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Bureau de l’enquêteur correctionnel - rapport annuel 2021-2022

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Le 30 juin 2022

L'honorable Marco Mendicino 
Ministre de la Sécurité publique 
Chambre des communes 
Ottawa, Ontario

Monsieur le Ministre,

J'ai le privilège et le devoir conformément aux dispositions de l'article 192 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition de vous présenter le quarante-neuvième rapport annuel de l'Énquêteur correctionnel.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mes sentiments distingués.

Ivan Zinger, J.D., Ph.D. 
Enquêteur correctionnel

 



Table des matières

Message de l’enquêteur correctionnel 

Message de la directrice générale 

Mises à jour nationales et enjeux importants 

1. Cellules nues 

2. Stratégie antidrogue du Service correctionnel du Canada 

3. Établissement d’Edmonton 

4. Unités d’intervention structurée 

5. Surreprésentation des femmes autochtones dans les milieux de garde fermés (sécurité maximale 

6. Programme mère-enfant 

7. Véhicules d’escorte 

ENQUÊTES NATIONALES 

1. Mise à jour sur les expériences des personnes noires dans les pénitenciers fédéraux canadiens 

2. Formes restrictives de détention dans les établissements pénitentiers fédéraux (pénitenciers à sécurité maximale pour hommes) 

3. Dix ans depuis Une question de spiritualité : Enjeux liés aux Autochtones dans le système correctionnel fédéral (Partie I) 

Perspectives de l’enquêteur correctionnel pour 2022-2023 

Prix Ed McIsaac pour la promotion des droits de la personne dans le système correctionnel 

Annexe A : Résumé des recommandations 

Annexe B : Statistiques annuelles 

Annexe C : Autres statistiques 

RÉPONSE AU 49E RAPPORT ANNUEL DE L’ENQUÊTEUR CORRECTIONNEL 

Message de la commissaire 

Réponses aux recommandations 


Message de l’enquêteur correctionnel

Photo de Ivan Zinger, Enquêteur correctionnel de Canada

Ivan Zinger, 
Enquêteur correctionnel de Canada< 
 

Ce n’est pas un hasard de l’histoire si mon Bureau a été créé il y a près de 50 ans, en 1973, au milieu d’une série d’émeutes dans les prisons, de prises d’otages, de meurtres, de chaos et de mauvaise administration qui ont failli amener le Service des pénitenciers du Canada, comme on l’appelait alors, à ses genoux. La Commission d’enquête mise sur pied pour faire la lumière sur cette période de révolte et d’agitation sans précédent dans le système carcéral canadien a reconnu la valeur de fournir aux personnes purgeant une peine fédérale un système de recours indépendant et externe pour la présentation et la résolution de griefs légitimes. La première enquêtrice correctionnelle, madame Ingrid Hansen, a pris ses fonctions en juin 1973. Un demi-siècle plus tard, mon Bureau offre toujours un cadre nécessaire pour présenter des plaintes individuelles et systémiques des prisonniers. Mon Bureau continue d’exercer un contrôle et une surveillance indépendants du système correctionnel fédéral du Canada, en menant des enquêtes, en présentant des conclusions et en formulant des recommandations dans l’espoir d’apporter des changements durables et une réforme positive.

En tant qu’organisme de surveillance, ma capacité à influencer, à provoquer des changements ou à persuader d’adopter une autre ligne de conduite est liée à la qualité, à la rigueur, à la pertinence et à l’intégrité des enquêtes menées par mon Bureau. Dans ces cas, l’influence du Bureau repose sur un mélange de pouvoirs discrétionnaires et obligatoires, à la fois limités et conditionnels aux questions cernées et mises en avant dans les rapports publics. Il est certainement de mon ressort d’informer le Service correctionnel du Canada (SCC) lorsque je pense que son bateau s’enlise ou risque de couler, mais il n’est pas de mon ressort de lui construire un meilleur bateau ou un bateau plus étanche. Pour aller droit au but, ma capacité à influencer la politique ou la pratique au sein du SCC englobe les sujets de préoccupation systémique ou individuelle que je soulève dans mes rapports annuels, que je présente au Parlement ou que je choisis d’aborder occasionnellement avec les médias.

Il est vrai qu’à l’occasion, il m’arrive de laisser libre cours à ma frustration dans les médias ou d’exprimer publiquement mon mécontentement ou ma déception envers le SCC et de sa tendance à détourner les critiques, à y faire obstacle ou à s’en défendre. Bien que mes conclusions, en particulier celles de nature systémique, soient parfois ignorées ou laissées sans suite par le SCC, je suis fier du fait que l’ensemble des travaux du Bureau ne passe pas inaperçu pour beaucoup d’autres personnes, notamment les universitaires, les avocats, les médias, le Parlement, les autres Canadiens intéressés et les intervenants. Qu’il s’agisse de commissions d’enquête nationales, comme la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, de rapports de comités parlementaires permanents, ou encore d’universités et de salles d’audience dans tout le pays, les recommandations et les rapports du BEC sont fréquemment cités pour informer, enseigner, instruire et, oui, de temps en temps, pour plaider.

Pour une très bonne raison, les pouvoirs et les autorités conférés par la loi qui protège et garantit mon indépendance fonctionnelle par rapport au SCC et au ministre de la Sécurité publique prévoient également que je ne suis pas un témoin habile à témoigner dans toute procédure judiciaire. Je ne peux pas être assigné à comparaître devant un juge ou être appelé dans la salle d’audience pour fournir des preuves d’expert ou un témoignage de première main. Cela dit, le contenu et le contexte des rapports du Bureau sont fréquemment utilisés par les tribunaux ou les avocats, et servent souvent de renseignements généraux, voire d’éléments de preuve, à prendre en considération dans les poursuites individuelles et les recours collectifs. Les rapports du Bureau sur la surreprésentation et les résultats disparates des Autochtones (facteurs de l’arrêt Gladue et évaluations des risques actuariels) ou des Noirs (évaluations culturelles) dans le système correctionnel fédéral, par exemple, sont souvent pris en compte lors de la détermination de la peine. Les batailles juridiques longues et tortueuses et les contestations constitutionnelles visant à mettre fin à l’isolement cellulaire au Canada se sont appuyées sur des preuves, en partie documentées dans les conclusions du BEC au cours des nombreuses années de rapports sur cette question.

La vitalité, la pertinence et la force du Bureau résident dans sa capacité à témoigner, à documenter avec précision, de manière impartiale et sans crainte de représailles ou de licenciement. Nous pouvons entrer dans les prisons fédérales et les inspecter sans entraves et nous pouvons exiger la production de tout document sans délai ni censure. Nous nous efforçons de rendre compte avec précision de ce qui se passe réellement derrière ces murs imposants. Nous donnons l’heure juste. Je suis fier, à juste titre, du fait que nos rapports sont utilisés pour orienter la législation et les législateurs. Les recommandations, les rapports et les conclusions du Bureau se retrouvent souvent dans les priorités du gouvernement en matière de justice pénale, les discours du trône, les lettres de mandat des ministres ou des commissaires. Une référence récente dans la lettre de mandat du premier ministre au ministre de la Sécurité publique — à savoir qu’il doit « s’attaquer au racisme systémique et à la surreprésentation des Canadiens noirs et racialisés et des peuples autochtones dans le système judiciaire » — reflète une priorité du gouvernement qui remonte à plus d’une décennie de rapports du Bureau. De plus, notre enquête nationale 2019-2020 sur la coercition et la violence sexuelles derrière les barreaux ( une culture du silence ) a également été mentionnée dans la lettre de mandat du ministre dans la directive du premier ministre lui demandant de « considérer la façon de s’assurer que les établissements correctionnels fédéraux soient des environnements sûrs et humains, exempts de violence et de harcèlement sexuel, et qu’ils favorisent la réadaptation et la sécurité publique ». Nos rapports sont souvent cités par les rapporteurs spéciaux des Nations Unies — des experts en droits de la personne reconnus au niveau international qui font périodiquement rapport sur les conditions de détention ou le traitement des groupes vulnérables derrière les barreaux. On trouve également des citations du BEC dans les rapports du gouvernement aux organismes de surveillance de l’ONU établis pour veiller à ce que le Canada respecte les obligations découlant des traités internationaux en matière de droits de la personne.

Même en souhaitant, bien sûr, que mes recommandations soient davantage acceptées et que mon rôle de surveillance au sein du SCC soit reconnu, ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. En tant qu’ombudsman, mes pouvoirs sont limités à la formulation de recommandations. Je ne peux pas obliger le Service à accepter mes conclusions ou à mettre en œuvre mes recommandations. La seule obligation légale du SCC est de répondre dans un délai raisonnable à mes recommandations. J’ai peu de contrôle sur la manière, la méthode, le contenu, la véracité ou l’engagement des réponses du SCC.

À vrai dire, il peut être frustrant de recevoir une réponse du SCC qui répond à l’un de mes rapports ou à l’une de mes recommandations par « la politique dit ceci… » ou « la politique prévoit que… ». En réponse à un rapport donné, il se peut que la moitié de mes recommandations soient citées dans le vaste catalogue des directives du commissaire (DC) du SCC. Au sein du SCC, la collection de DC, qui ne cesse de s’étendre, a en quelque sorte atteint le même statut que la loi, à laquelle elle est censée donner un sens. Mes enquêteurs sont très au fait de ce que la politique exige ou n’exige pas. La raison pour laquelle nous soulevons ces questions en premier lieu est généralement que nous avons constaté une certaine non-conformité avec la mesure politique dans la pratique, qu’il s’agisse d’une mauvaise interprétation, d’une mauvaise application ou parfois même d’une lacune dans la politique. C’est ce que fait mon Bureau : nous contrôlons et assurons le respect de la loi et des politiques. Un acte d’omission ou un constat de non-conformité ne peut être épargné par le fait qu’une directive du commissaire existe déjà, qu’elle peut être citée mot pour mot ou qu’elle est en fait censée signifier autre chose. Répondre à une constatation de non-conformité en citant une politique est circulaire et ne tient pas compte de l’affaire en question. Ce n’est pas une réponse.

On dit que l’on ignore souvent les conseils à ses propres risques. Pour étendre cette métaphore, on pourrait dire que les conclusions et recommandations réémises par mon Bureau sont rejetées, ne sont pas suivies ou sont mises de côté aux risques et périls du SCC. Le rapport de cette année intègre un certain nombre de questions d’importance ou de préoccupation nationale qui ont été soulevées tout au long de la période visée par le rapport, souvent dans le cadre de la correspondance, de visites institutionnelles ou de réunions et d’échanges bilatéraux avec le SCC à tous les niveaux de l’organisation. Il ne s’agit généralement pas de nouvelles questions, mais plutôt de domaines de préoccupation non résolus, non traités ou actualisés qui font l’objet d’une enquête active. Dans de nombreux cas, les mêmes recommandations des rapports précédents sont répétées mot pour mot ou reformulées. Voici quelques-unes de ces mises à jour et leurs historiques de rapports respectifs inclus dans le rapport de cette année :

  1. Interdiction de recourir aux placements en cellule nue au-delà de 72 heures (recommandation formulée pour la première fois dans le rapport annuel 2011-2012 du Bureau, réitérée en 2018-2019 et rééditée en 2021-2022). 

     
  2. Programme d’échange de seringues dans les prisons (PESP) qui, sur la base de faibles taux de participation, existe davantage en nom qu’en pratique (initialement signalé dans le rapport annuel 2018-2019 du Bureau). 
     
  3. Dysfonctionnement à l’Établissement d’Edmonton (rapports annuels successifs). 
     
  4. Surreprésentation des femmes autochtones dans les unités à sécurité maximale (nombreux rapports annuels, ainsi qu’un rapport et un avis au ministre en vertu de l’article 180 en juin 2018). 

     
  5. Critères trop restrictifs qui limitent ou discriminent systématiquement la participation des femmes autochtones au volet avec cohabitation du Programme mère-enfant en établissement (question soulevée pour la première fois dans le rapport annuel 2009-2010). 

     
  6. Absence de ceintures de sécurité pour les prisonniers dans les véhicules d’escorte du SCC (soulevée pour la première fois dans le rapport annuel 2016-2017 du Bureau). 

     

Je pourrais facilement énumérer d’autres problèmes et leurs antécédents en matière de rapports ci-dessus, mais je pense que le message a été suffisamment clair. Nonobstant le fait que les services correctionnels relèvent d’un domaine de la politique publique qui résiste obstinément à la réforme et au changement, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles, dans le cadre de mon travail, je me sens souvent obligé de renouveler ou de mettre à jour des conclusions ou de reformuler des recommandations encore et encore. Pour ceux qui comptent encore, c’est la raison pour laquelle mon prédécesseur et moi-même avons jugé nécessaire de réitérer la recommandation au SCC de nommer un commissaire adjoint responsable des services correctionnels pour les Autochtones plus de dix fois en plus de vingt ans de rapports tenaces sur cette question. C’est également la raison pour laquelle un grand nombre des thèmes et sujets abordés dans le rapport de cette année ne sont pas de nouvelles questions en soi, mais comprennent plutôt une approche différente d’un sujet de préoccupation qui remonte à des années, voire à des décennies, de rapports du Bureau.

Au cours d’une année donnée, il y a, en fait, très peu de questions qui pourraient être considérées comme nouvelles ou qui n’ont jamais été signalées par mon Bureau. L’aide médicale à mourir (AMAM) est peut-être la dernière question vraiment nouvelle dans le domaine correctionnel à laquelle mon Bureau s’est attaqué, mais même alors, l’AMAM n’était qu’une extension de la législation à une catégorie largement oubliée de personnes incarcérées qui restent encore privées de la possibilité de décider comment, quand et où elles peuvent choisir de mettre fin à leur vie dans le respect et la dignité. D’autres questions et préoccupations plus « modernes » dans le domaine correctionnel contemporain - identité et expression de genre, coercition et violence sexuelles derrière les barreaux, répercussions des mesures et des restrictions liées à la COVID-19 sur les populations carcérales, vieillir derrière les barreaux, surreprésentation des Noirs dans les incidents où il y a recours à la force — ne sont « nouvelles » ou intéressantes que dans la mesure où les rapports sur ces sujets parviennent à atteindre la lumière du jour.

Je comprends aussi bien que quiconque que le changement systémique dans le domaine correctionnel n’est ni facile ni rapide. Le SCC et le ministère de la Sécurité publique ne font que commencer à prendre des mesures et à s’attaquer concrètement à la prévalence de la coercition et de la violence sexuelles derrière les barreaux. Cinq ans après l’ajout de la discrimination fondée sur le sexe aux motifs illicites de la Loi canadienne sur les droits de la personne , une nouvelle directive autonome du commissaire vient d’être promulguée. Bien que ces initiatives stratégiques répondent aux rapports du Bureau dans ces domaines, il existe un grand nombre d’autres questions pour lesquelles la politique et la pratique correctionnelles (par exemple, l’approche de tolérance zéro du SCC envers la consommation et la possession de drogues derrière les barreaux) sont considérablement déphasées.

Sur ce dernier point, mon rapport sur les mesures prometteuses de réduction des méfaits, comme un site de consommation supervisée (service de prévention des surdoses) et un service d’échange de seringues derrière les barreaux, qui sont activement subverties par des pratiques de sécurité à tolérance zéro, ne fait qu’effleurer les réformes substantielles nécessaires. Je signale que la dernière mise à jour de la stratégie nationale antidrogue du SCC remonte à 2007. La politique canadienne en matière de possession et de consommation de drogues simples a évolué de façon spectaculaire depuis lors, mais la culture du SCC reste enlisée dans un état d’esprit prohibitif et répressif. Le maintien d’une approche de tolérance zéro envers les drogues, qui repose sur des mesures de détection, de discipline et de répression toujours plus intrusives — fouilles à nu, fouilles des cavités corporelles, fouilles des cellules, inculpations, analyses d’urine — est un jeu coûteux aux rendements décroissants. Si une personne est désespérée, endettée ou dépendante au point de dissimuler des drogues dans des cavités corporelles, avec des conséquences potentiellement mortelles, alors ce niveau de désespoir devrait certainement nous inciter à envisager d’autres approches moins intrusives, fondées sur des données probantes et compatissantes pour lutter contre les méfaits de la consommation de drogues illicites derrière les barreaux. Des progrès supplémentaires et un traitement clinique sont également nécessaires de toute urgence pour réduire la demande.

Comme je l’explique plus loin dans ce rapport, le fait de placer un prisonnier dans une cellule austère sans plomberie, dans une jaquette de sécurité, sans aucune certitude de libération pendant des jours et des jours pour effectuer une fouille à la recherche de produits de contrebande présumés est inhumain, dégradant et très probablement illégal. La « guerre » contre la drogue derrière les barreaux ne pourra jamais être gagnée en utilisant des mesures extrêmes comme l’isolement indéfini . Il semble dommageable et inutile de punir les gens pour ce qui est, en fin de compte, des problèmes de toxicomanie et de dépendances. La prohibition absolue des drogues ne fonctionne pas dans la communauté et elle ne fonctionnera pas en prison. Une révision et un renouvellement de la politique antidrogue du SCC sont désespérément nécessaires si des mesures de réduction des méfaits plus prometteuses et novatrices, comme le service de prévention des surdoses de l’Établissement de Drumheller, ont un quelconque espoir de voir le jour au-delà de la mise en œuvre pilote initiale.

Même lorsque des changements transformateurs surviennent dans le secteur correctionnel, comme ce fut le cas récemment dans la bataille juridique de plusieurs décennies visant à mettre fin à la pratique de l’isolement cellulaire dans les prisons canadiennes, ils sont souvent insaisissables et il est difficile de maintenir les progrès ou l’élan au fil du temps. Le remplacement de l’isolement cellulaire par un ensemble de normes juridiques qui rendent obligatoire un contact humain significatif derrière les barreaux et imposent des limites statutaires à la durée pendant laquelle une personne peut être détenue dans des environnements ou des circonstances privatives, en est un exemple. En dehors des unités d’intervention structurée, toutes sortes de formes restrictives d’isolement (définies comme moins de quatre heures par jour hors de la cellule) restent une réalité tenace et substantielle, comme le montre mon enquête sur les établissements autonomes à sécurité maximale pour hommes. Le seuil du temps passé hors de la cellule, y compris les contacts significatifs avec d’autres personnes, est maintenant établi dans la loi fédérale, mais il existe encore de nombreuses formes d’isolement et de circonstances où même ces exigences minimales ne sont pas satisfaites ou respectées.

Le rapport de cette année comprend également une documentation actualisée et beaucoup plus étoffée sur l’expérience des prisonniers noirs au Canada, un sujet sur lequel mon Bureau a fait rapport pour la première fois en 2013. Dix ans plus tard, les principaux problèmes documentés dans ce rapport précurseur — discrimination, racisme, étiquettes, stéréotypes — restent d’actualité et ont un impact considérable sur l’égalité des résultats pour les personnes noires dans les prisons fédérales.

La première d’une enquête en deux parties qui met à jour le rapport spécial de 2013 du Bureau au Parlement, Une question de spiritualité : les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , déposée en mars 2013, est également à l’honneur. Peu de conclusions contenues dans ce document d’introduction et de mise en contexte surprendront ceux qui sont familiers avec la situation de surreprésentation ou de disparité des résultats pour les Autochtones en détention fédérale.

La capacité de mon Bureau à effectuer des changements doit également être comprise et évaluée dans le contexte de notre capacité, plutôt réussie, à traiter les plaintes et les problèmes au niveau des établissements ou des personnes en temps opportun. Mon équipe d’enquêteurs s’efforce d’établir des relations positives avec le personnel et les détenus des établissements auxquels ils sont affectés. Les relations entre mon personnel d’enquête, le personnel du SCC et la direction des pénitenciers du Canada sont uniformément productives, professionnelles, cordiales et adaptées. Le personnel du BEC travaille sans relâche, souvent sans grande reconnaissance, pour résoudre les problèmes de manière informelle et aux niveaux les plus bas possible. Notre taux de recours positif et de résolution des problèmes au niveau de l’établissement ou des plaintes individuelles est nettement supérieur aux progrès que nous réalisons sur les problèmes systémiques. Malgré les déplacements, les fermetures de prisons et les restrictions de visites imposées par la pandémie de COVID-19, mon équipe d’enquêteurs a pu, l’année dernière, effectuer plus de 60 visites en personne ou virtuelles dans des institutions fédérales.

Je suis immensément fier de l’ensemble du travail présenté ici, d’autant plus impressionnant qu’il a été réalisé au cours d’une autre année de restrictions liées à la COVID, qui a nécessité des conditions de travail adaptées.

Ivan Zinger, JD., Ph. D. 
Enquêteur correctionnel 
Juin 2022 


Message de la directrice générale

Bien que nous ayons eu l’espoir que les restrictions imposées par la pandémie seraient levées au cours de l’année écoulée, nos espoirs ont été rapidement anéantis par les variants de la COVID-19 qui ont provoqué de nouveaux isolements, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des établissements correctionnels fédéraux. L’évolution et l’incertitude de la situation ont continué à causer beaucoup de difficultés non seulement pour les personnes que nous servons derrière les barreaux, mais aussi pour nos employés.

Malgré ces difficultés, le fait que nous ayons pu passer 83 jours dans les établissements, soit 46 visites, en dit long sur le dévouement et l’engagement de nos employés. Ces visites ont été effectuées dans toutes les régions. Certains établissements nécessitant notre attention ont été visités plus d’une fois, notamment les établissements à sécurité maximale, notamment Atlantique (2 x), Edmonton (2 x), Donnacona (2 x), Port Cartier (2 x), Millhaven (2 x) et Kent (3 x). Certains établissements pour femmes ont également été visités plus d’une fois. L’enquêteur correctionnel a visité à lui seul neuf établissements, fournissant son évaluation et ses conseils d’expert sur ce qu’il a observé. J’ai moi aussi eu l’occasion d’effectuer des premières visites dans huit établissements pour constater moi-même la réalité de la vie derrière les barreaux, tant pour les personnes incarcérées que pour les employés du SCC qui y travaillent. J’apprécie la coopération et la collaboration que nous recevons du personnel et de la direction du SCC. De nombreuses questions importantes sont résolues au niveau de l’établissement entre les employés du BEC et du SCC.

Le fait d’effectuer des visites en personne tout au long de la pandémie démontre notre attention constante aux besoins des personnes que nous servons et notre engagement à surveiller les prisons. Nos visites allaient de l’inspection d’un jour à des visites ouvertes avec une charge de travail complète pour rencontrer les personnes incarcérées, entendre les questions et les préoccupations qu’elles soulèvent et y donner suite.

Notre personnel chargé des politiques et de la recherche, ainsi que les enquêteurs, ont fait preuve de résilience dans leurs efforts en effectuant plusieurs visites en peu de temps alors que les restrictions étaient levées. Nos agents d’intervention préventifs ont été là pour répondre à des milliers d’appels et pour trier les plaintes que nous avons reçues. Je tiens également à souligner le travail de nos collègues des services corporatifs, qui fournissent le personnel et gèrent les coûts administratifs, et sans lesquels nous ne pourrions pas fonctionner. Non seulement ils s’occupent des obligations croissantes en matière de rapports gouvernementaux et de la charge disproportionnée à laquelle sont confrontés les micro-organismes, mais ils ont également contribué à nous guider dans le cadre des restrictions et des exigences liées à la COVID-19 pour assurer la sécurité de nos employés.

Au cours de l’année écoulée, l’organisation a progressé dans l’élaboration d’un plan stratégique triennal composé de quatre priorités clés :

  1. Créer un environnement où le BEC est un employeur de choix, en assurant un lieu de travail sûr et respectueux où les employés se sentent habilités et soutenus; 

     
  2. Garantir une structure organisationnelle alignée sur les priorités du bureau, souple et agile pour répondre aux problèmes émergents; 

     
  3. Améliorer la capacité et l’efficacité des enquêtes et des inspections systémiques par une planification et une collaboration accrues; 

     
  4. Mettre en œuvre d’une stratégie de gestion des données répondant aux besoins des différentes fonctions au sein du bureau, afin de permettre au BEC de mesurer et de rendre compte plus efficacement des fonctions et de l’incidence positive du Bureau. 

     

J’ai la chance de travailler avec une équipe de gestion aussi dévouée, un enquêteur correctionnel passionné et audacieux, et des employés qui se soucient sincèrement de l’important mandat de notre Bureau, qui consiste à assurer la garde sécuritaire et humaine des détenus au Canada. Leur travail acharné, leur passion pour la justice sociale et leur professionnalisme continuent de m’impressionner. Je me réjouis de commencer la mise en œuvre de notre plan stratégique au cours de l’année à venir, avec l’espoir que notre travail et nos vies soient moins touchés par les restrictions d’une pandémie, et que les choses reviennent un peu plus à la normale.

Monette Maillet 
Directrice générale et avocate générale 
Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada 


Mises à jour nationales et enjeux importants

La présente section résume les enjeux politiques ou les cas individuels importants qui ont été examinés aux niveaux institutionnel et national au cours de la période visée par le rapport. Les enjeux et les cas présentés ici ont fait l’objet soit de discussions avec les directeurs d’établissements, soit d’un échange de correspondance ou d’un point à l’ordre du jour de réunions bilatérales entre la commissaire, moi-même et nos équipes respectives de la haute direction. Ces domaines de préoccupation non résolus, non traités ou mis à jour font toujours l’objet d’une enquête active. La présente section sert donc à documenter les progrès réalisés dans le traitement des enjeux qui revêtent une importance nationale ou qui sont source de préoccupation.


1. Cellules nues

Ainsi, à l’heure actuelle, nous n’avons pas d’interdiction absolue de placement de plus de 72 heures, car il est arrivé que des délinquants réinsèrent ou avalent des corps étrangers pour éviter d’être détectés, ce qui nécessite la poursuite du placement au-delà d’une période de 72 heures. (SCC, réponse au rapport annuel 2011-2012 )

Les placements en cellule nue excédant 72 heures ne sont pas interdits, car l’évacuation des selles à une fréquence de plus de 72 heures n’est pas hors du commun. En fait, plusieurs publications médicales soutiennent que certaines personnes n’évacuent leurs selles qu’une (aux 168 heures) ou deux fois (aux 80-90 heures) par semaine. C’est donc pour cette raison que les plus récents changements législatifs n’ont pas imposé des limites de temps, mais ont plutôt imposé une surveillance médicale. (SCC, réponse au rapport annuel 2019-2020 )

Dans une décision judiciaire récente (novembre 2021, Adams c. Nova Institution ), la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a jugé illégale la pratique consistant à utiliser une cellule nue pour les femmes soupçonnées de dissimuler des produits de contrebande dans leur vagin, car elles pourraient être soumises à des périodes de détention en cellule nue plus longues, voire indéfinies. Pour situer le contexte, la « détention en cellule nue » d’un prisonnier est une procédure extraordinaire qui nécessite une fouille à nu, une surveillance et une observation 24 heures sur 24, ainsi qu’un éclairage de la cellule 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Elle est effectuée dans l’espoir que le prisonnier finira par « expulser » l’objet interdit. Dans cette affaire, le tribunal a constaté qu’une ancienne prisonnière de l’établissement Nova pour femmes avait été soumise à une détention en cellule nue pendant plus de deux semaines consécutives après avoir été soupçonnée de dissimuler des drogues dans son vagin. Le 15e jour de sa détention en cellule nue, un examen pelvien a finalement confirmé qu’elle ne dissimulait aucun produit de contrebande dans son corps.

La Cour a initialement donné au gouvernement six mois pour revoir sa politique dans ce domaine, un délai qui a ensuite été prolongé et qui expire en juillet 2022. En réponse, en avril 2022, le gouvernement fédéral a fait part de son intention de modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition afin d’interdire l’utilisation de cellules nues pour les femmes soupçonnées de dissimuler des produits de contrebande dans leur vagin.

Le SCC a également pris connaissance de la décision, en publiant un bulletin de politique provisoire le 25 avril 2022. Le bulletin indique : « À compter de maintenant, les personnes incarcérées qui dissimulent présumément des objets interdits dans leur cavité vaginale, ou ailleurs que dans l’appareil digestif, ne seront plus placées en cellule nue ». Il stipule également que l’administration centrale (AC) du SCC doit être informée lorsqu’une mise en cellule nue dépasse 72 heures. Selon la directive provisoire, cette nouvelle exigence est destinée à « rehausser la surveillance » et à permettre à l’administration centrale « de fournir des directives additionnelles au besoin ».

Photo de l’intérieur d’une cellule sèche à l’Établissement de Warkworth.

Établissement de Warkworth — Intérieur d’une cellule sèche. 

Photo d’une cellule sèche à l’Établissement de Warkworth.

Établissement de Warkworth — Cellule sèche. 

Sur la base des réponses du gouvernement et du SCC jusqu’à présent, il ne semble pas y avoir d’intention d’aller plus loin et d’imposer une interdiction plus large ou d’introduire des restrictions supplémentaires sur la pratique controversée de l’utilisation de cellules nues, une procédure que j’ai précédemment décrite comme étant « de loin la plus dégradante, la plus austère et la plus restrictive que l’on puisse imaginer dans les services correctionnels fédéraux ». Le point de départ de cette affaire et la décision même reposent sur un ensemble assez restreint d'arguments et de faits. La Couronne a tenté de convaincre le tribunal que la détention en cellule nue du prisonnier était en fait illégale, qu’il s’agissait d’une sorte « d’incident isolé et localisé (et non systémique) de mauvaise administration » de la part de l’établissement et que, en tout état de cause, la définition de la fouille d’une « cavité corporelle » dans les services correctionnels fédéraux n’inclut pas la dissimulation d’objets interdits dans un vagin. Le jugement interdit l’utilisation de cellules nues pour les femmes détenues soupçonnées de porter des produits de contrebande dans leur vagin. Il ne se prononce pas plus largement que cela. Là où il existe un intérêt public clair et convaincant dans l’affaire Adams c. Nova Institution consiste à déterminer si la détention d’un prisonnier dans des conditions privatives et dégradantes, pour une durée indéterminée , devrait être considérée comme légale, particulièrement dans le contexte de l’abolition récente de l’isolement cellulaire dans les prisons canadiennes.

Le Bureau a soulevé pour la première fois une série de préoccupations concernant la pratique des cellules nues dans son rapport annuel 2011-2012, à une époque où il y avait peu de mesures de protection et pratiquement aucune surveillance interne de cette pratique. Depuis lors, le SCC a mis en place diverses mesures en matière de rapports et de procédures — l’obligation de donner un avis écrit sur les raisons du placement, la possibilité pour les personnes incarcérées de retenir les services d’un avocat et de lui donner des instructions sans délai, l’obligation de donner un avis aux services de santé et de recevoir leur visite quotidiennement, et l’examen quotidien des placements par le directeur.

Établissement Drummond —À l’intérieur d’une cellule sèche.

Photo d’une toilette à l’intérieur d’une cellule sèche à l’Établissement Drummond. 

Photo de l’équipement à l’extérieur de la cellule sèche de l’Établissement Drummond.

Établissement Drummond – À l’extérieur de la cellule sèche. 

Malgré cela, le SCC a résisté face à l’établissement de toute limite supérieure quant à la durée pendant laquelle une personne peut être détenue dans une cellule nue qui n’est munie d’aucune plomberie. Si les circonstances décrites dans le jugement de la Cour sont « isolées et localisées » (c’est-à-dire qu’elles ne sont pas de nature systémique), la pratique consistant à détenir un prisonnier dans une cellule nue pendant une période indéfinie est loin d’être inhabituelle. Au cours de la période visée par le rapport, le Bureau est intervenu dans le cas d’une jeune femme autochtone qui a été détenue en cellule nue pendant neuf jours consécutifs. À mon avis, il ne peut y avoir aucune autre raison ou justification pour détenir une personne dans de telles conditions privatives. Comme je l’ai déjà dit, je pense que cette pratique devrait être plafonnée à 72 heures. Après trois jours, je pense que cette procédure est excessive et déraisonnable, voire strictement punitive.

On ne sait pas combien de fois les cellules nues sont utilisées dans les prisons fédérales, car le Service n’est pas obligé de rendre compte publiquement de cette pratique. Plus de dix ans après le premier rapport du Bureau sur cette question, les pratiques varient encore considérablement d’une région à l’autre et même au sein des établissements en ce qui concerne l’interprétation et les procédures de détention en cellule nue. Les mécanismes actuels de tenue des dossiers et de rapports qui sont en place (c’est-à-dire la justification du placement, l’enregistrement des crises, les rapports d’observation, les carnets de bord détaillant les périodes de séjour) ne sont pas cohérents d’un établissement à l’autre. Les rapports d’incident et d’observation des placements en cellules nues sont enfouis dans les dossiers individuels de sécurité préventive.

Plus important encore, il y a peu de vérifications et d’équilibres en place pour examiner ou contester la qualité ou la validité des renseignements utilisés pour placer ou maintenir une personne dans une cellule nue. Les placements de cette nature nécessitent des « motifs raisonnables et probables », un seuil légal qui ne peut être satisfait sur la base d’une intuition ou d’un soupçon personnel. À part de la remise volontaire de la marchandise de contrebande, la seule certitude d’être libéré d’une cellule nue est la défécation, et seulement dans ce cas, s’il y a une sorte de contrebande expulsée et récupérée. Sinon, comme l’illustre l’arrêt de la Nouvelle-Écosse, les placements peuvent se prolonger indéfiniment avec peu de moyens pratiques pour contester, annuler ou mettre fin à ce qui pourrait potentiellement constituer un traitement ou une punition cruel et inhabituel. C’est précisément la nature indéfinie de l’isolement préventif (ou isolement cellulaire), défini comme une absence de deux heures ou moins de la cellule, qui a conduit le gouvernement actuel à abolir cette pratique correctionnelle particulière. On peut dire que l’utilisation de cellules nues est une forme de détention encore plus flagrante, qui ne fait l’objet d’aucune forme d’examen ou de surveillance externe.

On s’attend à ce que les placements de cellules nues soient limités à ce qui est raisonnablement nécessaire et à la période la plus courte possible. Cependant, étant donné les limites des données et de la tenue des registres, il est actuellement impossible de corroborer le nombre réel ou la durée de ces placements. En outre, l’obligation pour les services de santé de surveiller le placement en cellules nues constitue une autre violation de leur rôle de défenseur des patients — un autre problème de « double loyauté » qui oblige de manière inappropriée le personnel des services de santé à s’impliquer dans les questions de discipline et de sécurité.

Pour toutes ces raisons, je conclus que la mesure supplémentaire d’examen interne et de notification que le Service a mise en place pour répondre à la décision de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (obligation de faire rapport à l’AC sur les placements en cellule nue dépassant trois jours) est inadéquate et insuffisante. Cette mesure est loin d’être suffisante pour répondre aux préoccupations et aux intérêts en jeu en matière de vie, de liberté et de dignité.

  1. Je réitère ma recommandation d’interdire tout placement indéfini en cellule nue au-delà de 72 heures. 

     

2. Stratégie antidrogue du Service correctionnel du Canada

Cette mise à jour passe en revue certains aspects de la politique du SCC en matière de drogues. Elle évalue les progrès réalisés pour répondre aux préoccupations et aux obstacles à la participation au Programme d’échange de seringues dans les prisons (PESP), soulevés pour la première fois dans mon rapport annuel 2018-2019. Elle documente également les observations préliminaires du Bureau concernant une mesure connexe de réduction des méfaits — le Service de prévention des surdoses (SPS) — à l’établissement de Drumheller, en Alberta. Elle conclut par quelques commentaires sur la politique de tolérance zéro du SCC en matière de drogues et prévoit à un énoncé de politique plus équilibré, fondé sur des données et mis à jour (Directive du commissaire 585 — Stratégie nationale antidrogue ) afin d’aborder de manière plus complète et avec plus de compassion les méfaits des dépendances et de la consommation de drogues chez les détenus fédéraux.

Programme d’échange de seringues dans les prisons

Dans le rapport annuel 2018-2019 du Bureau, j’ai fait état des difficultés et des obstacles rencontrés lors de la mise en œuvre initiale du Programme d’échange de seringues dans les prisons du SCC. À cette époque (en avril 2019), le programme commençait tout juste à être mis en œuvre dans un nombre restreint d’établissements et il n’y avait qu’une poignée de personnes inscrites. J’ai formulé un certain nombre de conclusions et de recommandations préliminaires pour remédier au nombre étonnamment faible de participants au programme :

  • Une approche de tolérance zéro envers la consommation et la possession de drogues par les détenus est en contradiction avec les principes et les pratiques de réduction des méfaits du PESP. Footnote
  • L’utilisation d’une évaluation de la menace et des risques (EMR) comme condition préalable à la participation au PESP repousse les participants potentiels.
  • L’accès aux aiguilles/seringues n’est pas déterminé en fonction du besoin (échange de seringues selon le principe du un contre un).
  • Absence de points d’accès et de distribution multiples (les seringues usagées doivent être retournées aux Services de santé).
  • Manque de confidentialité des participants/patients.
  • Opposition active parmi le personnel de première ligne.
  • Perception de la participation de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
Image de l’information et du contrat du Programme d’échange de seringues en prison (PESP) du SCC.

L’information et le contrat du PESP du SCC 

À l’exception du dernier obstacle, tous les autres restent des préoccupations actives. Aujourd’hui, le nombre de détenus qui ont exprimé leur intérêt ou qui participent effectivement au Programme d’échange de seringues n’a pas augmenté de manière substantielle, même en tenant compte d’établissements supplémentaires où le PESP a été mis en œuvre par la suite. Actuellement, un service d’échange de seringues fonctionne dans neuf pénitenciers fédéraux, dont les cinq établissements pour femmes. Sur la base d’un profil instantané de mars 2022, 46 personnes participaient au programme, dont sept femmes purgeant une peine de ressort fédéral. Quelques établissements n’ont même pas encore attiré leur premier participant, tandis que quelques autres établissements où le programme avait été mis en œuvre ont été fermés dès le début de la COVID. Le déploiement national progressif prévu du Programme d’échange de seringues a également été temporairement suspendu, apparemment en raison de la pandémie.

Une évaluation intermédiaire du PESP menée par un expert indépendant a fait des constatations similaires à celles du Bureau. Le rapport d’évaluation préliminaire, daté d’octobre 2020, comprenait ces observations et les obstacles à la participation : Footnote

  • 56 % des établissements ayant un PESP n’avaient aucun participant actif au moment de l’évaluation.
  • La majorité des détenus et une partie du personnel de certains établissements où le PESP existait ne connaissaient pas le programme.
  • Incohérence et ambiguïté des critères d’admissibilité au PESP, des procédures d’entreposage et d’élimination des trousses et autres restrictions d’accès entre les établissements.
  • Manque de planification et de préparation adéquates pour la mise en œuvre.

Le Contrat d’information et de programme du PESP (voir image), que les participants doivent accepter et signer, contient de nombreuses relatives au comportement et des critères restrictifs qui pourraient contribuer à expliquer le manque d’intérêt et d’adhésion des détenus au programme. Jusqu’à présent, le programme n’a pas réussi à susciter beaucoup d’intérêt, de confiance ou d’assurance de la part des détenus ou du personnel de première ligne. Il reste un programme essentiellement en nom seulement.

En ce qui concerne les éventuelles « recommandations exploitables fondées sur des données pour la refonte des programmes et des politiques », l’évaluation intérimaire offre plusieurs suggestions pratiques :

  • Réinventer et rafraîchir le matériel promotionnel du PESP et l’approche proactive pour promouvoir et expliquer le programme aux détenus lors de leur admission et au personnel correctionnel et opérationnel.
  • Élaborer un document de politique standardisé pour assurer la cohérence de la mise en œuvre et de la procédure du PESP dans toutes les prisons fédérales.
  • Retirer et communiquer de manière généralisée l’obligation de partager la participation au PESP avec la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
Photo d'une trousse PSEP standard.

Trousse PESP standard 

D’autres mesures connexes de réduction des méfaits ont été approuvées dans l’évaluation à mi-parcours du PESP :

  • Améliorer l’accès au traitement par agonistes opioïdes derrière les barreaux.
  • Rétablir un programme de tatouage plus sécuritaire dans les établissements correctionnels fédéraux.
  • Offrir une plus grande disponibilité de la naloxone.
  • Améliorer l’accès et la distribution d’équipements de reniflage plus sécuritaires.

Il est évident, d’après les conclusions et les recommandations provisoires de l’évaluateur externe, que l’on demande au SCC d’adopter un ensemble plus complet de mesures de réduction des méfaits liés à la consommation de drogues et aux dépendances dans les établissements correctionnels fédéraux, une position que le Bureau appuie depuis longtemps. Le problème, bien sûr, est que les pratiques de répression des drogues du SCC n’adhèrent pas aux principes de la réduction des méfaits et ne les respectent pas. La question demeure : comment y parvenir malgré la résistance et l’opposition au sein d’une culture organisationnelle de tolérance zéro? Un programme connexe de réduction des méfaits, le Service de prévention des surdoses, pourrait constituer un moyen d’aller de l’avant, avec des points d’apprentissage pouvant être mis en œuvre.

Service de prévention des surdoses (SPS)

Photo d’une affiche d’information sur les sites d’injection sécuritaires à l’Établissement de Drumheller.

Établissement de Drumheller — Affiche d’information sur les sites d’injection sécuritaires. 

Le SPS, exploité par les Services de santé, qui est essentiellement un site de consommation sécuritaire dans une prison, fonctionne à l’établissement de Drumheller en Alberta depuis juin 2019. Il s’agit apparemment de la première prison au monde à proposer un tel service, dans lequel les détenus peuvent accéder à des aiguilles, à des seringues, à des garrots et à d’autres équipements et matériels stériles pour s’autoadministrer et consommer une dose de leur substance par visite. Le personnel de santé suit les détenus utilisant le SPS pendant toute la durée de leur consommation et de leur période de rétablissement. Le site est ouvert de 7 h à 19 h. Tout le matériel doit être rendu au personnel soignant présent après utilisation.

Les objectifs établis de la politique et de la pratique du SPS sont les suivants

  • Prévenir les surdoses non mortelles et les décès par surdose
  • Faciliter l’entrée dans les services de traitement de la toxicomanie
  • Réduire le partage à usage multiple d’aiguilles non stériles

     

  • Réduire le partage à usage multiple d’aiguilles non stériles

     

  • Réduire la transmission des infections virales transmises par le sang
Photo du site de prévention des surdoses de l’Établissement de Drumheller en regardant par l’entrée fermée.

Établissement de Drumheller — Site de prévention des surdoses. 

Photo de l’équipement utilisé pour des injections sécuritaires à l’Établissement de Drumheller.

Établissement de Drumheller — Équipement pour des injections sécuritaires. 

Le personnel de santé du SCC qui s’occupe du SPS a reçu une formation spécialisée du Sheldon Schumer Centre de Calgary (un site communautaire de consommation sécuritaire). Le personnel a dû apprendre à cuisiner et à utiliser plusieurs types de substances différentes pour comprendre le contexte de la consommation de drogues injectables et ainsi aider leurs « patients ». La participation au SPS est volontaire (avec un consentement éclairé) et, contrairement au PESP, une évaluation de la menace et des risques n’est pas nécessaire pour y participer. Le Contrat et information sur le patient du SPS, qui précise les attentes et les conditions de participation, sont loin d’être aussi onéreux ou axés sur la sécurité que ceux du PESP. Des antécédents autodéclarés de surdose, de consommation de drogues illicites, de consommation active de drogues et l’expression d’un intérêt à participer au PSP, sont tous des indicateurs fondés sur des données de l’admissibilité à participer au PSP. Le personnel de santé fournit aux participants des renseignements et des conseils sur les pratiques de consommation sans risque dans le contexte du SPS.

Le service lui-même crée une zone de sécurité pour que les participants puissent se rendre de leur unité au site d’injection. En route vers le site, ils ne peuvent pas être accusés de contrebande par le personnel si la quantité de la drogue en question ne dépasse pas les limites de consommation personnelle. Un détenu participant au service n’est pas non plus soumis à des fouilles ou à des analyses d’urine supplémentaires au-delà de ce qui est prévu par la politique (il ne peut pas être isolé ou ciblé). La participation au service ne donne cependant pas carte blanche à la consommation de drogues ou à la possession d’attirail de drogues en dehors du SPS.

Photo du matériel utilisé pour des injections sécuritaires dans un bac en carton à l’Établissement de Drumheller.

Établissement de Drumheller — Équipement pour des injections sécuritaires. 

Photo du site de prévention des surdoses à l’Établissement de Drumheller (intérieur).

Établissement de Drumheller — Site de prévention des surdoses. 

Comme l’a expliqué l’un de mes enquêteurs qui a effectué une visite sur place du SPS en novembre 2021, Drumheller a été choisi pour être le site du premier SPS dans les services correctionnels fédéraux en raison de l’incidence précédemment élevée des surdoses de drogues enregistrées et de la prévalence de la consommation de drogues, estimée à 70 % de l’ensemble des détenus qui consomment. Si, au départ, le personnel non médical s’est montré réticent, les perceptions et les attitudes ont depuis évolué vers une acceptation plus large du programme, en partie grâce à une campagne concertée et proactive des services de soins de santé visant à sensibiliser le personnel et à le faire accepter. Le personnel de première ligne a reconnu que la consommation de drogues et les surdoses de drogues étaient courantes avant la création du SPS. Ils devaient régulièrement administrer du NARCAN et (ou) la RCP à des personnes qui avaient fait une surdose, donc la possibilité de réduire l’occurrence de ces événements et interventions avec le SPS a été bien accueillie. Le SPS fournit également un moyen de diriger les personnes vers un endroit sûr et supervisé pour leur consommation, sans mettre en danger la sécurité du personnel. Selon les renseignements fournis à l’enquêteur affecté à Drumheller, le personnel de première ligne fait désormais activement la promotion du programme auprès des détenus lorsqu’il les trouve en possession ou en train de consommer des drogues ou des attirails.

En ce qui concerne l’adoption et l’utilisation, depuis la première ouverture en juillet 2019 jusqu’à mars 2022, le SPS a reçu 1 566 visites, dont 52 participants. Depuis le lancement du programme jusqu’en mars 2022, il y a eu 20 surdoses de drogue à Drumheller. Aucun de ces cas ne s’est produit au SPS. Aucun décès par surdose n’a été enregistré au cours de cette période.

Dans l’état actuel des choses, le modèle du SPS n’est pas parfait et n’est pas exempt de défauts (par exemple, ressources limitées, accessibilité et heures d’ouverture limitées, manque de soutien pour l’aide par les pairs, disponibilité et distribution de matériel de reniflage plus sécuritaire). Cependant, il offre une pratique exemplaire potentielle dans laquelle l’apprentissage et l’expérience fondés sur des données peuvent être partagés et appliqués à d’autres prisons fédérales. Il convient également de préciser que le SPS n’est pas un substitut ou une alternative à un programme d’échange de seringues repensé et mieux mis en œuvre ou à un meilleur accès à des programmes de traitement clinique et de lutte contre les dépendances fondés sur des données. Ces deux mesures de réduction des méfaits pourraient fonctionner de manière complémentaire pour lutter plus efficacement et en toute sécurité contre les méfaits de la consommation de drogues et de la toxicomanie derrière les barreaux.

La stratégie antidrogue du SCC

La nécessité d’un accès plus large à un plus grand nombre de mesures de réduction des méfaits derrière les barreaux semble désormais incontestable. Entre décembre 2016 — au début de la crise des opioïdes au Canada — et mai 2021, le SCC a augmenté de 185 % le nombre de personnes sous traitement par agonistes opioïdes (TAO). En mars 2022, 3 010 personnes étaient inscrites au TAO (2 774) ou sur une liste d’attente (236), ce qui représente près de 25 % de la population carcérale totale. L’augmentation spectaculaire de la prescription de TAO n’est pas sans soulever des inquiétudes, qui nécessitent une analyse et une évaluation beaucoup plus approfondies.

Si l’on se base uniquement sur les chiffres de la participation au TAO, il est loin d’être clair que le SCC dispose de ressources suffisantes en matière de soins de santé et de conseil pour fournir un soutien et une intervention efficaces et durables en matière de traitement.

Ces questions mises à part, d’autres facteurs, tendances et indicateurs suggèrent que l’approche actuelle du SCC en matière de drogues et de consommation de drogues parmi les détenus penche fortement en faveur de la suppression des drogues et de méthodes de surveillance et d’interdiction toujours plus sophistiquées et coûteuses, comme le fait de détecter et de stopper les largages de drones. Le nombre croissant de saisies de produits de contrebande dans les établissements du SCC, qui a fait un bond considérable pendant la pandémie de COVID-19, laisse supposer une recherche et une saisie plus actives, mais ces activités ne contribuent guère à réduire la demande.

Graphique linéaire illustrant le total des objets interdits saisis par type et par année. Substances intoxicantes/Drogues; 2012-2013 = 2,165; 2013-2014 = 2,597; 2014-2015 = 2,323; 2015-2016 = 2,508; 2016-2017 = 2,566; 2017-2018 = 2,362; 2018-2019 = 3,309; 2019-2020 = 3,948; 2020-2021 = 4,425; 2021-2022 = 4,897. Armes; 2012-2013 = 1,183; 2013-2014 = 1,124; 2014-2015 = 1,216; 2015-2016 = 1,194; 2016-2017 = 1,114; 2017-2018 = 1,263; 2018-2019 = 1,538; 2019-2020 = 1,942; 2020-2021 = 1,947; 2021-2022 = 2,475. Tabac; 2012-2013 = 1,342; 2013-2014 = 1,272; 2014-2015 = 767; 2015-2016 = 643; 2016-2017 = 566; 2017-2018 = 585; 2018-2019 = 848; 2019-2020 = 1,004; 2020-2021 = 889; 2021-2022 = 880

Graphique 1. Contrebande totale saisie par type 

De même, l’augmentation récente et spectaculaire du nombre de tests d’urine aléatoires qui se révèlent positifs (ce qui indique peut-être une « poussée » de la consommation de drogue liée à la COVID) est un autre indicateur de la demande insatiable de drogue derrière les barreaux.

Du côté des politiques, la directive 585 du commissaire : Stratégie nationale antidrogue n’a pas été mise à jour depuis mai 2007. Elle est entièrement redondante et non pertinente. Peu de tentatives ont été faites pour intégrer les mesures plus récentes de réduction des méfaits, comme le PESP et le SPS, ou pour élargir l’accès aux programmes de lutte contre la toxicomanie, dans le cadre d’une stratégie antidrogue plus équilibrée et plus complète pour les services correctionnels fédéraux. L’approche actuelle de tolérance zéro envers les drogues et la consommation de drogues dans les établissements du SCC laisse peu de place à d’autres mesures de non-interdiction fondées sur les données, le traitement, la réduction des méfaits et les principes de prévention. En tant qu’entité fédérale, le SCC est tellement désuet et non conforme à l’approche « globale, collaborative, compatissante et fondée sur des données probantes que le gouvernement du Canada en matière de politique sur les drogues Footnote 3 » qu’il est même difficile de savoir par où commencer pour tenter de rétablir un semblant d’équilibre et de pertinence. Ce qui semble certain, c’est qu’il est à la fois inutile et préjudiciable de continuer à s’appuyer sur une série de mesures de fouille et de saisie humilianteset dégradantes qui ciblent, punissent et disciplinent les personnes pour leur consommation de substances et leur dépendance, des problèmes qui ont souvent contribué à leur incarcération en premier lieu.

  1. En ce qui concerne la Stratégie antidrogue du SCC, je recommande la série de mesures suivantes : 

     
  2. Les critères du Programme d’échange de seringues dans les prisons (PESP) doivent être réorganisés de manière significative afin d’encourager la participation conformément aux recommandations exploitables de ce Bureau et de l’évaluation intermédiaire externe, en vue d’une mise en œuvre nationale complète dans les 12 prochains mois. 
  3. Le Service de prévention des surdoses (SPS) doit être déployé à l’échelle nationale, parallèlement à la mise en œuvre du PESP. 
  4. La directive 585 du commissaire — Stratégie nationale antidrogue — doit être immédiatement mise à jour pour intégrer les principes et les pratiques de réduction des méfaits, de traitement et de prévention fondés sur des données probantes. 
  5. La politique de tolérance zéro du SCC envers la consommation et la possession de drogues doit être rajustée pour se concentrer sur les mesures correctives en ce qui concerne le détournement et le trafic de drogues, plutôt que de stigmatiser, de cibler ou de discipliner les personnes aux prises avec des dépendances ou des troubles de toxicomanie. 

3. Établissement d’Edmonton

Dans mon rapport annuel 2018-2019, j’ai commencé mon étude de cas sur le dysfonctionnement permanent de l’Établissement d’Edmonton par le diagnostic suivant : « L’Établissement d’Edmonton […] est aux prises avec une culture toxique et problématique en milieu de travail, un milieu où les dysfonctionnements, l’abus de pouvoir et le harcèlement sévissent depuis des années. » À ce moment-là, mon Bureau avait déjà signalé les problèmes de l’Établissement d’Edmonton depuis de nombreuses années. Le ministre et les commissaires du Service correctionnel précédents étaient tous deux intervenus personnellement et une série d’examens et d’enquêtes internes avaient été lancés. De nombreuses mesures disciplinaires ont également été prises à l’encontre du personnel de l’établissement, et de multiples enquêtes ont été menées auprès du personnel pour évaluer la culture et les besoins sur le lieu de travail.

Dans ce même rapport, j’ai également rendu publiques les conclusions d’une enquête menée par mon Bureau sur une série d’agressions entre prisonniers survenues à l’Établissement d’Edmonton entre août et octobre 2018. Ces conclusions suggèrent que le personnel de première ligne continue d’agir en toute impunité, permettant aux prisonniers d’agresser d’autres prisonniers à plusieurs reprises sans aucune conséquence. La réponse du commissaire a été rapide et décisive. Des mesures correctives ont été prises, notamment des suspensions de personnel, l’ouverture d’une enquête disciplinaire interne et des mesures de « renouvellement » pour traiter la culture du lieu de travail, comme la nomination d’un nouveau directeur et l’habilitation de la direction à rétablir un environnement de travail sain et respectueux.

Dans mon rapport annuel 2019-2020, j’ai fait le point sur les mesures disciplinaires qui avaient été prises en rapport avec les agressions de détenus. Bien que six des dix membres du personnel du SCC ayant fait l’objet d’une enquête aient été soumis à des mesures disciplinaires mineures, aucun d’entre eux, de rang supérieur, n’a reçu de réprimande d’aucune sorte.

Les visites virtuelles et en personne effectuées pendant la pandémie ont révélé une aggravation des problèmes et des tensions dans cet établissement en difficulté, notamment le manque de personnel, du temps insuffisant passé hors de la cellule, le déclin général de l’humeur et de la santé mentale des détenus, l’entreposage des détenus d’établissements à sécurité moyenne et l’accès restreint aux visites familiales privées. Ces problèmes ont été soulevés auprès du directeur en août 2021. Malgré un certain nombre de mesures prises par l’établissement pour régler ces problèmes, mon Bureau a continué à recevoir de nombreux appels, plaintes et demandes de renseignements liés à des allégations continues et très graves à l’Établissement d’Edmonton.

En novembre 2021, mon Bureau a effectué une visite exceptionnelle à huis clos de l’Établissement d’Edmonton, qui s’est déroulée sur trois jours (du 1er au 3 novembre 2021). Deux de mes enquêteurs principaux ont rencontré et interrogé des détenus de toutes les sous-unités, ainsi que des employés et des responsables de tous les services. Ils ont également mené une série d’entrevues approfondies avec plusieurs membres de l’équipe de direction, et ont recueilli les carnets de bord des unités et d’autres documents.

Les conclusions préliminaires ont été communiquées au commissaire le 12 novembre 2021, et comprenaient les éléments suivants :

  • Le nombre croissant de sous-populations rend presque tous les mouvements de groupe impossibles.
  • La surpopulation et la double occupation des cellules, deux phénomènes inhabituels dans les prisons à sécurité maximale.
  • L’entreposage des prisonniers d’établissements à sécurité moyenne.
  • Pendant des mois, les unités régulières ont eu un maximum de trois heures hors cellule, par jour.
  • L’accès hors cellule est limité à la salle de sport, aux mini-cours ou aux salles communes; certaines unités sont limitées à 50 minutes de temps de pause, derrière des barrières, deux fois par semaine.
  • L’accès aux douches, aux téléphones et à la buanderie est limité à des créneaux de 15 minutes, une personne à la fois, une ou éventuellement deux fois par jour en fonction du personnel.
  • Une liste d’attente d’un an pour accéder aux services de santé mentale.
  • Un poste de visite vidéo par ordinateur pour desservir 258 détenus.
  • Aucun programme, aucune occasion de travail significative, l’accès à l’éducation est limité aux études en cellule, et les repas sont pris seuls et en cellule.

Mes enquêteurs ont observé des conditions de détention oppressives et intolérables à tous points de vue. Pour être clair, les restrictions des services et du temps hors cellule à l’Établissement d’Edmonton vont bien au-delà des effets ou de l’impact de la pandémie de COVID-19. Aussi inquiétant, il a semblé que des tensions et des conflits de longue date entre les différents groupes de personnel et la direction avaient refait surface. Il y avait peu de respect pour la direction dans les rangs de première ligne. Certains membres du personnel ont décrit la chaîne de commandement comme étant « brisée ». Le nombre d’agents correctionnels en congé de longue durée est extrêmement préoccupant et témoigne d’un milieu de travail en crise. Le manque de personnel restreint l’accès à toutes les formes de services et de programmes, y compris les soins de santé mentale et physique. Le personnel des programmes, de l’éducation et de la santé mentale n’a qu’un accès extrêmement limité à la population, et la communication avec les agents de libération conditionnelle se limite à des formulaires de demande ou passe par un agent de service.

Photo d’un autocollant du SACC indiquant « Indicateur de moral » avec un compteur pointant vers un tas fumant d’excréments.

Autocollant du syndicat des agents correctionnels du Canada (SACC) 

À la lumière de ces conclusions préliminaires, j’ai suggéré une intervention au niveau national, y compris une assistance et un soutien immédiats de la part du commissaire. Le 8 décembre 2021, j’ai reçu une réponse satisfaisante du commissaire, qui a partagé mes préoccupations et m’a assuré que des mesures correctives étaient déjà en cours. Ces mesures comprennent :

  • La remise en place de réunions en personne du comité consultatif de citoyens. Des réunions régulières comprenant les différentes divisions de l’établissement permettraient d’examiner les routines en établissement et le transfert des personnes en temps voulu.
  • Les réunions de gestion de la population reprendront, et recevront les contributions des représentants d’unité et des autres détenus pour promouvoir et planifier les stratégies de réinsertion.
  • La création d’un comité chargé du bien-être des détenus, qui se réunirait régulièrement avec la haute direction.
  • Un examen complet des interventions sur place, y compris l’accès en temps opportun aux agents de libération conditionnelle, l’accès à des programmes correctionnels/d’éducation en dehors de la cellule et l’accès à des interventions culturelles.
  • Au 8 décembre 2021, le nombre de prisonniers en occupation double est passé de 18 à 6, et 13 des 23 prisonniers à sécurité moyenne ont été transférés dans des établissements à sécurité moyenne.
  • Des consoles de visite vidéo supplémentaires ont été installées, portant le total à quatre.
  • L’administration centrale travaille avec l’établissement et la région pour résoudre les problèmes de recrutement et de maintien du personnel.

Les échanges entre mon Bureau, la direction de l’Établissement d’Edmonton et la participation de l’administration centrale sont des exemples de ce que j’appellerais « la surveillance en action ». Bien que la situation à l’établissement d’Edmonton soit loin d’être idéale et que les problèmes systémiques signalés soient loin d’être résolus, la collaboration et la réactivité du commissaire pour tenter de répondre aux conclusions et aux préoccupations du Bureau sont encourageantes. Mon Bureau continuera à surveiller de près la situation à Edmonton et à intervenir si nécessaire.


4. Unités d’intervention structurée

En novembre 2019, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été modifiée pour abolir l’isolement cellulaire en remplaçant le régime antérieur d’isolement préventif par des unités d’intervention structurée (UIS). Dans mon rapport annuel 2020-2021, j’ai fait part de mes observations préliminaires sur les UIS, qui ont été mises en œuvre en novembre 2019. À l’époque, j’ai fait quatre observations majeures :

  1. Le manque de données et de transparence de la part du SCC en ce qui concerne les opérations d’UIS a rendu difficile l’évaluation de sa conformité à la législation. 

     
  2. Le retrait rapide des détenus des UIS et le respect des décisions de renvoi des décideurs externes indépendants (DEI) ont constitué un défi. 

     
  3. Certaines personnes trouvent que les conditions de vie à l’UIS sont plus favorables que celles de la population carcérale régulière à sécurité maximale, en raison de leur meilleur accès aux services et aux interventions, aux visites quotidiennes des infirmières et des directeurs, aux possibilités accrues d’interaction avec le personnel n’appartenant pas à la sécurité et à la possibilité de passer plus de temps hors de la cellule. Étant donné cette situation, certaines personnes refusent de quitter les UIS, comme en témoignent même les DEI. 

     
  4. La pandémie a généralement épargné aux personnes confinées dans les USI l’impact restrictif que la COVID-19 a eu sur les prisons en général, à l’exception des fermetures pendant les éclosions dans les établissements. 

     
Photo de l’équipement d’exercice de l’UIS dans la cour de l’Établissement de Stony Mountain.

Établissement de Stony MountainÉquipement d’exercice de l’UIS dans la cour. 

Photo de la salle culturelle de l’UIS à l’Établissement de Stony Mountain.

Établissement de Stony Mountain — Salle culturelle de l’UIS. 

Photo de l’UIS à l’Établissement d’Edmonton pour femmes.

Établissement d’Edmonton pour femmes — UIS. 

Sur la base de ces constatations, j’ai recommandé que le SCC rende public un registre trimestriel des autorisations de transfert des UIS et qu’il établisse un calendrier indiquant comment il prévoit de satisfaire aux exigences de déclaration prévues par la loi.

Photo de la cour de l’UIS à l’Établissement Port-Cartier.

Établissement Port-Cartier — Cour de l’UIS. 

Au cours de la période considérée, j’ai appris que le Service tenait un registre interne des indicateurs des UIS. L’analyse de ces données par mon Bureau a mis en évidence des résultats très inquiétants, notamment en ce qui concerne les résultats différentiels des UIS pour les Noirs, les Autochtones et les personnes de couleur (BIPOC). Mon Bureau a constaté ce qui suit en ce qui concerne les UIS en 2020-2021 Footnote 4 :

  • Environ la moitié des séjours en UIS ont duré 15 jours ou plus, et un tiers ont duré 30 jours ou plus.
  • Dans l’ensemble, les personnes BIPOC ont connu des séjours plus nombreux et plus longs en UIS que les personnes blanches.
  • Les Noirs semblent avoir de moins bons résultats que les autres groupes en ce qui concerne les résultats en UIS. Par exemple, ils étaient presque deux fois plus susceptibles que les personnes de race blanche d’être placés dans une UIS, et étaient plus susceptibles que les autres groupes de connaître des séjours de 60 jours ou plus dans une UIS.
  • Par rapport aux personnes non autochtones, les personnes autochtones ont été transférées dans des UIS à un taux beaucoup plus élevé et étaient plus susceptibles de faire l’objet de séjours de 15 jours ou plus en UIS.
  • Les données suggèrent également que le SCC ne respecte pas entièrement ses obligations légales d’offrir quatre heures de sortie de cellule et deux heures d’interaction humaine significative.

En février 2022, j’ai fait part de mes conclusions et de mes préoccupations dans une correspondance adressée au commissaire, notamment le fait que ces données étaient censées avoir été rendues publiques. J’ai également souligné mes préoccupations concernant les conditions générales de détention dans les établissements à sécurité maximale, qui résultent en partie de la mise en œuvre des UIS. Comme nous l’avons indiqué, certains détenus refusent de quitter les UIS parce qu’ils ont l’impression que les conditions en UIS sont moins restrictives ou plus sûres que l’environnement de la population carcérale ordinaire. De plus, j’ai remarqué une croissance substantielle et spectaculaire des sous-populations dans un certain nombre d’établissements à sécurité maximale, ce qui contribue à des conditions de détention plus restrictives, à des incompatibilités et à des personnes à sécurité moindre qui attendent un transfèrement. Je rends compte de mes conclusions en ce qui a trait aux établissements à sécurité maximale de manière plus détaillée plus loin dans ce rapport annuel.

En réponse à ma correspondance, le commissaire a salué le travail du Service pour maintenir un faible nombre de personnes au sein d’UIS et a indiqué qu’il a enquêté sur les problèmes mis en évidence dans l’analyse des indicateurs des UIS par mon Bureau ainsi que dans les environnements à sécurité maximale. Au-delà de la reconnaissance de mes préoccupations, aucune mesure ou initiative concrète n’a été cernée qui indiquerait comment ces questions seront traitées.

J’ai également fait part de mes conclusions sur les UIS à M. Howard Sapers, qui a été nommé en avril 2021 par le ministre de la Sécurité publique à la présidence d’un nouveau Comité consultatif sur la mise en œuvre des UIS (CC UIS). Le CC UIS a été créé pour surveiller, évaluer et rendre compte des questions liées à la mise en œuvre continue des UIS. J’ai toute confiance que M. Sapers et le CC UIS demanderont des comptes au SCC en ce qui concerne la mise en œuvre continue des UIS et les résultats disproportionnés pour les personnes BIPOC.

Photo de l’espace commun de l’UIS à l’Établissement Port-Cartier.

Établissement Port-Cartier — Espace commun de l’UIS. 

Photo de la rangée de cellules de l’UIS à l’Établissement Bowden.

Établissement Bowden — La rangée de cellules de l’UIS. 


5. Surreprésentation des femmes autochtones dans les milieux de garde fermés (sécurité maximale)

Les femmes autochtones continuent de représenter l’une des populations incarcérées au niveau fédéral qui connaît la plus forte croissance au Canada. En décembre 2021, mon Bureau a publié un communiqué de presse contenant des données montrant que la proportion de femmes autochtones incarcérées n’a cessé d’augmenter et qu’elle atteint presque 50 % de toutes les femmes purgeant une peine fédérale. Le 28 avril 2022, le nombre de femmes autochtones incarcérées a atteint 50 % pour la première fois (298 femmes autochtones et 298 femmes non autochtones en détention fédérale). Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que parmi les femmes classées au niveau de sécurité maximale, près de 65 % sont des Autochtones. Malheureusement, il ne s’agit pas de nouveaux développements dans les services correctionnels fédéraux. Mon Bureau et d’autres organismes font état de l’autochtonisation des services correctionnels canadiens depuis des années. Un examen plus approfondi de la situation révèle que cette surreprésentation est en grande partie le résultat de préjugés et de racisme systémiques, notamment d’outils d’évaluation des risques discriminatoires, d’une gestion des cas inefficace, de retards et d’inerties bureaucratiques.

Graphique linéaire illustrant la proportion de femmes dans les établissements à sécurité maximale de 2012 à 2022, selon les Autochtones et les non-Autochtones. Autochtones 2012-2013 = 53%, 2013-2014 = 58%, 2014-2015 = 48%, 2015-2016 = 43%, 2016-2017 = 46%, 2017-2018 = 63%, 2018-2019 = 56%, 2019-2020 = 56%, 2020-2021 = 59%, 2021-2022 = 64%, 2022-2023 = 68%. Non-Autochtones, 2012-2013 = 47%, 2013-2014 = 42%, 2014-2015 = 52%, 2015-2016 = 57%, 2016-2017 = 54%, 2017-2018 = 37%, 2018-2019 = 44%, 2019-2020 = 44%, 2020-2021 = 41%, 2021-2022 = 36%, 2022-2023 = 32%

Graphique 2. Proportion de femmes en sécurité maximale de 2012 à 2022 Autoctones et non-autochtones 

Que savons-nous aujourd’hui des femmes autochtones dans les unités de garde?

  • Un examen des données du SCC extraites le 9 avril 2022 révèle ce qui suit : 29 des 45 (64,4 %) femmes classées au niveau de sécurité maximale sont autochtones.
  • 25 des 29 femmes autochtones (86,2 %) sont considérées comme étant à haut risque et à besoin élevé.
  • 20 femmes autochtones sur 29 (69 %) sont nées après 1990, ce qui reflète une population plus jeune.
  • Le taux le plus élevé de surreprésentation des femmes autochtones se trouve dans la région des Prairies.
  • Parmi les femmes autochtones classées au niveau de sécurité maximale :
    • 8 femmes purgent des peines de durée indéterminée, avec des dates de début de peine allant de 1990 à 2021;
    • 14 femmes purgent des peines de moins de quatre ans;
    • Trois femmes purgent des peines comprises entre quatre et six ans;
    • Trois femmes purgent des peines comprises entre 6 et 10 ans;
    • 1 femme purge une peine déterminée de plus de 10 ans.

