correctionnel fédéral aux communautés et aux groupes autochtones pour les soins, la garde et la surveillance des Peuples autochtones.