Échelle de classement par niveau de sécurité et processus de détermination de la cote de sécurité

Dès le début du processus de placement en détention, les femmes autochtones sont désavantagées. L’outil de classification par niveau de sécurité utilisé par le SCC pour toutes les personnes purgeant une peine fédérale est l’Échelle de classement par niveau de sécurité (ECNS). Il s’agit d’un instrument actuariel statique conçu pour, et testé sur, une population composée avant tout de délinquants blancs. Depuis des années, de graves lacunes de ce principal outil d’évaluation ont été signalées au Service — notamment pour son application inappropriée aux femmes et aux minorités visibles. Voici quelques-unes de ces critiques :

  • 2001 : Une étude financée par Condition féminine Canada a recommandé au SCC « d’examiner et de concevoir une méthode d’évaluation et de classification qui tienne compte du genre et de l’origine ethnoculturelle Footnote 5 ».
  • 2006 : La Revue canadienne de criminologie et de justice pénale a publié une étude prouvant que l’Échelle de classement par niveau de sécurité présente un biais systématique à l’encontre des détenus autochtones (par rapport aux non autochtones), une proportion importante de femmes autochtones étant injustement surclassées à des niveaux de sécurité plus élevés Footnote 6 .
  • 2012 : Sécurité publique Canada a publié un rapport indiquant que l’échelle ne tient pas compte de la culture et du genre, de sorte que les femmes autochtones sont doublement désavantagées sur le plan de la race et du genre Footnote 7 .
  • 2017 : Le Bureau du vérificateur général du Canada a recommandé que le Service correctionnel du Canada examine les moyens d’améliorer son processus de détermination de la cote de sécurité afin de tenir compte de façon appropriée des facteurs de risque pour les femmes incarcérées Footnote 8 .

Le Bureau a soulevé à plusieurs reprises des inquiétudes quant à l’utilisation de l’ECNS pour les femmes, et en particulier pour les femmes autochtones. En 2009, la surreprésentation des détenus autochtones dans les établissements à sécurité supérieure a été examinée dans un rapport publié par mon Bureau, intitulé, De bonnes intentions, des résultats décevants : Rapport d’étape sur les services correctionnels fédéraux pour Autochtones . À ce moment-là, les préoccupations concernant l’ECNS avaient déjà été signalées depuis plus de dix ans. Vingt-cinq ans plus tard, l’ECNS est toujours utilisée. Je ne peux pas m’empêcher de demander : Pourquoi?

Le SCC a toujours défendu l’ECNS, indiquant qu’il n’est pas le seul outil utilisé dans le processus de détermination de la cote de sécurité. Par conséquent, conformément à la directive 705-7 du commissaire : Cote de sécurité et placement pénitentiaire , les domaines de l’adaptation des établissements, du risque d’évasion et de la sécurité publique sont également évalués. Une partie de cette évaluation porte sur l’emploi, l’éducation, l’adaptation conjugale/familiale, les relations interpersonnelles, la consommation d’alcool et de drogues et les conditions de vie — des domaines dans lesquels les femmes autochtones sont plus susceptibles d’obtenir des résultats élevés. De plus, comme dans toute prise de décision concernant les prisonniers autochtones, les antécédents sociaux des Autochtones doit être prise en compte. La question est de savoir si le CSS tient compte de ces domaines de manière adéquate et appropriée lorsqu’il prend des décisions lors de la détermination de la cote de sécurité. Au lieu d’utiliser ces renseignements dans le seul but d’éclairer les besoins en matière de programmation, de traitement et d’intervention, ils semblent être utilisés contre ces femmes comme indicateurs de risque.

Antécédents sociaux des Autochtones

Le processus de prise de décision pour tous les prisonniers autochtones doit tenir compte des antécédents sociaux des Autochtones (ASA). L’ASA examine les facteurs sociaux et historiques directs et indirects qui ont eu un impact sur la personne et ont contribué à son implication dans le système de justice pénale. L’évaluation a pour but de garantir que les circonstances uniques des prisonniers autochtones sont prises en compte et que des options réparatrices et culturellement appropriées sont envisagées et proposées. En théorie, il devrait s’agir d’un exercice très complet d’examen et d’analyse des circonstances collectives et individuelles. Dans la pratique, cependant, les ASA ne consistent généralement qu’en une liste de facteurs qui ont eu un impact sur la personne. Il est rare de voir une analyse de ce que cela signifie en termes de gestion de cas ou de stratégies d’atténuation, et il est rare de voir des options de rechange ou réparatrices présentées dans le cadre de l’évaluation des ASA.

Citations des évaluations des ASA

Bien que le SCC offre une certaine formation et un outil sur les antécédents sociaux des Autochtones pour guider les agents de gestion de cas, tout au long de cet examen et lors de conversations informelles au fil des ans, le personnel a signalé à mes enquêteurs que la formation n’est pas suffisante pour bien comprendre et faire un lien entre les antécédents sociaux des Autochtones d’une personne et son plan de risque et de gestion de cas.

« Je fais du mieux que je peux, mais une formation supplémentaire est nécessaire. » 
– Citation d’un agent de libération conditionnelle en établissement 

Sans prendre en compte de manière adéquate tous les facteurs qui ont amené une femme autochtone à avoir des démêlés avec le système de justice pénale, l’ECNS et le processus d’évaluation ne comprennent pas la corrélation entre les circonstances de vie collectives et individuelles d’une femme autochtone. Le résultat est une pratique discriminatoire Footnote

.

Le SCC a informé mon Bureau qu’il a financé et conclu un contrat avec l’Université de Regina pour examiner le processus de détermination de la cote de sécurité dans son ensemble. Il s’agit d’un processus « de base » mené par une équipe autochtone.

  1. Je recommande au SCC d’accorder la priorité à l’examen actuel du processus de détermination de la cote de sécurité, particulièrement en ce qui concerne les femmes autochtones. Dans l’intervalle, je recommande que les antécédents sociaux des Autochtones (ASA) soient évalués de manière significative pour chaque décision rendue et que le personnel chargé de la gestion des cas reçoive une formation et un soutien adéquats pour appliquer les ASA. 

     

Les femmes autochtones en milieu de garde fermé

Les milieux de garde fermés, comme leur nom l’indique, sont des zones distinctes à chaque établissement régional avec une sécurité statique et dynamique élevée et des déplacements limités. Ces milieux ont été créés dans les établissements correctionnels pour femmes en 1999, avec l’instauration de la Stratégie d’intervention intensive dans les établissements pour femmes , et sont destinés à héberger les femmes à sécurité maximale présentant un risque élevé ou des besoins importants, qui nécessitent un niveau accru de dotation en personnel, de soutien, de conseil ou d’autres aspects de la sécurité dynamique. Comme mon Bureau l’a signalé par le passé, les milieux de garde fermés sont des environnements où les femmes sont soumises à des routines modifiées, à des déplacements restrictifs, à des défis de gestion de la population, à l’absence d’espace physique, à des tensions accrues au sein de la population, à des incidents, à des crises de santé mentale et à l’isolement. L’environnement, les infrastructures et le manque de ressources font qu’il est souvent difficile pour les femmes de faire un transfèrement à un niveau de sécurité inférieur en temps voulu. En outre, ces milieux sont les plus coûteux à exploiter.

Photo de la cour de l’UIS et de l’unité de garde en milieu fermé de l’Établissement Nova.

Établissement Nova - UIS et cour de l’unité de garde en milieu fermé. 

Aujourd’hui, les milieux de garde fermés sont très éloignés du modèle progressif proposé à l’origine dans la philosophie de La création de choix .

« [Le groupe de travail de La création de choix] a été informé par les femmes purgeant une peine de ressort fédéral qu’elles avaient besoin de soutien, et non de sécurité. De nombreuses autres personnes consultées pensent également que le système de sécurité traditionnel est peu pertinent pour les femmes dont les systèmes de valeurs sont davantage ancrés dans les relations que dans les systèmes. (…) Le modèle punitif est donc particulièrement peu pertinent et difficile dans ses effets sur les femmes [autochtones] Footnote 10 ».

Les cinq principes qui font partie intégrante de l’approche correctionnelle axée sur la femme — responsabilisation, choix valables et responsables, respect et dignité, environnement de soutien et responsabilité partagée — sont en fait inexistants dans les milieux de garde fermés. De plus, ils abritent une population majoritairement autochtone.

Alors que de nombreuses femmes autochtones présentant un risque et des besoins élevés peuvent bénéficier d’un environnement plus structuré, l’approche restrictive et axée sur la sécurité adoptée dans le milieu de garde fermé exacerbe souvent les problèmes de santé mentale, empêche une participation significative aux interventions et éloigne encore plus les femmes autochtones de leur culture.

« Je ne veux pas mourir ici. » 
– Citation d’une femme autochtone dans le milieu de garde fermé. 

Photo de la zone commune de l’unité de sécurité maximale de l’Établissement de Grand Valley.

Établissement de Grand Valley — Zone commune d’une unité de sécurité maximale. 

Dans les milieux de garde fermés, les femmes à sécurité maximale sont également soumises à un système de classification, ou niveau, unique. Par conséquent, ce système entraîne des restrictions de déplacement qui touchent de manière disproportionnée les femmes autochtones, étant donné leur surreprésentation dans les établissements à sécurité maximale. Mon Bureau a déjà fait état de préoccupations importantes concernant ce système de niveau dans le passé. Dans mon rapport annuel 2016-2017, j’ai recommandé l’annulation du système de niveaux dans les établissements correctionnels pour femmes, car il est arbitraire et n’est pas inclus dans la loi. Les niveaux de déplacement ont été remplacés par le Plan de déplacements en vue de la réintégration en 2019, avec la promulgation de la directive 578 révisée du commissaire, Stratégie d’intervention intensive dans les établissements pour femmes . Bien que les révisions aient porté sur les délais d’examen et d’enregistrement, ainsi que sur les critères du plan, les exigences en matière de supervision du personnel et les pouvoirs de décision, la réalité est que le système de niveaux reste en vigueur.

Des femmes ont signalé au Bureau que le fait de « perdre leur niveau » (c.-à-d. le fait d’être davantage restreint dans leurs déplacements hors du milieu de garde fermé) a des effets dévastateurs. Pour les femmes autochtones, cela peut signifier qu’elles n’ont plus accès aux cérémonies (par exemple, les sueries) ou aux événements culturels (par exemple, les tambours) dans l’enceinte principale, qui ne sont pas disponibles dans le milieu de garde fermé. Ces femmes rapportent que lorsqu’elles ont le plus besoin de ces soutiens, elles ne sont pas autorisées à y participer. Par conséquent, elles ont le sentiment que l’accès à leur culture est quelque chose qui se mérite.

  1. Une fois de plus, je recommande que le système de niveaux pour les femmes placées dans des unités à sécurité maximale cesse immédiatement. 

     
Photo de la zone commune d’une unité de sécurité maximale de l’Établissement de Grand Valley.

Établissement de Grand Valley — Zone commune d’une unité de sécurité maximale. 

L’accès à la culture est un droit, et non un privilège. Les milieux de garde fermés ne sont pas équipés ni dotés des ressources nécessaires pour apporter le soutien culturel et les ressources dont les femmes autochtones ont besoin. Par exemple, tous les milieux de garde fermés ne disposent pas d’un lieu sacré, d’un Aîné, d’un personnel autochtone ou d’un programme d’intervention préparatoire aux Sentiers autochtones. Les interventions et les services sont nettement plus limités pour une population de femmes dont les besoins sont jugés élevés. Une femme autochtone a expliqué à mon personnel qu’elle ne pouvait pas faire d’ouvrages en perles sans l’accompagnement d’un membre du personnel, car la petite aiguille utilisée est considérée comme un risque pour la sécurité. Le perlage est un passe-temps traditionnel et thérapeutique pour de nombreux Autochtones et le fait d’avoir recours à des pratiques trop sécurisées qui entravent cette activité s’écarte clairement de la philosophie de , La création de choix. 

Les enquêtes et les inspections menées par mon Bureau ont révélé que de nombreux milieux de garde fermés ne disposent pas d’une liste d’intervenants de première ligne qui assurent une présence constante dans l’unité. En outre, la proportion de personnel autochtone est loin de correspondre à la proportion de prisonnières autochtones. Bien que certaines femmes autochtones aient indiqué à mon Bureau que le personnel non autochtone pouvait être compréhensif et respectueux, d’autres ont déclaré que le fait de travailler avec du personnel ayant une histoire et une culture communes était beaucoup plus bénéfique et leur permettait de mieux communiquer.

Photo du terrain de l’unité de sécurité maximale de l’Établissement de Grand Valley.

Établissement de Grand Valley — Terrains de l’unité de sécurité maximale. 

De nombreuses femmes décrivent le sentiment d’être dans le milieu de garde fermé comme comparable à celui d’être retirées de leur communauté d’origine. Un placement dans le milieu de garde fermé est, en soi, une autre forme de déracinement et de déplacement. Les femmes qui ont connu le système des pensionnats ou qui ont un membre de leur famille qui l’a fréquenté se disent particulièrement stressées dans les milieux de garde fermés. Certaines femmes ont parlé de la façon dont le système de justice pénale et les prisons perpétuent la colonisation, entraînant les mêmes conséquences. Les formes modernes de colonisation et leurs effets restent omniprésents et insidieux. Pour les femmes autochtones incarcérées, cela peut signifier être déracinée de sa communauté et envoyée dans un établissement fédéral loin de chez elle, ou être isolée dans une unité qui ne répond pas à ses besoins.

  1. Je réitère ma recommandation de mettre en place des hébergements alternatifs pour les femmes logées dans les milieux de garde fermés et de les fermer éventuellement. Le financement et les ressources actuellement consacrés au fonctionnement des milieux de garde fermés devraient être réorientés pour mieux soutenir et répondre aux besoins uniques des femmes, en particulier des femmes autochtones. 

     

Pratiques exemplaires

Tout au long de cette étude, l’établissement de la vallée du Fraser a réussi à réduire considérablement le nombre de femmes autochtones — et de femmes en général — dans son milieu de garde fermé. Voici quelques pratiques exemplaires qui ont été suivies :

  • Un examen rigoureux de tous les cas sur une base bihebdomadaire;
  • Un examen des stratégies d’atténuation qui pourraient être mises en œuvre dans les établissements à sécurité moyenne (par exemple, le placement dans un milieu de vie structuré ou dans un environnement de soutien accru, des soutiens supplémentaires);
  • La participation du délinquant au plan de transition;
  • La continuité des soins;
  • L’épuisement de toutes les options avant le placement dans le milieu de garde fermé;
  • La participation combinée du Bureau du renseignement de sécurité et de l’aîné pour gérer les tensions entre gangs,
  • Un aîné dédié au milieu de garde fermé.

6. Programme mère-enfant

La séparation mère-enfant par l’emprisonnement de la mère peut avoir des effets dévastateurs sur les personnes et les familles qui vont bien au-delà de la durée de la peine d’emprisonnement. Bon nombre des perturbations développementales, émotionnelles et pratiques subies par les enfants, ainsi que les conséquences traumatiques des mères séparées de leurs enfants par l’expérience de l’incarcération, ont été bien documentées Footnote 11 . Pour tenter de résoudre ce problème, en 2001, les services correctionnels fédéraux ont mis en œuvre leur première politique officielle sur le programme mère-enfant en établissement dans tous les établissements pour femmes, en grande partie en réponse aux recommandations émises par le Groupe d’étude sur les femmes purgeant une peine fédérale dans son rapport de 1990, intitulé La création de choix Footnote 12 .

Le programme mère-enfant, tel que décrit dans la directive 768 du commissaire : Le programme mère-enfant en établissement est « un continuum de services et de soutiens qui vise à favoriser des relations positives entre les mères incarcérées dans des établissements et milieux de garde fermés et leur enfant et à fournir un environnement de soutien qui contribue à la stabilité et à la continuité de la relation mère-enfant ». Essentiellement, le programme permet à certaines mères incarcérées de demander que leurs enfants résident avec elles, à temps plein ou à temps partiel, dans le cadre du volet de cohabitation (les enfants vivent avec leur mère en détention); sinon, toute mère peut demander à participer au volet non résidentiel (qui comprend des services tels que des visites vidéo, des visites familiales privées et (ou) l’enregistrement d’histoires). Les mères incarcérées ne sont pas automatiquement invitées à demander à participer au programme et la disponibilité des places pour la participation dépend de la « capacité de l’établissement »; par conséquent, toutes les mères ne sont pas admissibles et toutes les mères admissibles n’ont pas la possibilité de participer.

Rapport de la Bibliothèque du Parlement sur le programme mère-enfant

En janvier 2022, la Bibliothèque du Parlement a produit un rapport sur le Programme mère-enfant en établissement du SCC Footnote 13 . Le rapport décrit l’évolution du programme depuis sa création, donne un aperçu des données disponibles sur les taux de participation et résume les recherches existantes (principalement aux États-Unis) sur les effets de l’incarcération de la mère sur les enfants. Les principales conclusions du rapport, en ce qui concerne le Programme fédéral mère-enfant en établissement, sont les suivantes :

  1. Données/suivi insuffisants : Le programme a été « sous-étudié et sous-documenté ». Aucune évaluation formelle n’a été réalisée, il existe peu de données concrètes sur la participation au programme et les participants, et l’information descriptive de base sur les enfants qui ont participé au programme chaque année est inconnue (par exemple, le nombre total, l’âge, la durée du séjour).
  2. Faible taux de participation : Les taux de participation ont été faibles depuis la création du programme et les fluctuations des taux de participation ont correspondu aux changements apportés aux critères d’admissibilité du programme en 2008 et en 2016.
  3. Critères restrictifs : Les critères d’admissibilité restrictifs des programmes contribuent aux faibles taux de participation en général, et pour les femmes autochtones en particulier.
  4. Pratiques incohérentes : Les approbations et les taux de participation varient considérablement selon les établissements.
  5. Impacts inconnus sur les enfants : There is currently no research examining the experiences of or impacts on, children of whom participated in the Mother-Child Program in Canada.

J’aimerais souligner quelques-uns des sujets de préoccupation cernés dans le rapport de la Bibliothèque du Parlement, que le Bureau a également soulevés précédemment.

Critères d’admissibilité restrictifs et faible participation

Au total, 154 mères ont participé au Programme mère-enfant en établissement au cours des vingt années d’existence du programme (voir tableau 1), avec un taux de participation annuel médian de cinq mères par an. Malheureusement, le SCC n’assure pas le suivi du nombre total de femmes incarcérées qui sont des mères, de sorte qu’il est difficile de déterminer qui pourrait avoir besoin d’un tel programme ou y être admissibles; toutefois, selon certaines estimations, environ 66 % des femmes incarcérées au fédéral sont des mères Footnote 14 . Dans le contexte du nombre de femmes en détention fédérale aujourd’hui, cela représenterait près de 400 mères incarcérées Footnote 15 . Cinq mères participent au programme chaque année; il ne semble pas que ce programme réponde aux besoins d’une partie importante des mères incarcérées.

Il est compréhensible que, dans le but de protéger et de promouvoir l’intérêt supérieur de l’enfant, les critères d’admissibilité au programme aient été rigoureux; toutefois, les changements apportés en juin 2008 ont permis de restreindre considérablement les personnes admissibles Footnote 16 . Ces changements comprennent :

  • Exclure du programme les personnes reconnues coupables de crimes graves avec violence envers des enfants ou de nature sexuelle;
  • Limiter le programme à temps partiel aux enfants de six ans ou moins;
  • Exiger le soutien des services à l’enfant et à la famille locaux avant que la participation d’une délinquante au Programme ne soit approuvée;
  • Réévaluer l’admission au Programme des délinquantes qui refusent que leurs enfants fassent l’objet d’une fouille pour de la drogue ou d’autres produits de contrebande, avant d’entrer dans l’établissement.

Tableau 1. Décisions finales sur les demandes du Programme mère-enfant par année financière Footnote 17 

DÉCISION FINALE 

02-03 

03-04 

04-05 

05-06 

06-07 

07-08 

08-09 

09-10 

10-11 

11-12 

12-13 

13-14 

14-15 

15-16 

16-17 

17-18 

18-19 

19-20 

20-21 

21-22 

TOTAL 

APPROUVÉ

2

4

1

1

5

9

3

3

4

3

1

3

6

14

24

13

18

20

13

7

154

NON APPROUVÉ

1

2

1

3

2

1

1

1

3

2

2

7

3

29

TOTAL

2

4

2

1

7

10

6

5

4

4

1

3

7

15

27

15

20

20

20

10

183

À la suite à ces modifications des critères d’admissibilité, les taux de participation déjà faibles ont encore baissé. Préoccupé par le fait que le programme n’existe plus que de nom, mon Bureau a émis une recommandation dans son rapport annuel 2009-2010 selon laquelle le Service devrait « revoir les restrictions d’admissibilité au Programme mère-enfant en vue de maximiser une participation sûre ». Bien que la participation ait augmenté de manière assez significative en 2015-2016, probablement en raison des modifications apportées aux critères d’admissibilité et de la mise en œuvre d’un volet avec cohabitation à temps partiel pour les enfants jusqu’à l’âge de la majorité, les taux sont restés obstinément bas Footnote 18 . Les chiffres de participation que ce Bureau a obtenus directement des cinq établissements étaient inférieurs à ceux obtenus à partir des données internes du SCC. Au 31 mars 2022, les établissements ont indiqué qu’il n’y avait que quatre femmes participant au programme mère-enfant (deux à temps plein et deux à temps partiel). Si la pandémie de COVID-19 a sans aucun doute eu un impact sur la capacité de ce programme à fonctionner comme prévu (comme c’est le cas pour la plupart des autres programmes de l’établissement), les faibles taux de participation de longue date suggèrent que le programme ne répond pas aux besoins de la grande majorité des mères incarcérées. En outre, le programme n’est pas à la hauteur de l’intention et de l’esprit de ce que le Groupe d’étude sur les femmes purgeant une peine fédérale avait envisagé lorsqu’il avait demandé que les nouveaux établissements pour femmes « offrent un environnement semblable à celui d’un foyer et suffisamment de souplesse pour permettre à un ou plusieurs enfants de vivre avec leur mère Footnote 19 ».

Critères d’admissibilité au programme mère-enfant pour le volet de cohabitation

Selon la DC 768 — Programme mère-enfant en établissement , les critères d’admissibilité pour la participation des mères et des enfants au programme sont les suivants :

Critères d’admissibilité pour les mères 

  1. Classée à sécurité minimale ou moyenne, ou maximale et en cours de considération pour la sécurité moyenne.
  2. A fait l’objet d’une vérification dans les registres provinciaux de protection de l’enfance afin de vérifier s’il existe des renseignements qui devraient être pris en compte dans le processus décisionnel.
  3. A eu le soutien des services de protection de l’enfance pour leur participation.
  4. N’a pas eu d’évaluation actuelle d’un professionnel de la santé mentale indiquant que la mère est incapable de s’occuper de son enfant en raison d’un problème de santé mentale documenté de l’enfant ou de la mère.
  5. N’a pas été reconnu coupable d’une infraction contre un enfant ou d’une infraction qui pourrait raisonnablement être perçue comme mettant en danger un enfant. Une détenue qui ne satisfait pas à ce critère peut être envisagée si une évaluation psychiatrique ou psychologique permet d’établir qu’elle ne présente pas de danger pour son enfant.
  6. N’est pas assujettie à une ordonnance du tribunal ou à des obligations juridiques lui interdisant tout contact avec son ou ses enfant(s).

Critères d’admissibilité pour les enfants 

 

  • N’est pas âgé de plus de quatre ans pour une cohabitation à plein temps dans une unité résidentielle, ou n’est pas âgé de plus de six ans pour une cohabitation à temps partiel dans une unité résidentielle, ou n’a pas atteint l’âge de la majorité pour résider à temps partiel dans l’unité de visite familiale privée.

 

 

Participation des mères autochtones

Selon les données du SCC, sur un total de 183 mères qui ont demandé à participer au Programme mère-enfant depuis 2002, 29 % (53 mères) sont des femmes des Premières Nations ou des Métisses. Il convient de noter qu’aucune femme inuite n’a demandé à participer au programme Footnote 20 . D’après ces données, les femmes autochtones semblent être sous-représentées dans le programme par rapport à leur représentation importante dans la population carcérale, qui s’élève actuellement à 50 % Footnote 21 . Les faibles taux de participation des mères autochtones peuvent être en partie attribuables aux critères qui excluent de manière disproportionnée les femmes autochtones et aux exigences du programme qui peuvent les rendre moins susceptibles de faire une demande. Plus précisément, le taux élevé de femmes autochtones classées à sécurité maximale les rend inadmissibles à la participation. Les femmes autochtones sont largement surreprésentées dans les établissements à sécurité maximale (elles représentent 64 % des femmes placées dans ces établissements) et la majorité d’entre elles ont déjà commis une infraction violente à leur dossier Footnote 22 . Outre les critères d’exclusion, l’obligation de faire appel à des organismes de protection de l’enfance pourrait dissuader les femmes autochtones de demander à participer, compte tenu de l’histoire douloureuse et unique des organismes de protection de l’enfance et de leur participation continue à la dissolution des familles autochtones, notamment dans le cadre de la rafle des années 1960 et du placement des enfants autochtones dans des familles d’accueil Footnote 23 .

Conformément aux appels à l’action lancés dans les récents rapports parlementaires, les commissions gouvernementales et les enquêtes nationales, et compte tenu des problèmes relevés par le Bureau et la Bibliothèque du Parlement, le Service doit faire des efforts plus intentionnels pour que les mères autochtones restent en contact avec leurs enfants.

La directive du commissaire sur le programme mère-enfant doit être révisée en janvier 2023 :

  1. Je recommande que le SCC : 

     
  2. Procède à un examen des exigences du programme et des critères d’admissibilité au Programme mère-enfant en établissement, en vue d’accroître l’accès et la participation au programme et d’éliminer les obstacles, en particulier pour les mères autochtones, 
  3. recueillir, suivre et rendre compte publiquement la participation au Programme mère-enfant en établissement afin de mieux comprendre qui il sert et comment le programme fonctionne. 

7. Véhicules d’escorte

Photo de la vue latérale du véhicule de transport de prisonniers du SCC (modèle 2017).

Véhicule de transport de prisonniers du SCC — modèle 2017. 

En réponse aux préoccupations en matière de sécurité, de conception et de droit soulevées dans le rapport annuel 2016-2017 du Bureau concernant les véhicules d’escorte des détenus du SCC, le Service s’est engagé à remplacer son parc actuel pour « tenir compte des progrès récents de l’industrie en matière de conception et de configuration Footnote 24 ». À l’époque, le SCC avait également accepté d’examiner les véhicules d’escorte spécialisés actuellement utilisés par la GRC et l’Agence des services frontaliers du Canada dans le cadre de son projet de remplacement du cycle de vie Footnote 25 .

En septembre 2019, le Bureau a été invité à voir et à inspecter le prototype de véhicule que le SCC envisageait pour remplacer son parc d’escortes vieillissant et inadéquat. Lors d’une réunion entre les équipes de direction du SCC et du BEC en novembre 2019, j’ai fait part de mes préoccupations concernant le véhicule prototype, principalement axées sur la conception et les caractéristiques de sécurité du compartiment pour prisonniers (absence de ceinture de sécurité, absence de barres d’appui ou de mains courantes, intérieurs austères, durs et claustrophobes). J’ai également contesté la nécessité que ces véhicules soient conçus de manière à pouvoir accueillir jusqu’à cinq agents accompagnateurs, notant par contraste l’espace insuffisant des sections où les prisonniers seraient assis.

À la suite de cet échange, la commissaire s’est engagée à inspecter personnellement le véhicule prototype en compagnie des membres de son équipe de direction. Sur la base de cette inspection, et à la suite de notre réunion, la commissaire m’a écrit fin janvier 2020 pour m’indiquer qu’elle avait « demandé d’envisager des options potentielles pour agrandir l’espace disponible pour les détenus et répondre aux préoccupations liées aux ceintures de sécurité, y compris la possibilité d’ajouter un banc supplémentaire ». J’ai pris cela comme une expression de l’engagement du SCC à répondre à mes préoccupations de manière sérieuse et substantielle.

Photo d’un véhicule de transport de prisonniers du SCC adapté aux personnes handicapées.

Véhicule de transport de prisonniers du SCC adapté aux personnes handicapées. 

Les problèmes d’approvisionnement et de production causés par la pandémie de COVID-19 ont entraîné des retards imprévus, bien que compréhensibles, dans les plans de remplacement du SCC. En mars 2021, lors d’une réunion des membres principaux du BEC et de l’équipe du SCC, le Service a présenté les progrès réalisés dans ses efforts pour concevoir et acquérir un véhicule de transport de prisonniers approprié. Selon le Service, les nouvelles modifications de conception comprenaient « plusieurs améliorations », comme un banc en forme de L de chaque côté des deux sections pour prisonniers et une extension de la longueur totale du compartiment (de huit pouces) — deux caractéristiques de conception qui permettraient ostensiblement à une personne de grande taille de s’asseoir face à l’arrière tout en étirant ses jambes. Notamment, le prototype ne comprenait toujours pas d’assemblage de ceinture de sécurité dans le compartiment du prisonnier. De plus, le véhicule présentait des caractéristiques permettant à cinq agents correctionnels d’occuper les sièges avant et arrière du fourgon Ford Transit 350 reconfiguré en toute sécurité et en tout confort. Ces caractéristiques de conception m’ont semblé égoïstes et largement dépourvues d’engagement ou de préoccupation pour la sécurité des prisonniers.

En décembre 2021, sans préavis et seulement après avoir demandé une mise à jour de l’état d’avancement de cette question, le Bureau a été informé que le prototype modifié présenté à la réunion de mars 2021 avait été approuvé par la haute direction du SCC en mai 2021. Le Bureau a également été informé qu’un certain nombre de nouveaux véhicules avaient déjà été livrés aux établissements dans l’ensemble du pays et que d’autres livraisons étaient prévues pour répondre aux plans de remplacement et au budget du SCC. Dans un échange de suivi concernant les ceintures de sécurité, le Bureau a été informé en janvier 2022 que « des options pour leur inclusion future sont en cours de discussion en collaboration avec les principaux intervenants et nous serons en contact lorsque des solutions potentielles seront prêtes à être présentées ». Aucun de ces développements ne semblait conforme à l’engagement pris par la commissaire un an plus tôt d’examiner et de consulter mon Bureau sur les progrès réalisés par le SCC pour renouveler son parc de véhicules d’escorte.

Il s’avère que le SCC s’est considérablement écarté du véhicule d’escorte de type GRC proposé par les fournisseurs du gouvernement. Le SCC appelle ces modifications des « adaptations correctionnelles ». En ce qui concerne les écarts spécifiques par rapport au véhicule de type GRC, le processus de personnalisation du SCC exige de retirer le compartiment avant qui peut accueillir trois passagers, de raccourcir le compartiment arrière et de réduire sa capacité de huit à quatre passagers. Par conséquent, alors que le véhicule de type GRC peut accueillir jusqu’à 11 détenus, les compartiments pour prisonniers du SCC peuvent accueillir un maximum de quatre personnes (mais très probablement jamais plus qu’une seule personne, ou très rarement deux, assises dans des sections séparées).

Photo d’un véhicule de transport de prisonniers du SCC vu de l’arrière, avec les portes ouvertes et le compartiment des prisonniers fermé.

Véhicule de transport de prisonniers du SCC — Vue de l’arrière. 

Photo arrière d’un véhicule de transport de prisonniers du SCC avec un agent correctionnel assis à l’intérieur du compartiment des prisonniers.

Véhicule de transport de prisonniers du SCC avec un agent correctionnel assis à l’intérieur du compartiment des prisonniers. 

Ces « adaptations » permettent d’ajouter une deuxième rangée de sièges dans la cabine avant afin de répondre aux besoins en personnel pour les escortes au sol des prisonniers à sécurité maximale et moyenne. Selon la politique, deux agents sont nécessaires pour le premier prisonnier (y compris le conducteur), et un agent supplémentaire pour chaque passager additionnel. Il n’est pas certain que ces véhicules ne soient jamais utilisés pour transporter plus de deux prisonniers de sécurité moyenne ou maximale à la fois. Il est fort probable que le nombre maximum de personnes transportées à un moment donné soit de deux, assises sur des côtés opposés de la section, pour de prétendues raisons de sécurité publique et personnelle.

Comme le montrent les photos du nouveau véhicule d’escorte actuellement en service, le compartiment où sont détenus les prisonniers est spartiate, construit d’aluminium inoxydable et l’espace est toujours aussi étroit et claustrophobe que la conception précédente. La largeur de la banquette, la hauteur du siège au plafond et l’espace global en pieds cubes ne sont pas des améliorations significatives par rapport aux anciens compartiments qu’il remplacera. En effet, il y a peu de choses dans la conception reconfigurée qui indiqueraient que la santé, la sécurité, la dignité ou le confort des prisonniers ont été pris en compte de manière adéquate.

Vue arrière d’un véhicule de transport de prisonniers du SCC avec un agent correctionnel entrant dans le compartiment du prisonnier.

Véhicule de transport de prisonniers du SCC avec un agent correctionnel entrant dans le compartiment du prisonnier 

En fait, le SCC a confirmé qu’il n’avait pas consulté les personnes incarcérées lors des étapes de conception ou d’approvisionnement, ce qui contrevient à l’article 74 de la LSCMLC : « Le Service doit donner aux détenus la possibilité de contribuer aux décisions du Service touchant la population carcérale dans son ensemble, ou touchant un groupe avec la population carcérale, à l’exception des décisions relatives aux questions de sécurité ». Pour ne citer qu’un domaine important de surveillance de la santé et de la sécurité des détenus : il n’existe pas de système audio bidirectionnel ni de bouton d’appel d’urgence pour les détenus qui pourraient être utilisés en cas d’urgence. La surveillance vidéo ne remplace pas l’audio pour une personne qui tente de communiquer sa détresse.

Comme nous l’avons mentionné, la zone des sièges des prisonniers ne contient pas d’assemblages de ceintures de sécurité, même si le compartiment est fourni à l’origine et expédié du fabricant américain au SCC avec des assemblages de ceintures de sécurité intacts. Les ceintures de sécurité sont intentionnellement retirées lorsque l’assemblage du compartiment du prisonnier traverse la frontière et fixées au véhicule Ford modifié selon les spécifications de conception choisies par le SCC. Le Service cite trois préoccupations généralisées en ce qui a trait à la présence de ceintures de sécurité dans les véhicules d’escorte :

  • Crainte que les ceintures de sécurité deviennent des armes et soient utilisées contre le personnel ou d’autres détenus de manière violente (atténuée par le fait évident que les sections de chaque côté du compartiment ont à peine assez de place pour accueillir un seul passager).
  • Inquiétude pour la sécurité du personnel lorsqu’il s’agit d’atteindre l’intérieur du véhicule pour attacher ou détacher un prisonnier (qui est menotté à l’avant et retenu par des entraves au corps ou aux jambes, ou les deux, selon les circonstances et le prisonnier).
  • Préoccupation dans le cas où un détenu se blesse ou s’automutile intentionnellement avec la boucle ou la sangle de la ceinture.

Ces risques de sûreté et de sécurité continuent d’être soulevés, même si les véhicules d’escorte des prisonniers du SCC n’ont jamais été équipés de ceintures de sécurité et qu’il n’existe donc aucun point de référence réel pour étayer ou réfuter ces affirmations. En fait, au cours des six années qui se sont écoulées depuis que le Bureau a soulevé cette question pour la première fois, le SCC n’a jamais fourni de cas ou de renseignements spécifiques ou étayés pour démontrer que les ceintures de sécurité des prisonniers pouvaient être utilisées de manière aussi dangereuse.

Vue de profil avant d’un véhicule de transport de prisonniers du SCC.

Véhicule de transport de prisonniers du SCC. 

Photo des sièges du conducteur et du passager avant à l’intérieur d’un véhicule de transport de prisonniers du SCC.

Véhicule de transport de prisonniers du SCC — Sièges avant. 

Plus précisément, on ne voit pas comment un prisonnier enchaîné et immobilisé est censé monter les marches jusqu’à l’arrière du véhicule de transport, se mettre en position et prendre place dans l’espace d’isolement sans l’aide d’un agent accompagnateur. Des solutions et des adaptations aux politiques et (ou) techniques pourraient être apportées pour éviter que les agents n’aient à passer la main près ou au-dessus d’un détenu enchaîné pour attacher sa ceinture (par exemple, en desserrant les attaches du corps ou des poignets, en fournissant des poignées, en donnant des instructions orales, en effectuant une surveillance vidéo). Le fait que les détenus soient soumis à une surveillance vidéo continue lorsqu’ils sont escortés par un véhicule — une spécification technique qui alerterait vraisemblablement les agents accompagnateurs de risques potentiels pour la sécurité ou de situations d’automutilation, et leur permettrait donc d’évaluer ces comportements et d’agir en conséquence — ferait partie de toute stratégie d’atténuation visant à traiter ou à réduire les risques. Il semble qu’il n’y ait pas eu de tentative sérieuse de s’engager dans une stratégie d’atténuation pour répondre à l’inquiétude que suscite l’utilisation des ceintures de sécurité de manière nuisible.

Ce n’est que récemment que le service a fait savoir qu’il travaillait à une évaluation de la menace et des risques (EMR) portant sur la question des ceintures de sécurité pour les détenus. Aucune échéance ou point de pratique n’a été fourni pour la réalisation de cet exercice interne. Sur ce point, je répondrais également qu’une EMR ne serait nécessaire que pour enlever, modifier ou adapter de quelque manière que ce soit un harnais et un ensemble de ceintures de sécurité fixes et obligatoires que sur la preuve qu’un détenu se présente comme une menace réelle ou perçue pour lui-même ou pour les autres lorsqu’il est sous escorte de sécurité.

Photo des sièges passagers arrière à l’intérieur d’un véhicule de transport de prisonniers du SCC.

Véhicule de transport de prisonniers du SCC — Sièges passagers arrière. 

Enfin, sur la question des ceintures de sécurité, le SCC prétend que la mosaïque de normes, de lois et de règlements provinciaux (et fédéraux) sur les véhicules en vigueur dans tout le pays, y compris la Loi d’interprétation fédérale , l’exempte d’équiper ses véhicules d’escorte de ceintures de sécurité. Le SCC affirme également qu’il est conforme à la législation et à la réglementation de Transports Canada. Cependant, il n’existe pas de normes, de règles ou de règlements fédéraux spécifiques qui régissent la conception, la sécurité ou les spécifications des véhicules pour les compartiments de prisonniers au Canada. La réglementation fédérale dans ce domaine est distincte en ce sens qu’elle s’applique normalement aux véhicules qui effectuent des transports interprovinciaux (ce qui est le cas des véhicules d’escorte du SCC). Bien que le port de la ceinture de sécurité soit spécifiquement exclu des véhicules d’escorte des prisonniers (certaines citent même la pratique du SCC en la matière), il convient de noter qu’elles n’interdisent pas non plus expressément leur utilisation.

Il est important de noter qu’avant les plus récentes modifications apportées aux règlements fédéraux qui visaient principalement les ceintures de sécurité dans les autobus destinés au transport de passagers, ces règlements ne traitaient pas des véhicules réservés au transport de détenus. Dans les dernières modifications, Transports Canada a adopté les normes américaines en ce qui a trait aux caractéristiques de sécurité des autobus et, ce faisant, a adopté des exclusions semblables aux ceintures de sécurité pour ce que l’on appelle les « voitures cellulaires » (par définition, des véhicules destinés au transport d’au moins dix prisonniers). Toutefois, puisque les véhicules d’escorte du SCC comptent moins de dix sièges désignés, ils ne sont pas exclus de l’exigence fédérale d’être munis de ceintures de sécurité.

Quoi qu’il en soit, je conclus que la légalité de l’équipement des véhicules d’escorte du SCC avec des ceintures de sécurité est en grande partie un point discutable. Si ma prémisse est que le compartiment du prisonnier lui-même n’est pas un moyen de transport sûr, alors le SCC peut être considéré comme étant en violation de son mandat principal. Plus important encore, le SCC semble assumer une responsabilité inutile et potentiellement coûteuse (nous sommes au courant d’un litige en cours dans lequel un prisonnier fédéral aurait été blessé à l’arrière d’un de ces véhicules) en retirant délibérément ou en ne fournissant pas de dispositifs de retenue pour les prisonniers dans ses véhicules d’escorte. Mon Bureau continu de recevoir des plaintes et de faire enquêter sur celles-ci de personnes qui affirment avoir été blessées à l’arrière de ces véhicules, précisément parce qu’elles n’ont aucun moyen de se retenir ou de se protéger d’une conduite erratique ou dangereuse, de conditions routières peu sûres ou de dangers invisibles, comme des nids de poule, des pentes raides ou des virages serrés. Un prisonnier a décrit avec justesse l’expérience vécue à l’arrière de l’un de ces véhicules comme étant celle de « rebondir dans une tasse à thé en étain ». Nous avons également connaissance de cas où les prisonniers refusent tout simplement d’être escortés à l’arrière de l’un de ces véhicules, même pour obtenir un traitement médical externe nécessaire.

Le SCC a l’occasion et l’obligation de montrer la voie dans ce domaine. Le SCC pourrait et devrait continuer à collaborer avec Transports Canada et d’autres intervenants pour assurer le transport sécuritaire et humain des prisonniers. La sécurité du personnel et celle des prisonniers ne sont pas des catégories mutuellement exclusives ou biaisées.

  1. Je recommande que, sans plus tarder, le SCC équipe tous ses véhicules d’escorte de prisonniers, y compris ceux qui sont actuellement en service, de ceintures de sécurité, de poignées et d’autres dispositifs de sécurité et de retenue qui lui permettraient de respecter son obligation d’assurer la garde sécuritaire et humaine des prisonniers sous escorte de sécurité. Je recommande en outre que le SCC retourne à la table à dessin pour reconsidérer son projet de « modernisation » de son parc de véhicules d’escorte qui répond mieux aux préoccupations et aux recommandations du Bureau. 

     

Mise à jour sur les expériences des personnes noires dans les pénitenciers fédéraux canadiens

En novembre 2013, le Bureau a rendu publique son enquête novatrice examinant les expériences des personnes noires en détention fédérale Footnote 26 . À cette époque, la population noire incarcérée était l’une des sous-populations à la croissance la plus rapide dans les services correctionnels fédéraux, représentant 9,5 % de la population totale incarcérée, alors qu’elle représentait moins de 3 % de la population canadienne. Les principales conclusions de l’enquête sont les suivantes :

  • Les Noirs incarcérés sont surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale et dans les unités d’isolement, faisaient l’objet d’un nombre disproportionné d’accusations d’infractions disciplinaires et étaient plus susceptibles d’être impliqués dans des incidents relatifs au recours à la force.
  • Bien que seulement une personne noire sur cinq ait été identifiée comme appartenant à un gang, les attitudes discriminatoires et préjudiciables de certains membres du personnel du SCC se traduisent souvent par le fait que les personnes n’appartenant pas à un gang étaient étiquetées et traitées comme telles.
  • Les programmes correctionnels doivent être revus et mis à jour du point de vue de la diversité et l’accent doit être mis sur l’embauche et la rétention d’un personnel de première ligne et de prestation des programmes plus diversifié.
  • La programmation culturelle et le soutien communautaire pertinent étaient limités.
  • Une formation sur la diversité et la sensibilité était nécessaire pour le personnel du SCC
Image de l'Étude de cas sur la diversité dans les services correctionnels : l'expérience des détenus de race noire dans les pénitenciers.

Page couverture du rapport Étude de cas sur la diversité dans les services correctionnels 

Le Bureau a formulé deux recommandations, à savoir l’élaboration d’un plan de formation national sur la sensibilisation à la diversité pour le personnel et la création d’un poste d’agent de liaison sur l’ethnicité dans chaque établissement. En réponse aux recommandations du Bureau, le Service s’est montré généralement favorable et s’est engagé à surveiller les griefs des détenus afin de déterminer les besoins d’apprentissage de l’organisation dans ce domaine et à intégrer à ses programmes de formation des scénarios spécifiques portant sur la diversité, la sensibilisation aux réalités et à la compétence culturelle. Le SCC n’a pas accepté de mettre en place un agent de liaison sur l’ethnicité (ALE) dans chaque établissement parce qu’il y avait « … des membres du personnel dans chaque établissement qui exerçaient les fonctions du coordonnateur des services ethnoculturels (CSE) dans le prolongement de leurs fonctions… [de sorte que] les rôles et les responsabilités du CSE sont semblables à ce qu’on attend de l’ALE ». Toutefois, on s’est engagé à ce que des directives claires et spécifiques soient fournies aux régions et aux établissements afin d’assurer une cohérence nationale pour répondre aux délinquants ethnoculturels. Par exemple, le SCC veillerait à ce que les rôles et les responsabilités du CSE soient définis, élaborerait une stratégie nationale définissant les besoins spécifiques des délinquants ethnoculturels, des stratégies visant à garantir l’égalité d’accès aux services et aux interventions, et s’appuierait sur les partenariats communautaires pour élargir la gamme des interventions destinées à ce segment de la population carcérale.

Contexte

Lorsque le Bureau a mené son enquête en 2013, la seule étude d’envergure au Canada établissant les préjugés et le racisme systémiques au sein du système de justice pénale remontait à un rapport publié en 1994 par la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario Footnote 27 . La Commission a trouvé des preuves de racisme systémique dans chacune des composantes du système de justice pénale de l’Ontario et a formulé un certain nombre de recommandations visant à améliorer sa responsabilisation. Depuis lors, le discours public sur le recours à la force contre les Noirs et le racisme systémique au sein du système de justice pénale a pris de l’ampleur, tant au niveau international qu’au niveau national, et des études universitaires et des rapports gouvernementaux ont suivi en reprenant les conclusions de la Commission.

Au niveau international, afin de « promouvoir le respect, la protection et la réalisation de tous les droits de la personne et de toutes les libertés fondamentales par les personnes d’ascendance africaine », l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé la période de 2015 à 2024 Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Cette proclamation engage les États membres des Nations Unies, dont le Canada, à veiller à ce que les personnes d’ascendance africaine aient pleinement accès à une protection et à des recours efficaces contre la discrimination raciale.

Image de la bannière de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies (2015-2024)

La bannière de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies 

En ce qui concerne les services correctionnels fédéraux canadiens, le Groupe de travail d’experts des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine a déclaré, dans son rapport sur sa mission au Canada en 2016, ce qui suit :

Selon le Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada, en 2015-2016, les détenus noirs représentaient 9 % de la population carcérale fédérale et 7,5 % de la population sous surveillance fédérale bien que les Canadiens noirs ne représentent que 3 % de la population canadienne. En ce qui concerne les résultats correctionnels, les Noirs en détention fédérale sont surreprésentés dans les cas de sécurité maximale, d’isolement cellulaire et de recours à la force. Ils encourent un nombre disproportionné d’accusations d’infractions disciplinaires, en particulier ceux qui pourraient être considérés comme discrétionnaires de la part du personnel correctionnel, et sont libérés plus tard dans leur peine et moins susceptibles d’obtenir une semi-liberté ou une libération conditionnelle totale.

Le Bureau de l’enquêteur correctionnel a signalé que les prisonniers noirs étaient 1,5 fois plus susceptibles d’être placés dans des établissements à sécurité maximale où les programmes, l’emploi, la formation, le perfectionnement de l’éducation, les programmes de réadaptation et les activités sociales sont limités. De plus, les Noirs sont victimes de discrimination de la part des agents correctionnels, qui utilisent un langage raciste, et sont ignorés et méprisés d’une manière qui accroît leurs sentiments de marginalisation, d’exclusion et d’isolement. Ces détenus sont aussi souvent étiquetés avec des stéréotypes discriminatoires tels que membre d’un gang, fauteur de troubles, trafiquant de drogue ou coureur de jupons. Un examen des données de 2008 à 2013 a montré que les personnes noires étaient systématiquement surreprésentées en isolement administratif, en particulier les placements involontaires et disciplinaires, et en 2012-2013, elles ont été impliquées de manière disproportionnée dans les incidents de recours à la force.

Le Groupe de travail d’experts des Nations Unies sur les personnes d’ascendance africaine a également recommandé que le Canada :

  • Élaborer et mettre en œuvre une stratégie nationale sur les services correctionnels pour éliminer les taux disproportionnellement élevés de Canadiens d’ascendance africaine au sein du système correctionnel et veiller à l’exécution des programmes non discriminatoires et adaptés à la culture à l’intention des détenus canadiens d’ascendance africaine;
  • Élaborer un plan de formation national sur la sensibilisation à la diversité pour les services correctionnels fédéraux et provinciaux et nommer un agent de liaison sur l’ethnicité dans chaque établissement. Augmenter de toute urgence les effectifs de l’administration pénitentiaire et étudier des solutions de rechange à l’isolement qui n’entraîneront pas d’atteinte aux droits fondamentaux des détenus.

À ce jour, ces deux recommandations clés n’ont pas été substantiellement mises en œuvre par le SCC.

Le logo du mouvement Black Lives Matter.

Le logo du mouvement Black Lives Matter. 

Au Canada, les événements actuels ont également contribué à une plus grande prise de conscience collective de l’importance de s’attaquer à la discrimination et aux autres formes de violence fondée sur la race envers des personnes noires Footnote 28 . L’un des événements les plus médiatisés est le meurtre de l’Américain George Floyd en mai 2020 par des membres de la police de Minneapolis, qui a donné lieu à une mobilisation internationale contre le racisme anti-Noir. Au Canada, le mouvement social Black Lives Matter a secoué le pays, rappelant de manière inquiétante les vies noires perdues dans les interactions avec les forces de police canadiennes. Elle a également rappelé les nombreux cas de profilage racial qui ont entraîné des arrestations et des détentions abusives de personnes noires. Parmi les incidents graves qui ont troublé l’opinion publique canadienne envers le système de justice pénale figure le cas d’Abdirahman Abdi, un résident d’Ottawa d’origine somalienne qui est décédé en juillet 2016 lors d’une intervention policière alors qu’il souffrait de problèmes de santé mentale. Plus récemment, l’étudiant guinéen Mamadi Camara, faussement accusé par la police de Montréal de tentative de meurtre sur un policier, a été brutalement arrêté et détenu en janvier 2021 Footnote 29 .

En 2019 et 2021, le gouvernement canadien a publié des rapports sur les droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral. Ces rapports ont conclu qu’il est urgent de développer des stratégies ciblées, « … pour éliminer les causes profondes de la surreprésentation des Noirs dans le système correctionnel fédéral, y compris le racisme systémique et la discrimination de longue date Footnote 30 ». Par exemple, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a fait les observations préliminaires suivantes Footnote 31 après avoir visité des pénitenciers fédéraux :

Le comité tient à faire remarquer que presque toutes les personnes noires avec qui il a eu des échanges lors des visites des établissements lui ont raconté avoir été victimes de racisme ou de discrimination. Cela touche aussi bien les personnes purgeant des peines que celles qui les administrent. La discrimination était souvent basée sur de multiples facteurs d’identité croisés, comme le sexe ou le genre, la race, la langue et l’origine ethnique. Les expériences relatées dépassent le cadre correctionnel et conditionnent la façon dont les personnes noires au Canada appréhendent le monde. Comme l’a déclaré un témoin, « un des aspects du racisme dirigé contre les Noirs dans le système carcéral, c’est qu’il vise non seulement des prisonniers, mais aussi les communautés, les familles et les porte-paroles noirs ». Une autre témoin a dit au comité que pour bien comprendre ce qu’elle vivait, il leur faudrait être dans sa peau pendant une année.

L’enquêteur correctionnel a indiqué au comité que le SCC ne s’est pas attaqué aux problèmes systémiques de racisme ou de discrimination envers les personnes noires purgeant une peine de ressort fédéral que le BEC a documentés dans un rapport de 2013.

Dans son rapport final, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a formulé les observations suivantes :

Lors de ses visites, le comité a rencontré quelques personnes noires purgeant une peine de ressort fédéral qui étaient découragées par la qualité et la disponibilité de programmes adaptés à leur culture. Le comité a appris que l’absence de programmes adaptés à la culture perpétue le cycle de la criminalisation et de la discrimination systémique à l’encontre des Canadiens noirs.

Le comité a entendu de nombreux témoignages de personnes noires purgeant une peine de ressort fédéral concernant des cas flagrants de racisme ciblant des personnes noires sous responsabilité fédérale et des agents correctionnels noirs. Par exemple, certains se faisaient traiter de tous les noms, n’avaient pas accès à des possibilités d’emploi, et étaient présumés être affiliés à des gangs parce qu’ils portaient un doo-rag ou qu’ils étaient vus dans un groupe d’autres personnes noires purgeant une peine fédérale.

Ces conclusions condamnables ont incité le premier ministre du Canada à adresser une lettre de mandat au ministre de la Sécurité publique pour qu’il s’attaque au racisme systémique dans le système de justice pénale, y compris les services correctionnels fédéraux. Le premier ministre a demandé au ministre de :

Continuer à combattre le racisme et la discrimination systémiques dans le système de justice pénale, y compris dans tous les ministères et organismes fédéraux responsables de la sécurité nationale et de la sécurité des Canadiens. Il s’agit également de soutenir le ministre de la Justice et le procureur général du Canada dans leur travail de lutte contre le racisme systémique et la surreprésentation des Canadiens noirs et racialisés et des peuples autochtones dans le système judiciaire.

Mon Bureau est très encouragé par ces nouveaux engagements récents et offre cette mise à jour sur les expériences des personnes noires dans les pénitenciers fédéraux canadiens comme une occasion pour le gouvernement du Canada de répondre aux principales préoccupations concernant le racisme systémique dans les services correctionnels fédéraux. Une réponse positive à mes recommandations contribuera grandement à résoudre les problèmes systémiques de droits de la personne dans les services correctionnels fédéraux.

Méthodologie

Tout comme l’enquête de 2013, cette enquête a utilisé une approche qualitative et quantitative qui comprenait les éléments suivants :

  • Un examen des recherches et des politiques pertinentes;
  • Une analyse des données du SCC;
  • Des entrevues avec le personnel du SCC, des personnes incarcérées, des universitaires et des représentants de groupes communautaires noirs.

Les entrevues ont été réalisées dans les régions de l’Ontario, du Québec et de l’Atlantique. La plus grande proportion de Noirs est incarcérée dans la région de l’Ontario (54,8 %), suivie de la région du Québec (19,2 %), de la région des Prairies (13,6 %), de la région du Pacifique (7,1 %) et de la région de l’Atlantique (5,3 %). En raison des inquiétudes liées à la pandémie de COVID-19, les entrevues ont été menées principalement de manière virtuelle, à l’exception de ceux menés à l’Établissement Grand Valley pour femmes, qui ont été réalisés en personne.

Tableau 1 : Établissements fédéraux où les entrevues ont été menées.

ÉTABLISSEMENT 

RÉGION 

NIVEAU DE SÉCURITÉ 

PERSONNES NOIRES PAR 
RAPPORT À L'ENSEMBLE 
DE LA POPULATION DE 
L'ÉTABLISSEMENT 
 

ATLANTIQUE

ATLANTIQUE

MAXIMALE

12,8 %

SPRINGHILL

ATLANTIQUE

MOYENNE

6,5 %

COLLINS BAY

ONTARIO

MAXIMALE 
ET MOYENNE

29,6 %

WARKWORTH

ONTARIO

MOYENNE

21,9 %

ÉTABLISSEMENT GRAND 
VALLEY POUR FEMMES

ONTARIO

MAXIMALE, 
MOYENNE ET 
MINIMALE

8,2 %

COWANSVILLE

QUÉBEC

MOYENNE

13 %

Au total, 56 entrevues ont été menées auprès de personnes noires incarcérées, de sept membres du personnel du SCC, ainsi que des services de sécurité et du renseignement de sécurité de l’administration centrale. Des consultations ont également été menées auprès de cinq groupes communautaires ou défenseurs des Noirs travaillant avec des personnes noires incarcérées.

Profil des personnes noires incarcérées

À l’instar des conclusions du Bureau en 2013, les personnes noires continuent d’être surreprésentées dans les établissements fédéraux. En 2021-2022, les Noirs représentaient 9,2 % de la population carcérale globale, alors que dans la population canadienne générale, ils représentent environ 3,5 % Footnote 32 . Le nombre total de Noirs dans les pénitenciers fédéraux a diminué de 12,4 % depuis 2012. Cette diminution doit être comprise dans le contexte plus large où la population totale des prisonniers fédéraux a diminué de 16,5 % au cours de la même période et où le nombre de Blancs a diminué de 23,5 %. Dans le cadre de cette enquête, le terme « Noir » désigne les personnes s’identifiant comme Noirs, Africains sub-sahariens et Caribéens, catégories raciales et géographiques autodéclarées utilisées par le SCC.

Graphique à barres illustrant le pourcentage de détenus à sécurité moyenne dans les établissements fédéraux à sécurité maximale par année. 2010-2011 = 11%; 2011-2012 = 7%; 2012-2013 = 8%; 2013-2014 = 11%; 2015-2016 = 8%; 2016-2017 = 10%; 2017-2018 = 7%; 2018-2019 = 7%; 2019-2020 = 8%; 2020-2021 = 9%; Mar-2022 = 10%

Graphique 1 : Personnes de couleur noire incarcérées en tant que proportion de la population carcérale totale 

Plaintes auprès du BEC

Sur la période du 31 décembre 2017 au 6 novembre 2021, 110 plaintes individuelles (105 hommes et 5 femmes) de personnes de couleur noire ont été déposées auprès du Bureau. La majorité de ces plaintes avaient été formulées par des personnes se trouvant dans des établissements à sécurité maximale (36 %) et moyenne (35 %). La plupart ont déclaré avoir été victimes de discrimination, de victimisation, de racisme, de harcèlement ou d’agression physique et (ou) verbale. Le nombre de plaintes déposées auprès du Bureau pour lesquelles la discrimination et (ou) le racisme étaient à l’origine de la plainte semble augmenter au fil du temps. En 2018, 16 plaintes ont été déposées auprès du Bureau, contre 24 en 2019, 39 en 2020 et 30 au 6 novembre 2021.

Aperçu de la population noire incarcérée

Voici un profil général des caractéristiques démographiques et de condamnation des personnes qui se sont identifiées, lors de leur admission dans un pénitencier fédéral, comme étant de race noire, Caribéens ou Africains sub-sahariens. Des statistiques ont également été fournies pour les personnes s’identifiant comme étant blanches Footnote 33 , autochtones Footnote 34 et personnes de couleur Footnote 35 aux fins de comparaison (voir l’annexe A) : Profil de la population, à la fin de cette enquête).

La majorité des personnes noires incarcérées sont de jeunes hommes, la plus grande proportion de personnes noires se situant entre 18 et 30 ans. Comme c’est le cas pour tous les prisonniers fédéraux, les Noirs sont pour la plupart logés dans des établissements à sécurité moyenne; cependant, une plus grande proportion de Noirs est logée dans des établissements à sécurité maximale par rapport aux autres groupes. L’une des différences les plus apparentes entre les Noirs et les autres groupes ethniques est la proportion de personnes purgeant leur troisième peine fédérale ou plus. Les Blancs (15,3 %) et les Autochtones (15,1 %) sont trois fois plus susceptibles de purger leur troisième peine fédérale ou plus que les Noirs (5,4 %). Cette différence corrobore les constatations antérieures selon lesquelles les Noirs ont tendance à mieux s’en sortir une fois retournés dans la communauté (c’est-à-dire qu’ils sont moins susceptibles de récidiver ou de retourner en détention fédérale pour une nouvelle infraction). Les Noirs sont semblables aux personnes d’origine autochtone en termes d’affiliation à un gang, puisque 23,8 % des Noirs et 21,9 % des Autochtones font partie d’un gang. En comparaison, seuls 5,7 % des Blancs et 12,7 % des personnes de couleur sont affiliés à un gang. Enfin, les personnes de couleur noire semblent être similaires aux prisonniers de couleur blanche en ce qui concerne le risque, le besoin, la motivation, la responsabilité et le potentiel de réinsertion, bien que la proportion de personnes noires ayant une faible responsabilité et un faible potentiel de réinsertion soit légèrement plus élevée que pour les prisonniers blancs.

Qu’a fait le SCC depuis l’enquête menée par le Bureau en 2013?

Dans le cadre de l’enquête actuelle, il a été demandé au SCC de fournir des documents montrant où les progrès ont été réalisés par rapport aux conclusions et recommandations du rapport de 2013 du Bureau. Dans l’ensemble, bon nombre des initiatives cernées par le SCC depuis le rapport de 2013 du Bureau étaient déjà en place lors de la première enquête du Bureau; cependant, cette fois-ci, le Service a établi un certain nombre d’initiatives organisationnelles. Le SCC a procédé à un examen de la Directive du commissaire (DC) 767 : Délinquants ethnoculturels : Services et interventions pour refléter la nouvelle structure organisationnelle du SCC et une nouvelle DC a été promulguée en janvier 2021. En outre, un aspect ethnoculturel a été ajouté à un certain nombre de directives politiques. Par exemple, parmi d’autres, les DC suivantes ont été révisées pour inclure des éléments ethnoculturels :

  • DC 705-6 Planification correctionnelle et profil criminel (ANNEXE E) — « Définition et analyse des facteurs dynamiques — indique au personnel qui effectue l’évaluation de tenir compte des différences culturelles lorsqu’il effectue l’évaluation Footnote 36 ».
  • DC 715-2 Processus de décision après la mise en liberté — « L’agent de libération conditionnelle et la personne ayant l’autorité désignée tiendront compte des facteurs décrits dans le cadre d’évaluation du risque (annexe D) pour déterminer l’intervention la plus appropriée parmi les suivantes : (f) des interventions culturelles de rechange appropriées Footnote 37 ».

Le SCC a également élaboré un Cadre d’action ethnoculturel (CAE, avril 2021), qui « … fournit des directives pour assurer des approches cohésives et cohérentes dans tous les établissements, et encourage la collaboration à tous les niveaux de l’organisation Footnote 38 » pour les délinquants ethnoculturels. Le CAE se compose de quatre phases : 1) Cibler les besoins, 2) Former l’équipe, 3) Faire des progrès, et 4) Maintenir l’élan. Les quatre phases peuvent être activées à tout moment et sont spécifiques aux personnes ethnoculturelles. De plus, dans le cadre du CAE, le SCC a identifié plus de soixante coordonnateurs d’établissement ethnoculturels afin de fournir un soutien pour répondre aux besoins des personnes ethnoculturelles au niveau des établissements.

La grande majorité des personnes noires interrogées dans le cadre de cette enquête ont exprimé leur scepticisme quant à l’impact réel des coordinateurs d’établissement ethnoculturels, qui semblent être principalement composés de bénévoles à temps partiel. De nombreuses personnes noires incarcérées, y compris celles qui dirigent les Black Inmate and Friends Associations (BIFA), ont déclaré qu’elles doutaient de l’utilité de ces bénévoles pour répondre à leurs besoins au sein de l’établissement. Certains ont indiqué qu’ils n’avaient même pas rencontré le coordonnateur d’établissement ethnoculturel au cours de l’année écoulée. Il est peu probable que les postes occupés par des bénévoles répondent aux besoins de tous les délinquants ethnoculturels. De plus, le fait de catégoriser un si large éventail de personnes racialisées sous un terme générique tel que « ethnoculturel » ne tient pas compte de l’hétérogénéité et de la complexité de chacun de ces groupes. La communauté noire au Canada est extrêmement diversifiée et hétérogène, comprenant de nombreuses origines régionales et ethniques, des facteurs historiques variés, parlant de nombreuses langues et représentant diverses affiliations religieuses.

Le CAE s’inscrit dans le Cadre et mesures de lutte du SCC contre le racisme (mis à jour en octobre 2021), qui contient un certain nombre de mesures à l’échelle de l’organisation visant à mobiliser le personnel, les personnes incarcérées et les intervenants afin de « créer une organisation antiraciste plus inclusive, plus diverse et plus équitable Footnote 39 ». Le Cadre et mesures de lutte du SCC contre le racisme adopte une approche à trois volets comprenant une collaboration avec des partenaires clés :

  1. Volet axé sur le personnel : constituer un effectif diversifié, représentatif, inclusif et respectueux. 

     
  2. Volet axé sur les délinquants : évaluer les outils et les pratiques d’évaluation des délinquants, communiquer avec les détenus et favoriser des environnements sécuritaires et respectueux. 

     
  3. Volet axé sur les intervenants, les Autochtones et les experts externes : écouter les voix, les commentaires et l’expérience vécue des acteurs externes, et prendre connaissance des données probantes pour éclairer notre voie à suivre. 

     

Bien que ces cadres constituent des étapes importantes dans la résolution des problèmes de discrimination et de racisme, il s’agit de cadres de haut niveau, axés sur l’organisation, qui doivent être mis en œuvre et compris au niveau opérationnel et dans les interactions quotidiennes. En décembre 2021, le SCC a annoncé la création d’un champion de la lutte contre le racisme, de la diversité et de l’inclusion et, peu après, d’une unité dédiée à la lutte contre le racisme, à la diversité et à l’inclusion au sein de son administration centrale. Là encore, il s’agit d’une avancée importante, mais il est tout aussi important que les personnes qui occupent ces postes (c’est-à-dire les champions et les membres de l’unité de lutte contre le racisme, de la diversité et de l’inclusion) puissent s’identifier aux personnes qui ont fait l’expérience du racisme et de la discrimination. Enfin, le SCC s’est engagé à développer des formations supplémentaires pour le personnel sur des sujets comme l’identification et la lutte contre les préjugés inconscients, ainsi qu’une trousse à outils pour les gestionnaires afin de soutenir les conversations des employés sur le racisme systémique et la discrimination raciale.

Peu de progrès sur les problèmes cernés par le Bureau en 2013

Malgré les efforts concertés du SCC pour apporter des changements en matière d’inclusion, de diversité et de lutte contre le racisme, les personnes noires incarcérées ont rapporté aux enquêteurs du BEC que très peu de choses s’étaient améliorées au fil des ans. Ils continuent d’être victimes d’un racisme omniprésent et d’une discrimination systémique, ont des difficultés à accéder à des services et à des interventions adaptées à leur culture et doivent participer à des programmes correctionnels qui ne reflètent pas leurs expériences vécues.

Il y a près de dix ans que le Bureau a terminé son enquête sur les expériences des Noirs dans les pénitenciers fédéraux. Notre examen suggère que très peu de choses ont changé pour les personnes noires et que, à bien des égards, leur situation s’est encore détériorée. Tous les problèmes cernés en 2013 demeurent aujourd’hui. Ce qui suit est un examen et une évaluation des progrès réalisés par le SCC dans la résolution des problèmes précédemment cernés par le bureau. Les personnes noires incarcérées ont également déterminé un certain nombre de nouveaux problèmes au cours des entrevues, qui sont incluses ci-dessous.

Femmes noires

Le nombre de femmes noires purgeant une peine fédérale est à son point le plus bas depuis dix ans, avec un total de 21 femmes noires en détention le 24 avril 2022 Footnote 40 . Actuellement, les femmes noires représentent 3,5 % de la population des femmes purgeant une peine de ressort fédéral. En 2011-2012, on comptait 55 femmes noires, soit le chiffre le plus élevé de ces dix dernières années. En moyenne, il y a eu environ 36 femmes noires incarcérées dans des établissements fédéraux au cours des 20 dernières années (entre un minimum de 24 en 2005-2006 et un maximum de 58 en 2012-2013). De nombreuses questions soulevées par les femmes noires lors de l’enquête menée par le Bureau en 2013 restent d’actualité.

Discrimination et traitement différentiel

Les femmes noires continuent de faire l’objet d’un traitement différentiel dans diverses circonstances, notamment lorsqu’elles sont rassemblées et comment leur comportement est interprété par le personnel et les autres femmes incarcérées. Les groupes de femmes noires sont souvent approchés par le personnel du SCC qui leur demande ce qu’elles « planifient » ou « complotent ». Les femmes noires ont déclaré ne pas être autorisées à vivre ensemble dans la même maison, même si elles en faisaient la demande. Lorsqu’un petit groupe de femmes noires a habité dans la même maison, le personnel les a qualifiées de « gang jamaïcain » et les a réprimandées pour avoir parlé ensemble leur propre langue. Les femmes noires ont également rapporté que le personnel tentait d’arbitrer les désaccords entre les autres femmes, mais que lorsqu’une femme noire était impliquée, elle était immédiatement identifiée par le personnel comme « l’instigatrice », « l’intimidatrice » ou « l’agresseuse ». Plusieurs femmes noires ont rapporté que le personnel du SCC entrant dans une maison parlait souvent à toutes les femmes sauf à la seule femme noire de la maison. Une femme a déclaré : « Ils [le SCC] me dépouillent de tout, mais je n’ai toujours pas ma place et je suis traitée différemment ». La plupart des femmes noires ont déclaré qu’elles ne signalaient pas les incidents de discrimination ou de stéréotypes au personnel parce qu’elles avaient « … peur de la réaction négative » et « … savaient que rien ne serait fait de toute façon ».

Les groupes communautaires noirs ont encore très peu d’occasions d’apporter leur soutien aux femmes noires incarcérées. Des femmes ont déclaré avoir dû se battre pour obtenir la nourriture qu’elles souhaitaient ou des intervenants pour célébrer le Mois de l’histoire des Noirs chaque année. Par exemple, une femme a rapporté que le groupe de diversité des femmes de race noire a été forcé par le personnel du SCC à accepter du café et du gâteau pour célébrer le Mois de l’histoire des Noirs alors qu’elles auraient préféré une nourriture qui représente mieux leur culture. Au moment de l’enquête, le groupe de diversité des femmes de race noire de l’ÉGV avait cessé ses activités pour protester contre la façon dont les femmes du comité avaient été traitées par le personnel de l’ÉGV.

Disponibilité des produits de soins personnels

Nous avons entendu à plusieurs reprises des préoccupations concernant la difficulté d’accéder aux produits de soins personnels nécessaires pour les cheveux et la peau. Même si l’établissement Grand Valley Footnote 41 a mis en place un processus d’achat de produits spécialisés pour les femmes noires tous les trois mois, dans la pratique, il est souvent retardé. Au moment de l’entrevue dans le cadre de cette enquête, l’établissement venait de terminer une commande pour les femmes noires, qui était en retard de six mois. Plusieurs femmes ont montré aux enquêteurs du BEC comment leurs cheveux étaient tombés en raison du manque de produits appropriés et une femme a déclaré utiliser de l’huile d’olive dans ses cheveux comme substitut. Les femmes noires sont contraintes de rationner leurs produits de soins personnels dans l’espoir de pouvoir passer une nouvelle commande tous les trois mois, alors que les autres femmes peuvent commander des produits à la cantine à tout moment. Les produits destinés aux femmes noires ont également tendance à être plus chers, ce qui leur laisse moins de ressources pour acheter d’autres articles. Les femmes ont indiqué que le système provincial de l’Ontario offrait de meilleurs produits de soins capillaires à la cantine pour les femmes noires et que les bonnets, qui peuvent aider à protéger leurs cheveux, étaient autorisés dans le système provincial, mais pas dans le système fédéral (voir l’encadré sur les do-rags ci-dessous).

Les besoins uniques des femmes et des hommes noirs en matière de soins capillaires et cutanés ont été ignorés pendant des décennies dans les milieux universitaires et professionnels Footnote 42 . Cependant, on reconnaît de plus en plus les conditions uniques dont souffrent les personnes à la peau foncée, par exemple le mélasme, les chéloïdes, les blessures causées par les rasoirs (pseudo-folliculite) et l’acanthosis nigricans. Cette reconnaissance a incité le géant des cosmétiques, L’Oréal, à accorder à trois éminents scientifiques africains sa bourse de recherche sur la peau et les cheveux africains Footnote 43 . Pour prévenir et traiter ces affections cutanées, les personnes de race noire doivent avoir accès à des produits de soins spécifiques, en plus de ce qui est généralement disponible pour les types de peau non mélanique. De même, les cheveux noirs ont des besoins uniques en raison de leur élasticité, de leurs boucles serrées et de leur texture Footnote 44 . Cependant, les coiffures naturelles, qui sont apparues à la fois comme une expression de l’identité et comme un moyen de conserver des cheveux sains, ont longtemps été la cible de discriminations. Cela inclut les obstacles à l’accès aux produits comme les huiles et les shampooings destinés à entretenir les cheveux noirs. Par conséquent, des efforts ont été faits pour protéger les personnes contre la discrimination raciale en matière de cheveux en adoptant la loi CROWN (Creating a Respectful and Open World for Natural Hair) dans tous les États américains.

Accès aux do-rags

Au cours des entrevues, un certain nombre de Noirs se sont plaints de ne pas pouvoir disposer d’un do-rag dans leurs biens personnels. Cette politique semble varier d’un établissement à l’autre, certains les autorisant et d’autres non, généralement parce que les do-rags sont considérés comme un symbole de gang. En plus d’être une expression de l’identité culturelle, les do-rags sont souvent utilisés pour protéger les cheveux. Lorsque mon Bureau a porté la plainte devant le SCC, l’administration centrale (AC) a convenu que, bien que Directive du commissaire (DC) 566-12 Biens personnels des délinquants ne fournit pas de directives spécifiques sur les do-rags, les directives sur les articles culturels s’appliqueraient aux do-rags, car ils peuvent être considérés comme des articles culturels pour les détenus noirs.

Le paragraphe 6 de la DC 566-12 précise :

Le sous-directeur de l’établissement, ou son délégué qui sera d’un niveau égal ou supérieur à celui de directeur adjoint, autorisera les articles de santé non essentiels (y compris les bracelets médicaux), les articles religieux, spirituels ou culturels, les manuels ou fournitures scolaires et le matériel d’artiste ou d’artisanat, après avoir consulté le secteur concerné.

Le paragraphe 25 de la DC 566-12 précise :

Avant d’autoriser des articles de santé non essentiels, des articles religieux, spirituels ou culturels, des manuels ou fournitures scolaires (y compris un dictionnaire général et (ou) analogique) et du matériel d’artiste ou d’artisanat, le sous-directeur, ou son délégué qui sera d’un niveau égal ou supérieur à celui de directeur adjoint, consultera le responsable du secteur concerné et tiendra compte des exigences en matière de sécurité et de sécurité-incendie.

Dans la DC 566-12, le paragraphe 27 précise :

Le sous-directeur, ou son délégué qui sera d’un niveau égal ou supérieur à celui de directeur adjoint, peut interdire des articles religieux ou culturels s’il détermine, en consultation avec les aumôniers, les Aînés/conseillers spirituels, que les objets en question sont utilisés à d’autres fins que celles prévues.

L’ordre permanent d’un établissement peut exiger que les do-rags soient noirs afin d’éviter les couleurs qui pourraient être associées à des gangs particuliers. Dans ces conditions, l’administration centrale devrait envoyer une communication pour s’assurer que tous les établissements autorisent l’utilisation des do-rags.

Plusieurs femmes ont également soulevé des problèmes concernant les préoccupations de sécurité non fondées du SCC en ce qui concerne les extensions de cheveux. Des femmes ont déclaré avoir été obligées de couper leurs extensions de cheveux lors de leur admission parce qu’elles étaient considérées comme ne faisant pas partie de leur personne et comme un problème de sécurité potentiel. Ces interdictions ne semblent pas être appliquées de manière cohérente dans les établissements pour femmes du SCC. Presque toutes les femmes noires interrogées à l’ÉGV ont soulevé cette question. Une femme qui a été forcée d’enlever ses extensions de cheveux et qui a ensuite signalé une perte de cheveux a déclaré : « J’ai hâte de sortir et de me coiffer, de me sentir bien et sentir que j’ai de la valeur ». Une autre femme, parlant de son apparence devant la Commission des libérations conditionnelles, a déclaré : « J’espère qu’ils ne me regarderont pas différemment pour la libération conditionnelle à cause de mes cheveux ». Il est inacceptable de ne pas fournir un accès régulier à des produits de soins capillaires appropriés au point que les cheveux d’une femme tombent, ou de forcer les femmes noires à couper leurs extensions de cheveux pour des raisons de sécurité qu’aucun membre du personnel du SCC n’a pu expliquer ou légitimer par un incident consigné.

Personnel diversifié

Les femmes noires ont exprimé le sentiment très fort qu’elles voulaient davantage de personnel leur ressemblant et ayant des expériences de vie similaires, y compris des travailleurs primaires, des agents de libération conditionnelle et du personnel de santé mentale. Les femmes ont déclaré qu’actuellement, de nombreux membres du personnel noir ont peur de les aider ou d’être perçus comme les favorisant par leurs collègues, de sorte que certains se contentent de parler aux femmes noires, « … dans les coins de l’établissement ». Un effectif plus diversifié contribuerait à réduire le manque de confiance qui existe actuellement entre les personnes incarcérées et le personnel du SCC.

Dans l’ensemble, la situation des femmes noires a très peu évolué depuis l’enquête menée par le Bureau en 2013. Toutes les questions soulevées précédemment continuent d’être des problèmes, avec quelques domaines supplémentaires cernés dans l’enquête actuelle. Lorsqu’on leur a demandé ce qui améliorerait leur situation, les femmes noires ont le plus souvent cité les changements concrets suivants :

  • Accès constant à des produits de soins personnels appropriés;
  • Des aliments plus diversifiés sur la liste de la cantine;
  • Une liaison pour aider à établir des liens avec la communauté;
  • Une maison désignée pour les femmes noires et un lieu où les femmes noires peuvent guérir
  • Un personnel plus diversifié (notamment des travailleurs de première ligne, des agents de libération conditionnelle et du personnel de santé mentale); et des programmes correctionnels comportant des exemples et des scénarios qui trouvent un écho chez les femmes noires.

Ces suggestions sont loin d’être compliquées, coûteuses ou difficiles à mettre en œuvre. La plupart des suggestions pourraient être mises en œuvre facilement et rapidement et contribueraient grandement à résoudre bon nombre des problèmes de longue date cernés par les femmes noires au fil des ans.

  1. Je recommande que le SCC : 
  2. Élabore une politique visant à garantir que tous les prisonniers noirs aient un accès constant à des produits de soins personnels appropriés et qu’une sélection plus large de produits alimentaires reflétant la diversité culturelle de la population carcérale figure sur la liste nationale des cantines. 
  3. Élabore et distribue immédiatement un bulletin pour que tous les établissements sachent que les do-rags sont considérés comme un bien culturel et peuvent faire partie des biens personnels d’une personne. Ceci devrait être intégré dans la prochaine révision de la DC 767 : Délinquants ethnoculturels — Services et interventions. 
  4. Revoit ses positions en ce qui concerne les extensions de cheveux sous l’angle de la dignité et de la diversité plutôt que sous le seul angle de la sécurité. 

Classement par niveau de sécurité

Comme dans les conclusions précédentes du Bureau, les Noirs sont surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale et sous-représentés dans les établissements à sécurité minimale. En 2021-2022, les Noirs représentaient 14 % des détenus en sécurité maximale et 6,5 % des détenus en sécurité minimale, alors qu’ils représentaient 9,2 % de la population carcérale fédérale. En outre, les Noirs sont les plus nombreux à être incarcérés dans des établissements à sécurité maximale et les moins nombreux à être incarcérés dans des établissements à sécurité minimale, notamment par rapport aux Blancs. Par exemple, le 12 décembre 2021, 18,4 % des personnes noires étaient en sécurité maximale et 12,3 % en sécurité minimale, contre 10,3 % des détenus blancs en sécurité maximale et 19,8 % en sécurité minimale. Ces tendances se maintiennent sur plusieurs années (voir l’annexe B pour plus de données) Footnote 45 .

Les entrevues avec les personnes noires ont permis de cerner les raisons possibles pour lesquelles une plus grande proportion de personnes noire sont incarcérées dans des établissements à sécurité maximale ou pourquoi elles ont tendance à passer de plus longues périodes en sécurité maximale par rapport aux autres groupes. Un certain nombre de facteurs (par exemple, l’indice de gravité de l’infraction, le niveau de risque, le risque d’évasion, l’achèvement du programme correctionnel, les incidents de sécurité) sont pris en compte dans le classement par niveau de sécurité. De nombreuses personnes noires ont déclaré que leurs agents de libération conditionnelle (ALC) ne pouvaient pas leur donner une raison précise pour laquelle elles ne pouvaient pas être reclassées ou ce qu’elles devaient faire exactement pour passer à un niveau de sécurité inférieur. Les personnes interrogées ont rapporté que les ALC « blâmaient les autres ou les processus », prétendaient « se pencher sur la question » depuis des mois ou « n’avaient pas eu le temps de se pencher sur le problème ». La plupart des hommes noirs ont déclaré ce qui suit au sujet de leur ALC :

  • très peu de soutien en ce qui concerne l’avancement de leur plan correctionnel;
  • un taux de roulement élevé des ALC;
  • de longues périodes sans ALC;
  • un manque de volonté d’explorer leurs antécédents sociaux;
  • les ALC ont une très faible connaissance de leur expérience vécue.

De nombreux hommes noirs ont déclaré avoir attendu parfois des années avant de bénéficier de programmes correctionnels, souvent parce qu’ils avaient été condamnés à de longues peines. Les programmes correctionnels sont destinés en priorité aux personnes condamnées à de courtes peines et à celles dont la date d’admissibilité à la libération conditionnelle est proche. Bien que cette approche de la programmation correctionnelle ait certains mérites, elle est discriminatoire à l’égard des personnes condamnées à de longues peines, qui risquent de rester plus longtemps dans des environnements à sécurité maximale que si elles avaient pu participer à un programme plus tôt. Par exemple, les Noirs sont plus susceptibles que les autres groupes de purger une peine de durée indéterminée (perpétuité) (Noirs : 34,6 %, Blancs : 32 %, Autochtones : 27,2 %). Les personnes noires condamnées à une peine déterminée purgent, en moyenne, une peine légèrement plus longue par rapport aux autres groupes (Noirs : 5,93 ans, Blancs : 5,67 ans, Autochtones : 5,32 ans) Footnote 46 . Malgré tout, il faudrait envisager d’offrir plus tôt des programmes correctionnels aux personnes qui purgent de longues peines dans des établissements à sécurité maximale, afin de leur permettre de passer plus rapidement à des niveaux de sécurité inférieurs où il y a plus d’occasions de faire un travail intéressant et de participer à une plus grande variété d’activités de réadaptation.

Les prisonniers noirs sont surreprésentés et sursécurisés dans les prisons fédérales. Le SCC doit systématiquement examiner le classement par niveau de sécurité à l’admission afin de minimiser les préjugés inconscients, les pratiques discriminatoires et les obstacles systémiques (par exemple, l’accès aux programmes correctionnels, les changements fréquents d’ALC et les longues périodes sans ALC) pour les personnes de race noire qui cherchent à faire un transfèrement.

  1. Je recommande au SCC de mener une étude comparative, en partenariat avec des groupes communautaires noirs ou des experts externes, afin d’examiner le temps cumulé passé par les personnes noires avant leur reclassement et leur transfèrement à des niveaux de sécurité inférieurs. 

Transferts involontaires

Tant les défenseurs de la communauté noire que les personnes noires incarcérées ont établi les transferts involontaires comme un sujet de préoccupation. Les transferts involontaires de la région de l’Ontario vers la région du Québec, en particulier, obligent certains Noirs à purger leur peine loin de leur famille et de leurs soutiens sociaux. Il est très difficile pour ces personnes d’obtenir une libération conditionnelle au Québec ou de trouver une place dans une maison de transition. De plus, il peut être difficile d’accéder aux programmes ou aux interventions dans la langue de leur choix. Un examen des données indique que les personnes noires sont systématiquement surreprésentées dans les transferts involontaires. Par exemple, en 2020-2021, alors qu’ils représentaient 9,4 % de la population incarcérée, les Noirs représentaient 14,6 % des personnes transférées contre leur gré (voir l’annexe C pour plus de données). Si les transferts involontaires sont sans aucun doute le résultat de la tentative du SCC de gérer les incompatibilités et les affiliations aux gangs, ces bouleversements désavantagent encore plus un groupe qui est déjà confronté à un nombre démesuré de barrières et d’obstacles.

Étiquetage et stéréotypes de gang

Près d’un quart (23,8 %) de la population noire incarcérée a été identifiée comme appartenant à un groupe menaçant la sécurité (GMS) ou à un gang. En comparaison, 21,9 % des Autochtones, 5,7 % des Blancs et 12,7 % des personnes de couleur ont une affiliation à un gang dans leur dossier. Si les Noirs semblent statistiquement plus susceptibles d’être affiliés à un gang, comme dans les résultats précédents, de nombreux Noirs ont déclaré avoir été étiquetés ou traités comme des membres de gangs par le personnel du SCC, alors que leur dossier ne contenait pas d’affiliation officielle à un GMS Footnote 47 T. Ils ont indiqué que le personnel les qualifiait de membres de gangs sur la base de divers facteurs, notamment le quartier où ils ont grandi, les personnes qu’ils fréquentent dans leur rangée de cellules, les groupes de Noirs qui se rassemblent, les vêtements qu’ils portent ou la façon dont ils interagissent avec d’autres Noirs. Un membre du personnel a confirmé au Bureau que l’étiquetage et les stéréotypes existent :

« Des choses normales comme marcher, parler, le dialecte, les poignées de main sont stéréotypées comme des comportements de gang. Les prisonniers noirs sont également souvent coupables par association, ou par la couleur de leurs vêtements. Le personnel est peu sensibilisé à la signification des différentes couleurs. Cela peut toucher la façon dont le personnel considère les délinquants ou les étiqueter à tort comme membres de gangs, mais sur le plan opérationnel, cela nuit aux possibilités de travail ».

La tendance à considérer les comportements, le langage et les renseignements sur les antécédents à travers le « prisme des gangs » nuit à ces personnes, car l’étiquette d’appartenance à un gang rend difficile le passage à des niveaux de sécurité inférieurs, l’obtention d’un emploi ou le soutien d’une équipe de gestion de cas pour participer à d’autres activités de réadaptation.

Plusieurs hommes noirs ont également rapporté que le SCC leur a attribué une affiliation à un gang actif, avec peu ou aucune preuve. Ils ont dit au Bureau qu’il n’y avait aucun document de la Cour ou décision judiciaire dans leur dossier indiquant une affiliation à un gang, mais que le SCC leur avait attribué cette désignation. Une personne noire a déclaré :

« Peu importe que votre condamnation criminelle n’ait rien à voir avec une appartenance réelle ou supposée à un GMS, pour environ 95 % des cas que nous connaissons, c’est après votre entrée en prison que le SCC, grâce à des renseignements fabriqués par les services de renseignement de sécurité, vous colle ce statut dont vous aurez ensuite du mal à vous débarrasser, avec toutes les conséquences imaginables pour votre incarcération ».

À première vue, l’affiliation à un gang telle qu’identifiée, évaluée et définie par le SCC semble reposer sur des critères objectifs :

  • identification de sources fiables (informateurs, sources communautaires ou institutionnelles);
  • renseignements relatifs à l’application de la loi;
  • preuves écrites ou électroniques tangibles (par exemple, des photos);
  • auto-divulgation ou fait d’admettre;
  • arrêté alors qu’il participait à une activité criminelle avec des associés connus;
  • implication criminelle dans une activité d’organisation criminelle;
  • constatation judiciaire que le délinquant est un associé;
  • identification commune et (ou) symbolique (par exemple, cicatrices, marques et tatouages ou attirail d’organisation criminelle);
  • comportement observé qui, par sa nature ou son association, donne des motifs raisonnables et probables de croire que le délinquant est affilié à un gang Footnote 48 .

Dans la pratique, certains de ces critères sont discrétionnaires et sujets au biais de confirmation (la tendance à interpréter les renseignements ou les comportements d’une manière qui confirme les idées préconçues et les jugements subjectifs). Une fois appliquées, la validité et la fiabilité de l’étiquette de gang semblent être rarement remises en question, en particulier parmi les personnes occupant des postes opérationnels. Ce type d’étiquetage est particulièrement contestable lorsqu’il s’appuie sur des renseignements provenant des services de renseignement de la sécurité internes ou d’informateurs de la prison, qui ne sont pas toujours corroborés par les autorités extérieures chargées de l’application de la loi, les tribunaux ou la justice. Afin d’approfondir cette question, le Bureau a demandé et examiné trente formulaires aléatoires utilisés pour désigner une affiliation GMS (formulaire 184-02 : Évaluation de l’affiliation à un groupe menaçant la sécurité ). Nous avons constaté que la majorité d’entre eux ont indiqué que l’affiliation à un gang était basée sur les renseignements de la police. Il convient d’être prudent, car même les agents d’application de la loi sont enclins au profilage racial et à des interventions policières excessives au sein des communautés racialisées Footnote 49 . Sur la base des résultats de cette enquête, je suis d’accord avec le Comité sénatorial permanent des droits de la personne (2021) qui a demandé au SCC de procéder à un examen systématique de son utilisation du classement du groupe menaçant la sécurité et de « … son application disproportionnée aux peuples autochtones et aux groupes racialisés Footnote 50 ».

L’expérience d’une personne qui tente de faire supprimer son affiliation à un gang

Après être arrivé dans un établissement fédéral en provenance d’une prison provinciale sans être affilié à un gang, il a déclaré que le SCC a appliqué l’affiliation « simplement parce que je provenais de Montréal-Nord. Je l’ai contesté et j’ai refusé de signer. Transféré à Donnacona, confronté aux obstacles pour obtenir un emploi dit de confiance, j’ai été informé que les renseignements concernant mon affiliation provenaient de Montréal… mon avocat a contacté le SPVM [Service de police de Montréal] qui a répondu par écrit que j’étais inconnu de leurs services. L’ARS a ensuite changé sa version des faits et a déclaré que la province avait fourni les renseignements. C’est faux, puisque j’étais dans la population générale au niveau provincial où personne n’a jamais mentionné un tel statut. J’ai dû me battre pendant cinq ans pour que cette mention soit supprimée, en vain… mes demandes de transfert dans des établissements où j’aurais pu bénéficier d’un meilleur soutien, mes recherches d’emploi dans les établissements, en ont souffert. J’ai déménagé de Drummondville à Cowansville où j’ai immédiatement alerté la sécurité préventive de l’erreur. Ils m’ont donné six mois pour prouver ma non-affiliation. Comme ma conduite était irréprochable, ils m’ont donné un statut de non actif, ce qui est absurde, mais j’étais à bout de nerfs. Ils m’ont épuisé. »

Une fois qu’une affiliation à un gang est appliquée à une personne, il est presque impossible de la faire disparaître. Le Bureau a entendu plusieurs personnes noires qui tentent depuis des années de faire retirer une affiliation, qui se sont isolées des autres et qui n’ont pas participé à des organisations noires (p. ex. le Comité de détenus noirs) ou à des événements pour prouver qu’elles n’y sont pas associées. Certaines personnes ont fait appel à un conseiller juridique.

De plus, peu d’options ou de ressources sont offertes par le SCC à ceux qui souhaitent se désaffilier. La seule assistance identifiée dans la Directive du Commissaire 568-3 : Identification et gestion des groupes menaçant la sécurité est que si une personne souhaite se désaffilier d’un gang, elle doit soumettre une notification écrite de son intention de mettre fin à son affiliation à un groupe menaçant la sécurité. Un agent du renseignement de sécurité s’entretient alors avec le délinquant, compile les renseignements pertinents relatifs à la notification de cessation d’emploi et remplit les parties applicables du formulaire Évaluation de l’affiliation à un groupe menaçant la sécurité . La décision finale d’accepter ou de rejeter la demande de désaffiliation revient au responsable de l’établissement, en consultation avec le président du comité régional des renseignements stratégiques.

Interrogé sur les programmes destinés spécifiquement à ceux qui souhaitent se désaffilier, le SCC n’a mis en avant que les programmes correctionnels offerts dans le cadre du modèle de programme correctionnel intégré qui « … comprend des volets multi-cibles qui visent de manière holistique les facteurs de risque individuels et les besoins criminogènes, y compris les comportements communs aux membres du GMS, comme la personnalité antisociale, les attitudes/cognitions et les associés Footnote 51 ». En bref, il n’existe pas de programmes ciblant spécifiquement l’appartenance à un gang pour ceux qui souhaitent se désaffilier.

  1. Je recommande que le SCC procède à un examen systémique de son utilisation des critères de classement des groupes menaçant la sécurité afin de s’assurer que seuls les renseignements pertinents corroborés par des autorités extérieures chargées de l’application de la loi, des tribunaux ou des autorités judiciaires, et étayées par des preuves, soient utilisés pour désigner une personne comme appartenant à un groupe menaçant la sécurité. 
  2. Je recommande qu’au cours de l’année prochaine, le Service élabore une stratégie de désaffiliation des gangs. Cette stratégie doit : 
  3. Répondre aux besoins uniques des jeunes Noirs, des Autochtones et des personnes de couleur, ainsi que des femmes. 
  4. Favoriser des occasions (par exemple, des ateliers, des séminaires, des conférenciers) où les personnes peuvent s’impliquer dans leur culture et (ou) leur spiritualité. 
  5. Intégrer des pratiques exemplaires et des leçons retenues d’autres initiatives communautaires, administrations correctionnelles et d’autres domaines de la sécurité publique. 

Recours à la force

Dans mon plus récent rapport annuel (2020-2021), publié en février 2022, j’ai fait état d’une enquête menée par mon Bureau sur l’intersection entre la race et l’implication dans les incidents de recours à la force, où l’on a constaté que la race était uniquement associée à la surreprésentation des Noirs, des Autochtones et des personnes de couleur (BIPOC) dans les incidents de recours à la force dans les prisons fédérales. Plus précisément, les personnes BIPOC ont été à l’origine de 60 % de tous les recours à la force, alors qu’elles représentent 44 % de la population carcérale fédérale. Indépendamment du niveau de risque, du niveau de sécurité, de l’âge, de la durée de la peine ou du genre, le fait de s’identifier comme Autochtone ou Noir était associé à une plus grande probabilité d’être impliqué dans un incident de recours à la force. Plus précisément, les prisonniers noirs et autochtones représentaient 51 % de toutes les personnes impliquées dans des incidents de recours à la force au cours des cinq dernières années, alors qu’elles représentent 37 % de la population carcérale fédérale. De plus, les Noirs et les autochtones sont confrontés à un plus grand nombre de recours à la force par personne en moyenne. Sur la base de ces résultats, j’ai conclu que la force est utilisée de manière disproportionnée contre les personnes noires et autochtones incarcérées dans les établissements pénitentiaires fédéraux et que la race est associée de manière significative et unique à l’application de la force dans les prisons fédérales.

Ma principale recommandation demandait au SCC de s’attaquer aux préjugés systémiques et de rendre compte publiquement des changements réalisables en matière de politique et de pratique du recours à la force, afin de réduire les causes de la surreprésentation des Autochtones et des Noirs. Comme je l’ai déclaré lors de ma conférence de presse (10 février 2022), je ne suis pas convaincu que le SCC ait reconnu ou répondu de manière adéquate à mes préoccupations concernant le rôle unique que la race semble jouer dans la manière dont la force est appliquée,  à quelle fréquence elle est utilisée et contre qui . Dans sa réponse à ma recommandation, le SCC s’est engagé à effectuer « … une analyse complète des données relatives aux incidents de recours à la force afin de s’assurer que seules les stratégies nécessaires et proportionnelles à la gestion des incidents ont été utilisées ». La représentation disproportionnée des personnes noires et autochtones dans les incidents de recours à la force semble justifier une intervention qui va au-delà de l’examen de la nécessité ou de la proportionnalité du niveau ou du type de force utilisé dans ces incidents. À l’heure actuelle, les personnes occupant des postes de confiance et de pouvoir publics doivent répondre aux preuves de partialité ou de discrimination qui entraînent un traitement différentiel ou injuste. Le SCC peut et doit faire mieux.

  1. Je recommande à nouveau que le SCC élabore rapidement un plan d’action, en consultation avec les intervenants, afin d’examiner la relation entre le recours à la force et le racisme systémique à l’égard des Autochtones et des Noirs, et qu’il rende compte publiquement des changements réalisables aux politiques et aux pratiques qui permettront de réduire efficacement la surreprésentation de ces groupes parmi les personnes exposées au recours à la force. 

Accusations d’infractions disciplinaires

Bien que les règles pénitentiaires soient rigoureusement encadrées, les accusations d’infractions disciplinaires peuvent être hautement discrétionnaires ou subjectives. Entre 2016-2017 et 2020-2021, le nombre d’accusations d’infractions disciplinaires encourues par les personnes noires incarcérées a augmenté de 16,7 %, malgré le fait que le nombre total d’accusations disciplinaires déposées au cours de la même période a diminué de 3,8 %. À l’instar de la constatation précédente de mon Bureau Footnote 52 , l’annexe D démontre qu’entre 2016-2017 et 2020-2021, les personnes noires incarcérées étaient systématiquement surreprésentées pour les accusations discrétionnaires, comme la désobéissance à un ordre ou à une règle, le manque de respect envers une personne ou un membre du personnel et la mise en danger de la sécurité de l’établissement. À l’inverse, les prisonniers noirs étaient sous-représentés dans les catégories d’accusations nécessitant moins de discrétion et plus de preuves concrètes, comme l’endommagement ou la destruction de biens, la possession d’un objet non autorisé et l’échec à un test d’urine. Au cours des entrevues, les personnes noires ont décrit avoir été ciblées par des accusations d’infractions disciplinaires. Les femmes noires ont expliqué qu’elles étaient souvent étiquetées comme des « agresseuses » par le personnel du SCC et qu’elles recevaient par conséquent des accusations d’infractions disciplinaires. Une femme a déclaré : « On me qualifie d’intimidatrice et on m’accuse parce que je dis ce que je pense et que je me défends ». Une autre femme a expliqué qu’elle parlait rarement aux intervenants de première ligne du SCC parce que « … si vous ne dites rien, ils n’ont rien à vous reprocher ».

La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP), dans son rapport intitulé Un impact disparate : Deuxième rapport provisoire relatif à l’Enquête de la Commission ontarienne des droits de la personne sur le profilage et la discrimination raciale par le service de police de Toronto , a révélé une tendance très similaire en ce qui concerne les accusations déposées par le service de police de Toronto. Dans l’ensemble, la CODP a constaté que le taux d’inculpation des Noirs vivant à Toronto était 3,9 fois plus élevé que celui des Blancs à Toronto et que « les personnes noires sont largement surreprésentées dans les statistiques sur les accusations discrétionnaires de faible gravité et elles sont plus susceptibles que les personnes blanches d’encourir des accusations ayant peu de chances d’aboutir à une condamnation Footnote 53 ». Par exemple, alors qu’ils représentent 8,8 % de la population de Toronto, les Noirs représentent 42,5 % des personnes impliquées dans des accusations d’entrave à la justice, 35,2 % des personnes accusées d’infractions de la route « hors de vue » (comme l’absence d’assurance valide) et 37,6 % des personnes accusées de possession de cannabis. En outre, le rapport conclut que « bien qu’elles fassent l’objet d’accusations à un taux disproportionnellement élevé, les personnes noires étaient surreprésentées dans les statistiques sur les accusations retirées et elles étaient moins susceptibles d’être condamnées que les personnes blanches Footnote 54 ».

Le SCC doit s’assurer que la discrimination et les préjugés inconscients n’entraînent pas d’accusations d’infractions disciplinaires inappropriées ou disproportionnées à l’égard des Noirs. Bien que le SCC offre une formation sur la sensibilité, le personnel du SCC nous a dit que tous les employés ne prennent pas cette formation au sérieux. Un membre du personnel du SCC a déclaré que la formation sur la diversité est « … purement théorique, une formation PowerPoint que les collègues survolent et répondent ensuite aux tests en cochant des cases, sans apporter aucune expérience pratique utile à leur travail dans la prison ». Un autre membre du personnel du SCC a déclaré : « Il est difficile de donner une formation sur la diversité à un homme blanc ayant 25 ans de service au moyen d’une présentation PowerPoint ennuyeuse. De 25 à 50 % du cours portait sur la race et l’ethnicité. La plupart des autres questions portaient sur les LGBTQ+ et les mots à utiliser. C’est assez corporatif ». Ce membre du personnel a poursuivi en déclarant ce qui suit :

« La formation sur la diversité devrait être offerte durant [la formation de base]. On nous l’enseigne au cours de la formation de base , mais pas “comment” le faire, comme écouter avec empathie. Ils devraient également inviter la communauté à participer à la formation. Pour l’instant, ils ne sont pas du tout impliqués. Une fois par mois, il y a une activité de la BIFA et le Mois de l’histoire des Noirs, mais ces activités sont mal organisées. Un agent ethnoculturel est nécessaire et devrait être similaire à l’ALO [agent de liaison autochtone] ».

  1. Je recommande que le SCC élargisse la formation de son personnel en matière de diversité afin d’y inclure des représentants de groupes communautaires noirs et des experts externes qui peuvent fournir une perspective plus complète et plus pertinente. Cette formation devrait être obligatoire, en personne et axée sur les expériences pratiques et vécues des personnes noires. 

Unités d’intervention structurée

En 2013, le Bureau a constaté que les personnes noires étaient systématiquement surreprésentées dans les placements en isolement cellulaire. En novembre 2019, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition a été modifiée afin d’abolir l’isolement cellulaire tel que défini par les Règles Nelson Mandela (isolement d’un détenu pendant 22 heures ou plus par jour sans contact humain réel) en remplaçant le régime antérieur d’isolement préventif par des unités d’intervention structurée (UIS). Mises en place à la fin de novembre 2019, il existe désormais des UIS dans dix établissements pour hommes ainsi que dans les cinq établissements régionaux pour femmes. Un aperçu des statistiques des UIS indique ce qui suit :

  • Les Noirs sont surreprésentés dans les UIS, puisqu’ils en constituent 15 % de la population (Autochtones : 49 %, Blancs : 28 %, autres personnes de couleur : 5 %).
  • Les Noirs sont logés dans les UIS à un taux de 173 pour 1 000 prisonniers noirs, suivis des prisonniers autochtones (137 pour 1 000) et des prisonniers blancs (95 pour 1 000).
  • Les Noirs étaient presque deux fois plus susceptibles que les Blancs de faire l’objet d’au moins un séjour à l’UIS, et étaient plus susceptibles de faire l’objet de séjours de 60 jours ou plus.

L’utilisation des antécédents sociaux des Noirs

En 2021, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a statué que les juges de première instance devaient tenir compte de l’histoire du racisme et de la marginalisation subis par la communauté noire lors de la détermination de la peine Footnote 55 . Dans une décision déterminante, la juge Anne Derrick a écrit que « le fait qu’un juge chargé de la détermination de la peine ignore ou omette d’examiner les facteurs systémiques et contextuels détaillés dans une évaluation de l’incidence de l’origine ethnique et culturelle (ÉIEC) ou autrement soulevés lors de la détermination de la peine d’un délinquant afro-néo-écossais peut constituer une erreur de droit ». Le juge Derrick a également souligné l’importance de comprendre l’histoire sociale des Noirs lors de la détermination des peines, afin de réduire les niveaux d’incarcération au sein de la communauté. Tout comme les rapports Gladue Footnote 56 , les ÉIEC sont des rapports présentenciels qui aident les juges à comprendre les effets du racisme, de la discrimination, de la pauvreté, de la marginalisation, ainsi que d’autres facteurs, sur les expériences de vie d’une personne noire. Le juge Derrick a écrit : « La culpabilité morale d’un délinquant afro-néo-écossais doit être évaluée dans le contexte des facteurs historiques et du racisme systémique ».

Un rapport d’ÉIEC a été utilisé pour la première fois dans la condamnation d’une personne d’origine afro-canadienne dans la décision de 2014, R. c. « X Footnote 57 ». L’ÉIEC a examiné de près l’intersection entre la race, la santé mentale, la protection de l’enfance et le système judiciaire dans cette affaire. Un certain nombre d’ÉIEC ont été réalisées depuis 2014; cependant, jusqu’à récemment, elles sont restées un outil principalement utilisé en Nouvelle-Écosse. Le 13 août 2021, l’honorable David Lametti, ministre de la Justice et procureur général du Canada, a annoncé l’investissement par le gouvernement du Canada de 6,64 millions de dollars sur cinq ans à compter du 1er avril 2021, suivi de 1,6 millions de dollars par année sur une base permanente, pour la mise en œuvre des ÉIEC dans tout le Canada Footnote 58 . Le financement est destiné à contribuer au développement d’un programme de formation pour les rédacteurs de l’ÉIEC, à la formation aux avocats et aux juges et à la rédaction des rapports. Un défenseur de la communauté à qui le Bureau a parlé pour cette enquête a déclaré que les rapports d’ÉIEC ont été couronnés de succès en Nouvelle-Écosse :

« … à cause de l’expertise derrière ces rapports. Vous avez besoin d’une communauté de soutien et d’expertise, travaillant dans une optique de lutte contre le racisme noir. Pas le racisme anti-noir dans l’abstrait. Vous devez voir la personne dans son ensemble, dans le contexte de l’ascendance africaine et en relation avec la communauté et la culture. Avec les ÉIEC, nous pouvons parler en toute confiance des besoins des personnes noires ».

L’utilisation des antécédents sociaux dans le processus décisionnel de la gestion des cas correctionnels n’est pas nouvelle pour le SCC. À la suite de l’arrêt de la Cour suprême du Canada de 1999 qui obligeait les juges à tenir compte des années de désavantage systémique des peuples autochtones dans leurs décisions en matière de détermination de la peine, le SCC a intégré ce principe dans sa politique à l’égard des délinquants autochtones. Compte tenu des récentes décisions judiciaires et de l’engagement du gouvernement du Canada à l’égard des rapports d’ÉIEC, le SCC devrait, comme il est tenu de le faire pour la gestion des cas des Autochtones, adopter immédiatement une approche similaire pour les personnes noires incarcérées, en veillant à ce que les facteurs contenus dans un rapport sur les antécédents sociaux soient utilisés pour la gestion de la peine.

Discrimination et traitement différentiel

À l’instar des constatations précédentes de mon Bureau, de nombreuses personnes de race noire ont signalé de multiples incidents de discrimination explicite, de stéréotypes, de préjugés et (ou) de traitement différentiel de la part du personnel du SCC, et ce, malgré les efforts déployés par le SCC pour inciter le personnel, les délinquants et les intervenants à créer une organisation plus diversifiée, inclusive et équitable grâce à l’élaboration de ses cadres ethnoculturels et antiracistes. Une personne ayant séjourné à l’établissement d’Edmonton a vécu une expérience très négative, affirmant que la discrimination et le racisme envers les prisonniers noirs (ainsi que le personnel) étaient à la fois intentionnels et omniprésents Footnote 59 .

« À Edmonton, des gardiens noirs nous ont dit sans détour qu’ils étaient victimes de racisme. Le racisme à Edmonton est inquiétant. Il n’y a pas de comité de la BIFA [Black Inmates and Friends Association] à Edmonton. Dès que l’on voit trois ou quatre détenus noirs ensemble, on les sépare ou on les met en isolement! Chaque fois qu’un détenu noir devenait représentant d’unité, il n’obtenait rien. Même les détenus blancs disaient : “C’est raciste!”. 

Une autre personne, faisant référence à la discrimination, a déclaré : “On s’y habitue et on s’immunise contre elle”.

Les Noirs nous ont dit qu’en général, ils ne signalent pas les incidents de discrimination ou de racisme, soit parce que rien n’est fait, soit parce qu’ils sont systématiquement rejetés ou refusés. Ils ont également peur de déposer une plainte, car ils craignent d’attirer l’attention des agents, d’être fouillés tous les jours ou de voir leur urine constamment analysée. Un détenu a déclaré : “C’est une bataille perdue d’avance pour les détenus que d’aller et venir avec les gardiens; cela pourrait mettre en péril votre plan correctionnel”. Une autre personne a raconté aux enquêteurs du BEC qu’après avoir déposé un grief contre un agent correctionnel pour ce qu’il percevait comme une insulte raciale, son agent de libération conditionnelle l’a fait asseoir dans son bureau. Il a ensuite placé la liste des rapports d’observation rédigés à son encontre à côté de sa plainte et “… m’a demandé quel était mon choix : retirer la plainte ou laisser les accusations portées contre moi détruire mon plan correctionnel. Je n’avais pas vraiment le choix, je savais qu’ils l’avaient fait à d’autres avant moi”. Au fil des ans, mon Bureau a formulé plusieurs recommandations concernant l’accessibilité et l’efficacité du système de règlement des griefs du SCC. Il ressort clairement des entrevues que le système de règlement des griefs n’a pas été amélioré et qu’il reste un système défaillant. Bien que mon Bureau ne fasse pas de recommandation spécifique concernant le système pour le moment, je reste préoccupé par le fait qu’il s’agit d’une question qui justifie une enquête distincte, en particulier à la lumière des plaintes en matière de racisme et de discrimination.

Voix des personnes noires et du personnel du SCC sur la discrimination et le racisme

Tel que rapporté par un membre du personnel du SCC : Un homme noir était allongé sur le sol et demandait une assistance médicale. L’un des agents correctionnels qui s’est approché de lui a commencé à se moquer de lui : « Regardez-le, il s’étouffe comme George Floyd ». Ses collègues blancs ont ri.

Les personnes noires ont signalé qu’il est courant que les agents correctionnels utilisent un langage raciste à leur encontre ou les traitent de « singes » verbalement ou par des gestes. Une personne noire, qui faisait un suivi auprès d’un membre du personnel du SCC pour une permission de sortir avec escorte (PSAE), s’est vu demander, en présence d’autres personnes incarcérées : « Vous voulez donc une PSAE pour aller au zoo. C’est pour aller voir des amis? »

On demande à un groupe de Noirs assis ensemble en train de boire du café : « De quoi a parlé le gang? » ou « Qu’est-ce qui a été dit aujourd’hui à la réunion du gang? »

Tel que rapporté par un membre du personnel du SCC : « Ayant moi-même été témoin de tant de commentaires et de comportements racistes de la part de collègues blancs, le conseil que je donne régulièrement aux détenus noirs est qu’ils doivent se comporter de manière à ne pas servir d’alibi aux racistes qui ont du pouvoir sur eux. Pourtant, on ne devrait pas leur demander d’être plus prudents que les autres détenus ».

D’un bénévole qui travaille au SCC dans les pénitenciers depuis plus de 10 ans : « Les détenus noirs me rapportent subir beaucoup de racisme. Néanmoins, ce que j’ai remarqué depuis que je suis au Québec, c’est que les délinquants noirs anglophones subissent encore plus de racisme. C’est comme s’ils avaient deux circonstances aggravantes aux yeux de certains membres du personnel : la couleur de la peau et la langue anglaise ».

Contrairement à ce qui s’était passé lors de la précédente enquête du Bureau, la plupart des personnes interrogées étaient convaincues qu’une plus grande représentation des Noirs parmi le personnel du SCC contribuerait à réduire le manque de confiance entre le personnel et les détenus. Comme le dit un membre de la Black Inmates and Friends Association (BIFA) : « Ces agents [blancs] ne savent pas comment s’associer à nous. Ils ont peur, ou hésitent à nous connaître ». Un autre a déclaré : « J’ai pu avoir une agente de libération conditionnelle noire pour la première fois ici à [l’établissement] et j’ai vu la différence dans sa façon de travailler, car elle tenait compte de mes origines qui ne lui étaient pas si étrangères ». L’impact d’un manque de diversité parmi le personnel peut être important, comme l’explique une personne interrogée :

« Parce qu’ils ne connaissent pas nos cultures et la façon dont nous interagissons dans la communauté, le moindre signe qui leur semble inhabituel ou bizarre est interprété négativement : un simple vêtement porté d’une certaine façon, le ton de la voix, l’absence de contact visuel, une trop grande gaieté, seront autant de preuves pour un rapport qui sera ensuite utilisé contre vous par votre agent de libération conditionnelle ou votre équipe de gestion de cas, sans aucun recours ».

Le personnel du SCC a également confirmé que les prisonniers noirs semblent se sentir plus à l’aise d’approcher le personnel qui leur ressemble. Un membre du personnel du SCC a expliqué à quel point la représentation est importante pour fournir des modèles aux jeunes hommes noirs derrière les barreaux : « Ces gars-là avaient peu de modèles positifs dans la communauté, et cela se répercute dans l’établissement. Ils sont aussi généralement méfiants à l’égard des hommes blancs en uniforme ». Les officiers noirs créent un environnement qui facilite la discussion et l’engagement, enracinés dans des expériences partagées.

À l’échelle nationale, les nouveaux employés du SCC qui s’identifient comme membres d’une minorité visible dépassent le taux de disponibilité de la population active Footnote 60 . Bien que cela soit encourageant, la représentation des minorités visibles parmi les agents correctionnels est particulièrement faible dans certains des établissements les plus diversifiés (voir le tableau 2 ci-dessous). Par exemple, alors que 43,3 % des personnes incarcérées s’identifient à une minorité visible à l’Établissement de Collins Bay, seulement 9,3 % des agents correctionnels s’identifient à une minorité visible. Il convient de mettre davantage l’accent sur le recrutement d’un personnel correctionnel diversifié, en particulier dans les établissements dont la population est diversifiée, car ce sont les membres du personnel qui ont des interactions quotidiennes en personne avec les personnes incarcérées et qui peuvent avoir la plus grande incidence en ce qui concerne les conseils, le soutien et le leadership.

Tableau 2 : Pourcentage de la population carcérale et du personnel CX s’identifiant comme appartenant à une minorité visible, par établissement sélectionné

ÉTABLISSEMENT 

POURCENTAGE DE LA POPULATION 
INCARCÉRÉE S'IDENTIFIANT COMME 
UNE MINORITÉ VISIBLE 

POURCENTAGE D'AGENTS 
CORRECTIONNELS S'IDENTIFIANT 
COMME UNE MINORITÉ VISIBLE 

COLLINS BAY

43,3

9,3

MILLHAVEN

31

7,1

WARKWORTH

30,8

8,4

GRAND VALLEY 
POUR FEMMES

15

27,3

ATLANTIQUE

19,5

3,6

SPRINGHILL

7,9

9,8

COWANSVILLE

20,9

6,9

Source : SCC SIR-M pour les chiffres concernant la population carcérale et renseignements et demande de documents du SCC pour les chiffres concernant le personnel (reçu du SCC le 20 décembre 2021).

Préjugés raciaux et soins de santé

« Un détenu noir qui souffre sera souvent traité avec mépris. Ils l’accuseront d’exagérer la douleur, d’essayer de susciter la pitié, alors que sa souffrance est en réalité insupportable. Mais si un Blanc se présente avec beaucoup moins de douleur, il sera pris au mot. On lui prescrira immédiatement des analgésiques ou on le transférera à l’hôpital pour un examen approfondi ». 

« Ils ne comprennent pas ou ne cherchent pas à comprendre notre détresse psychologique. Au contraire, toute information qui peut être utilisée contre nous par le Service finit par se retourner contre nous après que nous nous soyons confiés à eux. J’ai vu la différence depuis que l’établissement a récemment lancé un programme de consultation individuelle en santé mentale avec un spécialiste noir qui nous reçoit par vidéo. On voit tout de suite qu’il veut créer un climat de confiance pour vous aider ».

– Extraits d’entrevues avec deux personnes noires incarcérées 

Au cours de l’enquête, plusieurs prisonniers noirs se sont plaints de préjugés raciaux de la part du personnel de santé du SCC, qui minimisait parfois les douleurs physiques ou mentales des personnes noires incarcérées. Les plaintes concernant la discrimination dans le diagnostic et le traitement des personnes noires incarcérées sont révélatrices d’un problème de plus en plus documenté en médecine et en psychologie ces dernières années. Par exemple, des études récentes menées aux États-Unis ont montré que les personnes noires sont systématiquement sous-traitées pour la douleur par rapport aux personnes blanches. Ce préjugé racial serait lié à de fausses croyances sur les différences biologiques entre les Noirs et les Blancs. Les professionnels de la santé peuvent utiliser des croyances erronées sur les différences biologiques entre les Noirs et les Blancs pour étayer leurs jugements médicaux, ce qui peut contribuer aux disparités raciales dans l’évaluation et le traitement de la douleur Footnote 61 ».

Dans un environnement carcéral, les professionnels de la santé sont confrontés à un défi lorsqu’ils prescrivent des analgésiques, car de nombreux détenus ont des problèmes de dépendance et peuvent chercher à obtenir des analgésiques pour gérer leur dépendance. Néanmoins, la douleur physique et psychologique se présente sous de nombreuses formes, et les préjugés raciaux dans l’évaluation, la gestion et le traitement de la douleur peuvent avoir de graves conséquences pour les patients noirs. Les professionnels de la santé doivent être sensibles à d’éventuels préjugés inconscients lorsqu’ils évaluent et traitent des prisonniers noirs.

  1. Je recommande que le SCC élabore un programme de formation pour les professionnels de la santé de première ligne. Ce programme devrait s’appuyer sur les recherches les plus récentes sur les préjugés raciaux et leur impact sur les décisions et procédures médicales. 

Interventions correctionnelles

Malgré les tentatives du SCC de rendre les programmes correctionnels plus accessibles aux diverses cultures et origines, nous avons entendu dire que le contenu des cours continue d’être trop générique et ne tient pas compte des expériences socioculturelles ou vécues des Noirs. Bien qu’il soit difficile de déchiffrer exactement les changements spécifiques apportés par le SCC aux programmes correctionnels pour mieux refléter les expériences et les besoins de la communauté noire, il semble que ces changements ne fassent qu’effleurer ce qui est en fait nécessaire. Une personne interrogée a fait le commentaire suivant :

« Nous avons affaire à des programmes qui traitent de la violence, par exemple, mais à aucun moment ils ne tiennent compte des schémas familiaux dont beaucoup d’entre nous sont issus, de la pauvreté dans laquelle nous avons grandi, de la stigmatisation que nous avons subie à l’école et dans nos quartiers, en particulier dans nos relations avec tout ce qui représentait l’autorité. Comment un tel programme peut-il nous être utile quand on voit qu’il a été conçu pour un détenu blanc? ».

Un défenseur des communautés s’est exprimé en ces termes : « Il [le SCC] manque d’interventions puissamment éclairées qui peuvent être liées aux antécédents d’un prisonnier noir ». C’est le cas, malgré le fait que la Directive du Commissaire 726-1 : Normes relatives aux programmes correctionnels nationaux stipule que tous les programmes correctionnels du SCC doivent « comporter des méthodes adaptées aux facteurs de réceptivité propres à chaque délinquant, comme les besoins des femmes, des délinquants autochtones, des délinquants ayant des besoins en matière de santé et d’autres groupes » (c’est nous qui soulignons). Un grand nombre des personnes interrogées dans le cadre de cette enquête, y compris des groupes communautaires et des défenseurs des droits, ont dit à mon Bureau qu’elles aimeraient que le SCC élabore des programmes correctionnels adaptés spécifiquement aux personnes noires afin de maximiser l’efficacité des programmes correctionnels pour la communauté noire.

Certaines personnes noires se sont retrouvées face à un choix difficile. D’une part, ils considèrent que les programmes correctionnels ne sont pas du tout adaptés à leur réalité culturelle et sociale, qu’ils sont axés sur les cycles de la criminalité et qu’ils n’ont aucun rapport avec leur réussite future dans la communauté. D’autre part, en ne participant pas aux programmes correctionnels, ils risquent d’avoir un faible taux de motivation, ce qui a une incidence directe sur leur trajectoire correctionnelle, notamment sur leur admissibilité à la libération conditionnelle, leurs perspectives d’emploi et leur niveau de rémunération, pour ne citer que quelques exemples. Les programmes correctionnels doivent être ancrés dans les expériences de personnes qu’ils visent et dispensés par des agents de programmes correctionnels qui ont été exposés, sensibilisés ou formés à ces réalités particulières. Le fait d’inviter divers experts et groupes communautaires à venir discuter et partager leurs expériences, ou de permettre aux Noirs d’utiliser les permissions de sortir avec escorte (PSAE) pour participer à des programmes pertinents offerts par des organisations communautaires appropriées dans le cadre de leur programme correctionnel, contribuerait grandement à résoudre bon nombre des problèmes soulevés par les Noirs en ce qui a trait à ce que la plupart perçoivent comme des programmes correctionnels non pertinents.

Alors que les Noirs bénéficient de PSAE dans la communauté aux fins de programme, ils sont constamment sous-représentés parmi les personnes approuvées pour des PSAE aux fins de programme. Par exemple, entre 2015-2016 et 2019-2020, les personnes noires représentaient entre 5,4 et 7 % des personnes bénéficiant d’une permission de sortir aux fins de programme (pendant cette période, les personnes noires représentaient de 8,2 à 9,4 % de la population incarcérée). La seule exception était en 2020-2021, où elles représentaient 14,8 % des personnes ayant accédé à une permission de sortir aux fins de programme, alors qu’elles représentaient 9,4 % de la population (voir l’annexe E pour les données). L’accès communautaire est un moyen efficace d’élargir les soutiens et les services disponibles pour les personnes noires. Les programmes communautaires sont souvent plus efficaces et plus pertinents.

Emploi

L’emploi en prison est important, car il peut contribuer à la réintégration d’une personne dans la société en lui offrant la possibilité d’acquérir des compétences et une expérience professionnelle. L’emploi CORCAN Footnote 62 est souvent considéré comme le type d’emploi préféré, car de nombreux emplois CORCAN offrent des compétences monnayables, comme la soudure, la construction et la réparation de petits moteurs. En 2020-2021, les Noirs représentaient 7 % de toutes les affectations de CORCAN et 7,3 % des personnes incarcérées affectées à CORCAN, alors qu’ils représentent plus de 9 % de la population carcérale. Les taux de participation à CORCAN peuvent être influencés par le fait que les Noirs sont surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale où le SCC n’offre pas de possibilités de formation en cours d’emploi de CORCAN dans tous les établissements à sécurité maximale. Le SCC offre également plusieurs types de possibilités d’emploi au sein de l’établissement. Les emplois en établissement sont souvent décrits comme des « emplois avec horaire chargé » et n’offrent guère de compétences ou de formation. En termes d’emploi au SCC, les personnes noires incarcérées représentaient 8,8 % des affectations en établissement et 9,2 % des personnes employées dans un emploi en établissement en 2020-2021.

Au cours des entrevues, beaucoup ont déclaré avoir été victimes de discrimination pendant le processus d’embauche. Ils ont déclaré qu’il est très rare qu’un délinquant noir obtienne un « emploi de confiance », par exemple à la cantine. « Ce type d’emploi est presque exclusivement réservé aux Blancs, même si ce n’est écrit nulle part », a déclaré un détenu qui est employé comme nettoyeur depuis plusieurs mois. Les cinq principaux emplois pour les Noirs étaient les suivants : nettoyeur, préposé à la préparation des aliments, comité de détenus, plongeur et préposé aux loisirs. Alors que la majorité des personnes incarcérées gagnent une rémunération de niveau C (5,80 $/jour), les Noirs sont moins susceptibles de gagner les niveaux de rémunération les plus élevés (niveau A à 6,90 $/jour et niveau B à 6,35 $/jour). En avril 2022, 3,7 % des Noirs touchaient une rémunération de niveau A, contre 6,2 % des Blancs, et 18,1 % des Noirs touchaient une rémunération de niveau B, contre 21,7 % des Blancs Footnote 63 .

Pratiques prometteuses

Agent d’inclusion : L’établissement de Cowansville a créé un poste d’agent d’inclusion visant à aborder les questions de racisme et de discrimination. Ce poste était occupé par deux agents correctionnels. Selon des personnes noires et des membres du personnel du SCC, ce poste a permis de dénoncer plus souvent des situations de discrimination ou des comportements racistes, y compris entre collègues. Différentes approches sont adoptées pour traiter ces situations, comme la médiation ou le signalement à la direction, en fonction de la gravité de la situation et des circonstances qui l’entourent. Malheureusement, en raison du manque de personnel pendant la COVID-19, ces deux membres du personnel ont retrouvé leur ancien poste.

Affectation de réintégration afro-canadienne : L’établissement de l’Atlantique a mis en place une mission de réintégration des Afro-Canadiens dans le cadre de laquelle le personnel du SCC a travaillé directement avec les groupes communautaires pour repérer les ressources communautaires et les conseillers en emploi qui pourraient venir dans les établissements pour cerner les besoins des personnes noires incarcérées avant leur libération. L’objectif du programme était de préparer les Noirs à trouver un emploi ou un soutien professionnel après leur retour dans la communauté. Malheureusement, il semble que le financement et le soutien de cette initiative aient pris fin.

Programme pour aider les détenus afro-canadiens à acquérir résilience et force mentale 

En 2018, le programme Résilience et force mentale des détenus afro-canadiens a été proposé à quatre endroits : Bureau de libération conditionnelle de Keele, Établissement de Warkworth, Établissement de Beaver Creek et Établissement de Grand Valley. Le contenu du programme visait à permettre aux participants :

  • de trouver leur Symbole Adinkra et affirmation puissante*;
  • d’évaluer leurs difficultés associées à la récidive;
  • de déterminer leurs priorités personnelles en matière de virilité des hommes noirs.

De nombreuses personnes incarcérées ont trouvé ce programme bénéfique, mais il n’a pas été poursuivi.

Antécédents sociaux des Noirs 

Le district central de l’Ontario a lancé une initiative pilote appelée « Black Social History » (BSH). Cette initiative prend en compte la BSH dans la planification correctionnelle. Les agents de libération conditionnelle reçoivent des conseils sur la manière de prendre en compte les besoins et les intérêts culturels des Noirs dans la planification correctionnelle. Le SCC est en train d’étendre le BSH à tous les établissements communautaires de l’Ontario et à l’unité d’évaluation de Joyceville. L’initiative a été intégrée au Cadre de lutte contre le racisme de 2021.

Centre correctionnel communautaire Jamieson 

Le CCC Jamieson a créé un poste d’agent de réintégration afro-écossais chargé d’élaborer des programmes pour les personnes d’origine ethnoculturelle de la communauté et d’offrir un soutien continu. Cette personne est également en contact avec les représentants du soutien communautaire et assure la liaison avec eux.

*Pour obtenir plus de renseignements : MacDonald, J. (26 mars 2007). West African Wisdom: Adinkra Symbols & Meanings. Adinkra.org.

 

 

Participation des groupes de la communauté noire

La Directive du commissaire (DC) 767 — Délinquants ethnoculturels : Services et Interventions exige que le SCC :

8 (c) favorisera la mise en œuvre des initiatives ethnoculturelles dans les régions afin de répondre aux besoins culturels des délinquants ethnoculturels;

8 (d) favorisera la participation des organisations communautaires et établira des partenariats avec des communautés ethnoculturelles afin de soutenir les délinquants ethnoculturels tout au long de leur peine et lors de leur mise en liberté dans la collectivité;

8(e) dressera et gérera, en consultation avec les communautés ethnoculturelles, les comités consultatifs et (ou) les associations ethnoculturelles, une liste de ressources ethnoculturelles qui sera mise à la disposition du personnel du SCC et mise à jour au besoin.

En dépit de ces directives, et à l’instar des conclusions précédentes du Bureau, l’examen a révélé que les liens avec les groupes communautaires noirs sont pour la plupart inexistants. La COVID-19 a certainement rendu l’accès aux groupes communautaires plus difficile. Nous avons fréquemment entendu dire que les comités de détenus noirs ne pouvaient même pas entrer en contact avec les groupes ou les leaders de la communauté noire en utilisant la technologie virtuelle au cours des deux dernières années. En outre, le SCC a rendu l’accès à la prison encore plus difficile pour les groupes et les dirigeants de la communauté noire, invoquant souvent des problèmes de sécurité. Comme l’a dit une personne noire incarcérée :

« Peut-être que certaines de ces personnes ont eu un passé criminel, mais ce n’est pas une raison pour les exclure, au contraire, c’est la façon dont elles s’en sont sorties pour devenir des modèles qui nous offre à nous, qui sommes enfermés, des perspectives d’avenir autres que de retourner en prison. »

Image d’un « carton publicitaire » d’information de la Peoples’ Counselling Clinic.

Carton publicitaire de la Peoples’ Counselling Clinic. 

Un leader de la communauté noire nous a dit : « Ils se méfient de la communauté. Ils disent que nous sommes des “membres de gang”. Je suis professeur d’université, pour l’amour du ciel! Les bénévoles et les défenseurs sont impuissants et à la merci des établissements. C’est un système complètement imperméable, et si vous essayez de le pénétrer, ils vous mettent de côté. Si les seules options sont la famille proche et les amis, alors comment puis-je leur rendre visite? Dans quel cadre? ».

Les membres du Comité des détenus noirs nous ont dit que l’organisation d’événements et de conférenciers pour le Mois de l’histoire des Noirs était un défi, souvent avec peu d’aide du personnel du SCC. Lors d’un événement organisé dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs dans l’un des établissements pour hommes, le personnel du SCC a été invité à participer à l’événement, mais aucun membre du personnel du SCC ne s’est présenté. Un organisateur a déclaré : « Nous avions des représentants de la communauté noire de Toronto, des gens qui font de grandes choses pour les jeunes dans nos quartiers et avec lesquels le Service aurait pu entamer un dialogue pour travailler ensemble. Ils ne sont tout simplement pas intéressés et ils ne prennent même pas la peine de le cacher ». Il est clair qu’un travail important est encore nécessaire.

Il existe un certain nombre d’organisations communautaires noires qui font un travail important pour la communauté noire. Seulement quelques-unes ont été répertoriées ci-dessous :

  • Community Enhancement Association : Cette initiative consiste à libérer les Noirs des établissements fédéraux et à les placer dans des maisons de transition pour des programmes de jour. Une personne participant à la mise en place de ce programme a déclaré : « Cela a été transformateur pour les participants… C’était leur première introduction à la psychologie noire ».
  • The Peoples’ Counselling Clinic en Nouvelle-Écosse est une clinique de santé mentale communautaire qui fournit des services directs et une éducation publique axée sur les questions de traumatisme, de race, de sexe et de genre. La Peoples’ Counselling Clinic gère également l’admission et l’attribution des évaluations de l’impact de la race et de la culture pour les tribunaux de la Nouvelle-Écosse.
  • 902 Man-Up est un programme de réintégration communautaire desservant la Nouvelle-Écosse. Ce groupe offre un soutien à la réintégration des jeunes hommes et femmes noir(e)s en Nouvelle-Écosse. L’une des personnes qui dirige ce groupe a déclaré : « Nous établissons des liens avec eux pendant leur incarcération, puis nous les aidons à établir des liens avec la communauté. Ils ont parfois une mauvaise réputation, alors nous les présentons sous un jour plus positif à la communauté ». Ce groupe a indiqué que le SCC était plus disposé à travailler avec 902 Man-Up que le système provincial.
  • DESTA est une organisation basée à Montréal qui offre des services de réinsertion et de défense des droits aux personnes noires actuellement et anciennement incarcérées qui se préparent à être libérées, qui se trouvent dans des logements temporaires ou qui ont des antécédents en matière de justice pénale.

Il n’y a pas de manque de services et d’interventions disponibles au sein de la communauté; cependant, il semble qu’il y ait un manque d’effort concerté ou de volonté de la part du SCC pour entrer en contact avec ces groupes, les consulter et développer des partenariats solides avec eux. Comme l’a déclaré un défenseur interrogé dans le cadre de l’enquête :

« Les institutions religieuses ont le plus grand accès et la plus grande capacité à faire du travail de réintégration à partir de la communauté, alors nous travaillons avec elles… [Cependant] Nous n’avons pas la capacité de mener des programmes derrière les barreaux… L’accès aux prisonniers est généralement difficile pour les Noirs et nos relations avec les personnes quoi ont des démêlés avec la justice rendent les choses plus difficiles. S’ils font une évaluation de sécurité approfondie sur moi, ils trouveront certainement des gens liés à moi qui sont impliqués. Lorsque nous commençons à faire venir des personnes dans les institutions pour nous aider dans notre travail ou lorsque nous obtenons des contrôles de sécurité approfondis, toute personne ayant un passé douteux est mal vue. Leur accès est limité et cet examen est teinté de racisme. En somme, le fait d’être noir peut avoir un effet négatif sur mon accès ».

Conclusion

Il est clair que très peu d’initiatives ou de programmes de fond, destinés à la communauté noire incarcérée, ont été mis en œuvre pour améliorer de manière significative la vie des Noirs dans les pénitenciers fédéraux. Tous les problèmes et préoccupations cernés dans l’enquête de 2013 du Bureau, notamment le racisme, la discrimination, les stéréotypes et l’étiquetage des prisonniers noirs, restent omniprésents et continuent de susciter d’importantes préoccupations. L’incapacité du SCC à reconnaître pleinement les expériences et les besoins uniques des Noirs et à mettre en œuvre des interventions appropriées l’a empêché de fournir à ce segment de la population carcérale des programmes, des interventions et un soutien pertinents. Le SCC ne dispose pas d’une stratégie globale qui réponde aux besoins de la communauté noire. Les besoins des personnes noires sont uniques et ancrés dans les conséquences historiques de l’esclavage et du racisme systémique tout au long de l’histoire du Canada Footnote 64 . Compte tenu de cette situation et des piètres résultats correctionnels relevés dans le présent rapport, je recommande au SCC d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie qui tienne compte de la voix des détenus, des intervenants et des collectivités de race noire.

  1. Je recommande que le SCC élabore une stratégie nationale qui aborde spécifiquement les expériences vécues et les obstacles uniques auxquels sont confrontés les Noirs purgeant une peine de ressort fédéral. Cette stratégie devrait inclure les éléments suivants : 
  2. Une programmation correctionnelle ciblée et adaptée; 
  3. Un programme d’agents de liaison dédié aux besoins des personnes de race noire; 
  4. L’utilisation des antécédents sociaux dans la prise de décision en matière de gestion de cas en s’inspirant des leçons tirées de l’utilisation d’ÉIEC en Nouvelle-Écosse; 
  5. Un programme de recherche ciblé examinant les résultats correctionnels; 
  6. La participation régulière des groupes de la communauté noire dans l’intervention des prisons visant à éliminer les obstacles à leur participation; 
  7. Un financement dévoué et à long terme. 

Annexe A : Profil de la population

 

NOIR 
(n = 1 207) 

BLANC 
(n = 5 737) 

AUTOCHTONE 
(n = 3 757) 

PERSONNES 
DE COULEUR* 
(n = 686) 

GENRE**

 

% D'HOMMES

97,4

95,7

93,2

95,9

% DE FEMMES

2,6

4,3

6,7

4,1

ÂGE

 

% 18 À 30

37,7

16,3

32,5

30,5

% 31 À 40

33,3

26,9

33,8

32,8

% 41 À 50

16,7

22,4

17,5

18,9

% 51+

12,3

34,3

16,2

17,8

NIVEAU DE SÉCURITÉ***

 

% MAXIMALE

17,1

10,2

15,4

11,4

% MOYENNE

59,1

60

62,9

59,2

% MINIMALE

12,2

19

12,9

17,1

NOMBRE DE PEINES FÉDÉRALES

 

% PREMIÈRE

75,1

64,6

62,2

86,3

% DEUXIÈME

19,5

20

22,7

10,5

% TROISIÈME OU PLUS

5,4

15,3

15,1

3,2

RISQUE***

 

% ÉLEVÉ

65,5

65,7

69,8

53,2

% MOYEN

24,7

24,8

23,9

33,4

% FAIBLE

4,0

3,5

2,1

6,3

BESOIN***

 

% ÉLEVÉ

65,5

65,5

78,1

58

% MOYEN

26,1

26

17

29,9

% FAIBLE

2,6

2,4

0,7

4,8

RESPONSABILITÉ***

 

% ÉLEVÉE

9,4

12,9

10,3

12,2

% MEDIUM

54

56,5

65

53,5

% FAIBLE

28,7

21,7

18,3

25,4

MOTIVATION***

 

% ÉLEVÉE

13,8

17,9

13,9

17,2

% MOYEN

60,7

58,3

66,6

57,9

% FAIBLE

19,6

17,6

15,3

17,2

POTENTIEL DE RÉINTÉGRATION***

 

% ÉLEVÉE

8,7

10

4

17,1

% MOYEN

37,3

39,7

33,1

40,1

% FAIBLE

48,1

44

58,7

34,4

% AVEC UNE AFFLILIATION 
À UN GANG

23,8

5,7

21,9

12,7

Source : Entrepôt de données du SCC (18 juillet 2021).

*L’auto-identification de la race est fondée sur les catégories définies et recueillies par le SCC pour chaque personne lors de son admission dans le système correctionnel. La catégorie Personnes de couleur comprend 14 groupes de minorités visibles auto-identifiés (à l’exception des Autochtones et des Noirs) selon les catégories raciales du Système de gestion des délinquants (SGD) du SCC.

**Il existe une catégorie de genre « autre » dont les chiffres sont très faibles et qui n’est pas rapportée dans ce tableau. De ce fait, il se peut que la somme des pourcentages ne soit pas égale à 100.

***Il manquait des renseignements sur le niveau de sécurité, le risque, le besoin, la responsabilité, la motivation et le potentiel de réintégration pour chaque groupe racial; par conséquent, les pourcentages ne totalisent pas 100.

Annexe B : Proportion de personnes noires et blanches par niveau de sécurité

2016-04-10 

NOIRS (n=1 319) 

BLANCS (n=8 143) 

MAXIMALE

20,8

12,8

MOYENNE

59,7

58,1

MINIMALE

14,3

22,1

2017-04-09 

NOIRS (n=1 215) 

BLANCS (n=7 646) 

MAXIMALE

19,2

12,1

MOYENNE

58,2

56,6

MINIMALE

14,2

22,2

2018-04-08 

NOIRS (n=1 179) 

BLANCS (n=7 325) 

MAXIMALE

16,1

11,6

MOYENNE

59,5

55,8

MINIMALE

15,0

23,8

2019-04-07 

NOIRS (n=1 166) 

BLANCS (n=6 994) 

MAXIMALE

17,4

10,8

MOYENNE

58,7

59

MINIMALE

15,6

21,9

2020-04-12 

NOIRS (n=1 308) 

BLANCS (n=6 779) 

MAXIMALE

17,6

10,8

MOYENNE

60,9

60

MINIMALE

12,8

21,5

2021-04-11 

NOIRS (n=1 168) 

BLANCS (n=5 901) 

MAXIMALE

17,8

10,9

MOYENNE

60,7

62,2

MINIMALE

11,4

19,2

2021-12-12 
(année à ce jour) 

NOIRS (n=1 172) 

BLANCS (n=5 900) 

MAXIMALE

18,4

10,3

MOYENNE

61,8

60,1

MINIMALE

12,3

19,8

Source : Entrepôt de données du SCC (28 janvier 2022).

Remarque : Il manquait des renseignements sur le niveau de sécurité pour les deux groupes raciaux; par conséquent, les pourcentages ne totalisent pas 100. Il convient de noter qu’en moyenne, sur la période de sept ans indiquée dans le tableau, des renseignements sur le niveau de sécurité pour 8,2 % des personnes noires et 8,3 % des personnes blanches étaient manquants.

Annexe C : Proportion de transferts involontaires concernant des personnes noires, de 2015-2016 à 2021-2022

2015-16 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
9 % de la 
population 
carcérale 

2016-17 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
8,6 % de la 
population 
carcérale 

2017-18 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise% 
8,4 % de la 
population 
carcérale 

2018-19 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
8,2 % de la 
population 
carcérale 

2019-20 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
9,4 % de la 
population 
carcérale 

2020-21 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
9,4 % de la 
population 
carcérale 

2021-22 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
9,2 % de la 
population 
carcérale 

12,5

10,4

9,9

12,2

12,3

14,6

12,7

Source : Entrepôt de données du SCC, accès le 1er avril 2022

Annexe D : Proportion de Noirs faisant l’objet d’accusations d’infractions disciplinaires

 

2016/2017 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
8,6 % de la 
population 
carcérale 

2017/2018 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise% 
8,4 % de la 
population 
carcérale 

2018/2019 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
8,2 % de la 
population 
carcérale 

2019/2020 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
9,4 % de la 
population 
carcérale 

2020/2021 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
9,4 % de la 
population 
carcérale 

2021/2022 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
9,2 % de la 
population 
carcérale 

Tous les frais

11,3

10,8

12,3

12,7

13,7

LES 10 PRINCIPALES ACCUSATIONS D’INFRACTIONS DISCIPLINAIRES 

Possession de produits interdits

9,9

12,1

12,1

11,8

13,6

Dommages ou destruction des biens

9,5

10,4

10,4

9,4

5,8

Désobéissance à un ordre

21,1

16,7

17,6

18,1

20,7

Désobéissance à une règle

12,9

12,4

15,1

15,3

15,8

Manque de respect envers une personne ou un membre du personnel

12,1

9,5

12,2

9,4

12,3

Bagarre/agression

10,7

9,1

10,3

10,8

13,9

Intoxiquant dans le corps

10,7

11,1

12,8

10,4

10,6

Mise en péril de la sécurité de l’établissement

9,1

9,4

12,8

22,3

15,7

Article non autorisé

6,9

6,2

6,7

8,6

7,6

Échantillon d’urine (ne pas le fournir ou refuser de le fournir lorsqu’il est demandé)

7,8

8,6

7,8

8,1

9,0

Source : Entrepôt de données du SCC (juillet 2021)

Annexe E : Proportion de sortie avec escorte aux fins de la programmation à laquelle ont accès les personnes de race noire

2015-16 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
9 % de la 
population 
carcérale 

2016-17 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
8,6 % de la 
population 
carcérale 

2017-18 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise% 
8,4 % de la 
population 
carcérale 

2018-19 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
8,2 % de la 
population 
carcérale 

2019-20 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
9,4 % de la 
population 
carcérale 

2020-21 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
9,4 % de la 
population 
carcérale 

2021-22 
% Noirs 
(Les personnes 
noirs comprise 
9,2 % de la 
population 
carcérale 

5,5

5,9

5,4

6,4

7,0

14,8

Source : Entrepôt de données du SCC (1er avril 2022)

Remarque : Une personne peut avoir plus d’une sortie avec escorte. En outre, il y a eu beaucoup moins de sorties avec escorte en 2020-2021 (2 580) en raison de la COVID-19, par rapport à une moyenne de 50 387 sorties avec escorte entre 2015-2016 et 2019-2020.

Annexe F : Proportion de personnes noires et blanches libérées par année et par type de libération

 

2016-17 

2017-18 

2018-19 

2019-20 

2020-21 

2021-22 

Semi-liberté

Noir

29,3

33,2

38,6

36,6

36,4

39,3

Blanc

37,3

40,4

41,5

40,6

39,7

34,3

Libération 
conditionnelle totale

Noir

2,9

3,8

5,1

3,3

2,7

0,67

Blanc

2,0

2,8

2,7

2,4

1,6

0,8

Libération d’office

Noir

64,9

60,1

53,5

56,2

57,1

56,7

Blanc

59,8

55,6

54,9

56

57,8

63,9

Ordonnance de surveillance 
de longue durée

Noir

0,5

0,36

0,19

0,18

0,39

0

Blanc

0,23

0,44

0,18

0,32

0,41

0,38

Expiration du mandat

Noir

1,0

0,73

0,94

1,47

2,3

1,3

Blanc

0,62

0,79

0,76

0,66

0,55

0,59

Source : SCC, SIR-M (8 mars 2022)

Remarque : La somme des pourcentages n’est pas égale à 100, car un certain nombre de libérations d’autres types représentent un très faible pourcentage du total des libérations.

Annexe G : Proportion de personnes noires et blanches atteignant la date d’expiration du mandat et retournant au SCC dans un délai de deux ans

 

2013-14 

2014-15 

2015-16 

2016-17 

2017-18 

2018-19 

Noir

6,3

4,6

2,0

5,5

4,4

4,6

Blanc

7,2

7,4

5,8

6,4

5,8

3,8


Formes restrictives de détention dans les établissements pénitentiaires fédéraux (pénitenciers à sécurité maximale pour hommes)

Photo d’une cellule d’observation avec couverture anti-suicide à l’Établissement de l’Atlantique.».	Photo d’une cellule d’observation avec couverture anti-suicide » à l’Établissement de l’Atlantique.

Établissement de l’Atlantique — Une cellule d’observation avec couverture anti-suicide. 

À mon avis, je ne considère pas absurde de dire qu’une personne ne devrait pas être enfermée dans une petite cellule 24 heures sur 24, car même s’il y avait des problèmes sur le plan de la sécurité, il devrait y avoir d’autres solutions que de simplement refuser à une détenue la possibilité de sortir de sa cellule.... Cependant, là aussi, il semble que même si la loi est connue, on perçoit en général qu’on peut toujours y déroger pour des motifs valables, et que, de toute façon, le respect des droits des détenues ne constitue pas une priorité… il s’agissait d’une attitude générale de nature punitive voulant que les détenues méritent leurs droits à tout ce qui est considéré comme un privilège et non comme un droit Footnote 65 .

– L’honorable Louise Arbour (1996) 

Malgré les décisions des tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario qui ont jugé que la pratique de l’isolement préventif (isolement cellulaire) violait les droits fondamentaux protégés par la Charte, et l’élimination subséquente de cette pratique par l’adoption du projet de loi C-83 en 2019, un nombre important de prisonniers fédéraux continuent d’être confinés dans leur cellule pendant de longues périodes.

Par l’intermédiaire du projet de loi C-83 et de l’introduction des unités d’intervention structurée (UIS), le gouvernement a cherché à inscrire dans la loi des normes minimales pour la prise en charge et la garde des détenus, comme :

  • Un temps minimum hors cellule de quatre heures, y compris l’accès à l’exercice en plein air;
  • Des bilans de santé réguliers et des visites quotidiennes de la direction de l’établissement;
  • Un contact « significatif » avec les autres;
  • Un contrôle externe et un examen indépendant;
  • L’accès aux programmes et aux services;
  • L’indépendance clinique des fournisseurs de soins de santé.

Cependant, ces normes semblent vulnérables à l’interprétation et n’ont pas encore été reconnues ou appliquées aux secteurs de la prison en dehors des UIS. Comme je l’ai mentionné dans mon précédent rapport annuel, le cadre législatif des UIS n’a pas permet d’empêcher la création, l’utilisation ou l’extension des conditions de détention semblable à l’isolement. Il existe un large éventail de conditions et de pratiques d’isolement restrictives en dehors des UIS, qui ne font l’objet que de peu ou d’aucune surveillance externe ou de contrôle indépendant. Il s’agit notamment :

  • des unités à association limitée sur la base volontaire;
  • des rangées thérapeutiques Footnote 66 (dans les établissements à sécurité maximale pour hommes);
  • des milieux de garde fermés pour les femmes.

Certaines de ces zones peuvent avoir des fonctions opérationnelles et des routines strictes en vertu de la politique, mais, dans la pratique, ces environnements échappent souvent à l’examen externe et ont parfois violé les normes de détention sûre et humaine.

L’objectif de cette enquête est de déterminer et de décrire les différentes formes d’isolement restrictif au sein des services correctionnels fédéraux Footnote 67 , et plus particulièrement dans les établissements autonomes à sécurité maximale pour hommes Footnote 68 . Cette enquête ne s’est pas penchée sur les formes temporaires d’isolement, comme les routines de restriction des mouvements, les isolements et les mesures d’intervention en cas de pandémie, comme l’isolement médical.

Méthodologie

Définition du confinement restrictif

L’ ensemble des règles minimale pour le traitement des prisonniers des Nations Unies (Règles Nelson Mandela) définit l’isolement cellulaire comme une privation de contacts humains significatifs pendant au moins 22 heures par jour Footnote 69 . À l’heure actuelle, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) et le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (RSCMLC) fournissent des paramètres généraux pour les conditions de vie dans les pénitenciers fédéraux, ce qui pourrait influer sur la qualité et la quantité de temps passé hors des UIS. Deux dispositions, le principe des « mesures les moins restrictives » énoncé à l’alinéa 4c) de la LSCMLC et la protection de la dignité humaine mentionnée aux articles 69 et 70 de la même loi, peuvent servir de guide. Cependant, la seule mention explicite du temps passé hors de la cellule inscrite dans la législation fédérale (en dehors des dispositions relatives aux conditions dans l’UIS [art. 36]) est l’heure d’exercice quotidien prévue par l’article 83 (2) (d) du RSCMLC. 

Photo des portes de la barrière de l’UIS à l’Établissement de Donnacona.

Établissement de Donnacona — barrière de l’UIS. 

Les dispositions de la LSCMLC relatives aux UIS établissent une norme juridique minimale de quatre heures de sortie de cellule. Comme nous l’avons déjà dit, bien que cette norme soit exigée par la loi pour les UIS, le Service n’est pas tenu de l’appliquer aux autres secteurs des pénitenciers fédéraux. En fait, au cours de la pandémie, les populations de prisonniers ordinaires ont été régulièrement maintenues dans leurs cellules pendant 22 heures ou plus Footnote 70 , parfois pendant des semaines et pour la plupart, sans accès à l’exercice en plein air.

Aux fins de la présente enquête, le Bureau a déterminé qu’il était raisonnable de définir l’isolement restrictif comme toute période de moins de quatre heures par jour hors de la cellule.

Collecte des données

Mon personnel a contacté tous les établissements à sécurité maximale pour hommes et leur a demandé leurs routines opérationnelles (pour la population carcérale générale et les unités de vie spécifiques). Certaines routines étaient définies dans des notes ou des notes de service au personnel, mais la plupart se trouvaient dans les ordres permanents établis en vertu de la Directive du commissaire 566-3 : Déplacement des détenus . Il a été demandé aux enquêteurs principaux de consulter à la fois les prisonniers et le personnel pour établir les zones au sein des établissements où les prisonniers pourraient ne pas bénéficier de quatre heures par jour hors de leur cellule. Sur la base de ces renseignements, les six établissements autonomes à sécurité maximale ont été identifiés pour des enquêtes de suivi et des visites en personne : Établissement d’Edmonton, Établissement de Millhaven, Établissement de l’Atlantique, Établissement Port-Cartier, Établissement de Kent et Établissement de Donnacona.

L’examen des routines opérationnelles n’a pas permis de déterminer clairement le nombre d’heures de sortie de cellule dont bénéficiaient les détenus. Dans leur application, les routines sont adaptées pour tenir compte des horaires de travail, des programmes, des visites, du déplacement de sous-populations incompatibles, etc. Comme nous le démontrerons dans ce rapport, les visites sur place ont révélé que les routines en établissement sont davantage utilisées comme des lignes directrices générales.

Photo d’une note de service affichée dans l’une des unités de l’Établissement de l’Atlantique décrivant le changement de routine.

Établissement de l’Atlantique – Une note de service affichée dans l’une des unités décrivant le changement de routine. 

Afin de corroborer les routines opérationnelles et de mieux comprendre la disponibilité du temps hors cellule, des carnets de bord ont été demandés pour certaines unités, des questionnaires ont été remis aux détenus et au personnel, et des entrevues en personne ont été menées. Au total, 43 détenus et plus de 30 membres du personnel ont été interrogés entre novembre 2021 et mars 2022 Footnote 71 .

Constatations

Temps limité hors cellule

Notre enquête a révélé un certain nombre de zones — en dehors des UIS et des mesures d’isolement médical temporaire en place pour la COVID-19 — où les détenus bénéficiaient de moins de quatre heures de sortie de cellule.

Dans un établissement, le temps passé hors de la cellule et les conditions de détention dans les unités ordinaires et le quartier thérapeutique étaient systématiquement inférieurs aux normes en vigueur dans l’UIS. En effet, en dehors de l’UIS, le reste de l’établissement fonctionnait comme s’il s’agissait d’une ancienne rangée de cellules d’isolement préventif, avec moins de trois heures de sortie de cellule.

Photo de la rangée de cellules de l’UIS à l’Établissement Port-Cartier.

Établissement Port-Cartier — Rangée de cellules de l’UIS. 

Dans un autre établissement, la pression exercée pour maintenir le nombre d’UIS à un faible niveau et l’augmentation des sous-populations incompatibles (nous y reviendrons) ont entraîné l’utilisation de « cellules cachées » (un terme souvent utilisé par le personnel de cet établissement), où les détenus sont maintenus dans des conditions semblables à l’isolement pendant des semaines.

En revanche, lors de notre visite dans un troisième établissement, nous avons constaté que le personnel utilisait son pouvoir discrétionnaire pour accorder plus de temps hors cellule que ce qui était prévu par l’article 566-3 du Règlement. Par conséquent, aucun des prisonniers que nous avons interrogés à cet établissement ne s’est plaint du temps passé hors de la cellule, et ils ont tous déclaré recevoir plus de quatre heures par jour. Un membre du personnel a expliqué la situation comme suit :

« Si nous suivions l’article 566-3 à la lettre, nous serions beaucoup plus restrictifs. Mais nous laissons cette décision à la discrétion du personnel de l’unité. Les portes des rangées de cellules sont généralement plus ouvertes pour permettre à tous d’accéder à la cuisinière, au réfrigérateur, aux commodités, etc. Normalement, il n’y a pas de problème ».

Même lorsque les détenus bénéficient de plus de quatre heures hors cellule, ceux qui n’ont pas d’emploi ou qui choisissent de ne pas participer aux programmes et aux activités prévues ont tendance à passer plus de temps dans leur cellule. Beaucoup de ces personnes passent leurs journées « enfermées », ne pouvant sortir que pendant trois heures ou moins pour prendre une douche, passer des appels téléphoniques ou accéder à la buanderie, à la cour ou à la salle de sport. Même ce temps est réparti en courts intervalles, souvent interrompus par des exigences opérationnelles, comme des dénombrements, des fouilles et d’autres procédures. Certains prisonniers ont indiqué que les routines étaient appliquées de manière incohérente, ce qui rendait difficile l’optimisation de leur temps hors cellule.« Je ne sais jamais quand ça va arriver, donc c’est difficile de planifier! » a déclaré un prisonnier.

Certaines de ces personnes sont prêtes à participer à des programmes ou sont sur liste d’attente pour un emploi, mais sont enfermées parce que les occasions sont rares ou ne correspondent pas à leurs besoins. Un prisonnier s’est plaint à juste titre : « Si les gars cherchent vraiment un emploi ou quelque chose à faire, laissez-les au moins sortir », laissant entendre que les personnes ne devraient pas être punies pour les lacunes de l’établissement.

Qualité du temps hors cellule

« Il n’y a rien à faire, les jours se mélangent les uns aux autres, il n’y a juste rien. Je veux faire un programme ou juste faire quelque chose, mais il n’y a rien… Vous restez assis dans votre cellule et vous attendez, il n’y a aucun moyen de vous améliorer, vous restez assis ici et vous attendez. Et ils se demandent pourquoi tu es fou, c’est à cause de la façon dont ils nous traitent » 

– D’un détenu interviewé 

Photo de la « mini » cour de l’Établissement d’Edmonton.

Établissement d’Edmonton — Mini-cour. 

De nombreux prisonniers que nous avons interrogés ont déclaré qu’ils choisissaient, comme d’autres, de rester dans leur cellule même lorsqu’on leur proposait de sortir de leur cellule. Ils ont fourni un certain nombre de raisons pour lesquelles ils choisissent de ne pas profiter du temps hors cellule, notamment :

  • Les activités significatives hors de la rangée de cellules sont limitées ou peu attrayantes. Aucun programme, aucune possibilité de travail rémunéré, et l’accès à l’éducation est limité aux études en cellule.
  • Le temps passé hors de la rangée de cellules est limité à l’espace situé derrière des barrières verrouillées, ce qui fait que les prisonniers font les cent pas avec la porte de leur cellule ouverte.
  • Les espaces communs, les espaces de loisirs et les cours sont souvent peu attrayants et austères. L’accès à la cour principale ou au gymnase est souvent limité, de courte durée, et les détenus se plaignent souvent qu’il n’y a rien à faire.
  • Les repas sont généralement pris dans les cellules ou dans les salles communes. Certaines personnes préfèrent rester dans leur cellule plutôt que d’interagir avec les autres dans la salle commune.

Il a été constaté qu’un certain nombre de facteurs justifiables affectent la disponibilité et la qualité du temps passé hors de la cellule, comme le manque de personnel, le mauvais temps, les infrastructures abandonnées, les isolements imprévus, la présence d’incompatibles et la normalisation des mesures restrictives en cas de pandémie. Cependant, certaines raisons étaient moins excusables, comme le fait que le personnel retardait le temps de sortie de cellule et l’écourtait ensuite pour s’accorder des pauses plus longues.

Conformément à l’article 4 (c.2) de la LSCMLC , le Service contribue à la réadaptation des personnes et à leur réintégration dans la société en tant que citoyens respectueux des lois en assurant « la prestation efficace de programmes offerts aux délinquants, notamment des programmes correctionnels, les programmes d’éducation, de formation professionnelle et de bénévolat, en vue d’améliorer l’accès aux solutions de rechange à la mise sous garde dans un pénitencier et de promouvoir la réadaptation ». L’application de ce principe ne dépend pas du niveau de sécurité de l’établissement. Pourtant, comme le démontre le tableau 1, seuls 61,1 % des détenus des établissements autonomes à sécurité maximale autonomes avaient un emploi en mai 2022. L’établissement de Donnacona avait le taux d’emploi le plus bas (41,6 %), tandis que l’établissement d’Edmonton avait le taux le plus élevé (87,1 %). Toutefois, 80,2 % des affectations à l’établissement d’Edmonton étaient des emplois de nettoyage. En fait, près de la moitié des tâches effectuées dans les établissements autonomes à sécurité maximale étaient des postes de nettoyage. Parmi les autres emplois courants, citons les laveurs de vaisselle, les préparateurs de repas, les ouvriers ordinaires Footnote 72 et les comités de détenus. Dans le contexte des prisons à sécurité maximale, ces postes peuvent difficilement être considérés comme rémunérés ou comme permettant d’accroître les compétences et les capacités professionnelles qui aideraient une personne à réussir dans la communauté.

Tableau 1. Affectation à un emploi Footnote 73 dans les établissements autonomes à sécurité maximale

VOCATION 

ATLANTIQUE 

DONNACONA 

PORT 
CARTIER 

MILLHAVEN 

EDMONTON 

KENT 

TOTAL 

Cuisinier

1

14

15

Laveur de vaisselle

1

3

49

53

Soignant

4

4

Nettoyeur

56

45

52

41

174

7

375

Ouvrier 
métallurgiste — 
CORCAN

4

4

Ouvrier de textile 
— CORCAN

4

2

6

Tapissier-garnisseur 
— CORCAN

4

4

Ethnoculturel

1

1

Services 
d’alimentation

1

1

1

11

14

Secrétaire 
administratif

2

2

1

20

25

Bibliothécaire 
administratif

2

2

2

2

8

Administratif 
— Autre

5

5

Barbier

13

1

15

1

6

36

Cantine des détenus

2

6

2

6

16

Comité des détenus

12

1

9

1

16

39

Loisirs

1

5

6

Buanderie

1

11

12

2

26

Préparation 
des aliments

22

13

10

3

48

Ouvrier général

3

1

1

35

40

Coordonnateur 
des pairs

10

1

2

12

25

Photographe

2

2

Défenseur des 
prisonniers

1

1

Représentant de 
rangée de cellules/ 
de l’unité

8

8

Travailleur assigné 
au travail récréatif

1

2

4

3

10

Travailleur assigné 
au recyclage

1

3

4

Travailleur assigné 
aux services 
spirituels et 
culturels

1

1

12

14

Travailleur 
au magasin

5

5

Tuteur

4

4

Affectations à 
l’emploi totales 

106

105

119

149

192

127

798

Total des détenus 
ayant un emploi 

99

89

116

116

189

1116

725

Total des prisonniers 
en détention*

141

214

190

195

217

230

1 187

Pourcentage de 
détenus ayant 
un emploi

70,2

41,6

61,1

59,5

87,1

50,4

61,1

Capacité en lits 
de l’établissement

301

451

237

340

300

378

2 007

Source : Entrepôt de données du SCC (mai 2022).

*Depuis le début de l’exercice. Peut différer des populations carcérales pour la date à laquelle le nombre d’emplois ont été extraits.

Photo d'une cellule d'observation à l'Établissement de l'Atlantique.

Établissement de l’Atlantique —Une cellule d’observation. 

Photo de l’extérieur de l’Établissement de Kent.

Établissement de Kent (extérieur) 

À de nombreuses reprises, les prisonniers ont déclaré qu’ils n’avaient absolument rien à faire. Les emplois étaient rares ou peu attrayants et les programmes de base n’étaient tout simplement pas disponibles en raison du manque de personnel ou des restrictions liées à la COVID-19. Un représentant d’unité a décrit la situation dans son unité occupée par lui-même et un autre prisonnier : « Nous sommes tous les deux moyens. Je suis sans charge depuis un an… littéralement coincé dans la rangée de cellules. Pas de déplacement, pas de travail en dehors de la rangée, j’ai demandé des programmes, j’ai demandé à faire ceci et cela, aucun accès ». Un autre prisonnier a exprimé sa frustration quant à la manière dont les programmes étaient attribués : « Ils imposent des programmes aux gens alors qu’ils ne sont pas prêts ou sur le point d’être transférés, mais quand le moment est venu où un programme est nécessaire, ils ne l’ont pas. Forcer les gars qui ne veulent pas d’un programme à entrer dans un programme, et les gars qui veulent des programmes n’y ont pas accès ».

Aujourd’hui, les prisons pour hommes à sécurité maximale fonctionnent à environ 60 % de leur capacité, avec un ratio personnel/détenus de 1:1 ou plus. Il semble qu’il n’y ait aucune excuse pour continuer à priver les personnes d’activités de qualité, comme les sports organisés, les salles de musculation bien équipées, la cuisine traditionnelle, les emplois de gestion de cuisine, les repas en commun, les activités culturelles menées par des organisations communautaires, les expériences professionnelles significatives, l’éducation et d’autres possibilités intéressantes.

D’après mon expérience, lorsque les conditions de détention et la qualité de vie s’améliorent derrière les barreaux, nous avons également tendance à constater une meilleure utilisation de la sécurité dynamique, une plus grande confiance entre les détenus, moins de plaintes et de meilleurs rapports avec le personnel. Bien sûr, de temps en temps, un incident se produit. Ces événements peuvent être utilisés pour justifier la réduction de l’environnement carcéral au strict nécessaire, mais ils ne doivent pas l’être. Ces privations ne peuvent que servir à déshumaniser davantage les personnes en détention, ce qui a des effets en cascade sur la santé mentale, la socialisation, les incidents et les sentiments de désespoir et d’impuissance. « Serrer la vis » conduit souvent à des dysfonctionnements, à des problèmes de moral du personnel, à une hausse des incidents, et va à l’encontre de la réhabilitation ou d’une réintégration sûre et rapide.

Croissance des sous-populations

Photo de l’entrée divisée supérieure et inférieure pour entrer dans les rangées de cellules thérapeutiques de l’Établissement d’Edmonton (prise en 2019).

Établissement d’Edmonton — Entrée dans les rangées de cellules thérapeutiques (prise en 2019). 

En vertu de l’article 17 de la Directive du commissaire 568-7 : Délinquants incompatibles (version révisée promulguée le 23 août 2021), le personnel est tenu d’envisager « diverses options de gestion des risques » pour les « incompatibilités non résolues ».

Ces « options de gestion des risques » entraînent parfois des restrictions supplémentaires pour les détenus, car les routines en établissement doivent être adaptées afin de gérer les déplacements et les interactions des personnes jugées « incompatibles ». Il en résulte des sous-populations qui peuvent être constituées d’une ou de plusieurs personnes.

Dans deux établissements, la croissance des sous-populations a considérablement augmenté pendant la pandémie pour atteindre plus d’une douzaine (contre quatre ou cinq en 2019). La croissance des sous-populations dans ces établissements limite non seulement le temps passé hors des cellules, mais aussi les déplacements des personnes « hors de la rangée de cellules ». Dans un établissement en particulier, le nombre démesuré de sous-populations rendait presque tous les déplacements de groupe impossibles. Dans un autre établissement, le personnel a signalé une hausse des incidents liés aux agressions, aux comportements perturbateurs et à l’automutilation, y compris les tentatives de suicide, à la suite de l’élimination de l’isolement préventif, ce qui a entraîné une nouvelle augmentation des sous-populations. Lorsque j’ai demandé à mon personnel de vérifier cette affirmation, nous avons constaté que le nombre total de ces incidents avait augmenté de 117 % au cours de la période d’un an comprise entre novembre 2019 et novembre 2020.

Bien qu’il soit difficile d’établir la cause exacte de la hausse des sous-populations, certains éléments suggèrent qu’il s’agit d’une combinaison des facteurs suivants :

  1. L’élimination de l’isolement préventif;
  2. La pression exercée pour que le nombre d’UIS reste faible;
  3. L’introduction de mesures de confinement en cas de pandémie, y compris des restrictions sur les transferts et des options limitées pour le passage à des niveaux de sécurité inférieurs.

Comme décrit dans le rapport annuel 2020-2021, de nombreux détenus continuent de demander des placements en UIS pour obtenir de meilleures conditions de détention, une sécurité relative et un espace personnel dans les établissements à sécurité maximale. Certains vont jusqu’à faire des menaces ou à commettre des actes violents, s’automutiler ou à avoir un comportement perturbateur afin d’obtenir un placement en UIS (ou d’y être maintenu).

Photo prise derrière les barrières de l’Établissement de Millhaven.

Établissement de Millhaven — Derrière les barrières de la rangée de cellules. 

Photo d’une cellule occupée de l’UIS à l’Établissement de Kent.

Établissement de Kent — Cellule de l’UIS occupée. 

Pour éviter de placer des prisonniers dans les UIS, le Service a demandé à ses régions de maintenir leur nombre d’UIS à un niveau faible. Comme l’a dit un membre du personnel : « il faut sacrifier une chèvre pour placer des gars dans une UIS! ». En conséquence, la plupart des UIS sont à la moitié de leur capacité ou en dessous. Le SCC affirme que cela est dû à un « changement de mentalité de la part du personnel et des détenus », ce qui laisse peut-être croire à un changement de culture moins axé sur l’isolement Footnote 74 . Cependant, nos constatations suggèrent que le nombre faible d’UIS ne raconte qu’une partie de l’histoire, car les établissements ont de plus en plus recours à des mesures provisoires (comme les sous-populations et les solutions de rechange semblables à l’isolement) pour isoler, contenir et contrôler les déplacements des prisonniers.

C’est dans ce contexte que le temps hors cellule doit être compris. Le nombre ingérable et croissant de sous-populations, la réticence à placer des personnes dans des UIS et (à certains endroits) le nombre croissant d’incidents, signifient que les détenus sont souvent confinés dans leurs cellules ou rangées de cellules pendant de longues périodes. La situation est particulièrement problématique pour les personnes qui doivent passer à des niveaux de sécurité inférieurs ou qui ne peuvent plus être placées en toute sécurité dans l’une des populations existantes.

Transfèrement pour les détenus de sécurité moyenne

Graphique à barres illustrant le pourcentage de détenus à sécurité moyenne dans les établissements fédéraux à sécurité maximale par année. 2010-2011 = 11%, 2011-2012 = 7%, 2012-2013 = 8%, 2013-2014 = 11%, 2015-2016 = 8%, 2016-2017 = 10%, 2017-2018 = 7%, 2018-2019 = 7%, 2019-2020 = 8%, 2020-2021 = 9%, Mar-2022 = 10%

Graphique 1. Pourcentage de détenus à sécurité moyenne dans les établissements fédéraux à sécurité maximale 

Les données recueillies par le BEC en février 2022 montrent que dans presque tous les établissements autonomes à sécurité maximale, environ 10 à 15 % des détenus avaient un classement de sécurité moyenne. Bien sûr, les restrictions sur les transferts pendant la pandémie ont contribué au maintien des détenus à sécurité moyenne dans les établissements à sécurité maximale au cours des deux dernières années; toutefois, ces proportions reflètent les normes de la dernière décennie (voir graphique 1). Quoi qu’il en soit, l’isolement d’un prisonnier de sécurité moyenne dans un établissement à sécurité maximale est excessivement restrictif et justifie une enquête plus approfondie.

Remarque : Ces données ne comprennent que les établissements autonomes à sécurité maximale : Atlantique, Donnacona, Port-Cartier, Millhaven, Edmonton, Kent et le pénitencier de Kingston (avant 2013). Il s’agit d’installations où il n’est pas possible de passer à des niveaux de sécurité inférieurs au sein de l’établissement, comme c’est le cas dans les installations à plusieurs niveaux.

Lorsqu’on leur a demandé pourquoi les prisonniers de sécurité moyenne n’étaient pas transférés dans des établissements à sécurité inférieure, les employés ont cité un certain nombre de raisons, comme le confort des routines, l’institutionnalisation, la crainte du changement et (ou) la préférence pour les cellules isolées. Un membre du personnel de direction a déclaré que les prisonniers de sécurité moyenne « préfèrent les populations séparées. Vous n’avez pas à vous intégrer à l’ensemble de l’établissement », ce qui est le cas dans les établissements à sécurité moyenne. Un autre membre du personnel a parlé des condamnés à perpétuité et des prisonniers soumis à la règle des deux ans Footnote 75 , « ils arrivent ici et ne voient pas la lumière au bout du tunnel, ils se disent “pourquoi s’embêter”. Donc ils ne veulent pas être transférés ».

Dans certains établissements, le personnel a indiqué que l’engagement avec les détenus de sécurité moyenne et les examens de gestion de cas sont en cours pour encourager le transfèrement.

La marche au ralenti en sécurité maximale
Photo d’une cabine téléphonique pour détenus à l’Établissement de Donnacona.

Établissement de Donnacona — Téléphone de détenus. 

« [C’est] comme un entrepôt ».

« C’est une prison pour aller se calmer ».

« Vous restez en suspens jusqu’à ce que vous partiez ».

Certains prisonniers interrogés lors des visites sur place ont exprimé ces sentiments. Ils ont déclaré que le temps qu’ils passent en sécurité maximale est le plus souvent inactif; les emplois et les programmes ne les préparent pas à la libération, et ils n’acquièrent aucune compétence utile. Cependant, ils n’étaient pas surpris et déclaraient souvent qu’après tout, « c’est un max! ».

Il est important de soulever un point général concernant l’attitude de nombreux membres du personnel du SCC envers les prisons à sécurité maximale. Nous avons fréquemment entendu le personnel dire que « les détenus ne devraient pas vouloir être ici », ce qui laisse croire que les prisons à sécurité maximale devraient être inhospitalières. En outre, les placements dans ces établissements sont souvent temporaires, par exemple, ceux qui sont détenus en vertu de la règle obligatoire de deux ans Footnote 76 ou des cotes de sécurité accrues des délinquants résultant d’incidents survenus dans des établissements à sécurité moindre.

En dépit du fait que les fondements criminologiques du SCC exigent que les personnes présentant un risque et des besoins plus élevés reçoivent un « dosage » plus élevé de services et d’interventions, la culture correctionnelle de certains établissements résiste à l’idée de rendre les placements à sécurité maximale plus productifs.

Création d’environnements similaires à l’isolement

L’élimination de l’isolement par le projet de loi C-83 a limité la disponibilité des cellules que le personnel pouvait utiliser pour la séparation temporaire des prisonniers. Les UIS nouvellement introduites garantissaient les droits de base par la législation, ce qui a séduit de nombreux prisonniers à sécurité maximale qui trouvaient leurs conditions de détention intolérables. La demande de placements volontaires au sein d’UIS a augmenté, tout comme l’a fait la pression pour maintenir le nombre d’UIS à un niveau bas. Dans un établissement, le personnel a signalé que le nombre d’incidents avait augmenté en raison du fait que les détenus « faisaient des caprices » afin d’être placés ou maintenus dans l’UIS. Les données obtenues par mon Bureau ont confirmé ces affirmations.

Parallèlement à la mise en œuvre des UIS, les établissements fédéraux ont dû trouver des mesures provisoires pour, d’une part, isoler, contenir et contrôler les « détenus difficiles » et, d’autre part, assurer la sécurité des personnes à risque dans la population carcérale ordinaire. Nous examinons ci-dessous une de ces mesures : les unités à association limitée sur base volontaire.

Photo d’une enceinte sans contact à Établissement de Kent.

Établissement de Kent — Enceinte sans contact. 

Photo d’une enceinte sans contact à Établissement de Kent.

Établissement de Kent — Enceinte sans contact. 

Unités à association limitée sur base volontaire

Notre bureau a identifié une unité à association limitée sur base volontaire (UALBV) dans chacun des six pénitenciers autonomes à sécurité maximale. Un instantané d’une seule journée, le 4 mars 2022, a montré une population totale de 83 UALBV. Ceux-ci se répartissent plus ou moins également entre les six établissements, l’Établissement de Donnacona ayant le taux le plus bas (8) et Kent le plus élevé (20). Sur ce total, 45 prisonniers en UALBV étaient blancs (54,2 %), 23 étaient autochones (27,7 %), 12 étaient noirs (14,5 %) et trois appartenaient à d’autres minorités visibles. Trente personnes (36,1 %) détenues dans des UALBV à ce moment-là avaient des peines indéterminées Footnote 77 .

Selon une note de service datée du 4 juin 2019 Footnote 78 , du commissaire adjoint, Opérations et programmes correctionnels du SCC, les UALBV « sont destinées aux d��tenus qui ne veulent pas s’intégrer dans la population carcérale générale et qui ne répondent pas aux critères de placement en isolement préventif ». La note de service poursuit en disant que les prisonniers en UALBV « bénéficieront d’une routine et de conditions de détention similaires à celles des autres détenus de la population générale de l’établissement ».

Cinq mois plus tard, les UIS ont remplacé les unités d’isolement et les UALBV ont commencé à recevoir des placements volontaires qui ne répondaient pas aux critères d’admission des UIS et refusaient de s’intégrer à la population générale. En théorie, les prisonniers en UALBV doivent travailler à leur intégration. Par conséquent, l’association avec l’une des populations carcérales existantes doit être une possibilité afin qu’ils puissent être intégrés lorsqu’ils seront prêts.

Le personnel a caractérisé les personnes résidant dans les UALBV comme suit :

  • Celles qui montrent des signes d’institutionnalisation ou qui ont peur de s’intégrer, même si elles pourraient le faire en toute sécurité.
  • Celles qui se sont déjà intégrées, mais dont la date de libération approche. Ces personnes demandent parfois à être transférées à l’UIS et à y rester jusqu’à leur libération. Cela est dû soit au fait qu’ils ont des dettes, soit parce qu’ils ont peur de commettre des actes qui pourraient entraver leur libération.
  • Celles qui ont besoin d’une protection.

Les détenus classés en sécurité moyenne préfèrent parfois rester dans des établissements à sécurité maximale parce qu’ils souhaitent bénéficier de l’intimité et de la protection (perçues) offertes par l’UALBV. Comme l’a expliqué un prisonnier : « Si j’avais su pour l’UALBV, j’y serais allé depuis longtemps ». L’UALBV permet aux prisonniers de se tenir à l’écart, séparés de la population générale. Ce n’est souvent pas une option dans les établissements à sécurité moyenne où les prisonniers partagent de grands espaces de vie ouverts.

Conformément à la politique, le temps passé hors de la cellule dans les UALBV doit refléter celui de la population carcérale générale. Par conséquent, plus les conditions générales de détention dans l’établissement sont restrictives, plus les conditions dans l’UALBV le sont aussi. Nous avons également observé que les prisonniers en UALBV sont pratiquement toujours limités à leur rangée de cellules. Les activités hors rangées sont rares pour cette population, surtout dans les établissements comportant de nombreuses sous-populations où le déplacement des prisonniers est difficile.

Lors d’une de mes visites personnelles dans une UALBV, j’ai constaté que les conditions de détention étaient bien pires que dans l’UIS. On m’a expliqué que chaque jour, les prisonniers en UALBV ont droit à une douche, à un appel téléphonique, à une heure dans la cour et à une chance de faire des activités avec un groupe compatible assigné. J’ai passé en revue les carnets des deux jours précédents — tous les prisonniers ont refusé de rejoindre le groupe assigné pour les activités hors cellule. Cela suggère qu’ils ont reçu moins de deux heures de temps hors cellule pour chacun de ces jours. Ceci est inacceptable et contraire à la loi. L’absence de politique pour l’utilisation de l’UALBV crée une incohérence et ne garantit pas le respect des droits des détenus.

  1. Je recommande que le SCC élabore immédiatement une politique nationale pour l’utilisation des unités à association limitée sur base volontaire (UALBV) et de toute autre unité de vie ou rangée de cellules de groupes de population clairement identifiée : 
    1. Les motifs du placement en dehors de la population générale. 
    2. Les processus juridiques qui définissent la mesure dans laquelle les droits, les libertés et les privilèges peuvent être restreints, y compris l’association, les programmes et les services fournis, et le temps passé hors de la cellule. 
    3. Les droits, les privilèges et les conditions de détention qui doivent leur être accordés. 
    4. Le degré d’examen (surveillance) requis pour faciliter le retour des personnes incarcérées dans un environnement correctionnel moins restrictif, y compris les mesures qui devraient être prises pour permettre la libération dans la population générale dès que possible. 

Dix ans depuis Une question de spiritualité : Enjeux liés aux Autochtones dans le système correctionnel fédéral (Partie I)*

Photo d’une cellule occupée dans l’unité Sentiers de l’Établissement de Stony Mountain.

Établissement de Stony Mountain — Cellule de l’unité Sentiers. 

*La deuxième partie de cette enquête nationale sera achevée au cours de l’exercice 2022-2023 et comprendra des entrevues avec des Autochtones incarcérés ou en liberté conditionnelle et avec le personnel du SCC, ainsi que des visites sur place.

Les mauvais traitements infligés aux Peuples autochtones sont depuis longtemps une plaie de l’histoire du Canada et, par extension, des services correctionnels canadiens. Appelé par certains le nouveau système des pensionnats, le système correctionnel est devenu emblématique du néocolonialisme moderne et un microcosme pour des maux sociaux plus larges Footnote 79 . Il est vrai que le système pénitentiaire est souvent blâmé pour les échecs d’autres institutions sociales, dont il hérite. Bien qu’ils ne soient pas les seuls responsables des personnes qui franchissent leurs portes, les organismes correctionnels détiennent un pouvoir considérable sur la façon dont (et à qui) la justice est administrée derrière les barreaux, ce qui, dans une large mesure, dicte la composition du paysage correctionnel. En outre, les autorités correctionnelles ont toujours eu un contrôle important sur l’éthique culturelle dominante dans la façon dont les prisons sont gérées, sur les personnes qui les dirigent et sur l’affectation et la détermination des ressources et des priorités. Toutes ces réalités ont servi à préserver le système pénitentiaire comme l’institution intrinsèquement coloniale qu’il a toujours été, malgré certaines tentatives d’amélioration. Au niveau instrumental, le système carcéral fédéral, qui date d’avant la Confédération, a longtemps servi à marginaliser, à surcriminaliser et à surincarcérer les Peuples autochtones.

Les inégalités et les résultats disparates dont souffrent les Peuples autochtones sous le coup d’une peine fédérale au Canada constituent une priorité et une préoccupation majeures pour le Bureau depuis sa création. Il y a près de 50 ans, dans le tout premier rapport annuel publié par le Bureau en juillet 1974, le traitement discriminatoire des personnes autochtones sous la garde du gouvernement fédéral figurait parmi les premières questions soulevées. Au cours des décennies suivantes, le Bureau a émis plus de 70 recommandations spécifiques aux services correctionnels pour Autochtones, dans le cadre de ses rapports annuels. En 2013, le rapport spécial du Bureau sur les services correctionnels pour Autochtones intitulé « Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition » a été déposé au Parlement. Vingt ans après l’introduction de la LSCMLC en 1992, Une question de spiritualité a cherché à déterminer dans quelle mesure les services correctionnels fédéraux avaient respecté l’intention du Parlement en ce qui concerne les dispositions législatives, en se concentrant plus particulièrement sur les articles 81 (pavillons de ressourcement gérés par les communautés autochtones) et 84 (planification de la mise en liberté et de la réinsertion dans les communautés autochtones) de la LSCML Footnote 80 . Les résultats de cette enquête ont révélé des lacunes nombreuses et importantes. Ensemble, les recommandations issues des rapports annuels intitulés Une question de spiritualité et du BEC sur les services correctionnels pour Autochtones ont couvert de nombreux sujets, en se concentrant largement sur le besoin de changement dans les domaines clés suivants :

  • Expansion des pavillons de ressourcement de l’article 81 (gérés par les communautés autochtones);
  • Meilleure utilisation et facilitation du processus, des mises en liberté de l’article 84;
  • Meilleur leadership autochtone (c’est-à-dire la nomination d’un commissaire adjoint des services correctionnels pour Autochtones);
  • Meilleure libération et la réintégration en temps voulu des Peuples autochtones;
  • Analyse et rapports publics plus intentionnels et transparents sur les répercussions des décisions correctionnelles sur les populations autochtones;
  • Meilleure allocation de ressources et participation des communautés et organisations autochtones à la prise de décision et à l’administration du système correctionnel;
  • Meilleurs programmes de garde et les programmes communautaires pour répondre aux besoins des Peuples autochtones;
  • Meilleure utilisation des facteurs Gladue /antécédents sociaux des Autochtones pour éclairer la prise de décision, l’évaluation et le classement;
  • Résolution des problèmes récurrents auxquels sont confrontés les Aînés autochtones;
  • Plus grand nombre d’employés autochtones et offrir au personnel existant une meilleure formation sur la culture, les antécédents et la spiritualité des Autochtones;
  • Stratégie de désaffiliation des gangs, en mettant l’accent sur les gangs autochtones.

    Photo de l’unité des Sentier autochtnes au pénitencier de la Saskatchewan.

    Pénitencier de la Saskatchewan — Unité des Sentiers autochtones. 

    Dans les années qui ont suivi Une question de spiritualité , un certain nombre de commissions, d’enquêtes, de travaux de journalisme d’enquête sans précédent et d’études de comités parlementaires ont été réalisés sur les besoins et les expériences des personnes autochtones incarcérées. Les rapports issus de la plupart de ces initiatives ont émis des recommandations et des appels à l’action spécifiques, dont beaucoup ont été adressés aux services correctionnels fédéraux. Les préoccupations soulevées dans chacun de ces rapports font, dans l’ensemble, écho à bon nombre de celles exprimées par le Bureau, et certaines (par exemple, le rapport final sur les FFADA : Réclamer notre pouvoir et notre place ) ont pleinement approuvé et réédité les recommandations du Bureau en matière de services correctionnels pour Autochtones, souvent mot pour mot. Plus précisément, les recommandations se chevauchent considérablement dans les appels au changement dans les quatre domaines suivants :

    1. Augmenter le recours aux pavillons de ressourcement, aux libérations en vertu de l’article 84 et à l’engagement auprès des communautés autochtones; 

       
    2. Offrir davantage de programmes et de meilleure qualité fondés sur la culture; 

       
    3. Améliorer les outils de dépistage, d’évaluation et de classement; 

       
    4. Avoir davantage de leadership autochtone, de représentation des employés et de compétences culturelles parmi tout le personnel. 

       

    Rapports clés sur les questions autochtones dans le système correctionnel depuis Une question de spiritualité (2013)

    • Bureau de l’enquêteur correctionnel, Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (2013)
    • Commission Vérité et Réconciliation — Rapport final : Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir (2015)
    • Bureau du vérificateur général - Rapport d’automne : La préparation des détenus autochtones à la mise en liberté (2016)
    • Comité permanent de la Chambre des communes sur la sécurité publique et nationale — Étude : Les personnes autochtones dans le système correctionnel fédéral
    • Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes — Étude : Les femmes autochtones dans les systèmes judiciaires et correctionnels fédéraux (2017)
    • Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées - Rapport final : Réclamer notre pouvoir et notre place (2020)

    Dix ans depuis Une question de spiritualité 

    La surreprésentation des autochtones dans le système correctionnel fédéral

    Graphique linéaire illustrant la proportion de personnes autochtones et non autochtones sous responsabilité fédérale depuis 2012. Autochtone, 2012/13 = 23%, 2013/14 = 23%, 2014/15 = 25%, 2015/16 = 26%, 2016/17 = 27%, 2017/18 = 28%, 2018/19 = 29%, 2019/20 = 30%, 2020/21 = 32%. Non Autochtone, 2012/13 = 77%, 2013/14 = 77%, 2014/15 = 75%, 2015/16 = 74%, 2016/17 = 73%, 2017/18 = 72%, 2018/19 = 71%, 2019/20 = 70%, 2020/21 = 68%

    Graphique 1. Proportion de la population autochtone et non autochtone en détention depuis 2012 Footnote 84 

    Au cours des trente dernières années en particulier, certains efforts ont été déployés pour apporter une plus grande équité aux Peuples autochtones qui entrent dans le système correctionnel, comme l’introduction de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (articles 79 à 84) et les modifications apportées au Code criminel (par exemple, l’article 718.2 [e]). Dans les services correctionnels fédéraux, les efforts systémiques visant à « décoloniser » les prisons ont largement débuté en 2003 avec l’introduction du modèle du Continuum de soins pour les Autochtones . Malgré les divers changements, enquêtes, plans et investissements, les différents efforts déployés n’ont malheureusement pas atteint leurs objectifs de lutte contre la discrimination systémique et la surreprésentation des Peuples autochtones dans le système correctionnel. Alors que la population carcérale a globalement diminué au cours des dernières années, la surreprésentation des Autochtones a non seulement persisté, mais elle a augmenté à un rythme soutenu. Depuis 2012, la population incarcérée au niveau fédéral a diminué de 16,5 % et la population carcérale de Blancs a diminué de 23,5 %; cependant, pendant la même période, la population carcérale autochtone a augmenté de 22,5 % Footnote 81 . Rien qu’au cours de la dernière décennie, la population autochtone totale de délinquants (incarcérés et communautaires) a augmenté de 40,8 % Footnote 82 .

    En janvier 2016, le Bureau a indiqué que la proportion d’Autochtones sous la garde du gouvernement fédéral avait atteint le chiffre record de 25 %, et a prévenu que cette tendance allait se poursuivre, sans intervention significative. Au cours des deux dernières années, les services correctionnels fédéraux ont franchi deux nouvelles étapes historiques, lorsque la proportion a dépassé la barre des 30 % dans l’ensemble et approché les 50 % pour les femmes autochtones incarcérées Footnote 83 . Aujourd’hui, bien qu’ils représentent environ 5 % de la population adulte, les Peuples autochtones continuent d’être largement surreprésentés dans le système correctionnel fédéral, puisqu’ils constituent 28 % de toutes les personnes purgeant une peine de ressort fédéral et près d’un tiers (32 %) de toutes les personnes en détention.

    Santé et résultats en prison

    Si l’aggravation de la surreprésentation et de l’ autochtonisation du système pénitentiaire constitue à elles seules un critère déterminant du progrès, un large éventail d’indicateurs et de résultats en matière de santé dans les prisons témoigne également de la trajectoire inquiétante des services correctionnels pour Autochtones. Par exemple, au moment de la rédaction de ce rapport, les Peuples autochtones dans les prisons fédérales étaient toujours surreprésentés dans les domaines suivants :

    • Le placement en détention, par rapport à la supervision communautaire (68,3 % des Autochtones sont en détention contre 54,8 % des non-Autochtones);
    • Le recours à la force (les Autochtones représentaient 39 % des personnes impliquées dans des recours à la force au cours des cinq dernières années);
    • La sécurité maximale (38 % des personnes en sécurité maximale sont des Autochtones);
    • Des unités d’intervention structurée (anciennement isolement, près de 50 % des personnes placées dans ces unités sont des Autochtones);
    • Une affiliation à un groupe menaçant la sécurité (la proportion de personnes autochtones affiliées à un GMS est deux fois plus élevée que celle des personnes non autochtones en détention, soit 22 % contre 9 %) Footnote 85 ;
    • Les incidents d’automutilation (55 % de tous les incidents d’automutilation impliquaient une personne autochtone);
    • Les tentatives de suicide (40 % des tentatives de suicide au cours de la dernière décennie);
    • Les suicides (83 % [5 sur 6] de toutes les personnes incarcérées dont le décès est survenu par suicide en 2020-2021 étaient autochtones) Footnote 86 .

    En outre, les Autochtones entrent de plus en plus tôt dans le système Footnote 87 , passent beaucoup plus de temps derrière les barreaux et retournent dans le système correctionnel fédéral à un rythme sans précédent par rapport à leurs homologues non autochtones. Plus précisément, les Autochtones continuent de purger une plus grande partie de leur peine que les non-Autochtones avant d’être libérés en semi-liberté ou en liberté conditionnelle totale, et bénéficient d’une très faible proportion de libérations conditionnelles, la libération d’office étant de loin le type de libération le plus probable Footnote 88 . En 2020-2021, 75 % des libérations de délinquants autochtones étaient des libérations d’office Footnote 89 . En ce qui concerne les résultats après la libération, les hommes autochtones présentent les taux de récidive les plus élevés de tous les groupes (65 % pour toute récidive, avec des taux de 70 % et plus dans la région des Prairies) et près de la moitié de toutes les admissions chez les Autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux l’an dernier concernaient des révocations Footnote 90 Footnote 91 . Pris individuellement ou dans leur ensemble, ces indicateurs montrent clairement que le système correctionnel canadien est, et ce depuis un certain temps, en crise perpétuelle. D’année en année, les prisons sont de plus en plus remplies par des Autochtones qui sont pris dans le fameux phénomène de la porte tournante, dont les conditions de vie ont empiré à l’intérieur, avec peu d’options viables pour sortir et ne pas retourner en prison.

    Progrès du SCC sur les recommandations

    Photo de l’extérieur du pavillon de ressourcement Willow Cree.

    Pavillon de ressourcement Willow Cree — Extérieur. 

    Bien qu’il n’ait pas réagi aux recommandations formulées par le Bureau et d’autres organismes, le SCC a élaboré, dans les années qui ont suivi Une question de spiritualité , un grand nombre de plans et d’initiatives concernant les services correctionnels pour Autochtones. Principalement par l’intermédiaire du Modèle de la continuité des soins des Autochtones (2003), du Plan stratégique relatif aux services correctionnels pour Autochtones en 2006 (suivi de son « renouvellement » en 2013) et, plus tard, du Plan national relatif aux Autochtones — Un cadre de travail national visant à transformer le processus de gestion des cas et les services correctionnels destinés aux Autochtones (2017), le SCC s’est engagé à plusieurs reprises à « transformer » les services correctionnels pour Autochtones en améliorant les initiatives le long de ce qu’il appelle le Continuum des soins pour les Autochtones, notamment :

    • Augmenter la capacité des pavillons de ressourcement, de l’article 84 et des sentiers Footnote 92 ;
    • Augmenter le nombre d’employés autochtones et la compétence culturelle du personnel;
    • Créer une plus grande collaboration avec les communautés autochtones;
    • Améliorer les interventions et les programmes adaptés à la culture;
    • Répondre aux besoins en matière de santé mentale des délinquants autochtones;
    • Améliorer les résultats en matière de réinsertion sociale afin de combler l’écart entre les délinquants autochtones et non autochtones Footnote 93 .

    Malgré l’évolution constante et l’expansion des plans et des intentions ministériels en matière de services correctionnels pour Autochtones, l’itération actuelle du modèle du Continuum de soins pour les Autochtones continue d’être remplie d’engagements non respectés, par exemple :

    • les disparités dans la validité de l’évaluation des risques ne sont toujours pas résolues, malgré la décision de la Cour suprême du Canada dans l’ affaire Ewert c. Canada Footnote 94 ;
    • Les efforts coordonnés pour répondre aux besoins de santé mentale des Autochtones (en particulier des femmes autochtones) sont inexistants;
    • L’utilisation des antécédents sociaux des Autochtones dans le processus décisionnel continue d’être aussi incohérente et superficielle qu’elle l’était au moment de la rédaction de Une question de spiritualité ;
    • Les programmes correctionnels pour les Autochtones sont sans doute moins efficaces aujourd’hui qu’il y a dix ans.

    Au cours des dernières années, grâce à une meilleure prise de conscience suscitée par des commissions et des enquêtes de grande envergure, à une pression sociale croissante et à un changement considérable (et plus transparent) des mandats et des priorités du gouvernement en faveur de la réconciliation, le gouvernement a réalisé des investissements financiers substantiels dans le portefeuille fédéral des services correctionnels pour les Autochtones. Dans le cadre du budget 2017, par exemple, le SCC a reçu 55,2 millions de dollars (et 10,9 millions de dollars pour chaque année subséquente) pour accroître sa capacité à fournir des interventions efficaces aux délinquants autochtones Footnote 95 . Même un examen superficiel de ce que ces plans et ces investissements ont donné est déconcertant, et le peu de progrès réalisé par le SCC pour respecter ses propres engagements illustre encore mieux les raisons pour lesquelles ce Bureau, et bien d’autres, sont frustrés par l’inefficacité du Service en matière de services correctionnels pour Autochtones. Les investissements les plus importants semblent être consacrés à des initiatives de détention élaborées par le SCC, comme les centres d’intervention pour Autochtones (CIA) qui, de l’avis général, ne sont guère plus qu’une gestion de cas de correctionnelle précoce ou ciblée sous un autre nom. De même, des initiatives correctionnelles institutionnelles de longue date, telles que Sentiers autochtones, continuent de recevoir des ressources substantielles, sans qu’il y ait vraiment d’évaluation externe ou de validation de leur efficacité ou de leur capacité à répondre aux besoins des personnes autochtones en détention, en particulier celles qui ont le plus besoin de soutien. Proportionnellement, peu de nouveaux fonds ont été alloués aux initiatives correctionnelles communautaires contrôlées ou gérées par les Autochtones. Les efforts du SCC en matière de services correctionnels pour les Autochtones demeurent principalement axés sur les prisons. Je voudrais prendre un moment pour mettre en lumière quelques sujets de préoccupation spécifiques pour lesquels des recommandations ciblées ont été émises et des engagements pris.

    Pavillons de ressourcement et libérations en vertu de l’article 84

    Photo de l’enseigne extérieure du Centre de guérison Stan Daniels.

    Centre de guérison Stan Daniels — Enseigne extérieure. 

    De toutes les recommandations formulées à l’intention du Service sur les services correctionnels pour Autochtones, l’expansion des pavillons de ressourcement (article 81) et la libération dans la communauté (article 84) sont les deux recommandations les plus fréquentes. Bien que ces sections de la loi aient été établies comme des priorités elles-mêmes, le SCC a fait très peu de progrès. Depuis Une question de spiritualité , un nouveau pavillon de ressourcement s’est ajouté (le pavillon de ressourcement Eagle pour femmes au Manitoba) et le nombre de places dans les pavillons de ressourcement gérés par la communauté n’a augmenté que de 53 lits - un nombre largement insuffisant pour suivre le rythme de l’augmentation du nombre de personnes autochtones placées sous garde fédérale. De plus, il n’y a toujours pas de capacité d’accueil pour les pavillons de ressourcement dans les régions de l’Ontario et de l’Atlantique, qui ont toutes deux connu une augmentation substantielle des admissions d’Autochtones, en particulier dans la région de l’Atlantique où la population autochtone incarcérée a augmenté de près de 90 % au cours des dix dernières années.

    Le nombre de places dans les pavillons de ressourcement étant déjà limité, il convient de noter que la pandémie de COVID-19 a eu un impact marqué sur les taux d’occupation des pavillons de ressourcement. Par exemple, au cours des deux années précédant la pandémie, le taux d’occupation moyen des pavillons de ressourcement était d’environ 78 %. Au moment de la rédaction de ce rapport, le taux d’occupation moyen était d’environ 51 %, ce qui soulève la question suivante : avec si peu de places disponibles dans les pavillons de ressourcement, pourquoi les taux d’occupation sont-ils si bas? J’ai l’intention d’examiner cette question, parmi d’autres, au cours de l’année à venir.

    Tableau 1. Comparaison sur dix ans de la capacité et des taux d’occupation des pavillons de ressourcement

  

2012/13 

  

2021/22 

  

INSTALLATION 

CAPACITÉ 
PONDÉRÉE 

CAPACITÉ 
RÉELLE 


D'OCCUPATION 

CAPACITÉ 
PONDÉRÉE 

CAPACITÉ 
RÉELLE 


D'OCCUPATION 

PRÉ-COVID 
MOYENNE 
SUR 2 ANS % 
D'OCCUPATION* 

Pavillon de ressourcement géré par la communauté (art.81)

Centre de guérison Stan Daniels

30

19

63,33

30

13

43,33

53,33

Pavillon de ressourcement de la Première Nation 
O-Chi-Chak-Ko-Sipi

24

22

91,67

24

12

50

81,25

Centre de guérison Waseskun

15

15

100

15

8

53,33

80

Buffalo Sage

12

16

133,33

28

21

75

91,1

Pavillon de ressourcement spirituel 
du Grand conseil de Prince Albert

5

nr

12

7

58,33

83,3

Pavillon de ressourcement Eagle pour femmes**

30

4

13,33

0

Pavillon de ressourcement géré par le SCC

Kwìkwèxwelhp Healing Village

50

44

88

50

20

40

81

Village de guérison Kwìkwèxwelhp

60

47

78,33

60

44

73,33

79,17

Willow Cree Healing Centre

40

40

100

80

33

41.25

66.88

Centre Pê Sâkâstêw

40

33

82,5

60

36

60

85,58

Total

276

236

85,5

389

198

50,9

77,97

  • Remarque : Les données sur l’occupation ont été obtenues à partir du rapport SIR-M sur le dénombrement en établissement du SCC; ns = non signalé;

    *Le % d’occupation moyen sur deux ans est basé sur le compte de capacité pondérée par rapport à la capacité réelle de 2018-2019 et de 2019-2020, pour avoir une idée de l’occupation pré-pandémique.

    **Le pavillon de ressourcement Eagle pour femmes a ouvert ses portes en tant qu’établissement en 2019 (en vertu de l’art. 81).

    Photo d’une chambre du Centre de guérison Stan Daniels.

    Centre de guérison Stan Daniels — Salle intérieure. 

    Photo de l’intérieur du centre Pê Sâkâstêw.

    Centre Pê Sâkâstêw — Intérieur. 

    Outre les changements limités en matière de capacité, il ne semble pas y avoir eu de changements appréciables dans les mécanismes d’établissement d’accords en vertu de l’article 81 ou de l’article 84 avec les communautés ou les organisations autochtones. Ces préoccupations, associées aux critères d’admissibilité étroits pour l’admission dans la plupart des pavillons de ressourcement, remettent sérieusement en question le fait que ces pavillons soient mis en place pour répondre aux besoins d’une proportion importante de personnes autochtones incarcérées.

    De même, en ce qui concerne l’article 84, nous avons constaté peu de progrès dans le respect des engagements et des recommandations depuis Une question de spiritualité Footnote 96 . Le nombre de personnes exprimant un intérêt pour une libération en vertu de l’article 84 ou recevant une telle libération est demeuré essentiellement inchangé aujourd’hui par rapport à 2012. Même si l’augmentation du nombre d’admissions de personnes autochtones au fil du temps aurait dû à elle seule entraîner une augmentation correspondante du nombre de recours à l’article 84, les modifications apportées au processus lourd et bureaucratique de l’article 84, tel que recommandé, auraient aussi dû théoriquement entraîner des améliorations — et donc une augmentation — du recours à ce processus de libération.

    Représentation autochtone et compétence culturelle

    Graphique linéaire illustrant le total des libérations réelles en vertu de l’article 84 par rapport aux expression d'intérêt pour libération en vertu de l'article 84 de 2012 à 2021. Libérations réelles en vertu de l’art.84, 2012/13 = 231, 2013/14 = 244, 2014/15 = 226, 2015/16 = 287, 2016/17 = 314, 2017/18 = 307, 2018/19 = 281, 2019/20 = 243, 2020/21 = 227. Expression d'intérêt pour libération en vertu de l'art. 84 (autochtones), 2012/13 = 577, 2013/14 = 569, 2014/15 = 618, 2015/16 = 704, 2016/17 = 668, 2017/18 = 798, 2018/19 = 745,2019/20 = 701,2020/21 = 507

    Graphique 2. Manifestations d’intérêt et libérations réelles en vertu de l’article 84 de 2012 à 2021 Footnote 97 

    Malgré les divers engagements pris dans ce domaine, le manque de représentation autochtone au sein du personnel du SCC, en particulier aux postes de direction, ainsi que les faibles niveaux de sensibilisation culturelle sont un problème de longue date sur lequel le SCC a apparemment fait peu de progrès significatifs. À l’échelle nationale, les Autochtones continuent d’être sous-représentés parmi le personnel par rapport à la composition de la population carcérale (c’est-à-dire que 10 % du personnel du SCC s’identifie comme Autochtone contre 32 % des personnes incarcérées), et sont encore plus sous-représentés dans les postes de direction. Par exemple, selon les données fournies par le SCC, sur les 111 postes de direction de l’administration centrale, seuls trois (2,7 %) sont occupés par des Autochtones. De même, les Aînés, qui sont déjà confrontés à de nombreuses vulnérabilités — en grande partie en raison de leur statut de contractants — sont trop peu nombreux pour servir la population croissante, sont dispersés et doivent jouer de nombreux rôles différents. Il n’y a actuellement que 133 Aînés dans tout le pays pour les 3 953 personnes autochtones en détention. Bien que tous les Autochtones ne cherchent pas à travailler avec un Aîné, ces chiffres se traduisent par un ratio global de 30 Autochtones pour un Aîné. Bien que la proportion d’Aînés varie considérablement d’un établissement à l’autre et d’une région à l’autre, c’est dans la région des Prairies que l’on trouve le plus grand nombre d’Autochtones incarcérés et le pire rapport Aînés-détenus, avec une moyenne de 35 pour un. Dans un établissement, le ratio est de 105 prisonniers autochtones pour un Aîné.

    Bien qu’il soit complexe de recruter et de conserver des Aînés pour travailler en milieu carcéral, bon nombre des obstacles surmontables qui ont existé pour attirer et retenir les Aînés (parmi les autres membres du personnel autochtone) n’ont pas été résolus. Certains ont attribué cette situation à un manque de compréhension ou d’appréciation du travail effectué par les Aînés et les autres employés autochtones. Nous avons entendu à maintes reprises que le travail des Aînés, entre autres, ne bénéficie pas de la crédibilité qu’il mérite, ni de la crédibilité qui est accordée à d’autres secteurs ou postes dans la gestion de cas et le travail d’intervention. Il est clair qu’il faut faire davantage, non seulement pour recruter davantage d’Aînés et protéger ceux qui effectuent actuellement ce travail, mais aussi pour sensibiliser le personnel de manière plus générale au rôle important que jouent les Aînés et les services pour Autochtones dans l’avancement du travail de réadaptation et de guérison.

    D’après les renseignements et les commentaires que nous avons reçus, les divers plans et stratégies que le SCC a créés pour régler la question de la représentativité et du recrutement ont apparemment été largement inefficaces (par exemple, la Consultation nationale des employés autochtones : Travailler ensemble en partenariat pour l’inclusion 2012; Relier les esprits, créer des occasions, 2019). En outre, les membres du personnel et les personnes incarcérées nous ont dit que la formation à la compétence culturelle est intrinsèquement limitée dans sa valeur et son incidence, car elle fournit souvent des perspectives pan-autochtone de surface sur les visions du monde et les modes de connaissance autochtones. L’amélioration du recrutement, de la fidélisation et de la promotion du personnel autochtone permettrait d’accroître la sensibilité et la crédibilité culturelles, ce qui aurait une incidence directe sur la vie des personnes purgeant des peines de ressort fédéral. En termes clairs, le SCC doit faire davantage pour attirer et embaucher des Autochtones, pour reconnaître et promouvoir la valeur de leur travail et pour collaborer sérieusement avec les communautés autochtones afin de faire avancer les choses de manière significative sur ces questions. L’absence de progrès concernant les pavillons de ressourcement, en vertu de l’article 84, la représentation autochtone et la compétence culturelle sont des exemples indéniables des conséquences attribuables à l’absence d’une stratégie nationale d’engagement communautaire et de codéveloppement pour les services correctionnels pour Autochtones — une lacune qui, à mon avis, a eu un impact sans précédent sur la capacité du Service à produire un changement transformateur pour les services correctionnels pour Autochtones.

    Un sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones

    La nécessité de nommer un sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones est une recommandation que notre Bureau a formulée près d’une douzaine de fois au cours des vingt dernières années, et qui a été répétée par d’autres comités et commissions qui reconnaissent également la nécessité d’un leadership et d’un pouvoir décisionnel autochtones dans le système correctionnel fédéral (p. ex., ENFFADA, 2020; Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, 2017; Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, 2017)

    En juin 2021, dans ce que le Bureau a considéré comme un pas en avant prometteur concernant cette recommandation, le gouvernement a identifié la priorité et l’objectif à court terme suivants dans le plan d’action national en réponse au rapport final de l’ENFFADA :

    Objectif n° 6 (d) : « Création d’un poste de commissaire délégué pour les services correctionnels autochtones et réponse aux problèmes des femmes et des personnes 2ELGBTQQIA+ contrevenantes, »

    En octobre 2021, le Bureau a demandé au SCC une mise à jour de ses plans pour respecter cet engagement. En janvier 2022, le SCC a fourni la réponse suivante : « La position du SCC reste la même : il n’est pas prévu de créer un poste de sous-commissaire pour les Services correctionnels pour Autochtones. »

    Le 27 mai 2022, la lettre de mandat du ministre de la Sécurité publique adressée à la commissaire aux services correctionnels prévoyait la création d’un nouveau poste de sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones . Quelques jours plus tard, dans une déclaration publiée en réponse aux conclusions du rapport de la vérificatrice générale sur les services correctionnels fédéraux, la commissaire aux services correctionnels a indiqué : « Je suis en train de pourvoir un poste de sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones ».

    Je suis heureux de voir ce point soulevé dans la lettre de mandat et je suis encouragé par la réponse de la commissaire. Toutefois, étant donné l’absence de progrès au cours des deux dernières décennies concernant cette recommandation particulière, j’attendrai pour considérer cette question comme close qu’un sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones soit officiellement en place. En attendant, je vous propose la recommandation suivante (et j’espère la dernière) sur cette question :

    1. Je recommande que le SCC consulte les groupes communautaires autochtones sur la description de poste, le rôle, le mandat et le processus d’embauche pour le poste de sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones, et qu’il rende compte publiquement de ses plans et de ses échéanciers à court terme pour créer et doter ce poste. 

    Les prochaines étapes

    Au cours des dernières années, ce pays a dû faire face aux abus intergénérationnels perpétrés par les gouvernements, les établissements et les personnes à l’encontre des Peuples autochtones. Depuis les organisations locales jusqu’aux différents niveaux de gouvernement, il y a eu une vague de reconnaissance et un nouveau sentiment d’urgence quant à la nécessité de réparer les relations et les systèmes, y compris les systèmes correctionnels, qui ont été brisés depuis longtemps. En juin 2021, la loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones (DNUDPA) est entrée en vigueur, fournissant une feuille de route indispensable pour une réconciliation plus large au Canada. Dans la lettre de mandat adressée au ministre de la Justice et procureur général du Canada, le gouvernement s’est engagé à élaborer une stratégie de justice autochtone « afin de remédier à la discrimination systémique et à la surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire ». Alors que les stratégies de justice à grande échelle dans ce domaine ont eu tendance à se concentrer sur les contributions des services de police et des tribunaux pour élaborer une stratégie efficace de lutte contre la discrimination dans le système judiciaire, les services correctionnels fédéraux doivent faire partie de la conversation. Dans le but de tirer parti de l’élan des initiatives gouvernementales existantes dans ce domaine, notamment l’élaboration d’une stratégie nationale de justice, je formule la recommandation suivante :

    1. Je recommande au ministre de la Justice et procureur général du Canada d’inclure le Service correctionnel du Canada et le Bureau de l’enquêteur correctionnel dans l’élaboration et la mise en œuvre de la Stratégie de justice autochtone (SJA) . De plus, la SJA devrait chercher à redistribuer une partie importante des ressources actuelles du système correctionnel fédéral aux communautés et aux groupes autochtones pour les soins, la garde et la surveillance des Peuples autochtones. 

    De plus, les services correctionnels fédéraux doivent être tenus responsables de l’atteinte d’objectifs et de résultats concrets et mesurables, en particulier ceux qui relèvent directement d’eux, et utiliser plus efficacement leurs leviers d’influence pour s’attaquer aux obstacles de longue date, comme la détention prolongée des Autochtones derrière les barreaux et les taux élevés de récidive. Bien entendu, les services correctionnels fédéraux ne peuvent pas remplir cette mission à eux seuls. Le fait d’être inclus dans une stratégie d’engagement nationale coordonnée, dirigée par les Autochtones, est une étape nécessaire vers la résolution du problème. Au niveau le plus élémentaire, le système correctionnel ne devrait pas servir à perpétuer les désavantages, ce qui est précisément ce que nous avons vu se refléter dans les résultats et les indicateurs de santé des détenus autochtones, en particulier par rapport à leurs homologues non autochtones. La promesse d’administrer la peine d’une personne autochtone selon le principe de l’arrêt Gladue ne s’est pas concrétisée et, dans la pratique, les histoires familiales et communautaires de fragmentation, de déracinement et de dépossession sont trop souvent utilisées pour valider des classements de sécurité plus élevés et des scores de potentiel de réintégration plus faibles. L’administration pénitentiaire doit faire face à un ensemble de problèmes certes complexes, mais nous avons atteint un point où la complexité n’est plus une excuse suffisante pour la stagnation.

    Perspectives de l’enquêteur correctionnel pour 2022-2023

    Alors que nous entamons la troisième année de la pandémie mondiale de COVID-19, nous sommes apparemment passés à une nouvelle phase endémique — des mesures provisoires à une réflexion à plus long terme sur la façon dont nous allons apprendre à vivre et à nous adapter à cette soi-disant « nouvelle normalité ». Même si nous nous adaptons, innovons et explorons de nouvelles façons de remplir notre mandat (comme un nouveau processus de « triage » pour répondre aux plaintes), nous devons maintenir et toujours garder l’intégrité et la vitalité de notre fonction principale bien en vue et en permanence. Au cours de l’année à venir, nous avons hâte de reprendre la réalisation d’une série complète de visites d’établissements en personne et de nous organiser pour entreprendre et poursuivre le déploiement de notre nouveau cadre d’inspection des prisons. Je me réjouis également de l’élaboration et de la mise en œuvre d’une stratégie globale d’engagement des intervenants.

    Près de trente ans après l’introduction de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , 2023 marquera également les dix ans du dépôt au Parlement du rapport du Bureau intitulé Une question de spiritualité . Dans le cadre de notre engagement continu à faire progresser le sort des Autochtones purgeant une peine de ressort fédéral, mon Bureau mènera, au cours de l’année à venir, une enquête approfondie sur les Services correctionnels pour Autochtones. Dans le cadre de cette enquête, nous examinerons de près les progrès réalisés en ce qui concerne les principales recommandations formulées par ce Bureau et d’autres, les résultats des investissements effectués et des initiatives entreprises par le Service (p. ex., les centres d’intervention autochtones et les sentiers autochtones), les pratiques prometteuses et les nouveaux défis qui se sont présentés depuis Une question de spiritualité . À la suite de cette enquête, nous formulerons des recommandations ciblées dans les domaines où des changements transformateurs peuvent et doivent être apportés pour les Services correctionnels pour Autochtones à l’avenir.

    En plus de ce travail, nous continuerons à surveiller, à enquêter et à faire rapport sur les questions systémiques et (ou) thématiques concernant les services correctionnels pour femmes, les besoins des personnes de sexe différent, les progrès réalisés par rapport aux engagements pris par le Service en matière de coercition et de violence sexuelles dans les prisons fédérales, entre autres questions soulevées dans le présent rapport.

    Il va sans dire que la pandémie a été un défi pour tout le monde, y compris pour mon personnel. Au cours de l’année à venir, je ferai de la santé et du bien-être de l’organisation une priorité essentielle. Entre autres initiatives, nous entreprendrons également des travaux visant à améliorer l’efficacité de notre Bureau et continuerons à progresser pour devenir un employeur de choix et un centre d’excellence.

    Pour conclure, je souhaite revenir sur l’un des thèmes de mon message d’ouverture en appuyant les Principes pour la protection et la promotion de l’institution de l’ombudsman. Créés en mars 2019 par la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, ces principes, appelés « Principes de Venise » », constituent le premier ensemble de normes indépendantes et internationalement acceptées qui définissent, encouragent et protègent le rôle des ombudsmans dans le renforcement de la démocratie et la promotion des droits fondamentaux. Comme l’indiquent les 25 principes de Venise , l’ombudsman est un élément important — je dirais même essentiel — des États fondés sur la démocratie, la primauté du droit, la bonne administration et le respect des droits de la personne et des libertés. C’est dans l’esprit de ces principes qu’au cours de l’année à venir, mon Bureau continuera de travailler sans relâche pour assurer le traitement juste et humain des personnes purgeant des peines de ressort fédéral, en attirant l’attention sur les obligations en matière de droits de la personne et en tenant le Service responsable de l’administration des services correctionnels fédéraux d’une manière conforme à la loi, aux politiques et à un processus décisionnel équitable. Dans notre travail quotidien, nous continuerons à nous efforcer d’incarner et de démontrer notre leadership dans l’exécution de ces principes de bonne et efficace médiation.


    Prix Ed McIsaac pour la promotion des droits de la personne dans le système correctionnel

    Photo de Fergus “Chip” O’Connor.

    Photo de Fergus « Chip » O’Connor 

    Le Prix Ed McIsaac pour la promotion des droits de la personne dans le système correctionnel a été créé en décembre 2008 en l’honneur de Monsieur Ed McIsaac, directeur exécutif de longue date du Bureau de l’enquêteur correctionnel et ardent promoteur et défenseur des droits de la personne dans le système correctionnel fédéral. Il commémore les réalisations et les engagements exceptionnels en vue d’améliorer les services correctionnels au Canada et de protéger les droits des personnes purgeant une peine.

    Le lauréat 2021 du prix Ed McIsaac pour les droits de la personne dans le système correctionnel est Fergus « Chip » O’Connor. Chip pratique le droit à Kingston depuis 1975. Il a été membre fondateur de l’Association canadienne du droit carcéral et a été directeur du projet de droit correctionnel (aujourd’hui Queen’s Prison Law Clinic) à l’Université Queen’s. Depuis plus de quatre décennies, Chip défend activement la cause des personnes incarcérées. Il a fait preuve d’un leadership, d’un engagement et d’une conviction exceptionnels, et il est reconnu par ses pairs comme une éminence dans le domaine du droit correctionnel.


    Annexe A : Résumé des recommandations

    1. Je réitère ma recommandation d’interdire tout placement indéfini en cellule nue au-delà de 72 heures. 

       
    2. En ce qui concerne la Stratégie antidrogue du SCC, je recommande la série de mesures suivantes : 

       
    3. Je recommande au SCC d’accorder la priorité à l’examen actuel du processus de détermination de la cote de sécurité, particulièrement en ce qui concerne les femmes autochtones. Dans l’intervalle, je recommande que les antécédents sociaux des Autochtones (ASA) soient évalués de manière significative pour chaque décision rendue et que le personnel chargé de la gestion des cas reçoive une formation et un soutien adéquats pour appliquer les ASA. 

       
  1. Une fois de plus, je recommande que le système de niveaux pour les femmes placées dans des unités à sécurité maximale cesse immédiatement. 

     
  2. Je réitère ma recommandation de mettre en place des hébergements alternatifs pour les femmes logées dans les milieux de garde fermés et de les fermer éventuellement. Le financement et les ressources actuellement consacrés au fonctionnement des milieux de garde fermés devraient être réorientés pour mieux soutenir et répondre aux besoins uniques des femmes, en particulier des femmes autochtones. 

     
  3. Je recommande que le SCC : 

     
  4. Je recommande que, sans plus tarder, le SCC équipe tous ses véhicules d’escorte de prisonniers, y compris ceux qui sont actuellement en service, de ceintures de sécurité, de poignées et d’autres dispositifs de sécurité et de retenue qui lui permettraient de respecter son obligation d’assurer la garde sécuritaire et humaine des prisonniers sous escorte de sécurité. Je recommande en outre que le SCC retourne à la table à dessin pour reconsidérer son projet de « modernisation » de son parc de véhicules d’escorte qui répond mieux aux préoccupations et aux recommandations du Bureau. 

     
  5. Je recommande que le SCC : 

     
  6. Je recommande au SCC de mener une étude comparative, en partenariat avec des groupes communautaires noirs ou des experts externes, afin d’examiner le temps cumulé passé par les personnes noires avant leur reclassement et leur transfèrement à des niveaux de sécurité inférieurs. 

     
  7. Je recommande que le SCC procède à un examen systémique de son utilisation des critères de classement des groupes menaçant la sécurité afin de s’assurer que seuls les renseignements pertinents corroborés par des autorités extérieures chargées de l’application de la loi, des tribunaux ou des autorités judiciaires, et étayées par des preuves, soient utilisés pour désigner une personne comme appartenant à un groupe menaçant la sécurité. 

     
  8. Je recommande qu’au cours de l’année prochaine, le Service élabore une stratégie de désaffiliation des gangs. Cette stratégie doit : 

     
  9. Je recommande à nouveau que le SCC élabore rapidement un plan d’action, en consultation avec les intervenants, afin d’examiner la relation entre le recours à la force et le racisme systémique à l’égard des Autochtones et des Noirs, et qu’il rende compte publiquement des changements réalisables aux politiques et aux pratiques qui permettront de réduire efficacement la surreprésentation de ces groupes parmi les personnes exposées au recours à la force. 

     
  10. Je recommande que le SCC élargisse la formation de son personnel en matière de diversité afin d’y inclure des représentants de groupes communautaires noirs et des experts externes qui peuvent fournir une perspective plus complète et plus pertinente. Cette formation devrait être obligatoire, en personne et axée sur les expériences pratiques et vécues des personnes noires. 

     
  11. Je recommande que le SCC élabore un programme de formation pour les professionnels de la santé de première ligne. Ce programme devrait s’appuyer sur les recherches les plus récentes sur les préjugés raciaux et leur impact sur les décisions et procédures médicales. 

     
  12. Je recommande que le SCC élabore une stratégie nationale qui aborde spécifiquement les expériences vécues et les obstacles uniques auxquels sont confrontés les Noirs purgeant une peine de ressort fédéral. Cette stratégie devrait inclure les éléments suivants : 

     
  13. Je recommande que le SCC élabore immédiatement une politique nationale pour l’utilisation des unités à association limitée sur base volontaire (UALBV) et de toute autre unité de vie ou rangée de cellules de groupes de population clairement identifiée : 

     
  14. Je recommande que le SCC consulte les groupes communautaires autochtones sur la description de poste, le rôle, le mandat et le processus d’embauche pour le poste de sous-commissaire aux Services correctionnels pour Autochtones, et qu’il rende compte publiquement de ses plans et de ses échéanciers à court terme pour créer et doter ce poste. 

     
  15. Je recommande au ministre de la Justice et procureur général du Canada d’inclure le Service correctionnel du Canada et le Bureau de l’enquêteur correctionnel dans l’élaboration et la mise en œuvre de la Stratégie de justice autochtone (SJA). De plus, la SJA devrait chercher à redistribuer une partie importante des ressources actuelles du système correctionnel fédéral aux communautés et aux groupes autochtones pour les soins, la garde et la surveillance des Peuples autochtones. 

     
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Office of the Correctional Investigator - Report

Vieillir et mourir en prison : enquête sur les expériences vécues par les personnes âgées sous garde fédérale

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Erratum : Correction du rapport

Date : 18 mars 2024

Nous souhaitons attirer votre attention sur une correction apportée au rapportVieillir et mourir en prison : enquête sur les expériences vécues par les personnes âgées sous garde fédérale, publié le 28 février 2019. Une erreur de calcul a été identifiée dans le tableau "Population carcérale par région, par établissement et par groupe d’âge" de l'annexe A, erreur qui a depuis été corrigée en date du 12 février 2024. Veuillez noter que cette correction n'a pas d'incidence sur les conclusions ni sur les recommandations présentées dans le rapport.

Bien que les changements nécessaires aient été apportés aux versions HTML et PDF du rapport, nous regrettons que la correction n'ait pas pu être appliquée à la publication imprimée. Nous nous excusons pour les inconvénients que cela a pu causer.

Si vous avez des questions ou souhaitez obtenir des précisions, n'hésitez pas à contacter notre bureau à l'adresse suivante : org@oci-bec.gc.ca.

Table des matières

Introduction   
Méthodologie   
Contexte   
Première constatation : Des personnes âgées qui purgent une peine de longue durée sont entreposées derrière les barreaux   
Deuxième constatation : Défaut de reconnaître et de protéger une population vulnérable   
Troisième constatation : Les prisons n’ont jamais été conçues pour être des installations pour personnes âgées   
Quatrième constatation : Les maladies chroniques qui affectent de plus en plus les personnes détenues font augmenter les coûts des soins de santé dans les établissements correctionnels   
Cinquième constatation : Les personnes délinquantes qui ont besoin de soins de fin de vie ne sont pas à leur place en prison   
Sixième constatation : Manque d’options de mise en liberté à la fois convenables et humaines   
Septième constatation : Les solutions communautaires sont insuffisantes et manquent de ressources   
Huitième constatation : Il faut une stratégie nationale qui soit globale et financée convenablement   
Conclusion   
Résumé des principales constatations   
Résumé des recommandations   
Annexe A : Tableaux et graphiques montrant des statistiques détaillées   
Références bibliographiques 


Introduction 


Les prisons n’ont jamais été conçues pour être des maisons de soins infirmiers, des centres de soins palliatifs ou des établissements de soins de longue durée. Au Canada, pourtant, elles sont de plus en plus appelées à remplir ces fonctions. On assiste à une augmentation de la proportion des personnes âgées (50 ans et plus) qui sont sous garde fédérale. Ces personnes représentent actuellement 25 % de la population carcérale (soit 3534 personnes âgées de 50 ans et plus, dont 3432 hommes et 102 femmes dans une population carcérale de 14 004 personnes au total). Depuis seulement dix ans, la croissance de ce groupe a été de 50 %. Les coûts de plus en plus élevés des soins de santé en milieu correctionnel, les soins palliatifs et l’augmentation des maladies chroniques témoignent, du moins en partie, des répercussions du vieillissement de la population derrière les barreaux. Dans certains cas, il n’est ni nécessaire, ni souhaitable, ni rentable de les garder en détention. Par contre, il existe peu de solutions communautaires pour ce segment vulnérable de la population carcérale. De nombreuses personnes âgées sous garde fédérale semblent dépérir derrière les barreaux. On a cessé de gérer activement leur peine carcérale et on ne fait rien du tout, ou très peu, pour favoriser leur réadaptation et leur retour en société.

Le Bureau de l’enquêteur correctionnel (le Bureau) et la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) ont mené une enquête conjointe sur les personnes âgées sous garde fédérale. Cette enquête a permis de conclure que le Service correctionnel du Canada (SCC) ne réussit généralement pas à atteindre des objectifs fondamentaux de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), soit de prendre des mesures de garde sécuritaires et humaines et d’aider à la réadaptation et à la réinsertion sociale des personnes délinquantes.

Les personnes âgées sous garde fédérale n’ont pas des conditions de détention qui garantissent leur propre sécurité et leur dignité, et la possibilité de les réinsérer socialement est souvent négligée et oubliée. Tous ces facteurs nuisent à la protection de leurs droits de la personne. Selon les constatations présentées dans le présent rapport d’enquête, le traitement réservé par le SCC aux personnes âgées sous garde fédérale porte atteinte à leurs droits de la personne; n’est pas nécessaire pour garantir la sécurité institutionnelle ou la sécurité publique; est incompatible avec l’application des peines légalement imposées par les tribunaux; et coûte inutilement cher à la population canadienne. Les interventions et services correctionnels du SCC ne lui permettent pas de s’acquitter de ses obligations de respecter et de protéger la dignité, les caractéristiques, les besoins et les droits inaliénables des personnes âgées sous garde fédérale.

Aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne , le SCC est un fournisseur de services qui doit assurer des services correctionnels respectant les caractéristiques des personnes en détention. Or, ces caractéristiques pourraient obliger le SCC à prendre des mesures d’adaptation pour combler les besoins de ces personnes en fonction des motifs de discrimination interdits par cette loi, comme l’âge et la déficience (handicap), ou une combinaison de plusieurs motifs de discrimination (comme le sexe, l’identité ou expression de genre, la race, l’origine nationale ou ethnique, la déficience). L’alinéa 4g) de la LSCMLC renforce cette obligation, en exigeant du SCC qu’il veille à ce que les programmes, les directives d’orientation générale et les pratiques en milieu correctionnel respectent les différences des personnes délinquantes et tiennent compte de leurs besoins particuliers, y compris ceux liés aux motifs de discrimination interdits par la loi. Le SCC doit veiller à ce que le respect des différences liées aux motifs de discrimination interdits par la loi soit pris en compte au moment de concevoir et de fournir les services correctionnels (y compris dans les directives d’orientation générale, pratiques, programmes et établissements correctionnels). Selon les décisions rendues par la Cour suprême du Canada, il est évident que le SCC est obligé non seulement de tenir compte des différences entre les personnes délinquantes sous garde fédérale en fonction des motifs de discrimination interdits par la loi, mais aussi d’« intégrer des notions d’égalité » dans les services correctionnels dans la mesure où il est raisonnablement possible de le faire. Des considérations en matière de santé, de sécurité et de coûts peuvent limiter l’obligation du SCC de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins des personnes âgées si de telles mesures occasionnaient une contrainte excessive, mais il incombe au SCC d’en prouver l’existence.

Portée de l’enquête 

Ensemble, le Bureau et la Commission ont entrepris leur enquête pour donner une « voix » aux personnes âgées sous garde fédérale, certaines ayant vécu enfermées dans leur cellule la majeure partie de leur vie. Les constatations tirées de l’enquête reposent sur les entrevues réalisées auprès de plus de 250 de ces personnes âgées, qui ont raconté leur histoire et exprimé leurs préoccupations. Il faut entendre de vive voix les témoignages des personnes âgées pour mieux comprendre leurs expériences, leurs difficultés et leurs vulnérabilités, de même que les façons d’améliorer le système de leur point de vue. Les entrevues en privé de personnes âgées en détention nous ont fait voir le système correctionnel selon un angle qui ne pouvait apparaître qu’à travers leurs yeux et leur expérience de vie.

La présente enquête conjointe vise les objectifs suivants :

  1. Dresser un profil statistique général et évaluer les résultats correctionnels de toutes les personnes délinquantes de 50 ans et plus qui sont incarcérées dans un établissement fédéral et celles qui sont mises en liberté. Des données statistiques ciblant les personnes de 65 ans et plus sont aussi fournies, y compris en ce qui concerne la prévalence des maladies chroniques et l’état de santé mentale.
  2. Recueillir, auprès des personnes âgées incarcérées dans les pénitenciers fédéraux et auprès de celles qui ont été mises en liberté – sous surveillance ou non –, des renseignements sur leur expérience, leurs difficultés et leurs vulnérabilités en milieu correctionnel.
  3. Évaluer et examiner les directives d’orientation générale, pratiques et mesures adoptées par le SCC pour répondre aux besoins de ce segment de la population carcérale (c.-à-d. programmes, éducation, emploi, soins de santé, plan de libération et réinsertion sociale, soins palliatifs et soins de fin de vie, libération pour des raisons de compassion).
  4. Établir la portée des pratiques de surveillance et d’hébergement dans la collectivité et les évaluer pour que la réintégration sociale des personnes âgées soit réussie et sécuritaire.
  5. Tenir compte des caractéristiques, des besoins, de l’état de santé et des expériences des personnes de 50 ans et plus sous garde fédérale, sous l’angle des droits de la personne et de la dignité (p. ex. discrimination en raison de l’âge; mesures d’adaptation; et accessibilité).
  6. Recenser les pratiques exemplaires, au Canada et ailleurs, qui pourraient améliorer l’encadrement des personnes âgées sous garde fédérale.

Partenariat entre le Bureau de l’enquêteur correctionnel et la Commission canadienne des droits de la personne 

Le Bureau et la Commission ont réalisé ensemble cette enquête, en y consacrant chacun leur solide savoir-faire. Le Bureau a fait le suivi, pendant plus de dix ans, des difficultés des personnes délinquantes âgées, tandis que la Commission a mis à contribution sa compétence relativement aux droits de la personne et à la déficience (handicap), à l’accessibilité, à la discrimination et à l’âgisme. La collaboration des deux organismes était essentielle afin de mieux comprendre comment garantir la sécurité publique tout en respectant et en protégeant les besoins particuliers, la dignité et les droits des personnes âgées sous garde fédérale. Les deux organismes sont les mieux placés pour évaluer les vulnérabilités de ce segment de la population carcérale et cerner les aspects à modifier dans les politiques et pratiques organisationnelles. Le personnel des deux organismes a travaillé en étroite collaboration pour mener des entrevues, analyser la documentation et les données, et formuler conjointement des constatations et recommandations.

Grâce à ce partenariat, les enquêteurs avaient la capacité d’évaluer – sous l’angle des droits de la personne et de la dignité humaine – les conditions de détention, l’environnement physique et l’expérience des personnes âgées dans les pénitenciers fédéraux. De tels partenariats constituent de précieux exemples de la façon dont des organismes indépendants, comme le Bureau et la Commission, peuvent mettre en commun leur savoir-faire et différentes perspectives pour étudier une question, communiquer leurs constatations et formuler des recommandations éclairées qui sont le fruit de la collaboration, de la réflexion, de l’accès et du savoir-faire.

Picture of Dr. Ivan Zinger, Correctional Investigator of Canada   
Ivan Zinger, Ph.D   
Enquêteur correctionnel du Canada 

Picture of Ms. Marie-Claude Landry, Chief Commissioner, Canadian Human Rights Commission   
Me Marie-Claude Landry, Ad. E.   
Présidente   
Commission canadienne des droits de la personne 

Le Bureau de l'enquêteur correctionnel est au service des Canadiens et contribue à ce que les services correctionnels soient sécuritaires, humains et respectueux de la loi en assurant une surveillance indépendante du Service correctionnel du Canada, notamment en effectuant en temps opportun un examen impartial et accessible des préoccupations individuelles et généralisées

La Commission canadienne des droits de la personne est un organisme indépendant qui a pour mission de contribuer à ce que chaque personne au Canada soit traitée équitablement, peu importe son identité. Elle protège le principe fondamental de l’égalité des chances en soutenant la vision d'une société inclusive sans discrimination et en protégeant les droits de la personne grâce à un processus équitable et efficace de traitement des plaintes.

Méthodologie


Définition d’une personne délinquante âgée 

Il est difficile d’établir une définition fonctionnelle d’une « personne délinquante âgée », car, d’un ouvrage à l’autre, une personne peut être qualifiée âgée quelque part entre 45 et 65 ans 1 . Dans la société canadienne, une personne âgée est généralement quelqu’un qui est à la retraite, qui reçoit une pension de vieillesse ou qui montre des signes évidents du vieillissement (souvent à partir de 65 ans). Selon les études, les personnes âgées placées en détention dans un établissement fédéral sont souvent en moins bonne santé globalement, souffrant notamment davantage de maladies chroniques et infectieuses, que la population générale canadienne. La vie vécue par ces personnes avant leur incarcération expliquerait souvent leur mauvais état de santé (p. ex. toxicomanie, alcoolisme, manque de soins médicaux, mauvaise alimentation, problèmes de santé mentale, itinérance, pauvreté). L’état de santé global des personnes en milieu carcéral ressemble souvent à celui de personnes qui seraient nées jusqu’à dix ans plus tôt qu’elles 2 . Cependant, la notion de vieillissement accéléré en milieu carcéral 3 ne fait pas l’unanimité parce qu’il est aussi possible de réduire les effets du vieillissement accéléré chez certaines personnes en leur donnant un meilleur accès à des soins de santé physique et mentale en milieu carcéral.

Enfin, le terme « âge » n’est pas défini dans la Loi canadienne sur les droits de la personne . Sous l’angle des droits de la personne, l’âge est un concept qui doit être interprété et appliqué en contexte. Étant donné les expériences difficiles vécues par un grand nombre de personnes délinquantes et les effets néfastes de l’emprisonnement sur la santé, il faut voir autrement l’importance de l’âge dans ce segment de la population carcérale, et cette manière de voir doit encadrer les obligations du SCC en matière de respect des droits de la personne.

Plan d’enquête 

L’enquête s’est appuyée sur une stratégie de recherche et d’analyse comportant de nombreuses composantes aussi distinctes qu’interreliées :

  • un examen de la documentation pertinente portant sur le profil de vieillissement et de risque et sur les solutions de rechange à la détention;   

     
  • une analyse des données quantitatives sur toutes les personnes de 50 ans et plus qui purgent une peine (de 2 ans et plus) dans un établissement fédéral ou qui bénéficient d’une semi-liberté, d’une libération d’office ou d’une ordonnance de surveillance de longue durée (l’entrepôt de données du SCC a été utilisé pour la majeure partie de l’analyse statistique);   

     
  • des entrevues d’enquête individuelles menées par le Bureau et la Commission. Les questions portaient sur divers sujets comme l’accès aux programmes et aux services, les activités sociales, la sécurité personnelle, les conditions de détention, les soins de santé, l’accessibilité, le recours à la force et l’isolement;   

     
  • des entrevues individuelles menées sur place (libres et confidentielles) auprès de personnes de 50 ans et plus sous garde fédérale et de membres du personnel du SCC. Nous avons interrogé des personnes ayant une cote de sécurité minimale, moyenne et maximale entre mars et juin 2018. Cette série d’entrevues a été menée dans neuf établissements distincts répartis dans les cinq régions du SCC :
    • Ontario : Établissement de Bath et Établissement Grand Valley pour femmes,
    • Pacifique : Établissement du Pacifique/Centre régional de traitement, et Établissement de Mission,
    • Prairies : Établissement de Bowden et Centre Pê Sâkâstêw (pavillon de ressourcement autochtone),
    • Atlantique : Pénitencier de Dorchester,
    • Québec : Établissement Joliette pour femmes et Centre fédéral de formation;   

       
  • des entrevues menées sur place dans les établissements résidentiels communautaires (ERC) suivants (non gérés par le SCC), auprès de femmes et d’hommes mis en liberté, et de membres du personnel 4 :
    • Maison Haley, à Peterborough (Ontario),
    • Centre résidentiel communautaire Maison St-Léonard, et Appartements Satellites du Service Oxygène, à Montréal (Québec),
    • Maison Kirkpatrick, à Ottawa (Ontario),
    • Maison Thérèse-Casgrain, à Montréal (Québec),
    • Centres résidentiels communautaires de l’Outaouais, à Gatineau (Québec);   

       
  • des entrevues individuelles menées, au total, auprès de :
    • 250 personnes âgées incarcérées dans un pénitencier fédéral (210 hommes et 40 femmes),
    • 18 personnes détenues qui jouent le rôle de pairs aidants auprès de personnes âgées sous garde fédérale,
    • 12 personnes âgées qui ont été libérées et qui vivent dans un ERC (6 hommes et 6 femmes),
    • 41 membres du personnel du SCC (directeurs d’établissement; directeurs adjoints, Interventions; responsables des soins de santé; personnel infirmier; agents correctionnels; agents de libération conditionnelle; gestionnaires correctionnels),
    • 14 personnes travaillant dans les ERC;   

       
  • un examen et une évaluation des travaux de recherche, des politiques, des services et des interventions du SCC;   

     
  • consultation d’autres organisations, associations ou personnes, soit la Société St-Léonard du Canada; Dementia Justice Canada; la Commission des libérations conditionnelles du Canada; le directeur général de la Maison St-Léonard de Windsor (Ontario); deux employés du SCC à la retraite (directeur d’établissement et aumônier) qui ont participé à la création de l’unité psychogériatrique du Centre régional de traitement dans la région du Pacifique;   

     
  • un examen des documents publics qui font état des politiques et pratiques utilisées par les autorités correctionnelles étrangères pour encadrer les personnes âgées incarcérées dans leurs établissements de détention. De plus, nous avons demandé à des autorités correctionnelles internationales de nous fournir des renseignements, et avons reçu des réponses de l’Australie, de la Finlande, de la Norvège, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni.

Contexte


Profil des personnes âgées sous garde fédérale

Selon les plus récentes données de 2018, une proportion de 25,2 % des personnes incarcérées dans un établissement fédéral a 50 ans et plus (20,2 % ont entre 50 et 64 ans; 4,1 % ont entre 65 et 74 ans; et 0,9 % ont 75 ans et plus) 6 . En comparaison, dans l’ensemble de la population canadienne, près de 4 personnes sur 10 ont 50 ans et plus, et 16,1 % ont 65 ans et plus 7 . En novembre 2018, le plus vieil homme incarcéré dans un établissement fédéral avait 87 ans, tandis que la femme la plus âgée dans la même situation en avait 79. L’âge moyen des personnes délinquantes sous garde fédérale (incarcérées ou mises en liberté) a augmenté graduellement pour atteindre aujourd’hui 40 ans 8 .

Le SCC signale que le segment des personnes de 50 ans et plus (y compris celles de 65 ans et plus) connaît un taux de croissance linéaire constant (peut-être même prévisible) depuis cinq ans, et que la représentation de ce groupe d’âge n’est pas aussi élevée dans la population sous garde fédérale que dans l’ensemble de la population canadienne 9 . Ces deux affirmations sont techniquement vraies, mais, en raison de la concentration croissante des personnes âgées sous garde fédérale — détenues dans des établissements qui n’ont pas été conçus pour elles à l’origine—, on doit s’occuper et se préoccuper de plus en plus de ce segment, une situation qui souligne les besoins non comblés d’une population largement cachée et négligée.

Tableau montrant le nombre de détenus sous responsabilité fédérale, par groupe d’âge.  

Mis à part les tendances démographiques globales dans la société canadienne, des facteurs particuliers font augmenter le nombre de personnes âgées sous garde fédérale :

  • Parmi les personnes incarcérées dans un établissement fédéral, une personne sur quatre (26,4 %) purge une peine d’emprisonnement à perpétuité ou de durée indéterminée. La moitié (50,3 %) des personnes de 50 ans et plus sous garde fédérale purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité 10 . Certaines personnes condamnées à une peine de longue durée sont en prison depuis une trentaine, une quarantaine ou même une cinquantaine d’années. L’arrivée en prison de personnes « condamnées à perpétuité » fait grossir le groupe au fil du temps. De nombreuses personnes en détention sont devenues âgées derrière les barreaux, certaines ayant aujourd’hui besoin de soins gériatriques ou palliatifs.
  • Les personnes de 50 ans et plus sous garde fédérale ont plus souvent à purger une peine plus longue que la moyenne (plus de 6 ans pour une peine d’une durée déterminée) 11 .
  • Il y a augmentation du nombre de personnes qui sont condamnées à un âge plus avancé. Les condamnations pour des infractions commises il y a longtemps (souvent de nature sexuelle) ont aussi influé sur l’âge de la personne au moment de son arrivée en détention. Entre 2000-2001 et 2017-2018 12 , la proportion des personnes de 50 ans et plus qui ont reçu une peine fédérale et qui sont admis en vertu d’un mandat de dépôt (quand c’était leur première peine de ressort fédéral) a doublé – passant de 8,2 % à 16,4 % 13 .
  • Depuis 2005, le nombre d’infractions assorties de peines minimales obligatoires a considérablement augmenté 14 .

La population des personnes de 50 ans et plus sous garde fédérale compte trois sous-groupes principaux qui englobent la majorité des personnes délinquantes âgées 15 :

  1. Les personnes qui purgent une peine de longue durée à leur première condamnation (celles condamnées une première fois avant l’âge de 50 ans à une peine d’au moins dix ans). Dans ce groupe, les personnes deviennent âgées derrière les barreaux, principalement parce qu’elles ont à purger une peine de longue durée ou d’une durée indéterminée. Elles représentent 24 % de la population âgée en détention.
  2. Les personnes condamnées à un âge plus avancé (celles condamnées une première fois après l’âge de 50 ans). Ce groupe forme environ 28 % de la population âgée en détention.
  3. Les récidivistes qui passent souvent de nombreuses années dans un cycle répétitif détention-libération (il s’agit des personnes qui ont purgé auparavant au moins une peine de ressort fédéral). Ce groupe représente 45 % de la population âgée en détention.

En 2017-2018, comparativement aux personnes plus jeunes (moins de 50 ans) sous garde fédérale, les personnes âgées (50 ans et plus) étaient plus nombreuses à :

  • purger une peine plus longue ou d’une durée indéterminée;
  • être reconnues coupables d’une infraction de nature sexuelle;
  • recevoir une cote de sécurité minimale;
  • présenter un risque élevé;
  • être déclarées « délinquant dangereux »;
  • être placées en isolement pour assurer leur sécurité.

Depuis dix ans, le nombre de femmes de 50 ans et plus purgeant une peine de ressort fédéral a presque doublé, passant de 56 en 2007-2008 à 102 en 2017-2018. Les plus récentes données de 2018 révèlent que 89 des femmes sous garde fédérale ont entre 50 et 64 ans. Elles représentent 13,5 % de toutes les femmes sous garde fédérale. Treize femmes (2 %) ont 65 ans et plus.

Dans le même ordre d’idées, le nombre d’Autochtones de 50 ans et plus sous garde fédérale a augmenté chaque année depuis dix ans. Il a plus que doublé, passant de 265 personnes en 2007-2008 à 632 en 2017-2018 (534 Autochtones ou 13,9 % ont entre 50 et 64 ans; 98 Autochtones ou 2,5 % ont 65 ans et plus).

La population sous surveillance dans la collectivité vieillit elle aussi (c.-à-d. les personnes qui sont en maison de transition ou dans un centre correctionnel communautaire, qui ont obtenu la libération conditionnelle ou la libération d’office, qui sont visées par une ordonnance de surveillance de longue durée, etc.). Entre 2008-2009 et 2017-2018, le nombre de personnes délinquantes âgées de 65 ans et plus sous surveillance dans la collectivité a plus que doublé – passant de 544 en 2008-2009 à 1 119 en 2017-2018. En 2017-2018, parmi les personnes de 50 ans et plus mises en liberté, presque deux tiers (63,5 %) ont obtenu la libération conditionnelle totale, 17 % ont été libérées d’office, 13,4 % étaient en semi-liberté, et 6 % étaient soumises à une ordonnance de surveillance de longue durée.

Portrait santé 16 

Dernièrement, le SCC s’est penché sur la prévalence des maladies chroniques chez toutes les personnes de 65 ans et plus physiquement actives selon le Système de gestion des délinquants (en date du 2 octobre 2017) 17 . On a examiné le dossier de 721 adultes de 65 ans et plus en détention dans un établissement fédéral. En gros, les premières constatations suggèrent que la prévalence des maladies chroniques chez les personnes de 65 ans et plus sous garde fédérale est généralement plus élevée que dans le même segment de la population canadienne. Les maladies chroniques les plus courantes chez les personnes délinquantes de 65 ans et plus seraient l’obésité, l’hypertension, un taux élevé de cholestérol, le diabète de type 2 et la douleur chronique.

Tableau montrant l’état de santé des détenus sous responsabilité fédérale âgés de 65 ans et plus et la prévalence des maladies chroniques parmi eux. 


 

Quant au portrait de santé mentale, les personnes de 65 ans et plus sous garde fédérale semblent nombreuses à souffrir de dépression, d’anxiété ou de troubles de la personnalité.

Tableau montrant l’état de santé mentale des détenus sous responsabilité fédérale âgés de 65 ans et plus.   

L’analyse du SCC a aussi révélé que, à l’heure actuelle, 112 personnes délinquantes de 65 ans et plus ont reçu un diagnostic de cancer (p. ex. prostate, appareil digestif, peau, poumons, vessie, reins et système lymphatique). Les médicaments les plus prescrits à celles de 65 ans et plus concernent l’hypertension, le cholestérol, les maladies traitées par anticoagulant, les reflux gastro-œsophagiens, maladies traitées par antidépresseur et diabète. On constate sans surprise que de nombreuses personnes de 65 ans et plus sous garde fédérale prennent un cocktail de médicaments sur ordonnance.

Peu de progrès jusqu’à maintenant 

L’augmentation du nombre de personnes âgées purgeant une peine de ressort fédéral ne date pas d’hier au Canada. Le SCC a étudié la question en profondeur en 2000. À l’époque, 13 % de la population carcérale avaient 50 ans et plus. On avait alors souligné l’augmentation du coût des soins de santé; le besoin de soins spécialisés, d’aide aux activités quotidiennes et de soins palliatifs et chroniques; et le manque de stratégies de mise en liberté des personnes délinquantes âgées. On a créé la Division des délinquants âgés, à l’administration centrale du SCC, pour s’occuper de ces enjeux 18 .

Le Bureau a initialement soulevé la question des personnes délinquantes âgées dans son Rapport annuel 2005-2006 . Dans son Rapport annuel 2010-2011 , il a poussé son analyse de la question (à l’époque, les personnes de 50 ans et plus formaient un peu moins de 20 % de la population sous garde fédérale). Il y signalait les difficultés et les vulnérabilités de ce groupe. Il recommandait que le SCC crée une série appropriée d’activités et de programmes, qu’il embauche d’autres personnes ayant une formation et une expérience en gérontologie, et qu’il mette en place une stratégie nationale pour les personnes délinquantes âgées. Le Bureau a présenté une mise à jour de ces enjeux et répété ses préoccupations et recommandations dans une succession de rapports annuels.

En ce qui a trait aux lois et aux politiques, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et le Règlement connexe n’indiquent pas précisément que l’âge (ou la vieillesse) est un facteur à considérer pour ses programmes, directives d’orientation ou décisions en milieu correctionnel. Cependant, l’alinéa 4g) de cette loi stipule que les « directives d’orientation générale, programmes et pratiques [du SCC] respectent les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu’entre les sexes, et tiennent compte des besoins propres aux femmes, aux autochtones, aux personnes nécessitant des soins de santé mentale et à d’ autres groupes » [nous soulignons]. Le SCC a adopté des mesures en réponse à l’augmentation du nombre de personnes âgées et des problèmes d’accessibilité de façon plus générale dans les établissements fédéraux, dont les suivantes :

  • réserver des rangées principalement pour les personnes âgées;
  • mettre en place une unité pour personnes en perte d’autonomie à l’Établissement de Bowden et une unité psychogériatrique au Centre régional de traitement de la région du Pacifique;
  • étudier la prévalence des maladies chroniques chez les personnes âgées en détention;
  • créer un programme de pairs aidants dans certains établissements;
  • mettre les établissements à niveau (p. ex. avec rampes d’accès et toilettes accessibles aux personnes handicapées);
  • mener des travaux de recherche sur la population carcérale âgée.
Photo de l’unité psychogériatrique – Centre régional de traitement du Pacifique

Photo de l’unité psychogériatrique – Centre régional de traitement du Pacifique 

Selon le Bureau et la Commission, ces mesures locales et régionales représentent un bon point de départ, mais elles sont largement insuffisantes à bien des égards. Premièrement, le SCC n’a pas intégré ces mesures à l’échelle nationale. Deuxièmement, ces mesures sont freinées par l’absence de reconnaissance, dans les politiques et pratiques, que les personnes âgées forment un groupe vulnérable dans le milieu correctionnel et qu’il leur faut des interventions et des services adaptés ou personnalisés en fonction de leurs besoins particuliers. Troisièmement, il n’existe aucune directive ou ligne directrice stratégique nationale portant précisément sur les soins et l’encadrement des personnes âgées sous garde fédérale. Quatrièmement, jusqu’à récemment, le SCC a peu cherché à évaluer ou à reconnaître les besoins des personnes âgées sous garde fédérale en tant que groupe séparé ou distinct du reste de la population carcérale.

Jusqu’à récemment, en fait, le SCC a maintenu que ses mesures actuelles – fondées sur une évaluation de la capacité d’une personne de mener les activités de la vie courante – répondent bien aux besoins de toutes les personnes délinquantes, même les plus âgées.

Le Bureau ayant recommandé à répétition de mettre en place une stratégie nationale pour les personnes délinquantes âgées, notamment dans son Rapport annuel 2015-2016 , le SCC a finalement accepté, dans la dernière année, d’élaborer un cadre relatif aux soins et aux besoins en détention des personnes délinquantes âgées. Cette initiative, que le SCC s’était engagé à mettre en œuvre au plus tard le 31 mars 2018, demeure une ébauche qui n’a pas été encore été diffusée au public.

On s’emploie actuellement à respecter cet engagement, que les documents provisoires décrivent comme étant de favoriser le mieux-être et l’autonomie des personnes âgées au SCC. À cette fin, il faut mener de vastes consultations auprès d’intervenants, d’experts et de personnes incarcérées sur plusieurs aspects de la prestation des services. Dans le cadre de la présente enquête, le Bureau a reçu et étudié la version provisoire (datant de mai 2018) d’un document du SCC intitulé Favoriser le mieux-être et l’autonomie des détenus âgés au SCC – Cadre de politique . Selon ce document, l’approche du SCC auprès des personnes âgées sous garde fédérale consiste à les aider à conserver leur autonomie le plus longtemps possible et à leur permettre de « vieillir sur place ».

Le cadre stratégique et les initiatives qui y sont proposées permettraient certainement de mieux évaluer et cerner les lacunes et les besoins au sein de la population carcérale âgée, en plus d’améliorer les processus internes et la situation de nombreuses personnes délinquantes âgées. Par contre, le Bureau et la Commission estiment que ce cadre est trop restrictif et timide. Les initiatives proposées sont importantes et nécessaires, mais presque toutes visent à aider les personnes âgées à mieux vivre durant leur incarcération. On ne mentionne pratiquement pas la possibilité que le SCC utilise les résultats de ses évaluations cognitives et fonctionnelles sur des personnes âgées de 65 ans et plus pour déterminer s’il serait préférable de leur trouver une place dans la collectivité. Bien que le SCC décrive des initiatives pour mettre en contact avec les services communautaires les personnes âgées sortant de prison, il ne fait encore aucune démarche pour évaluer la possibilité de transférer certaines personnes âgées incarcérées, y compris celles en mauvaise santé, dans des établissements plus convenables dans la collectivité. En d’autres mots, le plan proposé par le SCC semble être de laisser « vieillir sur place » les personnes âgées sous garde fédérale, soit dans les infrastructures et milieux carcéraux actuels. Le SCC propose seulement de n’offrir des interventions plus adaptées qu’à mesure que la personne perd graduellement sa capacité fonctionnelle (et son autonomie). Pour garder en prison des personnes dont l’état de santé se détériore, il faut s’attendre à des coûts importants pour la mise à niveau des établissements qui auront besoin d’équipement spécialisé et de personnel formé (p. ex. lève-personne, lits d’hôpital et spécialistes médicaux).

Parmi les personnes délinquantes âgées que le Bureau et la Commission ont interrogées durant l’enquête, certaines ont perdu leur mobilité (elles ont besoin d’un fauteuil roulant) et éprouvent de la difficulté à communiquer (elles souffrent de démence à un stade avancé, ont la maladie d’Alzheimer ou perdent leurs habiletés motrices, quand ce n’est pas une combinaison de ces divers problèmes de santé). Certaines ne savent plus où elles se trouvent ou parfois même ce qu’elles ont fait pour se retrouver en prison. De toute évidence, certaines de ces personnes recevraient de meilleurs services dans un établissement communautaire conçu et adapté en fonction de leurs besoins. Non seulement un placement dans la collectivité coûterait beaucoup moins cher, il garantirait sûrement plus de dignité et de meilleurs soins.

De nombreuses personnes dont l’état de santé a beaucoup décliné ont passé plusieurs années derrière les barreaux, et certaines d’entre elles souffrent maintenant de maladies chroniques ou sont des malades en phase terminale. Certaines représentent un risque apparemment négligeable pour la société. Les sommes que le SCC dépense pour garder ce segment de la population en prison pourraient être plus utiles si elles servaient à financer des solutions de rechange dans des établissements communautaires de soins de longue durée. L’approche « vieillir sur place » que propose le SCC ne semble pas tenir suffisamment compte des solutions qui pourraient remplacer une détention inutile et qui seraient synonymes de dignité, d’économies et de sécurité accrues.

Dernière remarque importante 

La population âgée sous garde fédérale forme un groupe très diversifié de personnes ayant leurs propres caractéristiques, besoins, difficultés et expériences. Selon les renseignements recueillis durant la présente enquête conjointe, les personnes délinquantes âgées doivent souvent composer avec des conséquences négatives, des obstacles et des difficultés découlant de plusieurs motifs de discrimination. On parle alors de discrimination intersectionnelle , laquelle génère des désavantages particuliers et, dans certains cas, amplifiés qui diffèrent de la discrimination uniquement fondée sur l’âge.

Plus particulièrement, même si l’âge et la déficience sont deux concepts distincts, ils interagissent de façon unique dans cette sous-population. À titre d’exemple, même si on ne peut pas considérer toutes les limitations liées à l’âge comme des déficiences, elles peuvent quand même entraîner des déficiences fonctionnelles, et le milieu carcéral peut accélérer leur progression et aggraver leurs répercussions. Nous avons déjà précisé que notre enquête a permis de recueillir certains renseignements sur les différences entre les personnes délinquantes âgées selon leurs déficiences et leur sexe. Cependant, il est clair que les caractéristiques relatives aux autres motifs de discrimination interdits par la Loi canadienne sur les droits de la personne , dont « l’identité ou l’expression de genre », la « race », ou « l’origine nationale ou ethnique » (ces deux derniers motifs renvoyant souvent à l’appartenance à la population autochtone) sont d’autres éléments importants à considérer pour ce groupe de personnes délinquantes.

D’après les constatations tirées de la présente enquête, il faut examiner de plus près et prendre davantage en considération les caractéristiques et besoins intersectionnels des personnes délinquantes. Le Bureau et la Commission unissent leur voix pour demander instamment au SCC d’accomplir cette tâche au moment de mettre au point une stratégie nationale pour les personnes délinquantes âgées. Le SCC a l’obligation de reconnaître et de respecter la diversité de cette sous-population au sein du système correctionnel, et de réagir en conséquence.

Première constatation : Des personnes âgées qui purgent une peine de longue durée sont entreposées derrière les barreaux


« Les objectifs des peines d’emprisonnement et mesures similaires privant l’individu de sa liberté sont principalement de protéger la société contre le crime et d’éviter les récidives. Ces objectifs ne sauraient être atteints que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure possible, la réinsertion de ces individus dans la société après leur libération, afin qu’ils puissent vivre dans le respect de la loi et subvenir à leurs besoins. [...] »   
(Règle 4 formulée dans l’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus [Règles Nelson Mandela] )

Quand nous avons interrogé des personnes âgées sous garde fédérale, nous avons eu la surprise d’apprendre que certaines sont incarcérées depuis une trentaine, une quarantaine ou une cinquantaine d’années. Pour bon nombre d’entre elles, la date de leur admissibilité à la libération conditionnelle est passée depuis des années et même des décennies 19 . Rappelons que, au Canada, une personne reconnue coupable d’un meurtre au premier degré écope d’une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, mais de nombreuses personnes condamnées passent plus de 25 ans en prison avant d’obtenir la libération conditionnelle. Certaines ne seront jamais libérées.

Selon un sondage publié en septembre 2017, au chapitre des peines d’emprisonnement à perpétuité imposées par les lois de 98 pays, la durée minimale est en moyenne de 18,3 ans (la durée médiane étant de 18 ans, et la valeur modale étant 15 ans). Vingt-neuf pays (30 %), dont le Canada, ont fixé cette peine à au moins 25 ans. La peine minimale est de 15 ans ou moins dans près de la moitié de l’échantillon 20 . Autrement dit, la durée minimale de la peine d’emprisonnement à perpétuité au Canada se situe parmi les plus élevées comparativement au reste du monde.

This is a picture of an inmate’s walker.

Photo de la marchette   
d’un détenu 

Chaque fois qu’une peine d’emprisonnement à perpétuité est prononcée, il faut comprendre que l’admissibilité à la libération conditionnelle n’équivaut pas nécessairement à une mise en liberté. Même en obtenant la libération conditionnelle, une personne « condamnée à perpétuité » finit de purger sa peine d’une durée indéterminée le jour de sa mort. Dans tous les cas, la peine d’emprisonnement à perpétuité au Canada est à vie même si la personne est un jour mise en liberté sous supervision dans la collectivité.

Actuellement, plus de 3 600 personnes (ou 26,4 %) sous garde fédérale purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité 21 . Même si le nombre de nouvelles admissions dans ces établissements pour y purger des peines d’emprisonnement à perpétuité ou d’une durée indéterminée reste relativement stable depuis dix ans, l’arrivée en prison d’autres personnes « condamnées à perpétuité » fait grossir le groupe au fil du temps. Autrement dit, de nombreuses personnes sous garde fédérale deviennent âgées derrière les barreaux, certaines ayant aujourd’hui besoin de soins palliatifs pendant qu’elles servent leur peine. Depuis dix ans, les personnes condamnées à perpétuité représentent moins de 4 % de toutes les personnes admises dans un pénitencier fédéral chaque année, mais ensemble elles forment maintenant le quart de l’ensemble de la population carcérale 22 .

Parmi les personnes de 50 ans et plus sous garde fédérale, la moitié (50,3 %) purgent une peine d’une durée indéterminée. Par exemple, dans ce groupe d’âge, quatre femmes sur dix en et presque six Autochtones sur dix  (58 %) purgent une peine d’une durée indéterminée (à perpétuité) 23 .

Selon la durée de la peine ou le temps passé en détention jusqu’à maintenant, bon nombre de personnes sont devenues âgées derrière les barreaux. Dans bien des cas, les longues périodes d’incarcération ne servent plus à atteindre l’objectif ou l’intention du tribunal au moment de la détermination de la peine et ne sont peut-être plus nécessaires à la sécurité publique. De plus, les longues périodes de détention peuvent parfois porter atteinte à la dignité humaine.

En vigueur depuis décembre 2011 24 au Canada, une loi prescrivant l’imposition de peines consécutives d’emprisonnement à perpétuité fait en sorte que certaines personnes passeront le reste de leurs jours derrière les barreaux. Pour la première fois au Canada, cette loi impose une peine de mort par incarcération sans aucun espoir de libération. Ces dispositions législatives entraînent de lourdes conséquences néfastes liées à l’âge qu’il faut prendre en considération.

Personnes âgées purgeant une peine de longue durée* 

À l’heure actuelle, on dénombre dans les pénitenciers fédéraux du Canada 316 personnes de 50 ans et plus qui purgent leur première peine de ressort fédéral, qui n’ont pas encore été mises en liberté et qui ont passé au moins 20 ans derrière les barreaux; 199 qui sont en prison depuis au moins 25 ans; 125 qui sont incarcérées depuis au moins 30 ans; et 24 qui sont à l’ombre depuis au moins 40 ans. Environ 12 % des personnes de 50 ans et plus qui sont en prison depuis au moins 20 ans ont été déclarées « délinquant dangereux ».

Quand il est question des personnes condamnées à plus d’une peine de ressort fédéral, un peu moins de 600 personnes de 50 ans et plus ont passé (mais de façon non consécutive) au moins 20 ans dans des prisons fédérales, 325 y ont purgé au moins 30 ans, et 107 sont incarcérées depuis au moins 40 ans**.

* Données tirées de l’entrepôt de données du SCC en mai 2018

** Bon nombre des personnes qui ont cumulé des peines de 20 ans au minimum en prison sans interruption ont peut-être passé de longues périodes sous surveillance dans la collectivité avant de retourner en prison. La présente analyse ne tient compte que du temps passé dans un établissement fédéral. De nombreuses personnes auront également purgé des peines d’emprisonnement dans des prisons provinciales, mais nous n’en tenons pas compte.

Isolement social 

Les personnes qui ont de graves problèmes de mobilité ou de santé sont encore plus touchées par l’isolement social et la monotonie. Un homme plutôt âgé ayant des problèmes cognitifs et une perte de mobilité (confiné à un fauteuil roulant avec premiers signes de démence) nous a raconté son quotidien. Le matin, on pousse son fauteuil roulant vers l’aire commune, où il reste seul à une table (à moins que quelqu’un vienne lui parler). Il retourne à sa cellule à l’heure du midi, avant de se rendre à la bibliothèque pour lire le journal pendant deux heures. Il est ensuite ramené à sa cellule pour le reste de la journée, où on le laisse assis dans son fauteuil roulant ou étendu sur son lit. Il assiste à la messe tous les dimanches et reçoit la visite de l’aumônier une fois par semaine.

Après de longues périodes de détention, un grand nombre de ces personnes ont très peu d’aptitudes pour la réinsertion sociale. Bon nombre nous ont dit qu’elles participent à très peu d’activités valables ou utiles, à part le travail, car elles ont depuis longtemps fait tous les programmes correctionnels requis ou suivi des programmes scolaires. Les personnes qui ne travaillent pas disent qu’elles trouvent le temps long, qu’elles se sentent seules et qu’elles s’ennuient. Un grand nombre dit regarder la télévision ou dormir le jour, ou les deux. Les activités sociales au programme (comme la bibliothèque, l’atelier de loisir, le gymnase, la salle de jeux de cartes, la salle de billard) sont habituellement fermées dans la journée pour afin de faciliter les routines et horaires de travail de l’établissement. Un détenu de 58 ans nous a dit : « Le jour, nous tournons en rond. Bien des gars ne font rien ici; pour eux, ils font juste exister ».

De nombreuses personnes disent rencontrer rarement leur agent de libération conditionnelle en établissement. Il ne leur reste pas grand-chose à faire dans leur plan correctionnel. Même si elles ont passé l’âge de la retraite, elles sont nombreuses à continuer de travailler, uniquement parce que c’est la seule façon pour elles de ne pas être enfermées ou seules dans leur cellule.

Les longues périodes derrière les barreaux peuvent contribuer à affaiblir les liens avec la famille et les amis et amies. Pourtant, ces importants liens peuvent favoriser la réinsertion sociale. Des personnes détenues ont raconté avoir perdu contact avec leur famille et leurs amis et amies après de nombreuses années, parfois des décennies en prison. Une foule de raisons peut expliquer cette perte de contact : la parenté et les amis qui décèdent, qui renoncent à visiter quelqu’un en prison à cause de difficultés financières, de problèmes de santé ou de la grande distance à parcourir, ou qui ne souhaitent plus entretenir de liens.

Conséquences d’une succession d’agents de libération conditionnelle pour une « personne condamnée à perpétuité » 

En décembre 2014, le projet de loi C-483, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (sortie avec escorte ), modifiait la LSCMLC en limitant le pouvoir du directeur d’établissement d’accorder une permission de sortir avec escorte (PSAE) aux personnes délinquantes condamnées pour meurtre au premier ou au deuxième degré. À la suite de cette modification, c’est maintenant la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) qui doit autoriser les PSAE de ces personnes délinquantes.

Au cours des entrevues, un homme « condamné à perpétuité » qui est incarcéré depuis 36 ans nous a raconté qu’on lui avait accordé de nombreuses PSAE avant l’adoption du projet de loi C-483. Puis quand ce projet de loi est entré en vigueur, on l’a obligé à se présenter devant la CLCC qui devait donner son accord pour qu’il continue d’avoir des PSAE. Mais avant d’obtenir une audience, il devait faire mettre à jour son plan correctionnel, ce qui nécessitait une évaluation psychologique. Après avoir changé d’agent de libération conditionnelle bien des fois (il dit en avoir eu huit en cinq ans), il a attendu un an et demi pour obtenir une évaluation psychologique, et deux ans de plus pour qu’encore un autre agent de libération conditionnelle mette son plan correctionnel à jour. Malheureusement, quand son plan correctionnel a été à jour, son évaluation psychologique ne l’était plus (elle n’est valide que pour deux ans). Il attend maintenant depuis trois ans et demi la reprise de ses PSAE. Comme les PSAE sont essentiels pour démontrer le potentiel de réinsertion sociale, cette situation est inacceptable.

Une personne détenue âgée de 78 ans nous a déclaré que le SCC « n’a aucune stratégie pour les personnes condamnées à perpétuité. J’ai complété mon plan de détention dans les deux premières années, et maintenant je ne fais plus rien. » Une autre de 77 ans nous a confié : « J’en ai assez d’être en prison. On ne me dit rien et on ne me répond pas à mes questions sur ce que je devrais faire. Mon agent de libération conditionnelle ne sait pas. Je veux sortir d’ici et passer à autre chose. » Une autre, à 66 ans, a dit : « Je ne comprends pas ce que le SCC veut que je fasse pour réduire le risque... Si tu te tiens tranquille, ils ne s’occupent plus de toi et ils oublient que tu existes. »

De nombreuses personnes incarcérées nous ont dit avoir eu plusieurs agents de libération conditionnelle en seulement quelques années (p. ex. dans un cas, 14 agents de libération conditionnelle se sont succédé en 10 ans; un autre détenu en a eu 6 en 2 ans). Selon la politique du SCC, il faut une évaluation de la cote de sécurité au moins tous les deux ans pour les personnes en détention ayant une cote de catégorie maximale ou moyenne. Il est difficile de se conformer à cette politique lorsqu’une personne change constamment d’agent de libération conditionnelle, alors qu’un agent doit prendre le temps de connaître ses nouveaux clients avant de recommander une cote de sécurité inférieure, des programmes ou des permissions de sortir avec escorte (PSAE) ou sans escorte (PSSE). Il semble que, pour réintégrer la société en toute sécurité, les personnes qui ont passé de nombreuses années derrière les barreaux auraient des besoins supplémentaires et constants en matière de soutien, de programmes, de services, de PSAE/PSSE ou de placement à l’extérieur.

Parmi les personnes âgées sous garde fédérale que nous avons interrogées, bon nombre d’entre elles nous ont dit avoir l’impression d’être devenues « institutionnalisées » et qu’il leur serait très difficile de réintégrer la collectivité, ce qui ne nous a pas surpris. Un détenu incarcéré depuis de longues années a exprimé cette crainte : « Je suis institutionnalisé. Je suis plein d’amertume, et j’ai été tellement brisé par le système que je ne serai jamais fonctionnel en dehors de la prison ». Il a 68 ans. Une autre personne, 55 ans, nous a dit : « C’est dans la tête – il y a toujours quelqu’un pour vous dire quoi faire en prison, vous êtes déconnecté du monde. »

Un grand nombre de ces personnes semblent éprouver de la colère et de l’amertume, déclarant que « le système est détraqué ». Certaines ont l’impression qu’on les a « oubliées » ou que leur dossier a été « mis sous la pile » parce qu’elles ont cessé de se plaindre, d’être mêlées à des incidents entre les murs et de faire des histoires pour quoi que ce soit.

Photo d’un fauteuil roulant et de deux marchettes dans une unité réservée aux détenus âgés.

Photo d’un fauteuil roulant et   
de deux marchettes dans une unité   
réservée aux détenus âgés 

De nombreux témoignages révèlent très peu d’intérêt à continuer d’« essayer de changer » le système. Seulement quelques personnes se donnent encore la peine de soumettre des requêtes ou des plaintes, ou de demander une rencontre avec leur agent de libération correctionnelle. Les autres pensent que « ça ne sert plus à rien ». Pour ces hommes, il n’y a vraiment pas grand-chose qui les motive à faire plus pour obtenir une éventuelle mise en liberté. Ils ont le sentiment qu’on les néglige ou qu’on les abandonne. Bon nombre des personnes interrogées ont d’importants problèmes de mobilité ou souffrent de graves maladies chroniques, ce qui pourrait justifier un encadrement sécuritaire dans la collectivité.

Pour conclure, selon notre enquête, les personnes âgées (surtout celles qui évoluent dans le système depuis longtemps) peuvent subir les inconvénients de la stigmatisation et des stéréotypes parce que les gens pensent, consciemment ou inconsciemment, que la réadaptation ou la réinsertion sociale est impossible dans leur cas — ou qu’elles ne valent pas la peine qu’on consacre des fonds pour leur permettre de sortir de prison. Même s’il peut y avoir discrimination sans stigmatisation et stéréotypes, il s’agit d’indicateurs de discrimination. La stigmatisation et les stéréotypes utilisés pour cette population étant des facteurs qui contribuent à l’« entreposement » et à l’institutionnalisation, ils représentent une forme systémique et omniprésente de discrimination que le SCC doit éliminer en prenant des mesures proactives. Il faut changer les attitudes et les méthodes d’encadrement des personnes âgées sous garde fédérale.

Qu’est-ce que l’institutionnalisation? 

Durant son incarcération, une personne détenue a moins de possibilités de faire des choix et de prendre des décisions, si bien qu’elle s’habitue graduellement au milieu carcéral (Crawley et Sparks, 2006). Avec le temps, la personne détenue vit de façon très routinière et prévisible, et les normes de l’établissement en viennent à prendre le dessus graduellement. Ainsi, une incarcération de longue durée peut entraîner un genre de « dépendance institutionnelle », ou d’« institutionnalisation », qui se définit par l’intégration des normes de la vie carcérale aux habitudes de pensée, aux sentiments et aux agissements d’une personne (Haney, 2002). Les effets de l’institutionnalisation semblent plus marqués chez les personnes qui sont assez jeunes quand elles entrent en prison.

Chez une personne détenue institutionnalisée, on note les adaptations psychologiques suivantes :

  • manque d’intérêt pour le monde extérieur ou pour un « nouveau départ »;
  • anxiété à l’idée d’obtenir une mise en liberté;
  • aliénation sociale et isolement social;
  • hypervigilance, doute et méfiance interpersonnelle;
  • diminution de l’estime de soi et du sentiment de valoir quelque chose;
  • incapacité de prendre des décisions par elle-même;
  • intégration des normes abusives de la culture carcérale;
  • dépendance aux structures et conditions de l’établissement;
  • réactions liées au trouble de stress post-traumatique.

Recommandation n o 1 : 

Nous recommandons un examen indépendant de la situation de toutes les personnes âgées sous garde fédérale, dans le but de déterminer si un placement dans la collectivité, dans un établissement de soins de longue durée ou dans un centre de soins palliatifs serait plus approprié. 

Deuxième constatation : Défaut de reconnaître et de protéger une population vulnérable


Le SCC ne reconnaît pas que les personnes âgées sous garde fédérale forment un segment vulnérable de la population carcérale. Ainsi, leur santé, leur sécurité et leur dignité ne sont pas bien protégées. Ces omissions se constatent dans des enjeux systémiques qui peuvent être simples, quotidiens et généraux.

En voici des exemples :

  • Les personnes détenues âgées, y compris celles qui ont passé l’âge de la retraite, sont poussées, forcées ou encouragées à travailler simplement en leur faisant craindre d’être isolées ou enfermées, ou de subir une réduction de leur allocation.
  • Les personnes détenues âgées font plus souvent volontairement une demande de placement en isolement, généralement parce qu’elles craignent pour leur sécurité personnelle.
  • Des cas de recours à la force et des méthodes de contrainte physique (comme les clés de poignet et les chaînes aux chevilles) pour maîtriser des personnes détenues âgées semblent disproportionnés, sans qu’il y ait d’ajustement pour tenir compte de l’âge de la personne et du risque qu’elle présente.
  • Les cas de brutalité, de victimisation, d’intimidation et d’agression subis par des personnes détenues âgées semblent courants. Puisqu’ils sont rarement dénoncés, il n’y a généralement pas d’enquête ni de prise en charge.
  • Il faut fournir aux personnes détenues âgées, de manière raisonnable, des éléments visant à préserver leur dignité et des objets favorisant leur confort (matelas médicaux, oreillers, chaussures orthopédiques, etc.).
Photo d’un fauteuil roulant dans le cadre de la porte d’une cellule accessible.

Photo d’un fauteuil roulant dans le cadre de la porte d’une cellule accessible.   
 

Décès d’une personne âgée pendant un confinement prolongé 

Un confinement a été imposé dans un établissement à sécurité moyenne pendant neuf jours pour y mener une fouille en vertu de l’article 53 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition . Pendant le confinement, le personnel de sécurité a reçu un message anonyme disant qu’un détenu, un Métis de 83 ans, risquait de se faire du mal et refusait de manger. Sans que le personnel du SCC s’en rende compte, il n’avait mangé aucun aliment solide depuis six jours. On l’a donc mis en observation à intervalles de 15 minutes pendant le reste du quart de nuit. Le matin suivant, en ouvrant la porte de la cellule pour lui parler, l’agent responsable de la surveillance a constaté qu’il avait le teint pâle, respirait péniblement, refusait de manger et disait vouloir mourir. Après une évaluation de son état de santé par un membre du personnel infirmier, on a décidé de le transférer au Centre régional de traitement. Pendant qu’ils l’escortaient vers la fourgonnette, les agents ont décidé que son état de santé rendait le transport non sécuritaire. Quand ils ont essayé de le faire sortir de la fourgonnette, le détenu s’est effondré comme une poupée de chiffon. Les agents lui ont prodigué les premiers soins, y compris au moyen d’un défibrillateur externe automatisé, un peu avant d’appeler le service d’urgence 911. Le détenu a été transporté à l’hôpital, où il est décédé deux jours plus tard.

Les confinements prolongés équivalent à un isolement où les déplacements, les sorties dans la cour ou les contacts humains sont réduits ou complètement interdits. Le confinement dont il est question ici a été particulièrement éprouvant à cause d’une vague de chaleur qui a empiré des conditions de détention déjà pénibles. Durant un confinement, il faut absolument que des professionnels de la santé vérifient plusieurs fois par jour l’état de santé des populations vulnérables (c.-à-d. les personnes âgées; les personnes ayant un problème de santé mentale ou physique, ou les deux).

Sécurité personnelle 

Même si certaines personnes âgées sous garde fédérale affirment se sentir en sécurité dans leur milieu (surtout dans les établissements à sécurité minimale), bien d’autres se disent victimes d’intimidation ou de traitement musclé de la part des jeunes détenus ou détenues qui convoitent leurs articles achetés à la cantine ou leurs médicaments. On nous a très souvent parlé de ces gestes dans les établissements pour hommes. Certains se sentent si vulnérables qu’ils quittent rarement leur cellule ou leur rangée ou ne le font qu’en absolue nécessité. Ils se sentent particulièrement vulnérables dans les aires communes, comme la cafétéria et la cour, où ils disent qu’on leur prend de force leur chaise ou leur nourriture. « Qu’est-ce que je fais quand un gars plus jeune se met en travers de mon chemin? C’est simple, je ne dis rien du tout. »

Pendant que notre enquêteur menait une entrevue avec un détenu, il a remarqué un homme âgé qui faisait les cent pas dans la rangée de cellules. Le détenu qui était en entrevue avec l’enquêteur a dit que cet homme âgé avait tellement peur de quitter la rangée qu’il marchait de long en large dans le couloir pour faire un peu d’exercice dans sa journée. D’autres ont raconté des incidents où on les avait agressés physiquement, bousculés ou battus, subissant alors divers types de blessures. Pourtant, seulement quelques-unes de ces personnes étaient prêtes à donner des détails. La plupart du temps, ces incidents ne sont pas signalés au personnel du SCC et ne font pas l’objet d’une enquête.

Accès à la cantine et personnes âgées 

Dernièrement, le Bureau a reçu une lettre qui s’apparente à une pétition. Les dix signataires, des détenus âgés de 62 à 76 ans, racontent leurs problèmes d’accès à la cantine. Voici un extrait de leur lettre que nous avons traduit :

« Nous n’avons pratiquement que deux options : ou bien nous allons à la cantine le jour de la paye pour faire la file parfois pendant deux heures et peut-être réussir à faire nos achats; ou bien nous attendons quelques jours, à un moment où nous savons que la file sera moins longue, mais on nous dira que la moitié des articles sont en rupture de stock. »

« Un autre problème est la plus grande vulnérabilité des délinquants âgés quand d’autres délinquants (habituellement des membres d’un gang) font pression ou utilisent la force pour se faire donner des articles de cantine ou s’en faire commander. À 68 ans, je pèse 135 livres; devant ce genre de pression exercée par des délinquants agressifs plus jeunes et en meilleure forme physique, je ne peux pas faire grand-chose. J’ai moi-même vécu ce genre de pression quatre fois depuis trois mois, pour des sommes qui varient entre quelques sous et 36 $ (ce qui dépasse mon salaire net pour une semaine de travail). »

La lettre contient aussi deux recommandations : prévoir une période où l’accès à la cantine sera réservé aux détenus âgés, et autoriser les détenus âgés à se faire livrer un sac de la cantine. L’établissement de détention a refusé ces demandes, qui nous semblent pourtant être un bon compromis. Parmi les établissements visités au cours de l’enquête, un seul (le Centre régional de traitement à l’Établissement du Pacifique) avait établi une période réservée aux personnes âgées pour leur donner accès à la cantine.

En 2017-2018, 13 % des personnes détenues qui ont été agressées par une autre personne en détention 25 avaient 50 ans et plus 26 . Cette proportion a augmenté depuis cinq ans (10,8 % en 2013-2014; 8,6 % en 2014-2015; 10,5 % en 2015-2016; 11 % en 2016-2017).

En 2017-2018, de toutes les admissions en isolement pour des raisons de sécurité personnelle, y compris en raison de la nature du crime commis par la personne, les personnes de 50 ans et plus représentaient 10,2 % des cas. Parmi les personnes de plus de 50 ans admises en isolement pour des raisons de sécurité personnelle, 11 % avaient 65 ans et plus, et 89 % avaient entre 50 et 64 ans. En entrevue, la plupart des personnes âgées considéraient qu’elles devraient au moins avoir la possibilité d’être détenues ensemble. Selon elles, il faudrait aussi y penser deux fois avant de placer des jeunes en détention avec une population âgée.

Le fait de prévoir des périodes où l’accès à la cantine et au gymnase serait réservé aux personnes âgées permettrait à celles qui se sentent vulnérables d’être plus en sécurité et de conserver leur dignité.

Recours à la force sur des personnes détenues de 50 ans et plus 

Souvent les prisons adoptent une approche de sécurité d’abord, même avec une population âgée qui a tendance à se montrer plus docile et respectueuse des règles. Le Bureau passe en revue tous les incidents de recours à la force qui se produisent dans les établissements du SCC. Récemment, le Bureau a mené un projet pilote visant à classifier tous les incidents de recours à la force à l’aide de divers indicateurs. Entre octobre 2016 et octobre 2017, il a classifié 1 349 incidents de recours à la force, dont 124 (9,1 %) concernaient au moins un délinquant de 50 ans et plus 27 . En ce qui concerne les 124 incidents mettant en cause un homme âgé :

  • La plus forte proportion a été relevée au Centre régional de traitement de l’Établissement de Millhaven en Ontario (16 incidents ou 13 %), à l’Établissement de Mountain (9 incidents ou 7 %) dans la région du Pacifique, et à l’Établissement d’Edmonton (8 incidents ou 6,4 %) dans la région des Prairies.
  • La plupart des incidents (60,4 %) sont survenus dans des établissements à sécurité moyenne contre 33,8 % dans des établissements à sécurité maximale et 4,8 %, à sécurité minimale.
  • Près du tiers (27,4 %) des incidents se sont produits dans une cellule, 24 % dans une rangée, et 18 % dans une aire commune.
  • Dans 64,5 % des cas, on a utilisé la force physique pour maîtriser une personne; dans 43 % des cas, on a utilisé du matériel de contrainte, et dans 40 % des cas, on s’est servi de gaz poivré (un inflammatoire) en aérosol (sans compter les 9 % des cas où on s’est limité à montrer un contenant de gaz poivré ou à le pointer vers la personne à maîtriser).
  • Dans 20 % des cas, on a utilisé la force pour mettre fin à une agression entre personnes détenues.

Ces constatations font ressortir les interventions avec recours à la force mettant en cause des personnes âgées, et la forte proportion d’incidents où on maîtrise physiquement une personne. À l’heure actuelle, le SCC applique un modèle d’intervention qui ne tient pas compte précisément de l’âge de la personne détenue (ni de ses capacités et aptitudes dans ces situations).

De plus, le SCC donne peu de formation sur les problèmes de santé liés à l’âge, y compris la démence ou les comportements possiblement dus à une maladie causée par le vieillissement. Il n’est ni convenable ni efficace d’intervenir en ne pensant qu’à la sécurité dans une situation causée par une personne souffrant de démence qui est visiblement agressive. Il faut donner de la formation et changer les directives sur le recours à la force pour faire en sorte de réagir correctement dans ces situations.

Two pictures depicting an older offender using his cane to attempt to hit guards through the barrier and the second picture depicts the guards pepper spraying the inmate through the barrier.

Deux photos montrant un détenu âgé utilisant sa canne pour frapper des agents   
au travers d’une barrière, et des agents utilisant du gaz poivré contre le détenu  au travers d’une barrière .

Voir le cas no 5 dans la boîte de texte ci-dessous : Utilisation de gaz poivré contre un détenu de 71 ans qui a tenté   
de frapper des agents avec sa canne au travers d’une barrière.

Incidents de recours à la force mettant en cause des personnes âgées 

  1. Atteint de troubles mentaux et utilisant une canne pour se déplacer, un détenu de 62 ans qui devait retourner dans sa cellule a résisté en s’agrippant à un cadre de porte d’une main et en s’appuyant sur sa canne de l’autre. Un agent correctionnel lui a pris sa canne tandis qu’un autre l’a poussé avec force dans la cellule. Durant l’intervention, personne n’a essayé de négocier avec le détenu même si aucune urgence ne justifiait le recours à la force. En fait, on aurait pu intervenir différemment puis qu’il y avait quatre agents correctionnels sur place pour s’occuper du détenu qui n’était pas agressif et qui ne représentait pas une menace pour les personnes présentes.
  2. Assis sur son déambulateur (souvent appelé « marchette »), un détenu de 71 ans attendait l’ouverture de la barrière, pour se rendre aux Services de santé. Quand la barrière s’est ouverte pour laisser passer un membre du personnel, le détenu s’est levé et a essayé de passer aussi. Il a alors parlé un peu avec l’agent au poste de surveillance et a brièvement soulevé son déambulateur de manière intimidante avant de se rasseoir. L’agent a réagi en utilisant du gaz poivré pour asperger le détenu, qui a reculé derrière la barrière et s’est assis sur son déambulateur quelques minutes avant de retourner à son unité.
  3. Atteint de troubles mentaux diagnostiqués, un détenu de 69 ans refusait de retourner à sa cellule pour le dénombrement. L’agent s’est approché du détenu, lui a donné un coup de poing dans la poitrine et l’a saisi par le col de son manteau. Rien n’indique que l’agent aurait essayé de désamorcer la situation ou d’éviter le recours à la force. Autant les autorités régionales que la direction de l’établissement ont jugé que ce recours à la force n’était pas conforme aux directives. Le même détenu est en cause dans six incidents de recours à la force classifiés par le Bureau de l’enquêteur correctionnel pendant la période couverte par son projet pilote.
  4. Envoyé dans l’unité psychogériatrique en raison d’un trouble mental, un détenu de 52 ans essayait d’aider un autre patient à faire fonctionner un nouveau système de jeux vidéo. Alors que quelques autres patients essayaient aussi de les aider, le propriétaire du système est devenu très irrité parce rien ne fonctionnait. À ce moment, des agents de sécurité sont intervenus et ont demandé au détenu ayant un trouble psychologique de s’éloigner, ce qu’il a fait. Les agents de sécurité se sont ensuite placés devant lui et lui ont crié de retourner à sa cellule, mais le détenu a voulu savoir pourquoi on voulait l’enfermer. Même si le détenu n’était pas agressif, les agents de sécurité l’ont tout de suite aspergé de gaz poivré. Apparemment, les agents de sécurité n’auraient pas vraiment tenu compte de ses déficits cognitifs ni cherché d’autres moyens de ramener le calme.
  5. Dans un établissement à sécurité maximale, un détenu de 71 ans causait des tensions avec d’autres détenus dans l’aire commune. Des agents correctionnels ont essayé d’intervenir en ordonnant au détenu âgé de retourner à sa cellule. Le détenu a commencé à agiter sa canne devant les agents qui étaient de l’autre côté de la barrière de l’unité. Après avoir été aspergé de gaz poivré, le détenu est retourné dans sa cellule, jusqu’à ce qu’il soit plus tard envoyé en isolement.

Sentiment d’être forcé de continuer de travailler 

Au Canada, il faut avoir 65 ans pour être admissible aux prestations du Régime de pensions du Canada (mais on peut commencer à recevoir des prestations réduites à partir de 60 ans) et de la Sécurité de la vieillesse 28 . En prison, les personnes détenues peuvent prendre leur « retraite » en cessant de travailler. Ce n’est pas vraiment souhaitable puisqu’il n’y a pas grand-chose à faire pour passer le temps derrière les barreaux. Des personnes âgées sous garde fédérale ont été mises en prison à un âge déjà avancé, après avoir mené à terme une carrière en société ou pris leur retraite. Quoi qu’il en soit, on les encourage à recommencer à travailler quand elles se retrouvent en prison.

La majorité des personnes rencontrées en entrevues ont mentionné le peu de revenu qu’elles gagnent en travaillant, ce qui les rend incapables de prendre leur retraite durant leur incarcération : bon nombre se sentent « forcées » de travailler pour se payer des « petites choses  » à la cantine ou même économiser un peu d’argent en prévision de leur libération. Une personne qui prend sa retraite ou qui est déclarée incapable de travailler durant son incarcération reçoit une allocation de base d’à peine 2,50 $ par jour 29 , et elle a accès à peu d’activités sociales dans la journée. Les personnes incarcérées dans un établissement à sécurité moyenne sont enfermées dans leur cellule la majeure partie de la journée si elles ne travaillent pas ou si elles ne suivent pas de programmes ou de formation scolaire.

Nous avons parlé à un homme âgé de 55 ans qui est paralysé de la poitrine jusqu’aux pieds. Un de ses bras est complètement fonctionnel, mais l’autre n’est mobile qu’à 40 %. Cet homme ressent des douleurs chroniques. Malgré cela, le personnel de l’établissement lui a dit qu’il devrait travailler et qu’ils lui trouveraient quelque chose à faire dans la mesure de ses capacités.

On peut se demander s’il est raisonnable d’exiger – directement ou indirectement – d’une personne âgée sous garde fédérale qu’elle travaille, ou encore si le travail devrait être la seule façon pour les personnes âgées en détention d’obtenir une allocation de subsistance suffisante. Si une personne âgée souhaite travailler, le SCC doit envisager de prendre des mesures d’adaptation en fonction de son âge. Si la personne âgée ne peut pas travailler, il faudrait lui fournir des activités convenables, la possibilité de passer du temps à l’extérieur de sa cellule et une allocation de subsistance suffisante.

Le Bureau a soulevé la question de la rémunération des personnes détenues dans son Rapport annuel 2015-2016 , expliquant comment cette rémunération n’avait pas augmenté en presque 40 ans. Les personnes en détention doivent assumer une plus grande part de ce qu’il en coûte pour se nourrir et combler ses besoins derrière les barreaux, alors il leur reste très peu d’argent après les retenues diverses. Dans son rapport, le Bureau a recommandé au ministre de la Sécurité publique de procéder à l’examen du système de rétribution des personnes détenues, mais les résultats de cet examen n’ont pas été communiqués au Bureau ni rendus publics.

Recommandation n o 2 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada rédige une directive du commissaire séparée et distincte portant uniquement sur les personnes âgées, pour veiller à ce que leurs besoins et intérêts particuliers soient cernés et comblés au moyen de programmes, de services et d’interventions efficaces et adaptés. 

Recommandation n o 3 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada donne à son personnel des séances de formation sur les besoins – physiques, sociaux et psychologiques – liés à l’âge, de même que de la formation destinée à reconnaître les comportements dus à la démence, d’y réagir et de bien les gérer. 

Recommandation n o 4 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada révise sa formation et sa politique sur le recours à la force pour y intégrer des pratiques exemplaires et des leçons apprises sur le recours à la force sur des personnes âgées (y compris celles qui ont besoin d’appareils pour se déplacer). 

Recommandation n o 5 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada propose des options de travail appropriées (y compris des options adaptées) aux personnes âgées qui souhaitent et peuvent continuer de travailler. De plus, qu’une personne âgée puisse travailler ou non, le Service correctionnel du Canada devrait lui verser une allocation de subsistance suffisante pour combler ses besoins personnels. 

Recommandation n o 6 :   
Nous recommandons que les populations vulnérables en détention (personnes âgées et celles ayant des problèmes de santé mentale ou physique, ou les deux à la fois) soient surveillées chaque jour par des professionnels de la santé pendant les confinements. 

Troisième constatation : Les prisons n’ont jamais été conçues pour être des installations pour personnes âgées


« Nous essayons de faire du neuf avec du vieux, ce qui n’est pas toujours facile. » (Un agent correctionnel du SCC)

Infrastructure et accessibilité 

À l’un des établissements où sont allés les enquêteurs du Bureau et de la Commission, il faut enjamber un rebord pour entrer. Pourtant, une longue rampe d’accès mène à la porte. Pour y faire entrer une personne en fauteuil roulant qui s’y rendait pour une entrevue, son pair aidant a dû faire un mouvement brusque pour soulever le fauteuil par-dessus le rebord. Une des personnes âgées a eu cette remarque : « On a des rampes d’accès pour fauteuils roulants en assez grand nombre, mais il y a des marches et des escaliers partout. »

Une autre personne s’est confiée à nous : « Certaines personnes ont peur de prendre une douche parce qu’il n’y a pas de barres d’appui. J’ai aussi un fauteuil triporteur. Avant d’avoir mon triporteur, j’avais beaucoup de difficulté à monter une côte. Il me fallait plus de temps pour me rapporter, ce qui me causait parfois des problèmes. Certains gardiens ne comprennent pas les problèmes dus à notre âge. » (Une personne de 64 ans en détention)

Dans l’ensemble du Canada, le SCC compte 428 cellules accessibles en fauteuil roulant 30 . Il y en a 52 dans des établissements pour femmes, dont 38 sont transitoires (comme des lits d’hospitalisation et des cellules d’isolement). Le SCC dispose donc de 390 cellules permanentes libres de tout obstacle. Ce chiffre équivaut à 2,5 % de toutes les cellules du SCC, soit plus que l’exigence fixée à 2 % dans les Lignes directrices sur les installations correctionnelles fédérales 31 . Pourtant, les cellules accessibles ne sont qu’un élément d’un vaste enjeu.

Photo d’une cellule accessible au Centre fédéral de formation

Photo d’une cellule accessible au Centre fédéral de formation 

Au fil des ans, le SCC a fait de nombreuses modifications pour améliorer l’accessibilité (p. ex. ascenseurs, lève-personnes, salles de bain avec toilettes surélevées et mains courantes, douches accessibles avec pomme de douche mobile, rampes d’accès aux établissements, barres verticales dans les cellules pour aider les personnes à sortir de leur lit, laveuse et sécheuse à chargement frontal 32 ). Cependant, étant donné l’âge, l’état et l’infrastructure de nombreux établissements fédéraux, il faudra investir beaucoup plus de fonds pour que l’accessibilité soit généralisée.

A picture of a wheelchair that cannot fit through a cell door.

Photo d’un fauteuil roulant   
qui ne passe pas dans la porte   
d’une cellule 

Pendant les visites à certains établissements, les enquêteurs ont constaté que, même si des cellules ou salles sont déclarées « accessibles en fauteuil roulant », cela ne veut pas dire que les personnes qui utilisent des dispositifs de mobilité peuvent circuler facilement ou participer pleinement aux activités de l’établissement. À titre d’exemple, les enquêteurs ont vu des obstacles physiques ou des limites structurelles :

  • des cellules occupées par des personnes utilisant un fauteuil roulant plus large que la porte de la cellule;
  • des portes des établissements sans bouton d’ouverture automatique;
  • de nombreuses cabines de douche accessibles qui ont un rebord difficile à franchir en toute sécurité par une personne utilisant un dispositif de mobilité;
  • des cabines de douche sans siège, tapis antidérapant ou douchette à main (un détenu est tombé dans la douche pendant les entrevues des enquêteurs, et il y est resté 20 minutes, car il n’y avait pas de bouton d’urgence);
  • des unités de visite familiale privée non accessibles;
  • des passages piétonniers cahoteux et en mauvais état autour des bâtiments;
  • des pentes apparemment assez raides devant les unités résidentielles et les édifices;
  • des édifices où la porte d’entrée a un rebord;
  • des cellules sans bouton d’urgence;
  • des comptoirs de cuisine trop hauts pour les personnes en fauteuil roulant;
  • des unités de soins de santé sans toilettes accessibles en fauteuil roulant ni salle d’attente, obligeant des personnes âgées à faire la file à l’extérieur, beau temps mauvais temps.
Photo d’une douche munie d’un rebord dans le bas.

Photo d’une douche munie d’un rebord dans le bas. 

Photo  d’un corridor extérieur muni d’un rebord dans un établissement fédéral.

Photo d’un corridor extérieur muni d’un rebord dans un établissement fédéral. 

Les conditions hivernales rendent les terrains extérieurs des prisons encore plus difficiles pour les personnes qui utilisent des dispositifs de mobilité. Des personnes âgées ont dit avoir glissé sur des plaques de glace et des pentes et être tombées, pendant qu’elles se rendaient aux services de santé ou à la cafétéria. Les longues distances entre les unités résidentielles et les services de santé, la cafétéria ou la cantine sont aussi des obstacles. Quand un détenu de 61 fait la file pour la cantine, il n’a pas la force de rester debout : « Je dois m’asseoir par terre parce que j’ai mal au dos et que je ne peux pas marcher une aussi grande distance ». De telles situations causent des problèmes de mobilité importants à certaines personnes âgées. Des gens nous ont dit sauter au moins un repas chaque jour parce qu’ils n’ont pas la force de faire le trajet.

Photo d’une rampe d’accès menant à un immeuble dans un établissement fédéral.

Photo d’une rampe d’accès menant à un immeuble dans un établissement fédéral .

Conditions de logement 

Dans certaines prisons aux États-Unis, des personnes délinquantes âgées ont la possibilité d’habiter dans des unités avec des personnes de leur âge. Or, le bien-fondé de cette pratique fait l’objet de constants débats. Même si ce modèle peut permettre de concentrer des soins de santé spécialisés dans un même endroit, les études révèlent que ce n’est pas toujours le cas 33 . De plus, les personnes qui y vivent peuvent se retrouver isolées ou séparées du reste de la population carcérale, et avoir moins accès aux programmes et aux services fournis ailleurs dans l’établissement.

Infrastructure vétuste 

Dans un établissement à sécurité minimale situé au 600, Montée St-François, à Laval, au Québec, des détenus qui ont subi des amputations (une double amputation pour certains), qui utilisent des bouteilles d’oxygène, qui souffrent de la maladie de Parkinson ou d’un diabète sévère sont regroupés dans une unité. Aucune des cellules n’est munie d’une alarme de sécurité. À moins de crier, les détenus n’ont aucun moyen de communiquer en cas de besoin. Les cellules sont si petites que les détenus en fauteuil roulant doivent laisser leur fauteuil à l’extérieur. Il n’y a pas d’aire commune, et les détenus passent donc la journée dans un corridor étroit assis dans leur fauteuil. , et un codétenu les aide à se déplacer. Comme la ventilation est déficiente dans cet édifice de plus de 51 ans, le personnel laisse la porte extérieure ouverte pour faire circuler l’air. Cette solution est loin d’être convenable pour une personne âgée : « Je gèle en hiver parce que l’air froid arrive directement sur moi. »

A picture of the range for older offenders at the Federal Training Centre.  The picture depicts a walker and a wheelchair in front of cell doors.

Photo de l’unité réservée aux détenus âgés au Centre fédéral de formation.   
Cette photo montre une marchette et un fauteuil roulant devant des portes de cellules 

A picture of a bunk bed (without a ladder) used when inmates are double bunked.

Photo d’un lit superposé   
(sans échelle) utilisé lorsque   
les détenus sont placés   
en occupation double. 

Au SCC, on trouve de bons exemples d’établissements qui fournissent aux personnes délinquantes âgées la possibilité de vivre principalement avec des personnes de leur âge. Un certain nombre d’établissements que nous avons visités pendant l’enquête regroupent des personnes âgées dans une rangée ou dans une ou deux unités résidentielles. De nombreux établissements ont aussi désigné des rangées ou des unités résidentielles adaptées pour les personnes qui ont besoin de soins supplémentaires ou vivent avec de graves problèmes de santé ou de mobilité. Ces unités résidentielles ou rangées ont souvent un seul niveau (aucun escalier), des salles de bain accessibles et des cellules ou des chambres situées à proximité des services de santé (quoique certaines sont plus isolées des activités et des services). Bon nombre des personnes rencontrées en entrevue qui vivent dans une rangée ou dans une unité résidentielle avec une majorité de personnes âgées se disent relativement satisfaites de leurs conditions d’hébergement. De nombreuses autres personnes voudraient pouvoir être placées dans des endroits du même genre. Ces expériences montrent qu’il faut généraliser ces solutions de logement adaptées et en accroître l’accessibilité.

Les femmes âgées, en particulier, affirment qu’elles ne souhaitent pas loger avec des femmes plus jeunes : « Surtout à notre âge, nous ne sommes plus des enfants. J’ai du vécu. J’ai des besoins. Les jeunes s’en moquent. Je ne veux pas écouter leur colère ni participer à leurs commérages ». Une autre femme nous a dit : « Nous avons élevé nos enfants. Nous ne voulons pas en élever d’autres ». Nous avons aussi entendu des femmes âgées préciser que des jeunes détenues étaient prêtes à les aider. Ces différents points de vue mettent en lumière la nécessité de donner aux personnes détenues la possibilité de choisir en ce qui concerne les solutions axées sur l’âge.

Même si ce n’est pas fréquent, la double occupation des cellules (une situation où deux personnes partagent une cellule conçue pour en accueillir une seule) a été évoquée quelques fois par les personnes interrogées. Le Bureau a récemment été mis au courant du cas d’un délinquant de 73 ans qui s’est blessé en descendant d’un lit supérieur pendant la nuit pour aller aux toilettes. Quand le Bureau a voulu savoir pourquoi le plus jeune compagnon de cellule n’avait pas été assigné au lit supérieur, le détenu qui est tombé a répondu que c’était lui le plus jeune des deux puisque l’autre détenu a 84 ans. Le Bureau a alors recommandé que le processus d’évaluation de l’établissement aux fins du placement dans une cellule à double occupation prenne l’âge en considération. Même si cette recommandation a été acceptée, il est à noter que ni la Directive du commissaire 550 intitulée Logement des détenus ni le document Évaluation aux fins du placement dans une cellule à double occupation – Guide de l’utilisateur ne font référence à l’âge comme élément à considérer avant de procéder au placement dans une cellule à double occupation.

Nécessité d’utiliser des fourgonnettes accessibles en fauteuil roulant 

Incapable de lever sa jambe assez haut pour monter à bord de la fourgonnette, une femme âgée (66 ans) a dit avoir demandé à un agent correctionnel de retirer un des dispositifs de contention pour lui permettre de garder son équilibre. L’agent a refusé. En réessayant de monter dans la fourgonnette, la détenue a perdu l’équilibre. Quand elle a tenté de s’agripper à l’un des agents correctionnels, il s’est reculé, la laissant tomber sur le sol.

Des personnes âgées ont raconté les problèmes qu’elles ont eus à monter à bord d’une fourgonnette de transport, souvent avec des menottes aux poignets et aux chevilles. L’une d’elles (souffrant d’une maladie cardiaque en phase terminale) nous a raconté : « […] j’ai dû me mettre à quatre pattes pour grimper dans la fourgonnette » avec des dispositifs de contention aux poignets et aux chevilles. Plusieurs personnes ont dit avoir de la difficulté à monter dans la fourgonnette et à en sortir non seulement parce que les dispositifs de contention gênent leurs mouvements, mais aussi parce qu’elles ont du mal à se glisser dans de petits espaces sans aide. Les personnes qui utilisent des dispositifs de mobilité peuvent avoir encore plus de difficulté puisque ces dispositifs leur sont souvent retirés, si bien que c’est tout un défi que de prendre place dans le véhicule. Le Bureau a déjà signalé des problèmes de sécurité associés aux fourgonnettes de transport, et il en a recommandé l’élimination progressive 34 . Des véhicules pouvant mieux convenir aux personnes à mobilité réduite devraient remplacer les fourgonnettes moins accessibles 35 .

Photo d’un fourgon de transport de détenus.

Photo d’un fourgon de transport de détenus. 

Dans le même ordre d’idées, il semble inutile de poser des dispositifs de contention aux chevilles ou aux poignets enflés, endoloris, facilement meurtris ou lacérés d’une personne âgée pendant les permissions de sortir avec escorte pour des raisons médicales. Le risque de violence ou d’évasion que posent certaines de ces personnes semble minimal et pourrait être géré avec peu de dispositifs de contention, voire aucun. Après avoir quitté un hôpital, un détenu de 72 ans a fait le commentaire suivant : « Vous avez des chaînes aux pieds et des menottes aux poignets. Je suis ficelé comme un saucisson et malade, où voulez-vous que j’aille? En plus, j’ai la couverture rouge sur moi qui est retenue par quatre sangles, et deux agents correctionnels me suivent. »

De petites concessions contribueraient grandement à la prise en compte de ces préoccupations. À titre d’exemple, le recours aux dispositifs de contention devrait être proportionnel au risque réel ou à la capacité physique de la personne délinquante âgée 36 . Le SCC s’est engagé à réviser la politique sur l’application des dispositifs de contention pour le transport des détenus âgés pour des raisons médicales et l’utilisation d’un processus d’évaluation de la menace et des risques tenant compte de la gravité des problèmes de santé 37 . Le Bureau et la Commission voient cet engagement d’un bon œil.

Obstacles au respect et à la dignité 

Dans les prisons fédérales, on s’attend à ce qu’une personne âgée fasse les mêmes choses qu’une personne de 20 ans, avec peu de mesures d’adaptation ou d’exceptions aux règles. Certaines personnes âgées sous garde fédérale ont dit se faire presser et ne pas avoir plus de temps pour se rendre d’un endroit à l’autre, même si elles se déplacent avec un déambulateur ou une canne. Elles sont nombreuses à signaler des problèmes de pieds (douleur et enflure) ou à avoir de la difficulté à se pencher pour lacer leurs souliers. Plusieurs réclament des souliers plus larges (en raison de leurs pieds enflés) avec attaches Velcro® (qui sont plus faciles à enfiler et à retirer). Seulement une poignée d’entre elles ont réussi à obtenir ces articles non standard, et ce, après une trop longue période d’attente. Un homme de 57 ans a raconté la fois où ses pieds étaient si enflés qu’il n’a pas réussi à mettre les chaussures fournies par l’établissement, alors il a porté des pantoufles. Malgré sa peur de tomber avec ses pantoufles, il était davantage frustré d’avoir été accusé d’une infraction disciplinaire pour ne pas avoir porté les chaussures standard.

Dans d’autres cas, les politiques et pratiques du SCC minent la dignité des personnes délinquantes âgées. Dans un établissement, par exemple, les visites du médecin sont limitées à l’unité à sécurité moyenne. Par conséquent, les personnes âgées qui vivent dans l’unité à sécurité minimale doivent subir une fouille à nu avant et après chaque visite chez le médecin. Certaines personnes nous ont dit ne pas vouloir parler de leurs problèmes médicaux susceptibles de les obliger à voir le médecin.

Les routines des établissements sont parfois mal adaptées aux besoins des personnes âgées ou handicapées. Un homme âgé a expliqué que, parce que le dernier dénombrement debout est à 22 h, il doit s’efforcer de rester éveillé pour se rendre à la porte de sa cellule, plutôt que de se coucher tôt.

D’autres exemples soulignent l’absence de bon sens dans le système actuel, ou son inertie excessive à répondre aux besoins dans un délai raisonnable. À un établissement à sécurité minimale du Québec, un détenu atteint de la maladie de Parkinson attend depuis quatre ans d’être admis dans une maison de transition. Dans sa petite cellule, il arrive à se sortir du lit en se balançant entre le bureau et un tuyau fixé au mur. Il ne peut pas être transféré à la maison de transition (qui n’est pas accessible) avant d’avoir subi une chirurgie au genou, et pour se faire opérer au genou, il doit reprendre des forces. L’établissement n’ayant pas de physiothérapeute, il ne fait aucune physiothérapie. Il n’a pas la force de se lever pour aller aux toilettes seul la nuit, alors son pair aidant lui met une culotte d’incontinence pour la nuit. Il attend depuis longtemps le lit d’hôpital qui a été commandé pour lui. Cette situation est inacceptable.

Recommandation n o 7 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada désigne des installations pour les personnes âgées qui veulent y vivre — et que ces installations soient conçues ou rénovées pour les rendre physiquement accessibles. 

Recommandation n o 8 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada réserve des espaces et des plages horaires aux personnes âgées pour leur permettre de se réunir et de socialiser durant les heures de travail de l’établissement et pour leur permettre d’obtenir des services partagés de l’établissement (p. ex. bibliothèque, gymnase, cantine, visites, cafétéria, atelier d’artisanat et cour) durant les heures de travail. 

Recommandation n o 9 : 

Nous recommandons que le personnel affecté aux activités sociales organise des activités récréatives et des activités de loisir et de mieux-être adaptées en fonction de l’âge et de la capacité des personnes qui y participent (p. ex. étirements, marche, exercices aérobiques, yoga, jeux de cartes). 

Quatrième constatation : Les maladies chroniques qui affectent de plus en plus les personnes détenues font augmenter les coûts des soins de santé dans les établissements correctionnels


A picture of a hospital bed beside a toilet with accessible handles in a prison infirmary.

Photo d’un lit d’hôpital à côté d’une   
toilette munie de barres d’appui   
dans l’infirmerie d’un établissement 

Depuis dix ans, les coûts des soins de santé assumés par le SCC ont oscillé entre 201 millions de dollars en 2008-2009, et 267 millions en 2012-2013 38 . Même si de nombreux facteurs influencent les coûts des soins de santé, le vieillissement de la population carcérale joue sans aucun doute un rôle important dans la hausse des coûts. Puisque le SCC ne fait actuellement aucun suivi des coûts des soins de santé en fonction de l’âge, on ignore combien il en coûte pour dispenser des soins de santé à une personne âgée en prison. Cependant, il est probable que les tendances sont similaires à celles de la population canadienne 39 .

Dans différents pays, les personnes délinquantes âgées forment un des groupes d’âge les plus coûteux à incarcérer. Des recherches menées en Australie et aux États-Unis ont permis d’estimer que les coûts des soins de santé de la population carcérale âgée étaient de deux à quatre fois supérieurs à ceux de sa contrepartie plus jeune 40 . Le Canada ne fait pas exception. Il en coûte en moyenne 116 364 $ par an pour garder une personne incarcérée, comparativement à 31 052 $ pour maintenir une personne condamnée dans la collectivité 41 . Plusieurs membres du personnel du SCC à qui nous avons parlé ont évoqué le coût des multiples médicaments prescrits à de nombreuses personnes âgées sous garde fédérale, de l’équipement médical spécialisé (lève-personne, baignoires spécialisées, fourgonnettes adaptées) et des nombreuses heures supplémentaires que nécessitent les permissions de sortir avec escorte à des fins médicales. À un de ces établissements, trois des cinq lits de l’infirmerie sont occupés depuis longtemps par des personnes âgées très malades. Une personne âgée a passé huit ans à l’infirmerie de la prison, devenant de plus en plus dépendante et incapable de sortir du lit. La prestation de soins palliatifs ou de fin de vie en prison coûte excessivement cher, en plus d’être difficile et potentiellement inutile aux fins de sécurité publique.

La gestion de la douleur derrière les barreaux 

Bien des personnes âgées sous garde fédérale ont dit avoir des douleurs chroniques et parfois aiguës causées par un cancer ou de l’arthrite et que les services de santé de la prison ne font pas tout ce qu’il faudrait pour les gérer. Quelques personnes ont dit avoir réussi à obtenir un deuxième matelas, un matelas orthopédique ou des oreillers supplémentaires pour calmer un peu leur douleur. Par contre, pour la majorité, ces articles leur ont été refusés, et on constate que les règles ne sont pas les mêmes d’un établissement à l’autre. Plusieurs personnes se sont fait prescrire du Tylenol® ou de l’ibuprofène pour soulager leur douleur, mais la plupart affirment que ces médicaments sont sans effet. Les médicaments plus puissants et plus efficaces pour gérer la douleur sont difficiles à obtenir en prison.

Le cadre de politique du SCC destiné à favoriser le mieux-être et l’autonomie des personnes âgées précise que le SCC :

  • examinera les obstacles à la prescription de narcotiques pour gérer la douleur et poursuivra son projet pilote de gestion de la douleur, dans le cadre duquel une équipe pluridisciplinaire a recours à une série de stratégies pour répondre aux besoins des personnes souffrant de douleur chronique;
  • passera en revue la médication des personnes détenues de manière à leur retirer les médicaments jugés inutiles ou inadéquats, et à ajouter de nouveaux médicaments susceptibles de donner de meilleurs résultats.

Ces initiatives prometteuses pourraient atténuer le stress et la frustration qu’éprouvent les personnes souffrant de douleurs aiguës ou chroniques.

Unités de soins spécialisés 

Photo  d’un bain Arjo utilisé au Centre régional de traitement du Pacifique.

Photo d’un bain Arjo utilisé au   
Centre régional de traitement   
du Pacifique. 

Le SCC a créé deux unités de soins spécialisés pour les personnes qui, en raison de problèmes liés à l’âge, ont besoin d’une aide ou de soins supplémentaires. Le Centre régional de traitement (CRT) dans la région du Pacifique dispose d’une unité psychogériatrique assortie d’un programme d’aide à la vie autonome par les pairs (programme d’AVAP) 42 , et l’Établissement de Bowden compte une unité pour détenus en perte d’autonomie (UDPA) 43 . La clientèle du Programme d’AVAP et de l’UDPA est hébergée au palier inférieur où on trouve des cabines de douche adaptées (douchette à main, plancher antidérapant et siège intégré), une baignoire thérapeutique, des cellules équipées d’un lit d’hôpital et de deux boutons d’appel d’urgence installés près de la porte et du lit, ainsi qu’une barre d’appui intégrée près des toilettes. Pour être admise à un programme d’AVAP ou à une UDPA, la personne ne va plus assez bien pour vivre en sécurité ou de façon autonome dans un milieu carcéral régulier, en raison de ses besoins complexes en matière de soins de santé. Même si ces unités aident de nombreuses personnes à fonctionner au sein d’un milieu correctionnel, le personnel, les pairs aidants et les clients ont tous relevé plusieurs problèmes :

  • absence de soins infirmiers 24 heures sur 24;
  • sélection inadéquate du personnel de sécurité, lequel ne reçoit pas de formation spécialisée ou de formation de sensibilisation;
  • aucune orientation stratégique (directive du commissaire) propre à ces unités;
  • absence d’un mécanisme de surveillance ou de défense des intérêts du patient (p. ex. certaines personnes recevant des soins gériatriques dépendent totalement du personnel du SCC pour gérer les décisions relatives à leurs soins de santé, car elles sont incapables de formuler ou de donner un consentement libre et éclairé).

Une évaluation externe récente des centres régionaux de traitement 44 , commandée par le SCC, de même qu’une analyse du caractère éthique du programme d’aide à la vie autonome par les pairs 45 confirment bon nombre des préoccupations formulées par le personnel et les clients au cours de l’enquête.

Cas de deux femmes ayant besoin de soins spécialisés 

Les enquêteurs se sont fait raconter le cas d’une femme âgée qui commence peut-être à montrer des signes de démence et qui a besoin d’aide pour prendre soin d’elle. Elle n’a actuellement pas de paire aidante. Selon le personnel et les détenues, elle cache souvent des aliments de la cantine sous son lit, ce qui attire des insectes, elle passe des jours ou des semaines sans prendre de bain ou de douche, elle nettoie rarement sa cellule et éprouve des problèmes d’incontinence qu’elle a du mal à gérer seule. Comme elle est incapable de préparer ses repas, une autre femme lui fait à manger même si c’est généralement interdit, et le personnel « fait mine de ne rien voir », sachant à quel point la situation est difficile.

Le personnel a aussi décrit la situation d’une femme à l’article de la mort qui recevait des soins palliatifs et qui était gardée en prison malgré les nombreux plaidoyers du personnel pour la transférer dans un centre de soins palliatifs. Elle a finalement été envoyée à un tel centre, mais seulement après que le personnel ait refusé de travailler, estimant ne plus être en mesure de bien répondre à ses besoins médicaux.

Aucune donnée ne porte actuellement sur le nombre de personnes atteintes de démence ou de la maladie d’Alzheimer qui sont incarcérées. Cela dit, les personnes détenues souffrant de démence ou de la maladie d’Alzheimer se butent à de grandes difficultés dans les prisons fédérales du Canada. Les membres du personnel du SCC, même ceux qui travaillent dans les unités où vivent des personnes atteintes, disent recevoir peu de formation, sinon aucune, sur la démence ou la maladie d’Alzheimer. Le personnel a aussi mentionné que peu de ressources l’aident à évaluer des cas éventuels de démence, et on ne s’entend pas pour le moment sur les outils d’évaluation les plus adéquats. La situation est peut-être encore pire pour les Autochtones sous garde fédérale. Selon des études, les taux de démence au sein de la population autochtone (en Alberta) seraient supérieurs de 34 % à ceux au sein de la population en général 46 .

Les personnes souffrant de démence représentent des cas très difficiles non seulement pour le personnel des établissements, mais aussi en ce qui concerne la réinsertion sociale (hébergement adéquat et soins). Puisque la violence ou l’agressivité peut être reliée à la démence, l’admission ou le placement des personnes condamnées dans un établissement de soins de longue durée ou un centre de soins fait l’objet de lourds préjugés ou d’une forte résistance. Cependant, cette réalité ne diminue en rien l’obligation du SCC de créer des solutions de rechange pour ces personnes, y compris celles qui n’arrivent plus à donner un consentement éclairé.

Le personnel du SCC travaille souvent très fort pour prendre soin des gens et pour trouver un moyen de contourner un problème dans un système qui n’a pas la réputation d’être particulièrement souple ou malléable. Ceci étant dit, il faut se demander comment on encadre une personne souffrant de démence qui ne sait ou ne comprend peut-être plus comment elle s’est retrouvée en prison. De plus, il est possible que les motifs de l’imposition de la peine ne s’appliquent plus ou ne soient plus pertinents. Le SCC doit trouver des solutions de rechange et financer des installations communautaires, comme les maisons de transition, afin de dispenser des soins infirmiers et palliatifs.

Un cas de démence 

Bien qu’elle se concentre fortement sur les problèmes systémiques des personnes âgées sous garde fédérale, la présente enquête conjointe s’intéresse à des cas individuels. Un cas particulier se démarque. En avril 2017, la libération conditionnelle d’un homme de 66 ans sous surveillance dans la collectivité depuis 2008 a été suspendue, à la suite de comportements attribuables à la détérioration de sa santé mentale. L’homme a quitté la maison de transition où il résidait à bord de sa voiture, et il a conduit jusqu’à la frontière canado-américaine sans permis de conduire. Les autorités américaines l’ont arrêté, sans toutefois déposer d’accusations en raison de sa santé mentale. Au moment de l’incident, l’homme souffrait de démence avancée. Des rapports signalent qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où il était ni de la date, pas plus qu’il n’était capable de répondre correctement à d’autres questions simples. Le SCC a suspendu sa semi-liberté. La Commission des libérations conditionnelles du Canada a révoqué sa semi-liberté trois mois plus tard.

Cet homme a été placé dans une unité de détention temporaire, et plus tard transféré au Centre régional de traitement, où sa santé a continué de se détériorer. Il en est venu à avoir besoin d’une constante surveillance du personnel. Il a ensuite été transféré à un hôpital communautaire après avoir passé trois mois dans un établissement fédéral. Une pneumonie par aspiration l’a emporté huit jours plus tard.

Ce cas soulève d’importantes préoccupations relatives aux droits de la personne et à la dignité humaine : pourquoi et comment un homme âgé souffrant de démence avancée a-t-il pu être ramené dans un pénitencier, malgré la détérioration de ses capacités physiques et mentales? Il s’agit peut-être d’un cas isolé, mais il met en lumière les difficultés croissantes auxquelles les responsables des services correctionnels et des libérations conditionnelles sont confrontés à mesure que vieillit la population carcérale du Canada. Dans ce cas précis, le système n’a pas proposé de solutions de rechange sécuritaires, adéquates et opportunes à l’incarcération d’une personne dont l’état de santé déclinait à vue d’œil.

Soutien par les pairs 

Le SCC compte actuellement trois programmes de soutien par les pairs qui viennent en aide aux personnes :

  • Les pairs aidants du programme d’aide à la vie autonome par les pairs (AVAP) s’occupent de personnes qui ont besoin d’aide pour mener leurs activités quotidiennes.
  • Le programme des coordonnateurs de l’éducation par les pairs fait appel à des pairs en détention pour fournir au quotidien un soutien social ou psychologique ou encore une aide utile à d’autres personnes détenues.
  • Le mentorat entre pairs reflète une méthode spécifique aux femmes qui vise à habiliter les délinquantes et à accroître leur auto-efficacité. Les pairs mentors fournissent de l’encadrement aux ressources et aux services appropriés au sein de l’établissement et à l’extérieur de celui-ci.

Bien que les travaux de recherche qui confirment l’efficacité de tels programmes soient limités 47 , certains éléments suggèrent qu’ils aident les personnes à s’adapter à la vie carcérale, réduisent le sentiment d’isolement, fournissent des modèles positifs et encouragent des modes de vie sains 48 . Le soutien par les pairs est particulièrement important pour les personnes qui sont très malades ou qui ont besoin de beaucoup d’aide pour mener à leurs activités quotidiennes.

Le Bureau et la Commission ont interrogé 18 pairs aidants à la vie autonome ou coordonnateurs de l’éducation par les pairs. Ces personnes jouent un rôle déterminant dans le quotidien de nombreux détenus âgés sous responsabilité fédérale. Les pairs aidants du programme d’AVAP, par exemple, sont essentiels au fonctionnement de l’unité psychogériatrique. Ils reçoivent de la formation (sur les matières biodangereuses et l’utilisation de la baignoire thérapeutique) et un soutien constant du personnel de santé. Des organismes communautaires (Société Alzheimer, Association canadienne du diabète et Abbotsford Hospice) viennent également à l’établissement pour donner des formations particulières. Un manuel détaillé du pair aidant renferme des renseignements sur le lavage des mains, les précautions à prendre concernant le sang et les liquides corporels, et les techniques de soin de la clientèle (soins de la bouche, alimentation, prélèvement d’échantillons, prévention des plaies, maintien d’une peau saine).

De manière générale, malgré les risques possibles associés à l’aide entre pairs, il semble que les deux programmes (pairs aidants du programme d’AVAP et coordonnateurs de l’éducation par les pairs) favorisent la réadaptation. Bon nombre des personnes interrogées ont dit faire ce type de travail parce qu’elles veulent se racheter et redonner. Elles ont dit qu’elles s’imaginaient très bien avoir un jour besoin d’une telle aide, et qu’elles prodiguent donc le genre de soins qu’elles aimeraient recevoir dans pareille situation.

Même si ces programmes sont exécutés dans certains des établissements visités au cours de l’enquête, leur application n’est pas uniforme d’un établissement à l’autre. Certains pairs aidants ont reçu de la formation, d’autres non. Un programme complet devrait être conçu et instauré dans tous les établissements. Cela dit, il faut tout de même souligner que le programme d’aide à la vie autonome par les pairs ne devrait pas maintenir inutilement en prison des personnes qui ne posent aucun risque inacceptable pour la société, et qui pourraient être mieux hébergées et encadrées dans la collectivité.

Recommandation n o 10 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada mette en place des programmes normalisés d’aide et de soutien par les pairs dans tous ses établissements. Ces programmes devraient s’inspirer du programme d’aide à la vie autonome du Centre régional de traitement de la région du Pacifique, et être assortis d’un manuel détaillé, d’une formation continue et d’un soutien constant pour les pairs aidants. 

Cinquième constatation : Les personnes délinquantes qui ont besoin de soins de fin de vie ne sont pas à leur place en prison


Les personnes qui sont malades, qui reçoivent des soins palliatifs et qui sont en phase terminale restent hantées par leur plus grande crainte, celle de mourir en prison. La prison n’est pas un endroit convenable pour une personne qui a besoin de soins de fin de vie. Le SCC ne devrait pas avoir à donner des soins palliatifs ou des soins de fin de vie, pas plus qu’il ne devrait faciliter ou permettre l’aide médicale à mourir dans ses établissements correctionnels. Les responsables des services correctionnels et des libérations conditionnelles devraient gérer de manière concertée et accélérée les cas des personnes gravement malades ou en phase terminale.

Photo d’une cellule dans l’infirmerie d’un établissement .

Photo d’une cellule dans l’infirmerie d’un établissement. 

Pénitencier de Dorchester – Infirmerie : Les patients sont transférés à l’infirmerie lorsqu’ils   
sont trop malades ou lorsque leurs besoins nécessitent un niveau élevé de soins en raison d’une maladie ou d’un problème de mobilité.

Sur papier, les Lignes directrices sur les soins palliatifs du Service correctionnel du Canada adoptent les principes et les normes de l’Association canadienne de soins palliatifs. Les travaux de recherche actuels et l’examen des cadres de soins palliatifs au Canada 49 révèlent que l’approche du SCC comporte des lacunes :

  • absence de soins infirmiers 24 heures sur 24 dans les établissements (mais il y en a dans les hôpitaux régionaux);
  • manque de reconnaissance et de soutien envers les membres de la famille d’une personne atteinte d’une maladie mortelle;
  • absence de formation continue, de formation spécialisée et de soutien à l’intention des personnes qui fournissent des soins palliatifs;
  • absence de moyens pour mesurer les résultats et surveiller la progression de l’offre des services de soins palliatifs;
  • bsence de liens solides avec des partenaires communautaires.

Une prison n’est pas le bon endroit pour donner des soins en fin de vie; les soins palliatifs et terminaux sont des services spécialisés qui ne devraient pas y être fournis. Un placement dans la collectivité faciliterait les visites des parents et amis, et ferait en sorte que les personnes qui purgent une peine de ressort fédéral aient accès à des soins équivalents à ceux dispensés dans la collectivité. Pour protéger les droits de la personne, il faut ce genre de solutions de rechange adaptées. De plus, les placements dans la collectivité rendraient plus humaine la gestion de cas très difficiles.

L’examen et l’évaluation des problèmes de santé chroniques réalisés récemment par le SCC auprès des personnes de 65 ans et plus sous garde fédérale pourraient permettre de savoir qui sont les personnes souffrant de maladies terminales qu’il faudrait transférer hors des murs de la prison. Le placement des personnes ayant besoin de soins palliatifs dans la collectivité pourrait se financer par les fonds économisés en mettant fin aux incarcérations inutiles.

Mourir en prison – Est-ce « vraiment » un choix? 

Les enquêteurs du Bureau et de la Commission ne sauraient exagérer le nombre de fois qu’ils ont entendu la phrase « Je ne veux juste pas mourir en prison ». Même si quelques personnes ont exprimé le désir de mourir entre les murs de la prison auprès de leurs « amis ou amies » (qu’elles considèrent comme des membres de la famille ) 50 , la plupart ont dit souhaiter vivement pouvoir sortir de prison avant de mourir. Invités à commenter les faits exposés dans le présent rapport, la Commission des libérations conditionnelles du Canada et le SCC ont contesté la validité de la conclusion du rapport selon laquelle la prison n’est pas un endroit convenable pour une personne qui a besoin de soins de fin de vie. Plus précisément, on a soulevé des préoccupations au sujet du fait que toutes les personnes détenues souffrant de maladies en phase terminale ne souhaitent pas nécessairement quitter la prison pour recevoir des soins palliatifs, en particulier les personnes qui n’ont que le milieu carcéral comme système de soutien social ou institutionnel. Leur opinion semble s’appuyer sur l’hypothèse suivante : si une personne détenue est en fin de vie et qu’elle exprime le souhait de mourir en prison, son choix devrait être respecté dans la mesure du possible. Toutefois, la question des soins de fin de vie dans le contexte carcéral mérite un examen et une réflexion plus approfondis sur les plans éthique, moral et pratique.

Quant au respect du choix de la personne, il faut admettre que la prison n’est pas exactement un environnement propice à l’autonomie personnelle, au libre arbitre et au consentement. Le choix personnel sera inévitablement limité par la réalité de l’incarcération. En prison, le respect de l’autorité n’est pas seulement souhaité – il est exigé et imposé, parfois par la force. Le « choix » d’une personne de mourir en prison doit être analysé dans le contexte de la capacité et de l’aptitude de cette personne à formuler et à exprimer ses désirs librement, volontairement et de manière réfléchie. Le fait qu’une personne détenue, pour quelque raison que ce soit, n’ait pas une « collectivité », ou de relations amicales ou familiales avec des personnes de l’extérieur de la prison n’est pas un motif suffisant pour conclure que cette personne veut réellement mourir en prison et qu’il faut le lui permettre – peu importe si c’est son « choix » (ce qui n’est pas le cas) ou, ce qui est plus probable, s’il n’existe aucune autre solution plus humaine et plus digne. Qu’une personne puisse souhaiter mourir en prison plutôt qu’au sein de la collectivité est plus probablement le reflet des adaptations psychologiques à l’institutionnalisation (diminution de l’estime de soi et du sentiment de valeur personnelle, incapacité de prendre seul des décisions, manque d’intérêt pour le monde extérieur, aliénation sociale et isolement social, dépendance des structures de l’établissement) qu’une expression d’un choix libre. Exprimer le souhait de mourir en prison n’a rien de « normal ».

Voilà pourquoi le SCC doit réorienter ses ressources dans le but de permettre à toutes les personnes détenues de créer des liens dans la collectivité. La réadaptation et la réinsertion sociale devraient vouloir dire encourager les personnes détenues à conserver des liens positifs avec leur famille, leurs amis et amies, et la collectivité en dehors du milieu carcéral, et faciliter leurs démarches en ce sens (p. ex. services de soutien pour les proches qui rendent visite à la personne détenue, autres types de soutien durant les visites). Il est inacceptable de ne rien faire à ce sujet et de prétendre ensuite que la personne détenue « choisit » de mourir en prison parce qu’elle n’a plus aucun lien dans la collectivité.

Pour planifier une fin de vie, il faut des options, des choix, du temps. Si la personne détenue n’a absolument rien de cela, la prison devient alors le seul endroit où elle pourrait « choisir » de mourir.

Comme on peut s’y attendre, quand des personnes âgées meurent en prison, il s’agit de causes naturelles dans la majorité des cas. En 2017-2018, 34 délinquants âgés de 50 ans et plus sont morts de causes naturelles dans un établissement fédéral 51 . En novembre 2017, le SCC a publié son Rapport annuel sur les décès en établissement, qui porte sur tous les décès (de causes naturelles ou non naturelles) survenus dans un établissement du SCC entre 2009-2010 et 2015-2016. Au cours de cette période, il y a eu 254 décès de causes naturelles.

Diagramme à secteurs illustrant les sous types de décès de cause naturelle de 2009-2010 à 2015-2016 

Concrètement, parmi les personnes décédées de causes naturelles, 48 % avaient fait inscrire à leur dossier qu’on ne devait pas les réanimer, et 50 % recevaient des soins palliatifs. Si l’on s’entend pour dire que la prison n’est pas un endroit convenable pour donner des soins palliatifs ou des soins de fin de vie, il faut se poser la question suivante : pourquoi a-t-on laissé ces personnes mourir en prison alors qu’on les savait à l’article de la mort?

Tout aussi troublant est le fait que l’âge moyen des personnes qui meurent de causes naturelles en prison est beaucoup plus bas que l’espérance de vie de la population en général 52 . Entre 2009-2010 et 2014-2015, deux tiers des personnes sous garde fédérales qui sont décédées de causes naturelles avaient moins de 65 ans; un peu plus du quart étaient âgés de 65 à 74 ans 53 . Même s’il est difficile de confirmer le taux précis de mortalité naturelle des personnes délinquantes purgeant une peine de ressort fédéral, ces chiffres sont très préoccupants :

  • Pourquoi une personne âgée sous garde fédérale est-elle plus à risque de mourir prématurément?
  • Quels facteurs de prévention ou de protection a-t-on mis en place pour réduire l’incidence des maladies chroniques dans les établissements correctionnels fédéraux?
  • En quoi consiste l’obligation de diligence du SCC pour ce qui est d’atténuer les risques pour la santé menant à des décès en prison?

Toutes proportions gardées, on peut s’attendre à une augmentation inévitable de la mortalité de causes naturelles (et des coûts associés aux soins de fin de vie en prison) à mesure que les personnes détenues continuent de vieillir en prison. Pourtant, une peine d’emprisonnement dans un établissement fédéral ne devrait pas signifier une diminution de l’espérance de vie.

Recommandation n o 11 : 

Lorsque le décès d’une personne délinquante devient raisonnablement prévisible, nous recommandons que le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada soient tenus de procéder à une gestion de cas concertée et dynamique, pour permettre à cette personne d’obtenir le plus rapidement possible une libération pour des raisons de compassion sans compromettre la sécurité. 

Sixième constatation : Manque d’options de mise en liberté à la fois convenables et humaines


« Je n’ai aucun espoir, je ne veux tout simplement pas mourir en prison… Je ne mourrai pas dans cette cage… doux Jésus, quand est-ce que ça s’arrête. J’ai 68 ans et je suis ici depuis 40 ans. » (Une personne détenue)

Libération pour des raisons de compassion 

Le Bureau a déjà signalé que les critères à respecter pour accorder une libération pour des raisons de compassion à une personne en phase terminale sont extrêmement restrictifs 54 . Aux termes de l’alinéa 121(1)a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) peut accorder, à titre exceptionnel, la libération conditionnelle à une personne qui n’est pas encore admissible à une semi-liberté ou à une libération conditionnelle totale, à condition que cette personne ait une maladie en phase terminale. Selon cette loi, les commissaires de la CLCC doivent vérifier si la personne détenue est effectivement en phase terminale et se elle respecte les critères d’admissibilité à la libération conditionnelle prévus aux termes de l’article 102 de cette loi.

Libération pour des raisons de compassion 

Pendant les entrevues, le personnel du SCC a mentionné deux cas qui montrent à quel point il est difficile pour une personne en phase terminale d’obtenir l’autorisation de mourir dans la collectivité. Dans le premier cas, une personne âgée se mourait d’un cancer dans un établissement à sécurité moyenne, et le personnel du SCC a soumis son dossier à la CLCC afin qu’elle autorise son transfert à un centre de soins palliatifs dans la collectivité. La CLCC a répondu qu’elle voulait que la personne passe d’abord par un établissement à sécurité minimale avant de le libérer pour qu’il soit admis dans un centre de soins palliatifs. Il a finalement été libéré dans la collectivité, mais est décédé deux jours plus tard.

Dans le deuxième cas, le personnel du SCC était en faveur du transfert d’une personne en phase terminale (sécurité minimale) vers un centre de soins palliatifs dans la collectivité, et il a soumis le cas à la CLCC. Craignant que la personne décède à court terme et que la place qu’on lui avait trouvée ne soit plus libre, l’établissement a tenté de presser la CLCC de prendre une décision. Cette dernière a répondu que, si elle n’arrivait pas à rendre sa décision assez vite, le SCC pourrait recourir à une permission de sortir avec escorte (PSAE) à des fins médicales pour transférer le délinquant dans un centre de soins palliatifs de la collectivité. Une PSAE à des fins médicales exige que des gardes armés demeurent avec la personne délinquante en tout temps et, bien évidemment, le centre de soins palliatifs a jugé que ces conditions n’étaient pas acceptables.


Auparavant, entre autres documents, la CLCC exigeait une preuve médicale ou une justification indiquant que la fin de vie n’est pas seulement imminente, mais également inévitable; dans certains cas, la CLCC a exigé que les médecins indiquent une période définie d’espérance de vie. Avec de tels critères, les personnes qui voyaient leur santé se dégrader rapidement avaient bien peu de chance d’obtenir leur libération à temps. À la suite du rapport annuel du Bureau pour l’exercice 2016-2017, où ce dernier encourageait le SCC et la CLCC à travailler en étroite collaboration en vue de s’assurer que les personnes recevant des soins palliatifs pour une maladie en phase terminale demandent une libération à titre exceptionnel en vertu de l’article 121 aussitôt que possible, le Bureau a mis à jour sa politique afin d’assurer la conformité aux critères législatifs. La CLCC a donc modifié son Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires pour y indiquer qu’il n’est pas nécessaire d’exiger une période définie d’espérance de vie au moment d’examiner les demandes de libération conditionnelle à titre exceptionnel en vertu du critère législatif de la maladie en phase terminale. Les statistiques indiquent que le nombre de mises en liberté a augmenté depuis que ce changement est entré en vigueur.

Difficulté de libérer une personne dans la collectivité 

Le Bureau a récemment été mis au courant du cas d’un détenu de 64 ans visé par un certificat délivré en vertu de la Loi sur la santé mentale . Le SCC tentait de le transférer dans un établissement de soins de longue durée dans la collectivité. Le cas a été soumis à la CLCC, mais une audience n’a pu être organisée avant l’expiration de sa libération conditionnelle, si bien l’établissement de soins de longue durée où le SCC lui avait trouvé une place n’a pas pu attendre aussi longtemps et l’a donnée à quelqu’un d’autre.

Par la suite, un agent de libération conditionnelle du SCC a demandé à la CLCC de tenir l’audience à l’hôpital où l’homme avait été admis, car il serait difficile de le transporter au lieu de l’audience. De plus, l’agent de libération conditionnelle estimait que l’équipe médicale à l’hôpital pourrait participer à l’audience, de manière à répondre aux questions de la CLCC sur la santé et le plan correctionnel de l’homme, et à parler du risque qu’il posait. Dans l’état où il était, le détenu était incapable de répondre à des questions complexes, de réfléchir ou de parler de sa santé ou de son plan de libération. La CLCC a répondu qu’elle ne tenait pas d’audiences de libération conditionnelle dans les hôpitaux, même si l’hôpital lui avait garanti un espace convenable.

Remarque : Quand elle a réagi aux constatations du présent rapport, la CLCC a précisé qu’elle effectue des audiences dans les hôpitaux. Le cas présenté ici pourrait être attribuable à un manque de communication ou à une mauvaise connaissance des politiques et des procédures de la CLCC.

Il est inutile du point de vue de la sécurité publique de garder en milieu carcéral les personnes recevant des soins palliatifs. Dans le cadre stratégique qu’il propose, le SCC s’est engagé à surveiller les échéances et la qualité de chaque étape du processus, depuis le diagnostic d’une maladie terminale à la soumission du cas à la CLCC et à la prise d’une décision. Même s’il s’agit là d’une mesure importante, le SCC et la CLCC doivent collaborer plus étroitement, afin d’accélérer la préparation des dossiers des personnes mourantes et leur présentation à la CLCC.

Il convient de noter que certains États américains où le nombre de personnes âgées en phase terminale est à la hausse ont réagi de façon créative et novatrice. L’État du Connecticut, par exemple, a ouvert un foyer de soins infirmiers en faisant appel à une entreprise privée, pour y loger des personnes qui ont obtenu une mise en liberté pour raisons médicales. Grâce à ce projet, l’État a réalisé d’importantes économies. Le Federal Bureau of Prisons des États-Unis (le pendant américain du SCC) a élargi ses lignes directrices relatives à la libération pour des raisons de compassion – permettant ainsi d’étudier la possibilité de réduire la peine d’une personne qui a reçu un diagnostic de maladie terminale et incurable, et dont l’espérance de vie est de 18 mois. Même les personnes âgées qui ne souffrent pas d’une maladie terminale ou d’une incapacité peuvent invoquer les nouvelles règles pour demander une mise en liberté anticipée. Un récent projet de réforme des prisons aux États-Unis (2018 : H.R. 5682 : An Act t o provide for programs to help reduce the risk that prisoners will recidivate upon release from prison, and for other purposes) facilite également la libération pour des raisons de compassion en abaissant l’âge de 65 à 60 ans et en réduisant la proportion de la peine purgée de 75 % à deux tiers 55 .

Comme le démontre l’encadré suivant, de nombreux États américains utilisent des mécanismes comme la mise en liberté pour raisons médicales (critères fondés sur la gravité de la maladie, la capacité des services de santé d’une prison de traiter la maladie et le coût du maintien en incarcération) ou en raison de l’âge (critères fondés sur un certain pourcentage de peine purgée et le niveau de risque) afin d’accorder l’équivalent de ce que le Canada considère comme une libération pour des raisons de compassion.

Pour améliorer la protection des droits de la personne et le rapport coût-efficacité, le Bureau et la Commission continuent de réclamer des solutions à la fois meilleures, plus sécuritaires et moins coûteuses pour encadrer cette population carcérale âgée et vulnérable qui pose un risque réduit pour la sécurité en établissement et la sécurité publique. Un modèle axé sur une mise en liberté pour raisons médicales ou en raison de l’âge permettrait aux personnes délinquantes de demander une mise en liberté anticipée en raison de leur âge, du nombre d’années passées derrière les barreaux et de leur état de santé actuel. Les économies réalisées en déplaçant ces personnes vers une maison de retraite, un foyer de soins ou un établissement résidentiel communautaire spécialisé (c.-à-d. une maison de transition) seraient substantielles. Le SCC pourrait redistribuer des fonds actuellement utilisés pour maintenir des personnes en phase terminale derrière les barreaux, de manière à payer pour les placements dans la collectivité qui répondraient mieux aux préoccupations en matière de dignité.

Modèles de mise en liberté pour raisons médicales ou en raison de l’âge 

Certains États américains utilisent un modèle de mise en liberté pour raisons médicales ou en raison de l’âge qui permet à une personne ayant une courte espérance de vie ou qui n’est plus considérée comme une menace pour la société d’obtenir une libération conditionnelle. La définition et les paramètres de la mise en liberté pour raisons médicales ou en raison de l’âge diffèrent d’un État à l’autre, mais les exigences d’admissibilité ou d’évaluation se fondent en bonne partie sur certains ou sur l’ensemble des critères suivants :

  • âge minimal;
  • durée minimale de la peine purgée;
  • condition médicale et besoins en matière de soins médicaux;
  • risque pour la sécurité publique;
  • antécédents criminels;
  • comportement à l’établissement.

Des critères d’exclusion à la participation peuvent se fonder, par exemple, sur des condamnations pour crimes violents ou pour infractions de nature sexuelle, ainsi que sur les conditions de la mise en liberté pour raisons médicales et en raison de l’âge, comme l’obligation de produire un plan de libération, de déterminer à l’avance le lieu de la mise en liberté ou de participer à un programme.

Voici quelques exemples :

  • Colorado : Les personnes admissibles sont âgées d’au moins 60 ans, sont inaptes, ne constituent pas une menace pour la société, sont peu susceptibles de commettre une nouvelle infraction et n’ont pas été condamnées pour certains crimes ( articles 17-22.5-403.5 des lois révisées du Colorado [2017] ).
  • Connecticut : Les personnes admissibles sont physiquement ou mentalement affaiblies, inaptes ou infirmes en raison de leur âge avancé ou, par suite d’une condition, d’une maladie ou d’un syndrome qui n’est pas terminal, elles ne posent physiquement aucun danger pour la société et ont purgé la moitié de leur peine ( articles 54-131k des lois générales du Connecticut [2012] ).

Source : VERA Institute of Justice, It’s About Time: Aging Prisoners, Increasing Costs, and Geriatric Release , avril 2010 (en anglais seulement).

Coûts élevés pour un faible risque 

Non seulement l’observation empirique a-t-elle validé l’élargissement des options de mise en liberté offertes aux personnes âgées sous garde fédérale qui ne posent pas nécessairement un risque inacceptable pour la sécurité publique, mais il s’agit également d’une mesure financièrement logique. La recherche démontre que le risque de commettre un crime a tendance à diminuer considérablement avec l’âge. Les risques de participation à des activités criminelles augmentent beaucoup au début de l’adolescence et atteignent leur apogée à la fin de l’adolescence ou au début de la vingtaine, puis diminuent progressivement. Il est bien connu que certaines étapes de la vie, comme l’achèvement des études, l’obtention d’un emploi, le mariage et le fait de devenir parent, réduisent la probabilité d’un comportement criminel 56 . De plus, le vieillissement entraîne souvent une diminution de la force physique et d’éventuelles maladies chroniques ou autres qui risquent d’empêcher ou de dissuader une personne de participer à certains types d’activités criminelles.

Selon une étude réalisée récemment par le SCC, il y a un « net rapport linéaire entre l’âge et la réincarcération et la réincarcération attribuable à une infraction ressort 57 ». Sur une cohorte de 27 066 personnes sous garde fédérale libérées entre 2007 et 2012, une proportion de 17,9 % des personnes de 55 ans et plus a été réincarcérée pour diverses raisons (c.-à-d. révocation ou nouvelle infraction), soit le taux de réincarcération le plus faible parmi tous les groupes d’âge.

Âge au moment de la   
mise en liberté 
Réincarcération (%) Révocation attribuable   
à une infraction (%) 
Moins de 25 ans57,819,2
De 25 à 30 ans52,115,1
De 30 à 35 ans48,513,1
De 35 à 40 ans47,812,7
De 40 à 45 ans45,910,6
De 45 à 50 ans40,09,3
De 50 à 55 ans32,87,1
55 ans et plus17,93,4

Source : SCC, Lien entre l’âge et la récidive , avril 2018.

Pour mettre ces statistiques en perspective, notons que les enquêteurs ont observé que, parmi les personnes âgées que nous avons interrogées pour l’enquête :

  • plusieurs ont besoin de dispositifs de mobilité pour se déplacer (fauteuil roulant, canne ou marchette);
  • certaines ne peuvent pas garder le dos droit dans leur fauteuil roulant;
  • quelques-uns ont des sacs de colostomie;
  • d’autres ont besoin de barres de transfert pour sortir du lit (un répondant est incapable de sortir de son lit sans lève-personne);
  • au moins une personne est fortement atteinte de démence, tandis que d’autres semblent avoir des troubles cognitifs;
  • quelques-unes sont sourdes et plusieurs sont malentendantes;
  • quelques personnes sont pratiquement aveugles ou incapables de communiquer;
  • plusieurs souffrent de maladies chroniques;
  • une personne a un cancer incurable en phase terminale.

Comme une personne détenue nous l’a fait remarquer, « que pensent-ils que je vais faire si je sors? Attaquer quelqu’un avec ma marchette? »

Plusieurs membres du personnel du SCC estiment que certaines personnes ne devraient pas être en prison. Selon eux, ces personnes devraient être transférées dans la collectivité pour mieux répondre à leurs besoins en matière de soins de santé ou parce qu’elles sont âgées et ne présentent plus de risque pour la société. Un membre du personnel nous a dit : « Nous avons besoin d’un petit établissement de soins de longue durée pour nos personnes âgées en détention. »

Il serait beaucoup moins coûteux et plus humain de prendre soin de ces personnes dans un établissement communautaire de soins de longue durée. C’est pourquoi le SCC doit resserrer ses partenariats avec des fournisseurs de services externes, de façon à permettre aux personnes âgées sous garde fédérale qui ne posent aucun risque déraisonnable pour la sécurité publique de purger le reste de leur peine dans un établissement de soins de longue durée ou dans un centre de soins palliatifs. Bon nombre de ces changements pourraient sans doute se faire en redistribuant les ressources existantes des services correctionnels en établissement aux services correctionnels communautaires.

Recommandation n o 12 :   
Nous recommandons que le ministre de la Sécurité publique révise et évalue les options de mise en liberté (p. ex. pour raisons de santé ou en raison de l’âge) des personnes délinquantes âgées qui purgent de longues peines mais qui ne posent aucun risque déraisonnable pour la sécurité publique, et qu’il propose au besoin des modifications à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

Recommandation n o 13 :   
Nous recommandons que le plan de libération des personnes délinquantes âgées aborde la planification financière de la retraite et la gestion des affaires personnelles, comme la rédaction d’un testament et la planification des derniers stades de la vie. 

Septième constatation : Les solutions communautaires sont insuffisantes et manquent de ressources


Autre approche : Maisons de transition accessibles et spécialisées 

Photo d’une chambre à coucher à la Maison Cross Roads (établissement résidentiel communautaire à Montréal, au Québec).

Photo d’une chambre à   
coucher à la   
Maison Cross Roads   
(établissement résidentiel   
communautaire   
à Montréal, au Québec). 

La présente section de notre rapport met le Bureau et la Commission au diapason des groupes communautaires du Canada. La Société Saint-Léonard, par exemple, prône depuis longtemps une approche communautaire spécialisée pour aider les personnes âgées sous garde fédérale à réussir leur transition dans la collectivité.

Bon nombre des pièces maîtresses sont déjà en place. Des maisons de transition sont prêtes et disposées à mettre à l’essai une initiative pour bien vieillir dans la collectivité. La Maison Cross Roads (Montréal, Québec) et la maison Haley (Peterborough, Ontario) sont d’excellents exemples de maisons de transition pour hommes qui ont été spécialement rénovées pour répondre à certains besoins des délinquants âgés et à mobilité réduite après leur mise en liberté (ascenseurs et lève-personne, larges ouvertures, chambres et salles de bain accessibles, etc.) Ces maisons de transition, ainsi que plusieurs autres, seraient prêtes à fournir des services supplémentaires, comme des services infirmiers et des services de soins palliatifs et de fin de vie, si on leur allouait un financement adéquat.

Le problème, cependant, est le manque de places accessibles dans les établissements résidentiels communautaires du pays pour les personnes ayant besoin de soins spécialisés. Par conséquent, les personnes détenues qui ont des problèmes de mobilité ou de santé (surtout celles qui se déplacent en fauteuil roulant ou souffrent de démence) ne peuvent être transférées dans la collectivité pour y vivre près de leurs parents et amis. La situation est particulièrement grave pour les femmes ayant des problèmes de mobilité qui doivent déjà se contenter de possibilités et de ressources moindres. Durant les entrevues, des membres du personnel du SCC ont parlé de personnes qui ont obtenu la libération conditionnelle, mais qui doivent attendre dans un établissement fédéral – parfois pendant des mois – avant d’être transférés dans un établissement communautaire accessible. Autrement dit, la CLCC leur a accordé la libération conditionnelle, mais elles sont maintenues en détention parce qu’il n’y a pas assez de ressources et de places dans un établissement communautaire adapté à leurs besoins.

Les rénovations majeures requises pour accommoder les personnes ayant des problèmes de mobilité ou de santé coûtent cher 58 , et le SCC n’y accorde pas assez de fonds. Les maisons de transition doivent donc trouver du financement ailleurs. Elles ont aussi besoin d’argent pour s’assurer que leurs services et programmes répondent aux besoins uniques de la population qu’elles servent (soins infirmiers, gérontologues, préposés au soutien personnel).

Photo de la salle commune de la Maison Cross Roads (établissement résidentiel communautaire à Montréal, au Québec).

Photo de la salle commune   
de la Maison Cross Roads   
(établissement résidentiel communautaire   
à Montréal, au Québec). 

Dans un rapport récent sur la surveillance dans la collectivité, le Bureau du vérificateur général du Canada (BVG) a tiré des conclusions qui appuient ce que nous avons constaté durant notre enquête 59 . Sa vérification a porté sur la capacité du SCC de bien surveiller les personnes délinquantes dans la collectivité et de répondre à leurs besoins lorsqu’elles réintègrent la collectivité. Le BVG a constaté que :

  • il n’y a pas toujours d’endroits adéquats pour accueillir les personnes délinquantes, si bien que celles qui obtiennent la libération conditionnelle doivent parfois attendre en prison que se libère une place adaptée à leurs besoins (c.-à-d. santé mentale, toxicomanie et problèmes de mobilité ou d’accessibilité), au risque qu’elles posent et à l’emplacement souhaité. Certaines acceptent d’être libérées dans une autre collectivité plutôt que d’attendre.
  • De manière générale, il faut attendre plus longtemps qu’avant pour obtenir une place dans un établissement communautaire.
  • Le SCC n’a pas de plan à long terme pour répondre aux besoins des personnes délinquantes qui devront être placées dans des établissements communautaires, et il n’a pas augmenté le nombre de places d’hébergement en conséquence.
  • Le SCC ne conserve pas de données sur le type de places d’hébergement spécialisées dont les personnes délinquantes ont besoin, et il est donc difficile de déterminer à quels établissements donner la priorité pour y augmenter le nombre de places.
  • Le SCC ne dresse aucune prévision des besoins par population ou pour les places d’hébergement spécialisé.

La réponse du SCC aux conclusions du BVG était encourageante. Le SCC s’est engagé à dresser un plan à long terme pour la gestion des places d’hébergement dans la collectivité et à élaborer une solution globale pour la gestion de l’inventaire des places et le jumelage des personnes délinquantes à des installations communautaires. Ce travail ne doit pas se faire en vase clos. La collectivité sait comment dispenser ces services. Là n’est pas le problème – ce sont des experts dans leur domaine. Le problème est qu’ils ont besoin des fonds fédéraux actuellement affectés à une incarcération inutile.

Nos visites des établissements résidentiels communautaires nous ont permis de constater le travail incroyable que réalise le personnel en milieu communautaire avec un budget très serré. À l’aide de peu de ressources, ces établissements dispensent un soutien, une orientation et un leadership fort nécessaires à leurs clients. Ils se dépassent pour aider leurs clients à réintégrer la société, tout en préservant la sécurité de leurs collectivités. Questionné sur le soutien qu’il recevait à la maison de transition, un détenu nous a répondu : « c’est comme un gros coussin, ça aide à apaiser la douleur de ne rien avoir ». Une autre nous a dit, au sujet de la maison de transition : « c’est ce qui m’a le plus aidé, même pour la cuisine. »

Les établissements résidentiels communautaires ont besoin de fonds pour s’assurer de leur accessibilité, pour embaucher du personnel spécialisé (personnel infirmier, préposés au soutien personnel, gérontologues, ergothérapeutes et physiothérapeutes), pour fournir des soins adéquats à leurs clients et pour élargir leur portée. Le SCC doit prendre des fonds et des ressources actuellement consentis aux établissements afin de les rediriger vers des établissements communautaires résidentiels spécialisés disponibles, et ainsi d’encadrer les personnes âgées dans la collectivité avec plus de dignité et d’humanisme.

Recommandation n o 14 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada renforce ses partenariats avec des fournisseurs de services externes et redistribue les fonds pour créer des places supplémentaires dans la collectivité, en plus de veiller à ce que des places soient réservées dans des établissements de soins de longue durée et des centres de soins palliatifs pour les personnes âgées qui ne posent aucun risque déraisonnable pour la sécurité publique. 

Huitième constatation : Il faut une stratégie nationale qui soit globale et financée convenablement


À en juger par les constatations du présent rapport, il est clair qu’il faut de toute urgence une stratégie nationale pour les personnes délinquantes âgées qui soit intégrée, globale et financée convenablement, et qui tienne compte de leurs droits et besoins en ce qui a trait à la santé physique et mentale; à la vie sociale; à l’accessibilité; à la sécurité (intimidation et violence faite aux aînés); à une participation concrète aux efforts de réadaptation (programmes professionnels, correctionnels et éducatifs); à l’évaluation du risque en fonction de l’âge; à la réinsertion sociale, y compris au plan de libération.

La stratégie devrait fournir des modèles plus souples, sécuritaires et humains de soins aux aînés et de soins de fin de vie dans la collectivité, à des coûts bien moindres que l’incarcération. Il faudrait pour cela élargir l’accès aux options offertes en matière de libération, aux ententes de financement et aux partenariats, dans le but de faciliter la prestation de soins en sous-traitance par des fournisseurs de services communautaires.

Recommandation no 15 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada finance et mette en œuvre immédiatement une stratégie nationale pour les personnes délinquantes âgées et que cette stratégie soit intégrée et globale. La stratégie devrait : 

  1. sssrefléter les recommandations contenues dans le présent rapport; 
  2. ne pas se limiter à l’approche « vieillir sur place », mais inclure l’examen obligatoire et constant des options de libération des personnes âgées qui ne posent aucun risque déraisonnable pour la sécurité publique; 
  3. examiner et respecter les caractéristiques et besoins intersectionnels des personnes âgées sous garde fédérale, et y répondre; 
  4. établir un échéancier pour l’évaluation, la rénovation et, au besoin, la construction d’installations relevant du SCC, afin qu’elles soient accessibles. 

Conclusion


Lorsque le soin et la garde de personnes délinquantes âgées relèvent du contrôle de l’État, la protection des droits de la personne, la dignité et le respect sont des éléments sous-jacents et prioritaires à considérer. Même si la violence et la négligence à l’égard des personnes aînées se produisent dans la société canadienne en général, ces problèmes restent largement cachés et non documentés en milieu carcéral. La dignité et le respect des droits de la personne doivent orienter les soins de toutes les personnes âgées, y compris celles prises en charge par notre système carcéral.

Il semble surprenant d’avoir à le dire ou à le signaler, mais quelques mesures modestes contribueraient pour beaucoup à reconnaître les besoins des personnes âgées sous garde fédérale, à y répondre, et à améliorer la qualité, l’utilité et le sens de leur vie derrière les barreaux. Les règles, les routines, les conditions de détention et les environnements initialement instaurés pour encadrer de plus jeunes personnes délinquantes, qui sont plus actives et en meilleure santé, ne sont pas nécessairement adaptés aux parcours de vie, aux circonstances ou aux besoins des personnes vieillissantes. La formation professionnelle, l’emploi, les programmes correctionnels et le rattrapage scolaire ne sont peut-être pas aussi pertinents ou n’ont pas la même valeur que pour les jeunes. Certaines mesures, entre autres d’adaptation, pourraient facilement être instaurées à peu de frais pour le SCC, sinon sans frais (accès à la cantine et au gymnase, activités sociales, conditionnement physique et bien-être adaptés, matelas médicaux, chaussures orthopédiques ou à fermeture à Velcro®).

Comme le démontre la présente enquête mixte, de nombreux détenus des pénitenciers fédéraux seraient mieux et plus à leur place dans un établissement de soins communautaires (établissement résidentiel communautaire, maison de retraite, foyer de soins infirmiers et centre de soins palliatifs). Même s’ils sont encore à l’état d’ébauche, le cadre et l’approche que le SCC propose pour l’encadrement des personnes âgées semblent reposer sur l’idée du « vieillissement sur place », une stratégie qui consiste à fournir, à adapter ou à intégrer des places d’hébergement dans des établissements ordinaires, où les personnes vieillissantes peuvent purger le reste de leur peine en toute sécurité et de façon autonome « aussi longtemps qu’elles le peuvent ». Puisque les prisons n’ont pas été conçues au départ pour les personnes âgées, les doubles stratégies du « vieillissement sur place » (hébergement intégré) et de la solution « en fonction de l’âge » (hébergement séparé des personnes âgées qui ont d’importants déficits cognitifs ou fonctionnels) pourraient être coûteuses et inutiles.

Une autre mesure consisterait à rediriger des fonds et des ressources depuis les établissements vers les installations communautaires. Si la collectivité n’est pas en mesure d’encadrer une personne âgée admissible à une mise en liberté pour raisons médicales ou en raison de l’âge, alors le SCC pourrait faire appel à des fournisseurs de services et redistribuer des fonds autrement consentis à une détention évitable (et coûteuse). La CLCC sera mieux placée pour approuver un plan de libération grâce auquel des personnes âgées qui satisfont aux critères d’admissibilité pourraient purger leur peine dans la collectivité en toute dignité. Ultimement, il reviendrait au SCC de financer l’impartition des soins dispensés aux personnes âgées transférées dans la collectivité. L’accessibilité aux unités résidentielles et à des soins appropriés, et l’aiguillage opportun vers des services communautaires devraient être considérés comme des services essentiels, et non des pratiques exemplaires. Enfin, le SCC ne devrait pas voir l’élaboration d’une stratégie nationale pour les personnes délinquantes âgées comme une occasion de solliciter des ressources additionnelles ou de créer des installations et des services gériatriques à la fine pointe dans les prisons.

Recommandation n o 16 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada redistribue des ressources actuellement allouées aux établissements pour financer des services correctionnels communautaires, afin de mieux répondre aux besoins de réinsertion sociale des personnes délinquantes âgées. 

  1. Des personnes âgées qui purgent une longue peine de longue durée de ressort fédéral sont gardées derrière les barreaux bien après la date où elles sont admissibles à la libération conditionnelle.
  2. Les lois ou les politiques ne reconnaissent aucunement que les personnes délinquantes âgées forment une population vulnérable en prison, présentent des caractéristiques uniques ou ont des besoins et des droits particuliers qu’il faut respecter. Par conséquent, leur santé, leur sécurité, leur dignité et leurs droits de la personne ne sont pas bien protégés.
  3. Les pénitenciers fédéraux n’ont jamais été conçus pour une population carcérale vieillissante. Leurs infrastructures matérielles ne répondent pas adéquatement aux besoins des personnes âgées sous garde fédérale.
  4. Les maladies chroniques qui affectent de plus en plus les personnes détenues font augmenter les coûts des soins de santé dans les établissements correctionnels.
  5. Les personnes délinquantes souffrant d’une maladie en phase terminale ou ayant besoin de soins palliatifs voient leur plus grande crainte se profiler – mourir en prison. La prison n’est pas un endroit indiqué pour recevoir des soins de fin de vie.
  6. Les services correctionnels fédéraux sont dépourvus de solutions adéquates, adaptées et empreintes de compassion pour les personnes âgées sous garde fédérale qui ne posent aucun risque déraisonnable pour la sécurité publique.
  7. Les solutions de rechange communautaires sont trop peu nombreuses et sont assorties de trop peu de ressources.
  8. Nous avons clairement besoin d’une stratégie nationale pour les personnes délinquantes âgées qui soit intégrée, globale et financée, qui s’adapte aux caractéristiques et aux besoins des personnes âgées sous garde fédérale, et qui protège leurs droits.

Résumé des recommandations


Recommandation n o 1 :   
Nous recommandons un examen indépendant de la situation de toutes les personnes âgées sous garde fédérale, dans le but de déterminer si un placement dans la collectivité, dans un établissement de soins de longue durée ou dans un centre de soins palliatifs serait plus approprié.

Recommandation n o 2 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada rédige une directive du commissaire séparée et distincte portant uniquement sur les personnes âgées, pour veiller à ce que leurs besoins et intérêts particuliers soient cernés et comblés au moyen de programmes, de services et d’interventions efficaces et adaptés.

Recommandation n o 3 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada donne à son personnel des séances de formation sur les besoins – physiques, sociaux et psychologiques – liés à l’âge, de même que de la formation destinée à reconnaître les comportements dus à la démence, d’y réagir et de bien les gérer.

Recommandation n o 4 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada révise sa formation et sa politique sur le recours à la force pour y intégrer des pratiques exemplaires et des leçons apprises sur le recours à la force sur des personnes âgées (y compris celles qui ont besoin d’appareils pour se déplacer).

Recommandation n o 5 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada propose des options de travail appropriées (y compris des options adaptées) aux personnes âgées qui souhaitent et peuvent continuer de travailler. De plus, qu’une personne âgée puisse travailler ou non, le Service correctionnel du Canada devrait lui verser une allocation de subsistance suffisante pour combler ses besoins personnels.

Recommandation n o 6 :   
Nous recommandons que les populations vulnérables en détention (personnes âgées et celles ayant des problèmes de santé mentale ou physique, ou les deux à la fois) soient surveillées chaque jour par des professionnels de la santé pendant les confinements.

Recommandation n o 7 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada désigne des installations pour les personnes âgées qui veulent y vivre — et que ces installations soient conçues ou rénovées pour les rendre physiquement accessibles.

Recommandation n o 8 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada réserve des espaces et des plages horaires aux personnes âgées pour leur permettre de se réunir et de socialiser durant les heures de travail de l’établissement et pour leur permettre d’obtenir des services partagés de l’établissement (p. ex. bibliothèque, gymnase, cantine, visites, cafétéria, atelier d’artisanat et cour) durant les heures de travail.

Recommandation n o 9 :   
Nous recommandons que le personnel affecté aux activités sociales organise des activités récréatives et des activités de loisir et de mieux-être adaptées en fonction de l’âge et de la capacité des personnes qui y participent (p. ex. étirements, marche, exercices aérobiques, yoga, jeux de cartes).

Recommandation n o 10 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada mette en place des programmes normalisés d’aide et de soutien par les pairs dans tous ses établissements. Ces programmes devraient s’inspirer du programme d’aide à la vie autonome du Centre régional de traitement de la région du Pacifique, et être assortis d’un manuel détaillé, d’une formation continue et d’un soutien constant pour les pairs aidants.

Recommandation n o 11 :   
Lorsque le décès d’une personne délinquante devient raisonnablement prévisible, nous recommandons que le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada soient tenus de procéder à une gestion de cas concertée et dynamique, pour permettre à cette personne d’obtenir le plus rapidement possible une libération pour des raisons de compassion sans compromettre la sécurité.

Recommandation n o 12 :   
Nous recommandons que le ministre de la Sécurité publique révise et évalue les options de mise en liberté (p. ex. pour raisons de santé ou en raison de l’âge) des personnes délinquantes âgées qui purgent de longues peines mais qui ne posent aucun risque déraisonnable pour la sécurité publique, et qu’il propose au besoin des modifications à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition .

Recommandation n o 13 :   
Nous recommandons que le plan de libération des personnes délinquantes âgées aborde la planification financière de la retraite et la gestion des affaires personnelles, comme la rédaction d’un testament et la planification des derniers stades de la vie.

Recommandation n o 14 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada renforce ses partenariats avec des fournisseurs de services externes et redistribue les fonds pour créer des places supplémentaires dans la collectivité, en plus de veiller à ce que des places soient réservées dans des établissements de soins de longue durée et des centres de soins palliatifs pour les personnes âgées qui ne posent aucun risque déraisonnable pour la sécurité publique.

Recommandation n o 15 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada finance et mette en œuvre immédiatement une stratégie nationale pour les personnes délinquantes âgées et que cette stratégie soit intégrée et globale. La stratégie devrait :

  1. refléter les recommandations contenues dans le présent rapport;
  2. ne pas se limiter à l’approche « vieillir sur place », mais inclure l’examen obligatoire et constant des options de libération des personnes âgées qui ne posent aucun risque déraisonnable pour la sécurité publique;
  3. examiner et respecter les caractéristiques et besoins intersectionnels des personnes âgées sous garde fédérale, et y répondre;
  4. établir un échéancier pour l’évaluation, la rénovation et, au besoin, la construction d’installations relevant du SCC, afin qu’elles soient accessibles.

Recommandation n o 16 :   
Nous recommandons que le Service correctionnel du Canada redistribue des ressources actuellement allouées aux établissements pour financer des services correctionnels communautaires, afin de mieux répondre aux besoins de réinsertion sociale des personnes délinquantes âgées.

Annexe A : Tableaux et graphiques montrant des statistiques détaillées


Graphique linéaire montrant l’âge à l’admission dans un pénitencier sous responsabilité fédérale de 2006-2007 à 2017-2018. 

Graphique à barres montrant le pourcentage de détenus admis dans un pénitencier sous responsabilité fédérale qui étaient âgés de 50 ans ou plus, entre 2000 2001 et 2018 2019. 

Population carcérale par région, par établissement et par groupe d’âge

Région du SCCÉtablissement du SCCNombre total de personnes détenues% des 50 à 64 ans% des 65 ans et plus
ATLANTIQUEÉTABLISSEMENT DE L’ATLANTIQUE21412 %1 %
 PÉNITENCIER DE DORCHESTER62025 %8 %
 ÉTABLISSEMENT NOVA POUR FEMMES799 %0 %
 CENTRE DE RÉTABLISSEMENT SHEPODY3013 %7 %
 ÉTABLISSEMENT DE SPRINGHILL37814 %2 %
Total - ATLANTIQUE 1 32118 %5 %
QUÉBECÉTABLISSEMENT ARCHAMBAULT57729 %7 %
 ÉTABLISSEMENT DE COWANSVILLE45730 %3 %
 ÉTABLISSEMENT DE DONNACONA2607 %1 %
 ÉTABLISSEMENT DRUMMOND29722 %4 %
 CENTRE FÉDÉRAL DE FORMATION59432 %13 %
 ÉTABLISSEMENT JOLIETTE9916 %4 %
 ÉTABLISSEMENT DE LA MACAZA21842 %11 %
 ÉTABLISSEMENT DE PORT CARTIER18436 %3 %
 CENTRE RÉGIONAL DE RÉCEPTION29223 %5 %
 CRR (USD) QUÉBEC2425 %4 %
Total – QUÉBEC 3 00227 %6 %
ONTARIOÉTABLISSEMENT DE BATH44632 %10 %
 ÉTABLISSEMENT DE BEAVER CREEK72323 %5 %
 ÉTABLISSEMENT DE COLLINS BAY57917 %2 %
 ÉTABLISSEMENT POUR FEMMES GRAND VALLEY18316 %2 %
 UNITÉ D’ÉVALUATION DE JOYCEVILLE38915 %3 %
 ÉTABLISSEMENT DE JOYCEVILLE27325 %16 %
 JOYCEVILLE – UNITÉ DE DP7315 %0 %
 UNITÉ D’ÉVALUATION DE MILLHAVEN5711 %0 %
 ÉTABLISSEMENT DE MILLHAVEN19517 %4 %
 MILLHAVEN – UNITÉ DE DP70 %0 %
 CENTRE RÉGIONAL DE TRAITEMENT – ÉTABLISSEMENT DE BATH3625 %14 %
 CENTRE RÉGIONAL DE TRAITEMENT – ÉTABLISSEMENT DE MILLHAVEN7922 %22 %
 ÉTABLISSEMENT DE WARKWORTH48823 %6 %
Total – ONTARIO 3 52821 %6 %
PRAIRIESÉTABLISSEMENT DE BOWDEN62617 %4 %
 ÉTABLISSEMENT DE DRUMHELLER72611 %2 %
 ÉTABLISSEMENT D’EDMONTON2538 %0 %
 ÉTABLISSEMENT D’EDMONTON POUR FEMMES1698 %1 %
 ÉTABLISSEMENT DE GRANDE CACHE2419 %1 %
 ÉTABLISSEMENT GRIERSON2924 %3 %
 PAVILLON DE RESSOURCEMENT OKIMAW OHCI5513 %0 %
 CENTRE PÊ SÂKÂSTÊW5910 %3 %
 CENTRE PSYCHIATRIQUE RÉGIONAL16223 %6 %
 PÉNITENCIER DE LA SASKATCHEWAN68315 %2 %
 ÉTABLISSEMENT DE STONY MOUNTAIN8129 %3 %
 PAVILLON DE RESSOURCEMENT WILLOW CREE5313 %13 %
Total - PRAIRIES 3 86812 %2 %
PACIFIQUEÉTABLISSEMENT DE LA VALLÉE DU FRASER8819 %5 %
 ÉTABLISSEMENT DE KENT28413 %2 %
 VILLAGE DE GUÉRISON KWÌKWÈXWELHP5032 %12 %
 ÉTABLISSEMENT DE MATSQUI37516 %3 %
 ÉTABLISSEMENT DE MISSION42930 %8 %
 ÉTABLISSEMENT MOUNTAIN40725 %4 %
 ÉTABLISSEMENT DU PACIFIQUE1207 %4 %
 CENTRE RÉGIONAL DE RÉCEPTION ET D’ÉVALUATION10215 %8 %
 CENTRE RÉGIONAL DE TRAITEMENT14136 %21 %
 ÉTABLISSEMENT WILLIAM HEAD19337 %11 %
Total – PACIFIQUE 2 18923 %6 %
Grand Total 13 90820 %5 %

Source : Entrepôt de données du SCC, septembre 2018.

Graphique linéaire montrant le nombre de femmes purgeant une peine de ressort fédéral et âgées de 50 ans ou plus, de 2007 2008 à 2017 2018. 

 Graphique linéaire montrant le nombre de détenus autochtones âgés de 50 ans et plus, de 2007 2008 à 2017 2018. 

Graphique linéaire montrant le nombre de délinquants mis en liberté sous surveillance dans la communauté entre 2008 2009 et 2017 2018, pour ceux âgés de 50 ans et plus, pour ceux âgés de 50 à 64 ans et pour ceux âgés de 65 ans ou plus. 

 Moins de 50 ans De 50 à 64 ans 65 ans et plus 
Purgeant une peine à perpétuité ou d’une durée indéterminée20 %46,4 %55,5 %
Coupable d’une infraction de nature sexuelle11,2 %24,7 %37,9 %
Ayant une cote de sécurité minimale20,4 %32,1 %45,1 %
Présentant un niveau de risque élevé62,5 %72,9 %68,3 %
Durée de la peine (durée moyenne, s’il s’agit d’une peine d’une durée déterminée)4,9 ans6,1 ans7 ans
Mis en isolement pour sécurité personnelle29 %34,7 %63,6 %
Décès de causes naturelles5 décès13 décès21 décès
Niveaux élevés de besoins criminogènes66 %63 %46,9 %
Cas d’automutilation93 %5,7 %1 %
Cas de recours à la force96 %3,5 %0,6 %
Affiliation à un gang14,2 %4,4 %2,2 %
Accusations d’infractions disciplinaires91,5 %7,2 %1,2 %

Source: CSC Data Warehouse. (July 2018).

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Notes:


1 AUSTRALIA, DEPARTMENT OF JUSTICE, Growing old in prison? A review of national and international research on Ageing Offenders , Corrections Victoria’s Research Paper series, juillet 2010.

2 Voir notamment B. WILLIAMS, M. STERN, J. MELLOW, M. SAFER, et R. GREIFINGER, 2012; Human Rights Watch, janvier 2012; BUREAU DE L’INSPECTEUR GÉNÉRAL, 2015; COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE DE LA CHAMBRE DES COMMUNES, 2013; T. CURTIN, 2007; A. IFTENE, 2017b; J.H.E. UZOABA, 1998, J.J. KERBS et J.M. JOLLEY, 2008; et trois documents publiés en 2014 par SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA : Les délinquants âgés incarcérés dans des établissements du Service correctionnel du Canada , Délinquantes âgées et Profil sommaire des délinquants âgés incarcérés .

3 B. WILLIAMS, M. STERN, J. MELLOW, M. SAFER, et R. GREIFINGER, 2012.

4 Les réponses des organismes communautaires risquent de ne pas pouvoir être généralisées, car l’échantillon se limitait à des établissements résidentiels communautaires de seulement deux des cinq régions.

5 Voir l’annexe A pour des tableaux et des graphiques statistiques détaillés.

6 Entrepôt de données du SCC, juillet 2018

7 Voir STATISTIQUE CANADA, www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1710000501&request_locale=fr 

8 SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, Lien entre l’âge et la récidive , 2018. www.csc-scc.gc.ca/research/err-18-02-fr.shtml .

9 SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, Favoriser le mieux-être et l’autonomie des détenus âgés au SCC – Cadre de politique , mai 2018

10 Entrepôt de données du SCC, octobre 2018.

11 Entrepôt de données du SCC, juin 2018.

12 Toutes les mentions d’une période d’un an font référence à l’exercice financier.

13 Entrepôt de données du SCC, juin 2018.

14 Des lois récentes ont ajouté ou durci les peines minimales pour les infractions relatives aux drogues, à la conduite avec les facultés affaiblies et aux armes à feu, ainsi que les infractions de nature sexuelle à l’endroit des enfants, y compris la pornographie juvénile.

15 SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, Profil sommaire des délinquants âgés incarcérés , 2014

16 Il faut préciser que l’analyse du profil santé ne porte que sur les personnes délinquantes de 65 ans et plus. Il n’existe pas en ce moment de données sur celles âgées de 50 à 64 ans. Le SCC analysera aussi des maladies chroniques sur un échantillon de personnes de 50 à 64 ans incarcérés dans un pénitencier fédéral.

17 SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, Favoriser le mieux-être et l’autonomie des détenus âgés au SCC – Cadre de politique , mai 2018

18 On a plus tard démantelé cette division sans jamais la remplacer, malgré la croissance continue et constante de la population vieillissante.

19 Bien que la date d’admissibilité à une libération conditionnelle de certaines personnes était passée depuis longtemps, cela ne veut pas dire qu’elles n’avaient jamais obtenu une audience devant la Commission de la libération conditionnelle du Canada. Il est possible qu’elles se soient présentées plusieurs fois devant la Commission qui a refusé leur demande, qu’ils aient renoncé à leur droit à une audience, ou que leur libération conditionnelle ait été révoquée à la suite d’une nouvelle infraction à la loi pour une autre raison.

20 Catherine APPLETON et Dirk VAN ZYL SMIT, A Summary Report on Life Imprisonment Worldwide , University of Nottingham, septembre 2017

21 Entrepôt de données du SCC, février 2017.

22 Entrepôt de données du SCC, février 2017.

23 Entrepôt de données du SCC, octobre 2018.

24 La Loi protégeant les Canadiens en mettant fin aux peines à rabais en cas de meurtres multiples est entrée en vigueur le 2 décembre 2011. Elle autorise les juges à imposer des périodes consécutives d’inadmissibilité à la libération conditionnelle avant 25 ans.

25 La plupart des agressions entre personnes en détention impliquaient des hommes. Les personnes de 50 ans et plus étaient les instigateurs des agressions dans seulement 3 % des cas en 2017-2018.

26 Entrepôt des données de SCC, juin 2018.

27 Durant cette période, aucun des incidents de recours à la force qui ont été classifiés n’impliquait des femmes de 50 ans et plus purgeant une peine de ressort fédéral.

28 Le projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi sur la sécurité de la vieillesse, est entré en vigueur le 1er janvier 2011. Il empêche qu’une pension financée par les contribuables soit versée aux personnes de 65 ans et plus qui purgent une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans dans un établissement fédéral.

29 Les personnes en détention qui reçoivent l’allocation de base n’ont pas à payer pour leur hébergement et leurs repas, mais elles doivent payer leurs appels téléphoniques (selon la Directive du commissaire 860 intitulée Argent des délinquants ).

30 Toutes les cellules que le SCC déclare « accessibles » ou « sans obstacle » satisfont aux exigences d’accessibilité en fauteuil roulant.

31 Certains établissements excèdent la norme de 2 %, tandis d’autres ne l’atteignent pas.

32 Les enquêteurs ont vu un ensemble de laveuse-sécheuse à chargement frontal qu’à un seul établissement, mais ces appareils seraient considérés comme une pratique exemplaire en matière d’accessibilité.

33 R.V. THIVIERGE-RIKARD et M.S. THOMPSON. « The association between aging inmate housing management models and non-geriatric health services in state correctional institutions », dans Journal of Aging & Social Policy , vol. 19, no 4, 39-56, 2007

34 BUREAU DE L’ENQUÊTEUR CORRECTIONNEL, Rapport annuel 2016-2017 .

35 Le cadre stratégique provisoire du SCC ( Favoriser le mieux-être et l’autonomie des détenus âgés au SCC – Cadre de politique ) semble reconnaître que les véhicules de transport devraient être accessibles aux personnes en fauteuil roulant et aux personnes handicapées, mais il ne renferme pour l’instant qu’un engagement à revoir la pertinence des véhicules de transport du SCC, la politique sur les dispositifs de contention utilisés pour le transport des personnes âgées et l’évaluation de la menace et des risques en fonction de la gravité d’une condition médicale ou d’une déficience.

36 PRISON AND PROBATION OMBUDSMAN INDEPENDENT INVESTIGATIONS. Learning from PPO investigations: Older Prisoners , 2017, (en anglais seulement).

37 SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA. Favoriser le mieux-être et l’autonomie des détenus âgés au SCC – Cadre de politique , mai 2018.

38 Le budget des soins de santé du SCC se chiffrait à 259 708 430 $ en 2017-2018.

39 À titre d’exemple, l’Institut Fraser a conclu qu’en 2014, la dernière année pour laquelle des données sont disponibles, les dépenses gouvernementales atteignaient en moyenne 2 664 $ par personne pour les soins de santé des Canadiennes et des Canadiens de 15 à 64 ans. En comparaison, le coût moyen pour les personnes de 65 ans et plus était de 11 625 $, soit un montant 4,4 fois supérieur à celui alloué aux personnes âgées de 15 à 64 ans. Traduction d’un extrait de : www.fraserinstitute.org/studies/canadas-aging-population-and-implications-for-government-finances .

40 Voir, par exemple : Aday R (2003). Aging prisoners: Crisis in American corrections, Santa Barbara, CA : Praeger Publishers; Baidawi, Susan, Shelley Turner, Christopher Trotter, Colette Browning, Paul Collier, Daniel O’Connor et Rosemary Sheehan (2011). « Older prisoners—A challenge for Australian corrections », dans Trends and Issues in Crime and Criminal Justice , no 426; Chiu, T. (2010). It’s about time: Aging prisoners, increasing costs and geriatric release , New York, NY: Vera Institute of Justice.

41 SÉCURITÉ PUBLIQUE CANADA, Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , Rapport annuel 2017.

42 Il y a 24 places au palier supérieur pour les pairs aidants du programme d’AVAP, 48 places au palier inférieur pour les clients du programme d’AVAP, et 24 places réservées aux soins de santé mentale intermédiaires au palier supérieur.

43 L’Unité pour détenus en perte d’autonomie compte 15 cellules réservées aux patients qui ont des besoins de santé physique. Cette unité est unique, car un membre du personnel infirmier y est affecté de 8 h à 16 h en semaine, et un deuxième membre couvrira bientôt les quarts de soir et de fin de semaine. À l’heure actuelle, le ratio de l’unité est de 22 patients pour un membre du personnel infirmier. L’Unité fait aussi appel à des pairs aidants qui résident au palier supérieur. À l’heure actuelle, on compte 1,5 pair aidant pour chaque patient de l’UDPA.

44 Le docteur John Bradford, un éminent psychiatre judiciaire, a réalisé l’examen indépendant, The Regional Treatment Centres , en décembre 2017.

45 BASHIR JIWANI ETHICS INCORPORATED, Ethics Analysis of Peer Assisted Living Program, CSC , 30 juin 2017.

46 JACKLIN M. Kristen, Jennifer D. WALKER et Marjory SHAWANDE. “The Emergence of Dementia as a Health Concern Among First Nations Populations in Alberta, Canada”, Can J Public Health, vol. 104, no 1, janvier/février 2013, p. e39-e44.

47 J. WOODALL, J. SOUTH, R. DIXEY, N. DE VIGGIANI et W. PENSON. “Expert Views of peer-based interventions for prisoner health”, International Journal of Prison Health , vol. 11, no 2, 2015, p. 87-97.

48 ROYAUME-UNI, HER MAJESTY’S INSPECTORATE OF PRISONS. Life in prison: Peer Support: A Findings Paper , London, janvier 2016

49 Voir, par exemple : Documents de travail et cadre mis au point par la Coalition pour des soins de fin de vie de qualité du Canada et l’Association canadienne de soins palliatifs : Cadre national : Feuille de route pour l’intégration de l’approche palliative (mars 2015); Intégrer la philosophie des soins palliatifs à la gestion des maladies chroniques limitant l’espérance de vie : qui, comment, et quand? (décembre 2012); Synthèse des recommandations de rapports nationaux sur les soins palliatifs (mai 2012) ; Modèles novateurs de soins palliatifs intégrés (mars 2013).

50 Le terme « famille » est ici utilisé pour décrire les personnes qui deviennent comme des membres de la famille après avoir passé ensemble de nombreuses années en prison. Bien des détenus âgés ont perdu contact avec leurs familles d’origine.

51 Entrepôt de données du SCC, juin 2018.

52 Dans l’ensemble de la population canadienne, l’espérance de vie est de 79 ans pour les hommes et de 83 ans pour les femmes. STATISTIQUE CANADA : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-645-x/2010001/life-expectancy-esperance-vie-fra.htm .

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, Rapport annuel sur les décès en établissement , novembre 2017, http://www.csc-scc.gc.ca/research/005008-3010-fr.shtml .

54 Voir, par exemple, deux publications du Bureau de l’enquêteur correctionnel, Rapport annuel 2010-2011, Rapport annuel 2014-2015 et Enquête sur le processus d’examen des cas de décès du Service correctionnel du Canada (décembre 2013).

55 Le projet de réforme des É.-U. peut être consulté à https://www.congress.gov/bill/115th-congress/house-bill/5682/text .

56 Pour en savoir plus, voir : David FARRINGTON, Rolf LOEBER et James C. HOWELL (2012); Gary SWEETEN, Alex PIQUERO et Laurence STEINBERG (2013); David ABELING-JUDGE (2016).

57 SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, Lien entre l’âge et la récidive , avril 2018 , http://www.csc-scc.gc.ca/research/err-18-02-fr.shtml .

58 Lors d’une des visites d’établissement résidentiel communautaire que nous avons effectuées dans le cadre de la présente enquête, on nous a indiqué que le coût de l’installation d’un ascenseur s’élevait à environ 450 000 $. Ce coût élevé s’explique du fait qu’un des étages doit être rénové pour y installer l’ascenseur.

59 BUREAU DU VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL DU CANADA, Automne 2018 – Rapports du vérificateur général du Canada, « Rapport 6 – La surveillance dans la collectivité – Service correctionnel Canada », 2018


Date de modification   
2019-02-28 



 

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Office of the Correctional Investigator - Report

Une question de spiritualité : Les Autochtones et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

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Body

Rapport final 

22 octobre 2012 


TABLE DES MATIÈRES 

Sommaire 

Portée de l'enquête 

Méthodologie 

Articles 81 et 84 : Intention du Parlement 

Contexte et arrière-plan 

Recours aux accords prévus à l'article 81 – Analyse 

Pourquoi les progrès ont-ils cessé? 

Obstacles à la mise en place au maintien d'accords en vertu de l'article 81 

Obstacles dans les collectivités autochtones 

Pavillon de ressourcement du SCC 

Recours aux mises en liberté prévues à l'article 84 – Analyse 

Modèle de continuum des soins liés aux services correctionnels du SCC 

Application des principes de l'arrêt Gladue au sein du système correctionnel fédéral 

Conclusion 

Recommandations 

Annexe A – Consultations et entrevues 

Annexe B – Bibliographie 

Notes de la fin 


SOMMAIRE

  1. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ( LSCMLC ) mentionne expressément les besoins et les circonstances propres des Autochtones canadiens au sein du système correctionnel fédéral. La Loi prévoit des mesures spéciales (articles 81 et 84) visant à réduire la surreprésentation des Autochtones dans les pénitenciers fédéraux ainsi qu'à corriger l'écart de longue date pour ce qui est des résultats obtenus par les délinquants autochtones. 

     
  2. Vingt ans se sont écoulés depuis l'entrée en vigueur de la LSCMLC , et le Bureau de l'enquêteur correctionnel (BEC) estime qu'il est opportun et important de procéder à un examen systémique des articles 81 et 84. La présente enquête vise à déterminer la mesure dans laquelle le Service correctionnel du Canada ( SCC ) a respecté l'intention qu'avait le Parlement au moment de l'entrée en vigueur de la LSCMLC . Le BEC a examiné la situation et l'utilisation des mécanismes prévus aux articles 81 et 84 au sein du système correctionnel fédéral pour la période se terminant en mars 2012, a recensé certaines pratiques exemplaires en matière de services correctionnels pour les Autochtones et a évalué l'engagement du SCC à appliquer les principes énoncés dans R. c. Gladue, la décision de principe de la Cour suprême du Canada. Pour terminer, il présente des recommandations clés visant à améliorer la capacité du SCC et le respect des articles 81 et 84 de la LSCMLC

     
  3. L'article 81 de la LSCMLC visait à donner au SCC les moyens de conclure des accords avec des collectivités autochtones pour leur transférer le soin et la garde de délinquants qui seraient autrement détenus dans des établissements du SCC . Le but était de permettre à des collectivités autochtones de gérer en partie la peine du délinquant, du prononcé de la peine à l'expiration du mandat, ou du moins de participer à cette gestion. L'article 81 permet également aux collectivités autochtones de jouer un rôle important à l'égard de l'exécution de programmes dans les établissements correctionnels ainsi qu'aux délinquants acceptés des établissements établis en vertu de cet article (pavillons de ressourcement et centres de guérison autochtones). 

     
  4. Dans le cadre de son enquête, le BEC a constaté qu'en mars 2012, il y avait seulement 68 places dans des établissements visés par l'article 81 à l'échelle du Canada et qu'aucun accord de cette nature n'était en signé en Colombie-Britannique, en Ontario, dans le Canada atlantique et le Nord canadien. Avant septembre 2011, il n'y avait aucune place pour les délinquantes autochtones dans des pavillons de ressources établis en vertu de l'article 81. 

     
  5. Les pavillons de ressourcement ne peuvent accepter que des délinquants à sécurité minimale et, dans de rares cas, des délinquants à sécurité moyenne présentant un faible risque, et c'est là l'un des principaux facteurs qui empêchent le fonctionnement à pleine capacité des pavillons établis en vertu de l'article 81 et la mise en place de nouveaux pavillons. L'évolution de cette politique, qui n'a rien à voir avec l'intention du Parlement ou la vision originale du SCC , est vue comme un moyen pour le SCC de réduire les risques. Il en découle un certain nombre de problèmes, qui sont exacerbés par le fait que seulement 11,3 % des délinquants autochtones de sexe masculin (soit 337) étaient incarcérés dans des établissements à sécurité minimale en 2010-2011. Dans les faits, la politique du SCC exclut la possibilité même d'un transfèrement vers un pavillon de ressourcement pour près de 90 % des détenus autochtones. Vu cette limitation, il n'est pas surprenant que le BEC ait constaté dans le cadre de son enquête que les pavillons de ressourcement ne sont pas utilisés au maximum. 

     
  6. En plus des quatre pavillons de ressourcement visés par l'article 81, le SCC a établi quatre pavillons qu'il gère comme des établissements à sécurité minimale (à l'exception du pavillon de ressourcement pour femmes, où sont acceptées des détenues à sécurité minimale et quelques détenues à sécurité moyenne). Les pavillons gérés par le SCC peuvent accueillir jusqu'à 194 détenus sous responsabilité fédérale, y compris 44 détenues autochtones. 

     
  7. Les pavillons de ressourcement visés par l'article 81 reposent sur des accords de contribution de cinq ans, de sorte qu'il n'y a pas de sentiment de permanence. Rien ne garantit que les accords seront renouvelés. En fait, les pavillons sont touchés par les changements apportés aux priorités et au financement du SCC , notamment la réaffectation en 2001 d'un montant de 11,6 M$ réservé à la mise en place de nouveaux établissements en vertu de l'article 81. 

     
  8. Nous avons constaté un écart important entre le financement accordé pour les pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81 et pour ceux gérés par le SCC . En 2009-2010, un montant de 21 555 037 $ a été affecté aux quatre pavillons exploités par le SCC , par rapport à seulement 4 819 479 $ pour les pavillons visés par l'article 81. En raison du sous‑financement chronique, ces derniers ne peuvent pas offrir des salaires comparables à ceux du SCC ou la sécurité associée à des emplois syndiqués. Par conséquent, un grand nombre d'employés des pavillons de ressourcement postulent pour un emploi au SCC , où les salaires peuvent être 50 % plus élevés pour un travail semblable. Le coût de la formation d'un employé travaillant dans un pavillon de ressourcement et répondant aux exigences du SCC est évalué à 34 000 $. Pourtant, les exploitants des pavillons de ressourcement ne sont pas dédommagés, et leurs efforts ne sont pas reconnus. 

     
  9. Le manque d'acceptation de la collectivité est un autre facteur qui nuit à la réussite et à l'expansion des pavillons de ressourcement en vertu de l'article 81. Tout comme bien des collectivités non autochtones, les collectivités autochtones ne sont pas toutes prêtes à héberger des délinquants ou à prendre en charge la gestion de ces cas. 

     
  10. Lorsqu'il a ouvert ses propres pavillons de ressourcement, le SCC n'avait pas l'intention de faire concurrence aux établissements créés en vertu de l'article 81. Pour lui, il s'agissait d'une étape intermédiaire, en attendant que la gestion de ces établissements soit confiée à des collectivités dans le cadre d'accords pris en vertu de l'article 81. Or, l'enquête révèle que les négociations en vue du transfert des pavillons de ressourcement du SCC ont depuis longtemps été abandonnées. Dans la plupart des cas, les négociations n'ont jamais dépassé les étapes préliminaires. Dans certaines collectivités autochtones, ce manquement à un engagement est depuis longtemps une source de rancune et de méfiance à l'égard des autorités correctionnelles canadiennes. 

     
  11. Au départ, l'article 84 a été adopté afin d'améliorer l'information communiquée à la Commission des libérations conditionnelles du Canada et de permettre aux collectivités autochtones de proposer des conditions applicables aux délinquants qui souhaitent être mis en liberté dans leur région. Le but n'était pas de créer un processus long et lourd, mais c'est pourtant ce qui est arrivé. Le processus est pénible, long et mal compris. Pour établir un plan de mise en liberté efficace en application de l'article 84, il faut agir dans des délais serrés et assurer une coordination. Comme le révèle l'enquête, à l'échelle du Canada, il y a seulement douze agents de développement auprès de la collectivité autochtone, lesquels sont responsables de concilier les intérêts du délinquant et de la collectivité avant la mise en liberté. 

     
  12. Dans l'affaire R. c. Gladue (1995) et dans une autre décision rendue en mars 2012 ( R. c. Ipeelee ), la Cour suprême du Canada a enjoint les juges d'utiliser une méthode d'analyse différente pour déterminer ce qui constitue une peine appropriée dans le cas des délinquants autochtones, et ce en portant une attention particulière aux circonstances propres aux peuples autochtones et à leurs antécédents sociaux. Il s'agit, en langue courante, des principes ou des facteurs de l'arrêt Gladue . Le SCC a intégré ces principes à son cadre de politiques, l'obligeant à tenir compte des antécédents sociaux des Autochtones au moment de prendre des décisions pouvant porter atteinte aux droits et aux libertés des délinquants autochtones. Bien que l'arrêt Gladue porte sur les considérations relatives à la détermination de la peine, il est raisonnable de conclure que la mise en place d'établissements en vertu de l'article 81 cadre avec l'idée de la Cour suprême du Canada d'offrir une option adaptée à la culture aux Autochtones sous responsabilité fédérale. Pourtant, nous estimons que les principes de l'arrêt Gladue ne sont pas bien compris par le SCC et qu'ils sont appliqués de manière inégale. 

     
  13. De nos jours, 21 % des détenus sous responsabilité fédérale se disent d'origine d'autochtone. Pour presque tous les indicateurs de rendement correctionnel, le fossé entre les délinquants autochtones et non autochtones continue de se creuser :
    • Un pourcentage disproportionné de délinquants autochtones passent une plus grande partie de leur peine derrière les barreaux avant leur première mise en liberté.
    • Les délinquants autochtones sont sous-représentés parmi les délinquants sous surveillance dans la collectivité et surreprésentés dans les établissements à sécurité maximale.
    • Les délinquants autochtones sont plus susceptibles d'être incarcérés de nouveau si leur libération conditionnelle est révoquée.
    • Les délinquants autochtones sont beaucoup plus souvent impliqués dans les incidents de sécurité en établissement, visés par des interventions de recours à la force, placés en isolement et prédisposés à l'automutilation.
  14. L'enquête a permis de relever certains obstacles nuisant à la mise en application des articles 81 et 84 par le SCC . Ces obstacles ont pour conséquence imprévue de perpétuer les conditions qui contribuent à désavantager les délinquants en milieu correctionnel fédéral et à discriminer contre eux, ce qui engendre des résultats bien différents dans leur cas :

    1. Accès restreint aux établissements et aux possibilités offertes en vertu de l'article 81 à l'extérieur des régions des Prairies et du Québec du SCC .
    2. Manque de ressources et accords de financement temporaires, faisant en sorte que les pavillons de ressourcement gérés par des Autochtones ne connaissent pas de sécurité financière ou de sentiment de permanence.
    3. Écart considérable entre les salaires et les conditions de travail des employés des établissements gérés par le SCC et ceux des pavillons visés par un accord pris en vertu de l'article 81.
    4. Critères d'admissibilité restreints qui, dans les faits, excluent la possibilité d'un placement dans un pavillon établi en vertu de l'article 81pour la plupart des délinquants autochtones.
    5. Retard déraisonnable dans l'élaboration et la mise en place de politiques et de normes précises visant à faciliter la négociation et l'établissement d'un cadre opérationnel à l'appui de la mise en œuvre en temps opportun et de manière coordonnée et efficace d'accords en vertu des articles 81 et 84.
    6. Compréhension limitée au SCC des peuples, de la culture, de la spiritualité et des approches de guérison autochtones.
    7. Compréhension limitée des principes de l'arrêt Gladue ainsi que prise en considération et application inadéquates de ceux-ci dans la prise de décisions touchant les intérêts des délinquants autochtones.
    8. Limites financières et contractuelles imposées par le SCC qui empêchent les Aînés d'offrir du soutien, des conseils et des cérémonies de qualité, ce qui met en péril le modèle de continuum des soins des délinquants autochtones.
    9. Réponse inadéquate à la réalité urbaine et au profil démographique des délinquants autochtones qui, pour la plupart, ne retourneront pas vivre dans une réserve traditionnelle des Premières nations.
    10. Absence, à la table de la haute direction du SCC , d'un sous-commissaire qui s'occupe de manière particulière et ciblée de l'avancement des services correctionnels pour Autochtones.

    Le BEC estime que le SCC n'a toujours pas respecté l'intention du Parlement en ce qui concerne les articles 81 et 84 de la LSCMLC . Le SCC ne s'est pas engagé pleinement ou suffisamment à mettre en œuvre les mécanismes clés prévus dans la loi pour corriger les injustices systémiques. 

     

  15. Certes, le SCC ne décide pas des individus qui sont condamnés à la prison par les tribunaux. Toutefois, 20 ans après l'entrée en vigueur de la LSCMLC , le SCC n'a pas réussi à apporter les changements systémiques en matière de politiques et de ressources qui sont requis par la loi pour agir sur les facteurs à sa portée qui peuvent contribuer à réduire la surreprésentation chronique des Autochtones dans les pénitenciers.

PORTÉE DE L'ENQUÊTE

1.  Vingt ans se sont écoulés depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ( LSCMLC )(L.C. 1992, ch. 20) le 18 juin 1992, et treize ans depuis la décision de principe de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Gladue [1] . Après toutes ces années, le Bureau de l'enquêteur correctionnel (BEC) estime qu'il est opportun et important d'examiner les articles de la LSCMLC qui visent en particulier les Autochtones . La présente enquête a pour but de déterminer la mesure dans laquelle le Service correctionnel du Canada ( SCC ) a respecté l'intention qu'avait le Parlement au moment de l'entrée en vigueur de la LSCMLC . Le BEC a examiné la situation actuelle et l'utilisation des mécanismes prévus aux articles 81 et 84 pour la période se terminant en mars 2012. Il a recensé certaines pratiques exemplaires en matière de services correctionnels pour Autochtones et a évalué l'engagement du SCC à appliquer les principes énoncés dans R. c. Gladue . Pour terminer, il présente ses principales constatations et des recommandations clés en vue d'améliorer la capacité du SCC et le respect des articles 81 et 84 de la LSCMLC .

MÉTHODOLOGIE

2.  En octobre 2011, le BEC a informé le Service de son intention de lancer l'enquête dont découle le présent rapport. Dans le cadre de celle-ci, il a examiné les rapports du SCC , de Sécurité publique Canada et de comités parlementaires ainsi que d'autres documents pertinents. Les documents consultés sont énumérés à l' annexe B . L'administration centrale du SCC a transmis les documents et données statistiques sur les articles 81 et 84 qu'il avait à sa disposition. Toutes les données et les sources étaient jugées fiables en date du 31 mars 2012. Le BEC a remis un exemplaire du présent rapport le 31 août 2012 à l'administration centrale du SCC pour qu'il puisse vérifier les faits.

3. Dans le cadre de l'enquête, les responsables ont visité trois des quatre pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81, soit le Centre de guérison Stan Daniels en Alberta, le Pavillon de ressourcement spirituel du Grand conseil de Prince Albert en Saskatchewan et le Centre de guérison Waseskun au Québec. Ils ont également visité le nouveau Centre de guérison Buffalo Sage pour femmes en Alberta. Ils ne se sont pas rendus au quatrième pavillon de ressourcement, celui d'O-Chi-Chak-Ko-Sipi, qui est situé dans une région éloignée du Manitoba, pour des raisons de temps et d'argent.

4.  Les enquêteurs du BEC ont interrogé des membres du personnel de l'administration centrale du SCC et des représentants des régions du Pacifique et de l'Atlantique. Ils ont visité trois des quatre pavillons de ressourcement du SCC : le Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci (pour femmes) en Saskatchewan; le Centre Pê Sâkâstêw en Alberta et le Village de guérison Kwìkwèxwelhp en Colombie-Britannique. (Ils n'ont pas eu le temps de se rendre au Pavillon de ressourcement Willow Cree.) Ils ont également interrogé des membres du personnel des Native Counselling Services of Alberta (qui gèrent le Centre de guérison Stan Daniels et le Centre de guérison Buffalo Sage); des Aînés travaillant au Pénitencier de la Saskatchewan (où une unité des Sentiers autochtones a été mise en place), ainsi qu'un Aîné du Centre Pê Sâkâstêw en Alberta et des dirigeants de la Première nation de Nekaneet (où est situé le Pavillon de ressourcement d'Okimaw Ohci).

5.  Pour mieux comprendre l'intention du législateur derrière les articles 81 et 84, les enquêteurs ont échangé par écrit avec un membre ayant participé à la Révision du droit correctionnel dans les années 1980 ainsi qu'avec un ancien directeur de la Direction des initiatives pour les Autochtones du SCC . La Division des politiques correctionnelles autochtones de Sécurité publique Canada a également fourni d'autres informations qui ont servi à mener l'enquête. L' annexe A présente une liste des unités opérationnelles visitées et des personnes consultées, à l'exception des personnes qui ont demandé l'anonymat.

ARTICLES 81 ET 84 : INTENTION DU PARLEMENT

6.  La LSCMLC a été édictée dans le but précis de contribuer au maintien d'une société juste, vivant en paix et en sécurité, d'une part, en assurant l'exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d'autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois. Durant la période visée par la présente enquête, le Service était guidé, entre autres, par les principes suivants : a) la protection de la société est le critère prépondérant appliqué par le Service dans le cadre du processus correctionnel; b) les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible; c) ses directives d'orientation générale, programmes et pratiques respectent les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu'entre les sexes, et tiennent compte des besoins propres aux femmes, aux Autochtones et à d'autres groupes ayant des besoins spéciaux [2] .

7.  La LSCMLC comporte des dispositions précises sur le soin, la garde et la mise en liberté des délinquants autochtones :

81. (1) Le ministre ou son délégué peut conclure avec une collectivité autochtone un accord prévoyant la prestation de services correctionnels aux délinquants autochtones et le paiement par lui de leurs coûts.

(2) L'accord peut aussi prévoir la prestation de services correctionnels à un délinquant autre qu'un autochtone.

(3) En vertu de l'accord, le commissaire peut, avec le consentement des deux parties, confier le soin et la garde d'un délinquant à une collectivité autochtone.

84. Avec le consentement du détenu qui sollicite la libération conditionnelle dans une collectivité autochtone, le Service donne à celle-ci un préavis suffisant de la demande, ainsi que la possibilité de soumettre un plan pour la libération du détenu et son intégration au sein de cette collectivité.

84.1 Avec le consentement du délinquant qui est soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée et qui sollicite une surveillance au sein d'une collectivité autochtone, le Service donne à celle-ci un préavis suffisant de la demande, ainsi que la possibilité de soumettre un plan pour la surveillance du délinquant et son intégration au sein de cette collectivité.

8.  Les dispositions de la LSCMLC relatives aux Autochtones sont la continuation naturelle et progressive de l'article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés et de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaissant les droits existants issus de traités des peuples autochtones du Canada ainsi que les traditions, coutumes et cultures de ces peuples . En fait, ces dispositions découlent des travaux de nombreux groupes de travail et commissions mis sur pied par le gouvernement fédéral au fil des ans ainsi que des efforts déployés par le passé pour faire participer les peuples autochtones à l'élaboration et à l'exécution de programmes et de services à l'intention des délinquants autochtones en établissement et dans la collectivité. Avant l'adoption de la LSCMLC , les collectivités et les organisations autochtones ont joué un rôle déterminant dans la mise en place de fraternités et de sororités autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux, de la coordination des services des Aînés, les programmes pour toxicomanes et les activités culturelles à l'intention des détenus autochtones.

9.  D'autres articles de la LSCMLC sont pertinents aux fins de l'enquête, notamment l'article 80, qui prévoit que le SCC doit offrir des programmes adaptés aux besoins des délinquants autochtones; l'article 82, qui prévoit la création d'un organe consultatif, le Comité consultatif autochtone national; et l'article 83, qui établit clairement que « la spiritualité autochtone et les chefs spirituels ou aînés autochtones sont respectivement traités à égalité de statut avec toute autre religion et chef religieux ». Dans un rapport précédent (novembre 2009) intitulé De bonnes intentions, des résultats décevants : Rapport d'étape sur les services correctionnels fédéraux pour Autochtones, le BEC examine en détail bon nombre de ces questions [3] .

Article 81 

10.  Il faut interpréter le plus largement possible l'article 81 lorsque sont lus ensemble les paragraphes (1) et (3). Cet article permet aux collectivités et aux organisations autochtones de décider, par suite de négociations, si elles souhaitent conclure un accord, le nombre et le type de délinquants qu'elles sont prêtes accueillir ainsi que le risque qu'elles sont disposées à prendre en acceptant des délinquants dans leur collectivité. Cet article de la LSCMLC vise à accorder aux collectivités autochtones un certain contrôle, ou du moins de participer à la gestion de la peine du délinquant, du prononcé de la sentence à l'expiration du mandat.

11.  Cet article ne limite pas expressément le classement selon le niveau de sécurité que doivent posséder les délinquants que peut accueillir une collectivité autochtone, ni la période durant laquelle le délinquant autochtone sera pris en charge par une collectivité ou une organisation autochtone. En fait, initialement, le SCC estimait que les accords conclus en vertu de l'article 81 viseraient un jour tous les détenus autochtones, peu importe leur cote de sécurité, sachant toutefois qu'il faudrait du temps pour tisser des liens de confiance entre le SCC et les collectivités autochtones [4] .

12. Fait important, l'article 81 permet aux peuples autochtones de jouer un rôle important à l'égard de l'exécution de programmes dans les établissements et n'exclut pas les délinquants non autochtones. Il a délibérément une portée étendue, ce qui permet de mettre en place des solutions pour le soin et la garde du plus grand nombre possible de détenus autochtones (Premières nations, métis et inuits) dans les établissements fédéraux et ainsi un jour réduire leur surreprésentation; d'offrir aux délinquants autochtones des programmes et des services adaptés qui sont fondés sur les valeurs spirituelles et culturelles traditionnelles et de renforcer les liens avec les collectivités autochtones.

13.  Il faut comprendre que l'article 81 ne transfère pas la compétence en matière de services correctionnels, laquelle continue de relever du gouvernement fédéral. Il s'agit plutôt d'une disposition permissive, aux termes de laquelle certains services et programmes, notamment en matière de soins et de garde, peuvent être négociés et offerts par des personnes et des collectivités autochtones en échange de paiements versés par la Couronne. Cette distinction, entre le fait de transférer aux collectivités autochtones la responsabilité d'offrir des services correctionnels et la compétence dans ce domaine (qui demeure une prérogative du gouvernement fédéral), a dès le départ été clairement énoncée par le solliciteur général à l'époque (maintenant appelé le ministre de la Sécurité publique), dans le cadre d'audiences parlementaires [5] , de poursuites devant les tribunaux [6] et, plus tard, dans la Politique sur le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale du gouvernement fédéral [7] . Les accords conclus en vertu de l'article 81 ont évolué et reposent sur le consentement mutuel, la confiance et la reconnaissance des deux ordres de gouvernement.

Article 84 

14.  L'article 84 de la LSCMLC visait, en partie, à donner suite aux critiques de longue date formulées par les collectivités et les organisations autochtones au sujet du système correctionnel canadien. Dans le cadre de ses consultations, le Groupe d'étude sur les autochtones au sein du régime correctionnel fédéral (1988) a entendu, entre autres, que les délinquants étaient mis en liberté sans que les collectivités en soient avisées à l'avance, sans que celles-ci sachent ce qui s'était produit durant l'incarcération ou sans qu'elles puissent proposer des conditions qu'elles jugeaient importantes pour assurer leur propre sécurité. Par conséquent, les collectivités autochtones n'étaient pas en mesure de présenter un plan pour assurer la mise en liberté et la réinsertion sociale réussie des délinquants ou tenir les délinquants responsables de ce plan.

15.  Au départ, l'article 84 a été établi dans l'intention d'améliorer les informations transmises à la Commission nationale des libérations conditionnelles (maintenant la Commission des libérations conditionnelles du Canada) et de donner aux collectivités autochtones la possibilité d'établir un plan de mise en liberté ou d'avoir voix à ce chapitre. Le but n'était pas de créer un processus long et pénible pour le SCC , le délinquant ou la collectivité.

16. L'article 84 a été conçu originalement dans le contexte et les limites des collectivités autochtones et inuites, dont le leadership et les limites géographiques sont définis. Il a cependant été reconnu que l'article 84 s'appliquait aussi aux délinquants mis en liberté dans des régions urbaines, puisque la plupart des délinquants autochtones proviennent de ces régions et y sont mis en liberté. On s'est également rendu compte que la nouvelle réalité urbaine poserait des difficultés importantes, en particulier dans les grands centres métropolitains, et qu'il faudrait adapter par l'expérimentation les protocoles et les processus.

CONTEXTE ET ARRIÈRE-PLAN

17.  Le problème grave et chronique de la surreprésentation des Autochtones dans les pénitenciers fédéraux préoccupe le SCC et le gouvernement fédéral depuis les années 1970. Les délinquants autochtones représentent maintenant 21,5 % de la population carcérale sous la garde du SCC et 13,6 % des délinquants sous surveillance dans la collectivité. Au total, les délinquants autochtones (dans la collectivité et en établissement) représentent 18,5 % des délinquants sous responsabilité fédérale [8] . La situation est encore plus alarmante chez les délinquantes autochtones qui, en 2010-2011, représentaient plus de 31,9 % des détenues sous responsabilité fédérale [9] , c'est une augmentation de 85,7 % au cours des dix dernières années [10] .

18.  Si les Autochtones sont surreprésentés au sein du système correctionnel fédéral à l'échelle nationale, le problème est encore plus critique dans la région des Prairies, où les Autochtones comptent pour plus de 55 % des détenus au Pénitencier de la Saskatchewan et plus de 60 % au pénitencier de Stony Mountain. La situation est encore pire dans certains établissements provinciaux. Par exemple, en 2005, les Autochtones en Saskatchewan représentaient 14,9 % de la population totale, mais 81 % des délinquants admis dans un établissement provincial et 76 % des jeunes placés sous garde. Selon les données à l'époque, le taux national d'incarcération chez les Autochtones d'âge adulte, aux échelons fédéral et provincial, s'élevait à 910 par 100 000 habitants, comparativement à 109 par 100 000 pour les Canadiens non autochtones [11] .

19.  La population autochtone est beaucoup plus jeune que le reste de la population canadienne et croît à un rythme beaucoup plus rapide que cette dernière [12] . Par conséquent, proportionnellement parlant, plus d'Autochtones ont atteint ou sont sur le point d'atteindre un âge (de 18 à 25 ans, sexes confondus) où ils sont plus susceptibles d'avoir des démêlés avec la justice. On s'attend à ce que l'explosion des naissances actuelle chez les Autochtones entraîne une augmentation du nombre de délinquants autochtones dans les années à venir. Par exemple, selon les prévisions de la population établies par Statistique Canada pour la Saskatchewan, d'ici 2017, le pourcentage de jeunes adultes autochtones devrait doubler, passant de 17 % en 2001 pour atteindre 30 % en 2017 [13] . L'accroissement des jeunes Autochtones est déjà un facteur déterminant et indépendant de l'augmentation des taux d'incarcération provinciaux et fédéraux.

20.  Il est généralement admis qu'avant les années 1960, les peuples autochtones étaient en fait sous‑représentés dans les pénitenciers fédéraux. La situation a changé dans les années qui ont suivi, et le problème a finalement été reconnu par le gouvernement fédéral dans un rapport publié en 1975 par le Secrétariat du Conseil du Trésor [14] , dans lequel on notait que, proportionnellement, il y avait 8 % plus de détenus autochtones dans les pénitenciers fédéraux que d'Autochtones au Canada [15] .

21.  En février 1975, il y a eu une conférence nationale sur les peuples autochtones et le système de justice pénale ainsi qu'une réunion des ministres fédéraux et provinciaux à Edmonton, en Alberta. Il est ressorti clairement de ces deux rencontres que les délinquants autochtones étaient maintenus en incarcération sans bonne raison dans les établissements à sécurité maximale, qu'il était pratiquement impossible pour eux d'obtenir un transfèrement vers un établissement de niveau de sécurité inférieur et que les collectivités et les organisations autochtones devaient participer davantage au processus correctionnel [16] . Durant leur réunion, les ministres provinciaux et fédéraux ont donc convenu de façon générale que les collectivités autochtones devraient se charger davantage de la prestation de services de justice pénale à leur peuple [17] .

22.  Après la conférence d'Edmonton, plusieurs groupes de travail fédéraux et provinciaux ont réitéré que les Autochtones devaient participer davantage au processus correctionnel et exercer plus de responsabilité et de contrôle à cet égard. En 1988, le Groupe d'étude sur les Autochtones au sein du régime correctionnel fédéral [18] a recommandé au gouvernement d'adopter la proposition faite dans le cadre de la Révision du droit correctionnel de créer des mesures spéciales dans la loi pour permettre aux peuples autochtones d'assumer un contrôle accru à l'égard des services correctionnels.

23.  En 1991, la Commission d'enquête sur l'administration de la justice et les Autochtones au Manitoba a été jusqu'à dire que les principes et les procédures du système de justice pénale canadien n'étaient pas compatibles avec les coutumes et les lois autochtones [19] . Elle a recommandé que les collectivités autochtones soient habilitées à établir un système de justice distinct sous contrôle autochtone [20] . La même année, la Commission de réforme du droit du Canada a déclaré que le système de justice ne devrait pas être uniforme, mais un système que les peuples autochtones adaptent à leurs besoins particuliers et qu'il devrait y avoir des établissements correctionnels locaux contrôlés par la communauté [21] .

24.  Sans aucun doute, la Commission royale sur les peuples autochtones a entrepris l'examen le plus important de la relation entre le Canada et les peuples autochtones. Dans son rapport d'étape de 1995, intitulé Par‑delà les divisions culturelles , la Commission a conclu que « le système de justice a été un fiasco avec les Autochtones », le principal indicateur de cet échec étant la surreprésentation sans cesse croissante de ce groupe dans les pénitenciers et les prisons au Canada [22] . La Commission a reconnu l'importance des programmes culturels et spirituels autochtones et a affirmé que la LSCMLC visait à assurer l'égalité des Autochtones au sein des établissements fédéraux. Elle a également reconnu « le besoin de programmes communautaires pour les Autochtones dirigés par les collectivités qui reposent sur le travail accompli à l'intérieur des prisons ».

25. Divers groupes de travail et diverses commissions mentionnent le défaut d'adapter les services correctionnels en fonction des besoins d'une population de délinquants autochtones à la hausse. Des mesures correctrices ont été prises dans d'autres secteurs du système de justice pénale, comme l'amélioration des services de police par les Premières nations ainsi que l'expansion des cours de circuit et des tribunaux autochtones dans les régions urbaines et les collectivités des Premières nations. Cependant, la majorité estime que le système de justice est un échec pour les Autochtones. Ce point de vue est directement rattaché à la surreprésentation chronique et croissante des Autochtones dans les établissements correctionnels provinciaux, territoriaux et fédéraux. Étant donné que la surreprésentation des Autochtones n'a cessé d'augmenter au cours des dernières décennies, les dirigeants politiques autochtones et les médias continuent généralement de parler de l'échec de l'ensemble du système de justice en invoquant ce facteur.

26.  La LSCMLC , en particulier les articles 81 et 84, constitue un pas important pris par le gouvernement fédéral pour accroître la participation des collectivités autochtones au processus correctionnel et potentiellement réduire, au fil du temps, la surreprésentation des Autochtones au sein du système correctionnel fédéral. Au cours des dernières décennies, un grand nombre d'études ont été réalisées au sujet de la participation des Autochtones au processus correctionnel. Elles indiquaient toutes que les services correctionnels ne peuvent pas régler à eux seuls les problèmes menant à l'incarcération des Autochtones dans des établissements fédéraux. Souvent, les facteurs à l'origine des infractions commises par les délinquants autochtones sont liés, entre autres, à la toxicomanie, à la violence et aux traumatismes intergénérationnels, aux pensionnats, aux faibles niveaux d'instruction, au chômage, aux faibles revenus, ainsi qu'aux conditions de logement et aux soins de santé inférieurs aux normes.

27.  En général, au sein du système correctionnel, les délinquants autochtones sont plus jeunes; sont plus susceptibles d'avoir déjà purgé une peine applicable aux adolescents ou aux adultes; sont incarcérés plus souvent pour une infraction avec violence; présentent un risque plus élevé; ont des besoins plus grands; sont plus enclins à être affiliés à un gang; ont davantage de problèmes de santé, notamment les troubles causés par l'alcoolisation fœtale (TCAF), des troubles de santé mentale et des problèmes de toxicomanie [23] .

28.  Même s'il n'a aucun contrôle sur le nombre de délinquants qui sont admis au sein du système fédéral, le SCC peut aider à réduire le nombre de délinquants qui sont réincarcérés après leur mise en liberté. Accroître pour les délinquants autochtones les occasions de participer à des activités culturelles et spirituelles autochtones, en particulier dans un contexte autochtone, est reconnu comme un bon moyen de contribuer à la réussite de la réinsertion sociale des délinquants autochtones.

RECOURS AUX ACCORDS PRÉVUS À L'ARTICLE 81 – ANALYSE

29.  L'article 81 ne précise pas comment les collectivités autochtones doivent gérer les délinquants dont ils ont la garde et le soin. Deux approches distinctes ont vu le jour au fil du temps. La première, et la plus courante, consiste à financer des pavillons de ressourcement ou des centres de guérison autochtones. Ces installations accueillent des délinquants transférés des établissements du SCC et leur offrent des programmes culturels, spirituels et correctionnels autochtones. La seconde consiste à conclure des ententes de financement avec des collectivités autochtones qui acceptent d'accueillir des délinquants, d'en assurer la garde et de leur offrir des programmes sans mettre en place un centre de guérison officiel.

30.  Depuis l'entrée en vigueur de la LSCMLC il y a 20 ans, le SCC a conclu quatre accords de financement avec des collectivités et des organisations autochtones en vue de l'établissement et du fonctionnement de pavillons de ressourcement. Ces installations peuvent accueillir jusqu'à 68 délinquants. (Même si certains documents du SCC mentionnent que 111 places sont disponibles en vertu d'accords visés à l'article 81, il y en a en réalité seulement 68, car sur les 73 places au Centre de guérison Stan Daniel, seulement 30 sont réservées aux fins d'un tel accord.) [24] 

Nombre de places offertes dances les pavillons de ressourcement
INSTALLATION DATE D'OUVERTURE RÉGION CAPACITÉ 
Pavillon de ressourcement spirituel du Grand conseil de Prince Albert (GCPA)1995Prairies – Saskatchewan5
Prairies – Saskatchewan1999Prairies – Alberta30
Pavillon de ressourcement 
O-Chi-Chak-Ko-Sipi
1999Prairies – Manitoba18
Centre de guérison Waseskun2001Québec15
TOTAL   68 

Source : Entrepôt de données du SCC 

31.  En septembre 2011, le SCC a augmenté le nombre de places offertes dans les pavillons de ressourcement établis en application de l'article 81 en ajoutant 16 places pour les délinquantes autochtones au Centre de guérison Buffalo Sage à Edmonton, en Alberta. Il a également autorisé l'ajout de six places au pavillon de ressourcement O‑Chi‑Chak‑Ko‑Sipi. De plus, le Centre de guérison Waseskun tient des discussions avec le SCC afin d'établir un centre de guérison pour délinquantes autochtones, y compris six places pour des détenues transférées en vertu de l'article 81 et deux places pour des délinquantes mises en liberté en application de l'article 84. Le Centre de guérison Waseskun souhaite également accroître sa capacité d'accueillir des délinquants en vertu de l'article 81 en effectuant des travaux de construction qui permettront de créer cinq nouvelles places. Il est important de noter que ces places additionnelles ne sont pas le fruit de négociations avec de nouvelles collectivités autochtones, mais s'inscrivent dans le cadre d'accords existants.

32.  Les accords conclus en vertu de l'article 81 n'ont pas tous mené à la mise en place de pavillons de ressourcement. La Première nation d'Alexis en Alberta et celle de George Gordon en Saskatchewan ont conclu au titre de l'article 81 des accords relatifs à la garde de délinquants dans la collectivité dans le but d'assumer la responsabilité de délinquants. Conformément à ces deux accords, les délinquants doivent être hébergés dans la collectivité et confinés à la réserve à moins d'obtenir une permission de sortir avec escorte, un placement à l'extérieur ou une permission de sortir sans escorte. Le délinquant doit être sous la surveillance d'une ou de plusieurs personnes autorisées par le SCC et la Première nation. Dans le cadre du plan de garde, le délinquant doit être clairement informé des limites touchant ses déplacements dans la réserve et des heures auxquelles il doit se trouver dans son lieu de résidence.

33.  De plus, ces accords exigent l'établissement d'un horaire, qui permet au délinquant et aux membres visés de la collectivité de savoir où le délinquant se trouve et qui prévoit une période précise durant laquelle la présence du délinquant est contrôlée. Il faut aussi tenir un registre des déplacements durant la journée. Chaque Première nation doit présenter un budget afin d'aider le SCC à calculer un tarif quotidien en application de l'entente. La Première nation d'Alexis a conclu une entente en vertu de l'article 81 en avril 1999 en vue du transfèrement d'au plus cinq détenus. La Première nation de George Gordon a conclu une entente en juin 2002. Selon les dossiers, à l'exception d'un seul délinquant confié à la Première nation de George Gordon, aucun transfert n'a eu lieu. Depuis la signature de l'entente avec la Première nation de George Gordon il y a dix ans, le SCC n'a pas scellé au titre de l'article 81 d'autres accords sur la garde des délinquants qui ne prévoit pas la mise en place d'installations.

34.  Le fait que seulement quatre ententes ont été signées en vue de la mise en place de pavillons de ressourcement depuis l'entrée en vigueur de la LSCMLC il y a vingt ans montre qu'il n'y a pas eu de progrès en vue de faire participer les collectivités autochtones aux services correctionnels fédéraux comme l'avait voulu le Parlement.

POURQUOI LES PROGRÈS ONT-ILS CESSÉS?

Les collectivités étaient intéressées 

35.  Depuis l'adoption de la LSCMLC , plusieurs collectivités et organisations autochtones se sont montrées intéressées à participer aux services correctionnels fédéraux grâce à un accord en vertu de l'article 81. En 2001, le SCC a indiqué que deux nouveaux accords étaient à l'étape de la rédaction finale, que trois étaient en cours de négociation et qu'il était question de 17 autres [25] . En 2002, deux nouvelles ententes étaient à l'étude et quatre autres étaient en cours de négociation, ce qui aurait permis de créer jusqu'à 39 nouvelles places [26] .

Changement de l'orientation stratégique 

36.  En 2000, le SCC a demandé des fonds supplémentaires pour construire et exploiter de nouveaux pavillons de ressourcement conformément à l'article 81. Il a reçu 11,9 millions de dollars sur cinq ans dans le cadre de l'initiative Approche correctionnelle judicieuse et participation des citoyens de Sécurité publique Canada [27] . Un des grands buts de cette initiative était de réduire la surreprésentation des délinquants autochtones dans les établissements fédéraux en amélioration la participation et la collaboration des collectivités autochtones. Or, selon l'enquête, le Centre de guérison Waseskun est le seul nouvel établissement autonome mis en place en vertu de l'article 81 à l'aide des fonds versés dans le cadre de cette initiative.

37.  Malgré le fait que des collectivités autochtones étaient intéressées à tenir des négociations en vue de la conclusion d'accords au titre de l'article 81, le SCC indique, dans son évaluation « finale », terminée en juin 2004, du premier versement de fonds accordés dans le cadre de l'Approche correctionnelle judicieuse, que dès 2001-2002 les fonds réservés à la mise en place de pavillons de ressourcement avaient été réaffectés à des projets en établissement visant à établir des rangées réservées aux Sentiers autochtones [28] . Or, selon des documents de 2002 décrivant comment le SCC entendait utiliser les fonds accordés en vertu de l'Approche [29] , les sommes ne devaient pas servir à couvrir des coûts en établissement [30] . C'est pourtant ce qui s'est apparemment produit. Le SCC s'est servi de cet argent pour mener un projet pilote, puis accroître le nombre d'unités des Sentiers autochtones dans les établissements à sécurité moyenne, augmenter le nombre d'agents de développement auprès de la collectivité autochtone, appuyer un Groupe de travail national sur les affaires correctionnelles autochtones et mettre à l'essai une initiative de lutte contre les gangs autochtones à l'Établissement de Stony Mountain [31] . Autrement dit, selon l'enquête, les fonds octroyés dans le cadre de l'Approche correctionnelle judicieuse pour faciliter la réintégration dans les collectivités autochtones ont servi à mettre en place de nouvelles interventions en milieu pénitentiaire pour les détenus autochtones.

38.  Pour expliquer le changement de l'orientation stratégique en faveur des priorités en établissement, le SCC précise, dans le Plan stratégique pour les services correctionnels pour Autochtones 2206-2011, qu'il n'y avait pas assez « de programmes axés sur les Autochtones dans les établissements pour aider les délinquants à se préparer à l'environnement du pavillon de ressourcement » [32] . Par conséquent, le SCC a « reciblé » ses efforts afin de renforcer et d'accroître les interventions en établissement s'adressant aux détenus autochtones. En fait, durant cette période d'apprentissage et de reciblage (2000-2005), le SCC avait pour point de vue et expérience que les détenus autochtones n'étaient pas adéquatement préparés en vue d'une mise en liberté en vertu d'accords communautaires offrant des solutions de rechange et que les pavillons de ressourcement n'avaient pas la capacité de gestion et reddition ou l'expertise pour appuyer ceux-ci de manière adéquate et sécuritaire [33] . En réponse à un rapport de recherche paru en 2002 [34] , le SCC a adopté un Plan d'action pour les pavillons de ressourcement dans le but : i) d'améliorer les activités internes des pavillons de ressourcement; ii) de mieux faire connaître les programmes et les services offerts par le SCC dans les pavillons de ressourcement; iii) d'améliorer le processus de sélection et de transfèrement des délinquants; iv) de resserrer la relation entre le SCC et le personnel des pavillons de ressourcement [35] .

39.  Malgré certaines améliorations, les documents montrent que le SCC a choisi de ne pas donner suite à son engagement à conclure de nouveaux accords et à mettre en place de nouveaux établissements en vertu de l'article 81 au moment même où il a reçu du gouvernement des fonds à cette fin précise. Au début de l'an 2000, des documents indiquaient que le SCC tenait activement des négociations avec plusieurs collectivités et groupes autochtones en vue d'accroître le nombre d'accords visés à l'article 81.

40.  En 2005-2006, le financement accordé dans le cadre de l'Approche correctionnelle judicieuse a été reconduit pendant cinq années à un niveau de 8 millions de dollars par année, dont 4,8 millions de dollars pour le Service correctionnel du Canada. Le SCC a utilisé une grande partie de ces fonds, soit 3,7 millions de dollars par année, pour accroître le nombre d'unités de guérison des Sentiers autochtones dans ses cinq régions [36] . Aucun nouvel accord en vertu de l'article 81 ni installation communautaire visant à faciliter la réinsertion sociale des délinquants autochtones n'a été mis en place depuis 2001. (Le Centre de guérison Buffalo Sage pour femmes, qui a ouvert ses portes en septembre 2011, s'inscrit dans le cadre d'une entente existante avec les Native Counselling Services of Alberta.)

41.  De 2001-2002 à 2010-2011, la population de détenus et de détenues autochtones a augmenté de 35 % (de 2 129 à 2 875) et de 86 % (de 98 à 182), respectivement [37] . Selon le Rapport sur les plans et priorités du SCC pour 2012-2013, le Service entend porter à 25 le nombre d'établissements, dans les cinq régions, ayant des unités des Sentiers [38] autochtones. Il ne semble toutefois pas s'engager parallèlement à accroître le financement d'initiatives axées sur la réinsertion dans les collectivités autochtones.

OBSTACLES À LA MISE EN PLACE ET AU MAINTIEN D'ENTENTES EN VERTU DE L'ARTICLE 81

Absence de politiques et de normes 

42.  Comme l'indique un rapport commandé par le BEC, selon une vérification des pavillons de ressourcement réalisée par le SCC , 16 ans après l'adoption de la LSCMLC , le SCC ne dispose toujours pas de cadre politique pour soutenir la mise en place de pavillons de ressourcement visés à l'article 81, et il n'existe pas de directives à ce sujet dans les politiques ou les procédures du SCC [39] . De plus, le SCC n'a toujours pas défini clairement les critères à appliquer pour évaluer les demandes en vue de la conclusion d'accords visés à l'article 81. Les régions du SCC ne sont pas tenues de rendre compte des accords à l'administration centrale, et le SCC n'a pas établi d'indicateurs de rendement pour assurer une surveillance efficace et la production de rapports [40] . De même, dans le cadre de la vérification de 2008 des pratiques en matière de gestion des accords pris en vertu l'article 81, le SCC a déterminé que « sauf dans le cas de la surveillance des résidents des pavillons de ressourcement, le rôle et les responsabilités des membres du personnel du SCC qui s'occupaient des délinquants avant leur placement dans un pavillon de ressourcement visé à l'article 81 ne sont pas bien définis, compris et suivis » [41] . Le SCC a finalement établi des lignes directrices nationales sur la négociation, la mise en œuvre et la gestion des processus prévus aux articles 81 et 84 en juillet 2010 [42] , en réponse aux conclusions de la vérification de 2008, soit 18 ans après l'entrée en vigueur de la LSCMLC

43.  Les installations mises en place en vertu de l'article 81 ne sont pas tenues de respecter toutes les politiques du SCC , seulement celles visant à faciliter les processus d'admission, de transfèrement et de demande. Toutefois, elles doivent offrir des programmes « acceptables » et des services « appropriés », ainsi que respecter des normes comparables à celles du SCC . En fait, jusqu'à récemment, il y avait peu d'uniformité entre les accords conclus en vertu de l'article 81, ce qui traduisait le degré relatif d'autonomie et de contrôle administratif qui était négocié au départ entre le SCC et les fournisseurs de services des collectivités autochtones. Par conséquent, chaque pavillon de ressourcement exploité par un groupe autochtone adoptait sa propre approche en matière de guérison, de réadaptation et de réinsertion sociale, en fonction des valeurs, des pratiques, des traditions et des croyances de la collectivité. Or, les différences réelles et perçues entre les pavillons du SCC et ceux des groupes autochtones peuvent causer un manque de confiance et des problèmes de communications. Ces « messages mixtes » ont souvent trait aux différences touchant le caractère « comparable » du financement, des objectifs, du contenu des programmes et de l'efficacité des interventions des établissements visés à l'article 81. La capacité de ces établissements de gérer efficacement et en toute sécurité les délinquants tout en répondant aux normes de prestation de services et aux attentes en matière de supervision du SCC sont depuis longtemps une autre source de friction [43] . Le fait que l'on s'attend à ce que ces établissements offrent des services et obtiennent des résultats comparables à ceux du SCC à un tarif quotidien nettement moindre est sans conteste la principale pomme de discorde.

Critères d'admissibilité à un transfèrement 

44.  Les pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81 peuvent seulement accueillir des délinquants à sécurité minimale ou, dans de rares cas, des délinquants à sécurité moyenne présentant un faible risque pour la sécurité publique [44] . C'est là un des facteurs qui les empêchent d'être utilisés au maximum (ou d'établir de nouveaux pavillons). Or cette exigence ne traduit pas l'intention du Parlement ou la vision originale du SCC . Il s'agit plutôt d'une politique interne du SCC qui a évolué au fil du temps pour réduire les risques. Cette politique cause un certain nombre de problèmes, sans compter que seulement 11,3 % ont été placés dans des établissements à sécurité minimale, bien que 22,2 % des délinquants autochtones aient été classés au niveau de sécurité minimale selon l'Échelle de classement par niveau de sécurité en 2010-2011 [45] . Comparativement aux délinquants non autochtones, un plus faible pourcentage de délinquants autochtones de sexe masculin sont classés au niveau de sécurité minimale [46] , et ce pourcentage a diminué avec le temps [47] .

Crit�res d'admissibilit� � un transf�rement
Région2006-2007 2009-2010 2010-2011 
Nombre de détenus Sécurité minimale Nombre de détenus Sécurité minimale Nombre de détenus Sécurité minimale 
Atlantique1333022,5 %1141412,3 %1161613,8 %
Québec3007123,6 %285258,8 %331216,3 %
Ontario4386815,5 %418225,3 %438276,2 %
Prairies1 90852027,2 %1 45315410,6 %1 60620512,8 %
Pacifique61615024,3 %4666313,5 %4856814,0 %
Total 3,395 839 24,7 % 2,736 278 10,2 % 2,976 337 11,3 % 

Source : Entrepôt de données du SCC
Nota : Détenus de sexe masculin dont le classement selon le niveau de sécurité est valide.

45.   D'après les données, en raison de ce critère de la politique du SCC , environ 90 % des délinquants autochtones sous responsabilité fédérale ne peuvent pas être transférés dans un pavillon de ressourcement. En 2010-2011, il y avait 337 détenus autochtones de sexe masculin dans des établissements à sécurité minimale, ce qui représente environ 11 % des hommes autochtones dans les établissements fédéraux.

46.   Fait important : les pavillons de ressourcement visés à l'article 81 pourraient fonctionner à pleine capacité s'ils accueillaient seulement des détenus à sécurité minimale. En 2009-2010 et 2010-2011, ces pavillons ont hébergé moins de 25 % des détenus autochtones de sexe masculin à sécurité minimale [48] .

Aper�u de fin d�exercice du nombre moyen de d�tenus physiquement pr�sents durant les d�nombrements du 31 mars 2010 et du 31 mars 2011
Region 2009-2010 2010-2011 
Détenus à sécurité minimale Places dans les pav. de ress. (art. 81) Détenus à sécurité minimale Places dans les pav. de ress. (art. 81) 
Atlantique1400 %1600 %
Québec251560 %211571 %
Ontario2200 %2700 %
Prairies1545334 %2055326 %
Pacifique6300 %6800 %
Total 278 68 24 % 337 68 20 % 

Source : Entrepôt de données du SCC . Aperçu de fin d'exercice du nombre moyen de détenus physiquement présents durant les dénombrements du 31 mars 2010 et du 31 mars 2011.

47. Aucun pavillon de ressourcement visé à l'article 81 ne se trouve à l'extérieur des régions des Prairies et du Québec, même s'il y existe clairement un besoin et une capacité à cet égard dans les régions du Pacifique, de l'Ontario et de l'Atlantique, de même que dans le Nord. En l'absence de tels établissements dans ces régions, soit que les délinquants autochtones n'ont pas la possibilité de profiter d'un milieu communautaire propice à la guérison, soit qu'ils doivent être transférés loin de leurs familles et de leur collectivité. (Il n'est pas possible de faire une comparaison semblable pour les délinquantes autochtones, puisqu'il n'y avait pas de place pour elles dans des pavillons établis en vertu de l'article 81 avant 2012.)

48.  En 2011, 1 009 délinquants ont été informés des possibilités offertes au titre de l'article 81, et 593 ont exprimé le souhait d'être transférés [49] . Compte tenu de ces données, il n'est pas clair pourquoi les pavillons ne sont pas remplis à capacité. Le tableau ci-après montre le nombre moyen de délinquants physiquement présents pour les exercices 2009-2010 et 2010-2011 [50] .

Aper�u de fin d'exercice du nombre moyen de d�tenus physiquement pr�sents durant les d�nombrements du 31 mars 2010 et du 31 mars 2011.
Pavillon de ressourcement 2009-2010 2010-2011  
Capacité Nombre Nombre 
Pavillon de ressourcement spirituel du GCPA5480 %480 %
Pavillon de ressourcement 
O Chi-Chak-Ko-Sipi
181372 %1372 %
Centre de guérison Stan Daniels301343 %2273 %
Centre de guérison Waseskun151386 %1066 %
Total/pourcentage moyen 68 43 63 % 49 72 % 

Source : Entrepôt de données du SCC . Aperçu de fin d'exercice du nombre moyen de détenus physiquement présents durant les dénombrements du 31 mars 2010 et du 31 mars 2011.

Financement et permanence des pavillons de ressourcement visés à l'article 81 

49.  Sans aucun doute, les deux principaux facteurs qui nuisent à l'établissement de nouveaux pavillons de ressourcement en vertu de l'article 81 sont le manque de financement et de permanence, facteurs qui sont interreliés. Alors que les pénitenciers fédéraux et les pavillons de ressourcement du SCC sont des établissements permanents et traités en conséquence, les pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81 reposent sur des accords de contribution de cinq ans et ne jouissent donc d'aucune stabilité. De plus, le fait de conclure un accord en application de l'article 81 ne procure pas nécessairement aux collectivités et aux organisations autochtones un avantage économique. Au contraire, ces accords peuvent causer un grave inconvénient, en particulier si le taux d'occupation est plus faible que ce que l'on avait prévu. Rien ne garantit que les accords seront renouvelés, et les pavillons sont touchés en cas de changements aux priorités du SCC et de compressions. Dans le cas d'au moins un pavillon, l'accord a été renouvelé par périodes de six mois durant les négociations en vue d'un nouvel accord sur cinq ans [51] .

50.  Il y a un écart important entre le financement accordé pour les pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81 et ceux gérés par le SCC . En 2009-2010, un montant de 21 555 037 $ avait été affecté aux quatre pavillons du SCC . Pour la même période, le financement accordé aux pavillons visés par l'article 81 s'élevait à seulement 4 819 479 $ [52] . Il est à noter que ce montant comprenait les dépenses liées aux activités des administrations régionales du SCC et que les ces pavillons reçoivent un montant pour les résidants en liberté sous condition. Le coût par délinquant dans les pavillons du SCC est d'environ 113 450 $, mais s'élève à seulement de 70 845 $ dans les établissements gérés par des groupes ou collectivités autochtones, ce qui représente environ 62 % des coûts du SCC .

51.  En raison du sous-financement chronique, ces pavillons ne peuvent pas offrir des salaires comparables à ceux que reçoivent les employés du SCC . Par exemple, en 2011, au Centre de guérison Stan Daniels, des employés ont été mis à pied en raison du manque de financement, et les employés restants ont reçu une augmentation de 1 % liée au coût de la vie. Le financement inégal et l'instabilité causent un roulement du personnel, des mises à pied, des départs, des arrivées, etc. Selon un rapport d'évaluation sur ce centre publié en 2005, bien que l'établissement réussisse à obtenir des résultats correctionnels semblables à un moindre coût, il faudrait changer la formule de financement pour tenir compte des coûts de supervision plus élevés qui sont associés à la satisfaction des besoins d'un nombre accru de délinquants libérés d'office [53] .

52. En général, les délinquants autochtones sont évalués comme ayant des besoins plus élevés ou présentant un risque plus élevé en raison de leurs antécédents criminels, notamment de leurs longs démêlés avec le système de justice pénale, ainsi que de facteurs liés à l'emploi, à la famille, à la toxicomanie, à la santé mentale et à la réinsertion sociale. Les coûts de l'hébergement et de la supervision dans la collectivité des groupes et des personnes ayant des besoins spéciaux augmentent. Les formules de financement des pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81 devraient tenir compte des réalités opérationnelles associées à un profil des besoins de plus en complexe et à une charge de travail de plus en plus lourde.

53.  Conformément aux accords relatifs aux pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81, les employés de ces établissements doivent posséder un large éventail de compétences, que ce soit en matière de surveillance des délinquants, de connaissance des procédures et des protocoles du SCC ou de production de rapports financiers. Ces exigences représentent un fardeau pour la plupart des collectivités et des organisations autochtones qui n'ont jamais collaboré avec le SCC ou ne connaissent pas les procédures du Service. La préparation des rapports financiers détaillés requis pour tous les accords de contribution avec le gouvernement fédéral prend aussi beaucoup de temps et comporte beaucoup de détails. De plus, les responsables de pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81 ont indiqué que le fardeau de production de rapports que leur impose le SCC entraîne chez le personnel un roulement élevé et des cas d'épuisement professionnel. Le personnel de ces établissements s'est plaint de ne pas pouvoir participer aux séances de formation offertes par le SCC , formation qui est toutefois sans cesse nécessaire en raison du taux de roulement élevé. Dans certains cas, les pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81 servent à former des Autochtones, qui vont ensuite travailler pour le SCC .

54.  Le départ des employés en faveur du SCC n'a rien de surprenant. Le SCC peut offrir de nombreux avantages qui sont hors de portée des pavillons établis en vertu de l'article 81. Dans les établissements du SCC , les employés peuvent gagner de 25 000 $ à 30 000 $ de plus. Ceux qui décident de travailler pour le SCC bénéficient d'un milieu de travail stable et sont protégés par un syndicat. Selon les Native Counselling Services of Alberta, les pavillons établis en vertu de l'article 81 dépensent environ 34 000 $ pour former un employé selon les normes du SCC , mais ils ne reçoivent aucun dédommagement pour cette formation.

55.  Étant donné que les accords visés à l'article 81 sont valides pour une période de cinq ans, les pavillons de ressourcement ont très peu de marge de manœuvre, voire aucune, pour faire face aux demandes imprévues. Ils ne peuvent pas rapidement améliorer leurs infrastructures pour faire face à une situation d'urgence ou pour répondre à des exigences en matière de sécurité du SCC sans demander des fonds supplémentaires du SCC ou modifier leur budget en réduisant le personnel ou les services. Les changements à la couverture offerte par les compagnies d'assurance sont l'une des principales contraintes touchant le fonctionnement des pavillons de ressourcement. Ces entreprises, qui hésitent à prendre des risques élevés, obligent les pavillons de ressourcement à respecter toutes les normes et procédures fédérales au risque de subir une augmentation importante des coûts de l'assurance-responsabilité. Par exemple, pour maintenir une assurance, un centre a fait face à une hausse des coûts de 28 000 $ cette année, sans augmentation du financement reçu du SCC . Le centre en question a non seulement été obligé d'absorber les coûts d'assurance, mais a également été forcé par la compagnie d'assurance de respecter les procédures du SCC en matière de sécurité lesquelles, selon lui, allaient à l'encontre d'une approche autochtone en matière de guérison.

56.  La présente section fait ressortir les faiblesses, les différences et les obstacles liés à l'approche du SCC en ce qui concerne les pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81. Pour ces établissements, l'inéquité salariale, le sous-financement chronique et le manque de permanence soulèvent des questions d'équité et contribuent à créer des conditions qui désavantagent systématiquement les délinquants autochtones.

OBSTACLES DANS LES COLLECTIVITÉS AUTOCHTONES

57.  L'acceptation de la collectivité est un autre facteur qui, on le sait, nuit à l'augmentation du nombre de pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81. Tout comme bien des collectivités non autochtones, un grand nombre de collectivités autochtones ne sont pas prêtes à accueillir des délinquants mis en liberté ou à prendre en charge la gestion des délinquants. Cette réaction est peut-être attribuable au manque de personnel, de programmes et de services offerts dans la collectivité pour répondre aux besoins des délinquants, ou encore à la peur de devenir victime de ces délinquants. Il ne faut pas oublier non plus les élections dans les Premières nations et d'autres variables, car un changement à la tête peut souvent entraîner de nouvelles priorités ou mettre fin aux négociations avec le SCC .

58. Tous les pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81, à l'exception du Centre de guérison Stan Daniels, sont situés dans des collectivités rurales ou éloignées. Puisqu'ils sont relativement isolés, il est difficile pour eux d'accepter des délinquants souffrant de problèmes médicaux ou de troubles de santé mentale, lesquels ont besoin de transport ou de personnel spécialisé pour répondre à leurs besoins de santé. Enfin, un fort pourcentage de délinquants ne peuvent pas être transférés dans un pavillon de ressourcement parce qu'ils appartiennent encore à un gang ou, dans certains cas, parce qu'ils sont des délinquants sexuels.

PAVILLONS DE RESSOURCEMENT DU SCC 

59.  En plus des quatre pavillons établis en vertu de l'article 81, le SCC a ouvert quatre pavillons de ressourcement qu'il gère comme des établissements à sécurité minimale (à l'exception de celui pour femmes, qui accueille aussi des détenues à sécurité moyenne).

Quatre pavillons de ressourcement qu'il g�re comme des �tablissements � s�curit� minimale
ÈTABLISSEMENT DATE D'OUVERTURE RÈGION CAPACITÈ 
Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci1995Prairies – Saskatchewan44
Centre Pê Sâkâstêw1997Prairies – Alberta60
Village de guérison Kwìkwèxwelhp2001Pacifique – Colombie Britannique50
Pavillon de ressourcement Willow Cree2003Prairies – Saskatchewan40
Total   194 

60.  Les pavillons du SCC peuvent accueillir jusqu'à 194 détenus sous responsabilité fédérale, dont 44 détenues autochtones. Le gouvernement a récemment autorisé l'ajout de 44 places pour détenus de sexe masculin au Pavillon de ressourcement Willow Cree, ce qui portera la capacité des établissements du SCC à 230 places.

61.  Bien que les pavillons de ressourcement du SCC ne soient pas visés par la présente enquête, il faut en parler pour deux raisons. D'abord, certains membres du personnel des pavillons établis en vertu de l'article 81 et responsables du SCC ont l'impression que les pavillons du SCC font concurrence aux premiers pour recevoir des détenus à sécurité minimale. Le Centre Pê Sâkâstêw et le Pavillon de ressourcement Willow Cree sont situés tout près du Centre de guérison Stan Daniels et du Pavillon de ressourcement spirituel du GCPA, respectivement. Les établissements du SCC ont en moyenne une capacité d'accueil qui est de 13 % à 17 % plus élevée que celle des pavillons établis en vertu de l'article 81 [54] .

Pavillon de ressourcement du SCC
Pavillon de ressourcement du SCC 2009-2010 2010-2011  
Capacité Nombre Nombre 
Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci443682 %4091 %
Pavillon de ressourcement Willow Cree403895 %3997 %
Centre Pê Sâkâstêw604677 %5287 %
Village de guérison Kwìkwèxwelhp503264 %3162 %
Total/pourcentage moyen 194 152 80 % 162 85 % 

Source : Entrepôt de données du SCC .

62.  Par ailleurs, en exploitant ses propres pavillons de ressourcement, le SCC n'avait pas l'intention de faire concurrence aux établissements créés en vertu de l'article 81. Pour lui, il s'agissait d'une étape intermédiaire, en attendant que la gestion de ces pavillons soit confiée à des collectivités dans le cadre d'accords visés à l'article 81. Dans cet esprit, il a amorcé des négociations avec la Première nation de Nekaneet en vue de lui confier la responsabilité du Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci, et avec la Première nation de Samson, dans le cas du Centre Pê Sâkâstêw. Or, ces négociations n'ont jamais été plus loin que les premières étapes, et ce pour trois raisons :

  1. Les collectivités des Premières nations où se trouvent des pavillons du SCC profitent des avantages de la présence d'un établissement sans avoir à en assumer la pleine responsabilité.
  2. Les pavillons de ressourcement du SCC offrent des emplois stables aux membres des bandes, ce qui ne serait pas le cas si un accord était conclu en vertu de l'article 81.
  3. Le financement offert pour les pavillons établis en vertu de l'article 81 est nettement inférieur que celui prévu pour les établissements du SCC .

63.  Comme l'ont indiqué certaines personnes ressources importantes, le SCC n'a pas mobilisé concrètement le chef et le conseil, ce qui a contribué à mettre fin aux négociations. L'absence de collaboration a eu pour effet à long terme de créer un sentiment de rancune et de méfiance entre les deux parties. D'ailleurs, le manque de consultation de la collectivité au sujet des pavillons de ressourcement du SCC a été soulevé dans l'évaluation par le SCC de ses pavillons [55] et dans le cadre de la présente enquête. Par exemple, les dirigeants de la Première nation de Nekaneet estiment que la vision originale du Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci n'a plus cours. La collectivité a décidé de se détacher jusqu'à ce que le SCC examine de nouveau cette vision et en reconnaisse le bien-fondé. De même, la Première nation crie de Samson a commencé à remettre en question la valeur du Centre Pê Sâkâstêw, car, dans ce cas aussi, le SCC s'est éloigné de la vision qu'avait la collectivité du pavillon de ressourcement, sans compter que le centre n'a pas offert le nombre d'emplois auxquels la collectivité s'attendait. De plus, lorsque le SCC embauche des membres de la collectivité, ces derniers occupent des postes de bas niveau, offrant moins de possibilités d'avancement. Pour cette raison, il a été question dans la collectivité de transformer le Centre Pê Sâkâstêw en centre de traitement de la toxicomanie.

64. En ce qui concerne le manque de consultation de la collectivité, le Village de guérison Kwìkwèxwelhp est l'exception. Cet établissement reçoit des directives d'un sénat communautaire, qui offre des conseils à un comité composé de représentants de la collectivité et du Village. De plus, le chef et un autre membre de la Première nation de Chehalis siègent au Comité consultatif des citoyens de l'établissement. Le Village entretient des liens étroits avec le centre culturel de Chehalis, et des Aînés locaux veillent à ce que les protocoles appropriés soient reconnus et appliqués dans l'établissement. Par conséquent, le personnel et les détenus sont invités à presque toutes les cérémonies tenues dans la collectivité, et les membres de la collectivité sont invités à participer à celles qui ont lieu dans l'établissement. La Première nation a embauché un agent d'engagement communautaire qui travaille avec le personnel du Village de guérison Kwìkwèxwelhp.

RECOURS AUX MISES EN LIBERTÉ EN VERTU DE L'ARTICLE 84 – ANALYSE

65.  L'article 84 est représentatif de l'intention du Parlement de transférer aux peuples autochtones certaines responsabilités en matière de services correctionnels fédéraux. Cette disposition est très différente de l'article 81, car elle est impérative. Pour y donner suite, la Directive du commissaire 702 a été récrite en 2008 afin de préciser que le sous‑commissaire régional doit veiller à ce que les collectivités autochtones participent au processus de réinsertion sociale des délinquants autochtones consentants qui y sont mis en liberté conformément à l'article 84 de la LSCMLC . [56] .

66.  Il est difficile de déterminer le nombre de fois où le processus de planification de la mise en liberté prévu à l'article 84 a été appliqué avec succès. Ce n'est qu'en 2008 que le SCC a créé, dans le Système de gestion des délinquants, un écran permettant d'effectuer un suivi des délinquants mis en liberté en application de l'article 84, et le système n'est pas utilisé partout de la même façon, ce qui nuit à la capacité du SCC d'extraire des données exactes sur le recours à ce processus et son efficacité [57] .

67.  Le nombre de plans de mises en liberté en règle préparés et présentés à la Commission des libérations conditionnelles conformément à l'article 84 varie considérablement, passant d'un nombre record, soit 226, en 2005-2006, à 51 en 2006-07, à 60 en 2009-2010 et à 99 en 2010-2011. Le nombre relativement faible de plans n'est pas seulement attribuable à un manque d'intérêt chez les détenus autochtones, surtout si l'on tient compte du fait que 593 délinquants ont exprimé un intérêt pour les mécanismes de mise en liberté prévus à l'article 84 en 2010‑2011 [58] . Quelques raisons peuvent expliquer l'écart entre le nombre d'intéressés et le taux de participation. Par exemple, selon l'enquête, il y a seulement douze agents de développement auprès de la collectivité autochtone ( ADACA ) au Canada. Ces agents ont pour rôle de concilier les intérêts du détenu et de la collectivité avant la mise en liberté. Or, les ADACA ont une lourde charge de travail, et l'accent mis sur un dossier en particulier peut être une source de distraction. Adoptée en 2012, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés a étendu la portée de l'article 84 aux délinquants libérés d'office, ce qui pourrait contribuer à accroître le nombre de délinquants souhaitant envisager cette option.

68.   Une trousse de planification de la mise en liberté sous condition en vertu de l'article 84 a été préparée et largement distribuée à l'échelle du SCC et aux collectivités afin de fournir un guide détaillé sur cette option de mise en liberté [59] . Cette trousse décrit 25 tâches nécessaires à l'élaboration d'un plan de mise en liberté en vertu de l'article 84. Ces tâches touchent les détenus, les premiers intervenants en établissement, les agents de libération conditionnelle en établissement, les ACADA, les agents de libération conditionnelle ainsi que les collectivités et les organisations autochtones. Le processus est complexe et suppose un certain nombre de mesures qui doivent être coordonnées et menées dans des délais établis.

69. Plusieurs personnes interrogées estiment que les autorités correctionnelles ne comprennent pas bien l'article 84 et que le processus est beaucoup trop long, compliqué et frustrant. Des problèmes surviennent parfois dès le début du processus, lorsque le détenu doit écrire une lettre d'intérêt à la collectivité où il souhaite être mis en liberté. Cette étape soulève des questions relatives à la divulgation de renseignements personnels pour le détenu, informations qu'il ne veut peut-être pas communiquer à la collectivité où pourrait habiter la victime ou sa famille. Un changement des dirigeants locaux à la suite d'élections peut mettre fin au processus de planification de la mise en liberté; parfois, on ne sait pas qui dans la collectivité peut prendre les décisions.

70.   Le manque de ressources pose un autre problème. Les collectivités ne sont pas dédommagées pour la surveillance exercée afin de s'assurer que le délinquant respecte les conditions imposées en application de l'article 84. Le SCC prend toutefois des mesures pour rembourser les services lorsque le requiert le plan de mise en liberté. Le plan est censé prévoir les coûts des programmes et du transport, mais il n'y a aucune garantie que ces dépenses seront remboursées par le SCC . La décision d'assumer les coûts dépend de la mesure dans laquelle le cours ou le programme répond aux besoins du délinquant et de la disponibilité des fonds [60] . Bien des Autochtones et des collectivités des Premières nations jugent condescendant le fait que le SCC , et non la collectivité, décide de la validité des programmes à l'appui de la guérison et de la réinsertion sociale des délinquants autochtones mis en liberté.

71.   Des personnes interrogées avaient l'impression que certains responsables ne saisissaient pas l'esprit de l'article 84, croyant à tort que les délinquants pouvaient réintégrer une collectivité des Premières nations seulement s'ils acceptaient de suivre un chemin traditionnel de guérison. (Ce n'est pas le cas dans la région des Prairies, où les ADACA collaborent avec tous les groupes confessionnels pour s'assurer que les délinquants autochtones ont l'appui de leur confession religieuse pour continuer leur parcours spirituel.) L'idée que les mises en liberté en vertu de l'article 84 visent surtout les collectivités autochtones ne tient pas compte du fait que la plupart des délinquants autochtones seront mis en liberté dans des centres urbains. Le SCC doit chercher davantage à établir des relations avec les organisations autochtones en milieu urbain – comme il l'a fait avec le centre Circle of Eagles Lodge à Vancouver et les Friendship Centres en Saskatchewan – pour mieux faire comprendre et accepter les mises en liberté en vertu de l'article 84.

72.   Un point a été soulevé par un grand nombre, à savoir qu'il y a trop peu d' ADACA pour établir les relations nécessaires avec les collectivités autochtones locales et celles en milieu urbain, sans compter que ces agents peuvent avoir plus d'une centaine de clients à gérer. Un moyen de réduire les efforts requis pour faciliter les mises en liberté en vertu de l'article 84 consiste à faire appel à des organisations collectives autochtones qui agissent comme agents, représentant le SCC et le délinquant.

73.   Des progrès ont été réalisés sur ce point. Le Mi'kmaq Legal Support Network ( MLSN ) en Nouvelle-Écosse a travaillé en collaboration avec le SCC , la Commission des libérations conditionnelles du Canada et le ministère des Affaires autochtones pour mettre au point un modèle et un protocole visant à faciliter la mise en liberté et la guérison des délinquants provenant d'établissements correctionnels provinciaux et fédéraux. Le protocole est conçu pour accroître la capacité des collectivités Mi'kmaq de contribuer à la réinsertion sociale en toute sécurité des délinquants dans leur collectivité de manière cohérente, et ce en établissant des liens entre le délinquant et la collectivité, le MLSN et les gouvernements, permettant ainsi aux collectivités d'offrir des processus de guérison efficaces grâce à la mise en œuvre de nouveaux programmes et de nouvelles approches. Le protocole offre la possibilité d'accroître rapidement la capacité de la collectivité de déterminer la nature de leur rôle auprès des délinquants et des victimes de manière à mettre en place des stratégies conçues pour contribuer à la mise en liberté sans incident des délinquants [61] .

74.  Conformément à l'entente liée à ce protocole, le MLSN jouera un rôle actif à l'égard des mises en liberté en vertu de l'article 84. En partenariat avec le SCC , il prendra des mesures pour que le délinquant obtienne une permission de sortir lui permettant de participer à un cercle dans la collectivité pour discuter de la responsabilisation et de questions intéressant toutes les parties. Dans la mesure du possible, ces cercles sont tenus dans la collectivité. Après cette rencontre, un plan de mise en liberté est préparé et joint à la demande de mise en liberté du délinquant. Des comités relatifs à l'article 84 sont établis afin de consulter les membres et les dirigeants de la collectivité au sujet des activités et des responsabilités que la collectivité est prête à prendre en main à l'appui d'un délinquant mis en liberté. Il s'agit là de pratiques exemplaires en devenir.

MODÈLE DE CONTINUUM DE SOINS LIÉS AUX SERVICES CORRECTIONNELS POUR AUTOCHTONES

75.  L' enquête dont découle le présent rapport ne comprend pas un examen du modèle de continuum de soins pour les délinquants autochtones, ni du Cercle de soins pour les délinquantes autochtones. Toutefois, ce continuum a une incidence sur les mesures prévues aux articles 81 et 84. Mis au point et en œuvre en 2003 en consultation avec des intervenants autochtones, ces deux instruments incorporent des interventions qui tiennent compte de la culture et de la spiritualité à toutes les étapes de la peine du délinquant. Le modèle de continuité de soins est appliqué dès l'évaluation initiale, durant les parcours de guérison tout au long de l'incarcération, pour aboutir à la bonne réinsertion sociale des délinquants autochtones dans leur collectivité [62] . Ce modèle, et l'approche adoptée par le SCC pour améliorer les services correctionnels pour délinquants autochtones, doit être vu comme un pas important par rapport à ce qui se faisait il y a trente ans, lorsque le foin d'odeur était couramment banni des établissements fédéraux et que l'on n'accordait pas aux Aînés le respect qu'ils méritaient.

La gamme de soins liés aux services correctionnels

76. Les articles 81 et 84 sont des éléments essentiels de la phase du modèle axée sur la réinsertion sociale. Ainsi, tous les éléments précédents du modèle, comme l'évaluation, les initiatives liées aux Sentiers des autochtones et tous les aspects des programmes, doivent contribuer à procurer le plus d'avantages possible aux détenus tout au long de leur parcours de guérison. Si l'un des éléments du modèle ne donne pas les résultats voulus, le parcours de guérison du délinquant ne sera pas aussi efficace qu'on le voudrait, et le délinquant pourrait purger une plus longue partie de sa peine derrière les barreaux, ce qui retardera ses possibilités de profiter des mesures prévues aux articles 81 et 84.

77.   Les unités des Sentiers de guérison dans les établissements à sécurité moyenne [63] sont un concept évolutif, car ils ont été mis en place à l'origine pour offrir à un plus grand nombre de délinquants autochtones des conditions d'hébergement plus culturellement appropriées, alors que ceux établis en vertu de l'article 81 n'étaient pas utilisés au maximum. Ces unités offrent un milieu différent, à l'appui des délinquants qui ont montré qu'ils étaient résolus à participer à des activités traditionnelles, à des cérémonies et à un processus de guérison. En 2010-2011, 18,2 % des détenus autochtones avaient passé du temps dans une telle unité, et dans certains cas, les résultats étaient prometteurs. Les délinquants des unités des Sentiers autochtones ont été transférés plus souvent que les autres détenus autochtones dans des établissements de niveau de sécurité inférieur; obtenaient moins souvent des résultats positifs aux analyses d'échantillon d'urine et étaient plus susceptibles d'obtenir une forme de mise en liberté discrétionnaire [64] .

78.  Il n'est pas exagéré de dire que les Aînés jouent un rôle déterminant dans le processus de guérison, puisqu'ils dirigent les cérémonies et offrent des conseils et du soutien aux délinquants autochtones. Lors d'une réunion des Aînés et du personnel chargé des programmes au Pénitencier de la Saskatchewan, il a été question d'un certain nombre de préoccupations et de questions qui nuisent à la guérison des détenus autochtones en établissement et porte atteinte à la capacité des délinquants d'obtenir un transfèrement vers un établissement de niveau de sécurité inférieur, puis plus tard, vers un pavillon de ressourcement. Les Aînés travaillant dans les pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81 et dans ceux du SCC font partie intégrante de l'environnement de guérison, mais ils doivent faire face à bon nombre des mêmes difficultés auxquelles se butent les Aînés des établissements du SCC . En raison des compressions budgétaires, les Aînés ne peuvent pas consacrer le temps et offrir le niveau de soins qu'ils jugent essentiels pour répondre aux besoins de leurs clients et créer un milieu de guérison dans ces pavillons. Il vaudrait la peine d'examiner de plus près les Aînés et leur rôle à l'égard du modèle de continuité des soins du SCC .

APPLICATION DES PRINCIPES DE L'ARRÊT GLADUE AU SEIN DU SYSTÈME CORRECTIONNEL FÉDÉRAL

79.  La décision de la Cour suprême du Canada ( CSC ) dans l'affaire Gladue découle de l'alinéa 718.2 e ) du Code criminel, qui prévoit que le tribunal détermine la peine à infliger compte tenu également de « l'examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones » [65] . Cette disposition a été ajoutée au Code criminel en 1995, pour apaiser les préoccupations que suscitait le recours excessif à l'incarcération pour combattre la criminalité, en particulier dans le cas des Autochtones. Le Parlement a reconnu que la surreprésentation des délinquants autochtones en milieu carcéral était un problème systémique à caractère racial et que le système de justice traditionnel contribuait à ce problème. Depuis l'entrée en vigueur de cette disposition en 1996, les tribunaux partout au Canada ont reçu le mandat de faire preuve de retenue dans l'incarcération des délinquants, en particulier des Autochtones [66] .

80.  Citant l'arrêt Gladue dans R. c. Ipeelee ( CSC , mars 2012) [67] , la Cour suprême a de nouveau invité les juges à utiliser une méthode d'analyse différente pour déterminer la peine appropriée dans le cas d'un délinquant autochtone, en accordant une attention spéciale aux circonstances particulières des délinquants autochtones. Ce faisant, le plus haut tribunal canadien a demandé que l'on impose des peines adaptées à la culture aux délinquants autochtones. Ces décisions peuvent raisonnablement être interprétées comme voulant dire que les principes de l'arrêt Gladue devraient être appliqués dans tous les secteurs du système de justice pénale, lorsque la liberté des délinquants autochtones est mise en péril.

81.  Le SCC s'est engagé à tenir compte des facteurs énoncés dans l'arrêt Gladue au niveau stratégique et opérationnel des services correctionnels pour Autochtones. Les facteurs sociaux historiques liés aux Autochtones peuvent comprendre, sans s'y limiter, les effets du régime des pensionnats, les antécédents de suicide dans la famille et la collectivité, l'expérience du système d'aide à l'enfance ou d'adoption, l'expérience de la pauvreté, le niveau ou le manque d'instruction, et les antécédents de toxicomanie dans la famille et la collectivité. Le SCC a récemment offert, à titre d'essai, une formation sur les principes de l'arrêt Gladue à des membres de son personnel. La Directive du commissaire (DC) 702 ( Délinquants autochtones ) stipule que tous les employés du SCC doivent tenir compte, entre autres facteurs, des antécédents sociaux des Autochtones au moment de prendre des décisions relatives au classement par niveau de sécurité, à la réévaluation du niveau de sécurité, au placement en isolement et à la mise en liberté sous condition [68] . Plusieurs autres DC incorporent les principes de l'arrêt Gladue , y compris la DC 705-6 ( Planification correctionnelle et profil criminel ), la DC 705-7 ( Cote de sécurité et placement pénitentiaire ), la DC 710-6 ( Réévaluation de la cote de sécurité du délinquant ) et la DC 712 ( Cadre pour la préparation des cas et la mise en liberté ) [69] .

82.  Les principes de l'arrêt Gladue , et les directives du commissaire à leur appui, devraient avoir une incidence importante sur l'accès, par les détenus autochtones, aux places et aux programmes offerts dans les pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81. L'application de ces principes devrait aider à faire en sorte que les détenus autochtones sont placés dans des établissements de niveau de sécurité approprié, ont accès à des programmes culturels et correctionnels pour entreprendre leur parcours de guérison ainsi qu'à des occasions d'être transférés vers des établissements à sécurité minimale. Le placement dans un pavillon de ressourcement établi en vertu de l'article 81 est une progression naturelle du processus de guérison et de la réinsertion sociale éventuelle des délinquants autochtones et rejoint ce que dit la Cour suprême, à savoir que des mesures appropriées doivent être offertes aux délinquants autochtones.

83.  Toutefois, il n'est vraiment pas clair dans quelle mesure les principes établis dans l'arrêt Gladue sont appliqués dans le système correctionnel fédéral. Un thème commun est ressorti des consultations auprès du personnel du SCC et des pavillons ressourcement, soit que ces principes et l'esprit de la DC 702 ne sont pas bien compris. En outre, les personnes consultées n'ont présenté aucune idée concrète sur la façon de les mettre en œuvre. Le SCC a créé et a offert, à titre d'essai, un module de formation sur ces principes, mais il faudra un certain temps pour en connaître l'incidence sur le traitement quotidien des délinquants autochtones.

84.  La formation pilote a fait ressortir que le personnel en établissement croyait à tort la même chose : qu'il faut tenir compte des antécédents sociaux en conformité avec l'arrêt Gladue seulement dans le cas des délinquants autochtones qui suivent un parcours de guérison traditionnelle et qui travaillent avec un Aîné. En fait, la politique du SCC précise que les principes établis dans l'arrêt Gladue s'appliquent à tous les délinquants autochtones dès leur arrivée dans un établissement fédéral [70] . Cette idée fausse et d'autres montrent qu'une formation sur ces principes devrait être offerte à tous les employés du SCC qui participent à la prise de décisions ayant une incidence sur la liberté des délinquants autochtones. Durant les entrevues, certains ont indiqué qu'ils redoutaient que les délinquants, en raison d'une mauvaise application des principes, en particulier durant la période de l'évaluation, soient placés dans des établissements de niveau de sécurité supérieur, limitant ainsi leur accès aux programmes. Dans la Stratégie relative au cadre de responsabilisation des services correctionnels pour Autochtones, le SCC indique qu'il respectera la décision dans l'affaire Gladue . Toutefois, le Cadre de responsabilisation des services correctionnels pour Autochtones – rapport de fin d'exercice 2010-2011 , ne fait aucune mention de ces principes ou des progrès réalisés en vue de mettre en place les directives contenues dans la DC 702 quatre ans après son adoption.

CONCLUSION

85.  Selon l'enquête, le SCC ne respecte pas l'intention du Parlement en ce qui concerne les articles 81 et 84 de la LSCMLC . Il n'accorde pas la priorité aux accords visés à l'article 81, et ces accords n'offrent pas une solution de rechange viable aux établissements du SCC .

86.  L'article 81 de la LSCMLC , en particulier si les alinéas a ) et c ) sont lus ensemble, indique clairement au SCC qu'il doit adopter une approche nouvelle et différente pour venir à bout de la surreprésentation chronique des Autochtones dans les établissements fédéraux. Le Parlement voulait que le SCC partage, avec les collectivités et les organisations autochtones, la gestion et la responsabilité, mais non la compétence, en matière de soins et de garde des délinquants autochtones.

87.  Le SCC a eu 20 ans pour régler les questions liées aux relations, à la confiance et à la gestion des risques que soulève la mise en œuvre d'accords en vertu de l'article 81. Toutefois, en 2011, seulement quatre pavillons de ressourcement étaient visés par cet article, pour un total de 68 places, et aucun établissement de ce genre en Colombie‑Britannique, en Ontario, dans les provinces de l'Atlantique ou dans les territoires. Les pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81, s'ils fonctionnent à pleine capacité, peuvent seulement accueillir 2 % des détenus autochtones incarcérés dans des établissements fédéraux ou 20 % de ceux à sécurité minimale. En fait, jusqu'à tout récemment, il n'y avait pas de cadre stratégique pour appuyer la mise en place de ces pavillons, ni de critères pour évaluer les propositions des collectivités autochtones visant à mettre en place un tel établissement ou à appliquer une autre approche pour la garde des délinquants. Aucun nouveau pavillon n'a été établi en vertu de l'article 81 depuis 2001, et ce malgré une augmentation de près de 40 % du nombre de détenus autochtones entre 2001-2002 et 2010‑2011 [71] .

88.  Résultat : les quatre pavillons établis en vertu de l'article 81 sont dans une position précaire. Ils vivent dans l'insécurité parce qu'ils ne sont pas permanents et n'ont pas les ressources financières nécessaires pour supporter les coûts courants de fonctionnement et d'infrastructure. Ces facteurs importants nuisent à la réussite des établissements existants et à la mise en place de nouveaux pavillons en vertu de l'article 81. Les employés sont sous‑payés et ont peu de possibilités d'accroître leur revenu, ce qui peut les amener à s'épuiser au travail ou à chercher un emploi auprès du SCC , qui offre des salaires plus élevés et une sécurité d'emploi. Les pavillons de ressourcement visés à l'article 81 ne sont pas dédommagés pour la valeur ajoutée qu'ils apportent sur le plan correctionnel grâce au travail de bénévoles, pour la formation du personnel et pour les améliorations apportées, et leurs efforts à cet égard ne sont pas reconnus. Ce sont là d'importants obstacles qui empêchent les pavillons de ressourcement du SCC d'être transférés aux collectivités en vertu de l'article 81, et les collectivités de bien vouloir négocier des accords en application de cet article.

89.  La politique voulant que seuls les délinquants à sécurité minimale soient transférés, bien que rassurante pour les pavillons de ressourcement du SCC et ceux établis en vertu de l'article 81, pose plus de problèmes qu'elle ne procure d'avantages. Le SCC devrait collaborer avec les pavillons de ressourcement visés à l'article 81 pour trouver des moyens de leur permettre de décider des délinquants qui sont susceptibles de profiter de l'approche de guérison, peu importe leur classement selon le niveau de sécurité, et ce sans compromettre la sécurité et le milieu de guérison.

90.  Plus de 70 % des délinquants autochtones mis en liberté ne retournent pas dans une collectivité autochtone, mais dans un centre urbain. Pourtant, trois des quatre pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81 se trouvent sur des terres des Premières nations, et c'est le cas de tous les pavillons du SCC . Nonobstant les préoccupations soulevées par le SCC , à savoir que la mise en liberté d'un délinquant en milieu urbain augmente le risque de révocation ou de récidive, il est clair que le SCC doit tenir compte du profil démographique lorsqu'il fait appel aux mécanismes prévus aux articles 81 et 84. On trouve dans les communautés urbaines partout au Canada divers organismes et services autochtones qui pourraient parrainer ou appuyer la mise en place de pavillons de ressourcement en vertu de l'article 81 ou des mises en liberté en vertu de l'article 84.

91.  Il est entendu que les délinquants autochtones ne souhaitent pas tous suivre un chemin de guérison fondé sur les pratiques culturelles et spirituelles traditionnelles. Généralement, plusieurs délinquants appartiennent à un groupe confessionnel chrétien, et un grand nombre d'entre eux viennent de collectivités où le christianisme est au cœur des croyances de la population. Durant leur incarcération, certains de ces délinquants veulent entretenir leur foi et continuer à pratiquer leur religion après leur mise en liberté. Un groupe de dirigeants autochtones chrétiens de toutes les régions du pays ont proposé la mise en place d'un pavillon de ressourcement chrétien, fondé sur des principes comparables à ceux des peuples autochtones traditionnels [72] . Le SCC devrait envisager d'ajouter un modèle d'établissement chrétien s'il décide de conclure de nouveaux accords en vertu de l'article 81.

92.  Jusqu'à septembre 2011, les délinquantes autochtones sous responsabilité fédérale intéressées n'avaient d'autre choix que d'être transférées au Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci du SCC en Saskatchewan pour profiter d'un milieu de guérison offert par un pavillon autochtone. Des unités des Sentiers autochtones ont été mises en place dans deux des cinq établissements régionaux pour femmes (l'Établissement d'Edmonton pour femmes et l'Établissement Fraser Valley), et il y a maintenant un pavillon de guérison à l'Établissement Nova à Truro, en Nouvelle-Écosse, mais il s'agit de services et de soutien offerts en établissement. En 2011, conformément à un accord découlant de l'article 81, seize places ont été ajoutées pour les délinquantes autochtones au Centre de guérison Buffalo Sage à Edmonton, en Alberta. Les délinquantes autochtones des autres provinces n'ont donc pas accès à des possibilités de guérison dans un milieu communautaire, à moins d'un transfèrement en Saskatchewan ou en Alberta. Cette situation est particulièrement difficile pour les délinquantes autochtones qui ont des enfants.

93. Les mises en liberté en vertu de l'article 84 ne devaient pas reposer sur des processus complexes. Le but était plutôt d'accroître la participation des collectivités au processus de mise en liberté en offrant un soutien aux délinquants mis en liberté et en appliquant les conditions nécessaires à leur mise en liberté sûre et en temps opportun. Un certain nombre des personnes consultées ne comprenaient pas le but de l'article 84 ou encore étaient frustrées par le processus long et complexe requis avant même que la Commission des libérations conditionnelles du Canada examine le plan.

94.  L'enquête a révélé qu'à l'échelle du Canada, le SCC dispose de seulement douze ACADA, qui ont pour rôle de nouer des relations avec les collectivités autochtones et de coordonner le processus de mise en liberté en vertu de l'article 84. Ce nombre est clairement insuffisant pour répondre à la demande.

95.  Les Aînés sont au cœur du processus de guérison, que ce soit en raison des cérémonies, des enseignements ou des services de counseling qu'ils offrent. Ils sont une ressource très précieuse. Dans le cas des pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81, le sous-financement a souvent pour effet de limiter la disponibilité des Aînés. Tant et aussi longtemps que les Aînés ne pourront pas se concentrer sur les besoins en matière de guérison des délinquants, auront une charge de travail déraisonnable et ne recevront pas une rémunération adéquate, le modèle de continuum des soins du SCC ne permettra de réaliser le plein potentiel de réinsertion sociale des délinquants autochtones dans leur collectivité. Il y a lieu d'examiner en profondeur les services offerts par les Aînés dans les établissements fédéraux et les pavillons de ressourcement ainsi que les facteurs qui les empêchent de répondre aux besoins des délinquants autochtones.

96.  De tous les éléments de la stratégie sur les services correctionnels pour Autochtones du SCC , l'application des principes découlant de l'arrêt Gladue est celui qui semble le moins compris et le moins bien interprété. Malgré la formation offerte à titre d'essai à ses employés, le SCC devra faire preuve de leadership pour mettre l'accent sur la Directive du commissaire 702 et d'autres. La formation sur les principes de l'arrêt Gladue ne devrait pas être donnée seule, mais devrait faire partie d'un programme de formation complet offert à tous les employés du SCC .

97.  Comme il a été mentionné précédemment, deux pénitenciers de la région des Prairies ont une population majoritairement autochtone. Compte tenu de la surreprésentation croissante des Autochtones au sein du système correctionnel fédéral, de l'explosion des naissances chez les Autochtones et des réformes législatives, il est possible que d'autres établissements fédéraux, en particulier dans la région des Prairies, deviennent des établissements « autochtones ». Pour bien gérer cette population, le personnel des établissements du SCC doit mieux comprendre les peuples autochtones, leurs cultures et leurs traditions.

98.  Bien que les programmes de guérison dans les pavillons de ressourcement établis en vertu de l'article 81 semblent différents de ceux offerts dans les établissements du SCC , ceux-ci sont bien reçus par les résidants et sont efficaces. En fait, ces pavillons et les organismes autochtones qui les parrainent sont responsables des grandes innovations en matière de programmes correctionnels autochtones, comme les programmes En quête du guerrier en vous des Native Counselling Services of Alberta's ( NCSA ) et Waseskun Net du Centre de guérison Waseskun, qui établit des liens entre les détenus autochtones et leur collectivité d'origine.

99.  La pleine mise en œuvre des articles 81 et 84 de la LSCMLC est complexe et prend du temps. Elle ne permettra pas de régler seule les problèmes de la surreprésentation des autochtones au sein du système correctionnel fédéral. Il est fort possible que le SCC ait à composer avec un système correctionnel majoritairement autochtone dans la région des Prairies, et que la proportion d'Autochtones soit un facteur important dans toutes les autres régions. L'approche actuelle en matière de services correctionnels pour Autochtones est déficiente. Le nombre de contestations fondées sur les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés ou de poursuites en vertu des lois sur les droits de la personne augmentera sans doute. Le SCC doit cesser de s'en tenir à son approche actuelle, qui mise avant tout sur les interventions en établissement au détriment de solutions communautaires.

100.  Comme l'expose en détail la présente enquête, au fil des ans, toute une série d'obstacles se sont dressés, nuisant à la mise en œuvre, par le SCC , des mécanismes prévus aux articles 81 et 84 de la LSCMLC . En ne simplifiant pas l'accès par les délinquants autochtones aux solutions offertes par les articles 81 et 84, le SCC est en partie responsable de la surreprésentation et de l'écart grandissant touchant les résultats correctionnels entre les délinquants autochtones et non autochtones. Le sous-financement chronique des établissements visés à l'article 81, les critères restreints en matière d'admissibilité et de placement et les résultats différentiels ont pour effet de continuer à désavantager les délinquants autochtones au sein du système correctionnel fédéral. Conformément aux expressions de l'autonomie autochtones, les articles 81 et 84 traduisent la promesse de redéfinir la relation entre les peuples autochtones et le gouvernement fédéral. Lorsque la LSCMLC a été promulguée en novembre 2012, on espérait transférer le contrôle d'un plus grand nombre d'aspects de la planification de la mise en liberté des délinquants autochtones et d'accroître l'accès à des services et des programmes adaptés à la culture. Vingt ans plus tard, il est temps que les services correctionnels fédéraux harmonisent leurs politiques en fonction de l'intention originale du Parlement, qu'ils utilisent leurs ressources en conséquence et qu'ils prennent les mesures qui s'imposent.

RECOMMANDATIONS

1.  Le SCC devrait créer le poste de sous-commissaire des services correctionnels pour Autochtones afin d'assurer une coordination adéquate entre les différents secteurs du SCC , ainsi qu'avec les partenaires fédéraux et les collectivités autochtones.

2.  Le SCC devrait établir une stratégie à long terme pour conclure d'autres accords en vertu de l'article 81 et accroître considérablement le nombre de places dans les régions où le besoin existe. Il devrait obtenir les fonds pour cette stratégie en présentant une demande au Conseil du Trésor ou en procédant à une réaffectation interne. Ce financement ne devrait pas être inférieur au montant de 11,6 millions de dollars qui a été réaffecté en 2001, lequel devrait être rajusté pour tenir compte de l'inflation.

3.  Le SCC devrait réitérer son engagement à mettre en place des pavillons de ressourcement en vertu de l'article 81 : a) en négociant des niveaux de financement permanent et réalistes pour les pavillons visés par l'article 81 actuels et futurs, y compris des crédits adéquats pour le fonctionnement, les infrastructures et la parité salariale avec le SCC ; b) en poursuivant les négociations avec les collectivités où se trouvent des pavillons du SCC en vue de leur en confier le fonctionnement.

4.  Pour toutes les négociations, le SCC devrait conclure un protocole d'entente avec l'organisme visé ou les dirigeants des Premières nations pour s'assurer que ces derniers et les Aînés participent aux négociations et soient considérés comme des partenaires égaux.

5.  Le SCC devrait examiner à nouveau le recours à des accords visés à l'article 81 qui ne prévoient pas la mise en place de pavillons de ressourcement, en particulier dans les collectivités ou les régions où le nombre de délinquants ne justifie pas la présence de tels établissements. Il devrait tenir compte des résultats de cet examen dans sa stratégie d'ensemble relative à l'article 81.

6.  Le SCC devrait revoir soigneusement le processus de mise en liberté en vertu de l'article 84 dans le but de réduire les lourdeurs administratives et d'accélérer le processus.

7.  Le SCC doit élargir le programme de formation de son personnel afin d'ajouter une formation approfondie sur les peuples autochtones, leur histoire, leur culture et leur spiritualité pour tous les employés, notamment sur l'application des principes de l'arrêt Gladue dans la prise de décisions correctionnelles. Cette formation ne devrait pas être ponctuelle, mais devrait plutôt être renouvelée tout au long de la carrière de l'employé.

8.  Le SCC doit éliminer les difficultés auxquelles doivent faire face les Aînés dans les établissements et les pavillons de ressourcement pour que la guérison des délinquants autochtones soit leur principale préoccupation et responsabilité. De plus, le SCC devrait établir des normes de services, des charges de travail et une rémunération réalistes en ce qui concerne les services offerts par les Aînés. Le SCC devrait s'occuper de rendre compte des progrès accomplis par rapport à ces normes dans son Cadre de responsabilisation de gestion.

9.  Le SCC devrait travailler en partenariat avec des entités autochtones – conseils tribaux, organisations métisses ou inuites, associations en milieu urbain – afin d'établir des protocoles pour les mises en liberté en vertu de l'article 84 dans leur milieu respectif. Ces protocoles, qui pourraient être fondés sur le modèle établi par le MLSN , redéfiniraient la relation entre le SCC et les collectivités autochtones et mettraient en place un processus permettant aux collectivités d'accepter et de surveiller les délinquants mis en liberté en application de l'article 84.

10.  Le SCC devrait travailler de concert avec les communautés autochtones chrétiennes, inuites et d'autres pour mettre en place, au besoin, des accords en vertu de l'article 81.

ANNEXE A

CONSULTATIONS ET ENTREVUES 

Service correctionnel du Canada 

Direction des initiatives pour les Autochtones

Bureau de la région du Pacifique

Bureau de district de l’Alberta

Bureau régional des Prairies

Pavillons de ressourcement du SCC 

Village de guérison Kwìkwèxwelhp, Colombie‑Britannique

Pavillon de ressourcement Pê Sâkâstêw, Alberta

Pavillon de ressourcement Okimaw Ohci, Saskatchewan

Pavillons de ressourcement établis en vertu de l’article 81 

Centre de guérison Stan Daniels, Alberta

Centre de guérison Buffalo Sage pour femmes, Alberta

Pavillon de ressourcement spirituel du Grand conseil de Prince Albert, Saskatchewan

Centre de guérison Waseskun, Québec

Autres 

Division des politiques correctionnelles autochtones, Sécurité publique Canada

Dirigeants de la Première nation de Nekaneet, Saskatchewan

Aînés et personnel du Pénitencier de la Saskatchewan

Aîné du Centre Pê Sâkâstêw, Alberta

Organisations autochtones 

Native Counselling Services of Alberta 

ANNEXE B

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Young, Sara (2011). Gladue and Correctional Service Canada: A Report on the Application of Gladue Principles in Federal Corrections in Canada . Aboriginal Corrections Policy Division,Sécurité publique Canada.

NOTES DE LA FIN

[1] R. c. Gladue (1999) 1 R.C.S. 688.

[2] Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , L.C. 1992, ch. 20.

[3] Michelle M. Mann (2009). De bonnes intentions... des résultats décevants : rapport d'étape sur les services correctionnels fédéraux pour Autochtones . Bureau de l'enquêteur correctionnel.

[4] Conversation avec Gina Wilson, ancienne directrice générale, Questions autochtones, Service Correctionnel Canada.

[5] Requête en modification C-36 du gouvernement (1992). Rejetant une requête de M. Blackburn (NPD) en vue de modifier le paragraphe 81(1) pour préciser que le ministre doit ... le gouvernement a affirmé que le ministre n'est pas obligé de conclure une entente et que le consentement mutuel des parties est essentiel à la négociation et à la conclusion d'une entente satisfaisante pour le ministre et les collectivités autochtones.

[6] Établissement Mountain (Comité pour le transfert des délinquants autochtones) c. Canada. [1997] A.C.F 19. Le tribunal affirme dans cette affaire qu'il s'agit d'une action en justice intentée au nom de 1 800 détenus autochtones en vue du transfèrement de délinquants sous le soin et la garde de la collectivité autochtone en vertu de l'article 81. Le tribunal a également affirmé que la demande n'était pas fondée en droit, parce que rien n'oblige le Service à assurer le placement en établissement en vertu de cet article, qui est facultatif, et non obligatoire.

[7] La Politique sur le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale précise que « pénitenciers et libérations conditionnelles » font partie des catégories qui demeurent sous la compétence du gouvernement fédéral, mais pour lesquels il est possible de négocier l'exercice de pouvoirs administratifs.

[8] Service correctionnel Canada, Direction des initiatives pour les Autochtones (2011). Cadre de responsabilisation des services correctionnels pour Autochtones - Rapport de fin d'exercice 2010-2011 , p. 3-4.

[9] Sécurité publique Canada (2011). Aperçu statistique : le système correctionnel et la mise en liberté sous condition – Rapport annuel 2011 , p. 51.

[10] Ibid. p. 61.

[11] Sécurité publique Canada (2000). Aboriginal Corrections Policy Strategic Plan .

[12] Statistique Canada (2006). « Peuples autochtones du Canada en 2006 : Inuits, Métis et Premières nations ». Recensement de 2006.

[13] Statistique Canada (2005). Projections des populations autochtones, Canada, provinces et 

territoires, 2001 à 2017. 

[14] Secrétariat du Conseil du Trésor (1975), The Native Inmate within the Federal Penitentiary System , p. 3.

[15] Ibid. p. 4.

[16] Solliciteur général Canada, Division des communications. (1975). Les Autochtones et la justice : rapports de la Conférence nationale et de la Conférence fédérale-provinciale sur les Autochtones et le régime de justice pénale , p. 11.

[17] Ibid. p. 38.

[18] Commission nationale des libérations conditionnelles, Approvisionnements et Services Canada (1988). Rapport final du Groupe d'étude sur les Autochtones au sein du régime correctionnel fédéral , p. 87.

[19] « Public Inquiry into the Administration of Justice and Aboriginal People », Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba , volume 1, p. 83.

[20] Ibid. p. 642.

[21] Ibid. p. 24.

[22] Commission royale sur les peuples autochtones. (1996). Par-delà les divisions culturelles .

[23] Mann, op. cit.

[24] Le Centre Stan Daniel's et la Direction des initiatives pour les Autochtones de l'administration centrale du SCC ont confirmé qu'il y avait 68 places possibles en vertu d'accords visés à l'article 81.

[25] Service correctionnel Canada, Direction des questions autochtones. (2001). Plan d'action national sur les services correctionnels pour Autochtones , p. 3-4.

[26] Service correctionnel Canada (2002). Effective Corrections Results . CR 1750-16, p. 9-10. (3 juin 2002).

[27] Le financement prévu pour les initiatives découlant de l'Approche correctionnelle judicieuse s'élevait initialement à 45 millions de dollars sur cinq ans (de 2000-2001 à 2004-2005), le tout partagé entre le SCC (30 millions), la Commission des libérations conditionnelles du Canada (6,5 millions) et Sécurité publique Canada (8,5 millions). Sécurité publique Canada (mars 2011), Rapport final – Évaluation 2010-2011 des initiatives de l'approche correctionnelle judicieuse et de l'engagement des citoyens. 

[28] Service correctionnel Canada, Direction d'évaluation et revue, Secteur de l'évaluation du rendement. (2004). Rapport Final – Initiative de l'approche correctionnelle judicieuse – Réinsertion sociale des Autochtones .

[29] Service correctionnel Canada (2002). Effective Corrections Results , p. 2.

[30] Ibid. p. 2.

[31] Service correctionnel Canada (2004). Rapport Final – Initiative de l'approche correctionnelle judicieuse .

[32] Service correctionnel Canada, Direction des initiatives pour Autochtones. (2006). Plan stratégique relatif aux services correctionnels pour Autochtones 2006-07 à 2010-11 .

[33] Service correctionnel Canada, Direction des initiatives pour les Autochtones (2010). Cadre de responsabilisation des services correctionnels pour Autochtones .

[34] Service correctionnel Canada, Direction de la recherche, Secteur de la politique, de la planification et de la coordination (2002). Étude sur les pavillons de ressourcement pour délinquants sous responsabilité fédérale au Canada .

[35] Service correctionnel Canada, Direction des initiatives pour les Autochtones (2010). Cadre de responsabilisation des services correctionnels pour Autochtones .

[36] Service correctionnel Canada (2006). Plan stratégique relatif aux services correctionnels pour Autochtones 2006-07 à 2010-11 .

[37] Sécurité publique Canada (2011). Aperçu statistique : le système correctionnel et la mise en liberté sous condition - Rapport annuel 2011 .

[38] Service correctionnel Canada (2012). Rapport sur les plans et les priorités, 2012-2013 .

[39] Mann, op. cit.

[40] Ibid.

[41] Service correctionnel Canada, Direction de la vérification interne (2008). Vérification de la gestion des ententes aux termes de l'article 81 , p. 8.

[42] Les politiques incluent : Lignes directrices 541-2 : « Négociation, mise en œuvre et gestion des accords conclus en vertu de l'article 81 de la LSCMLC »; Lignes directrices 710-2-1 : « Article 81 de la LSCMLC : Admission et transfèrement de délinquants »; Lignes directrices 712-1-1 : « Article 84 de la LSCMLC : Processus d'application ».

[43] Service correctionnel Canada, Direction de la recherche, Secteur de la politique, de la planification et de la coordination. (2002). Étude sur les pavillons de ressourcement pour délinquants sous responsabilité fédérale au Canada , p. 66-67.

[44] Service correctionnel Canada (2010). SCC Lignes directrices 710-2-1 : « Article 81 : Admission et transfèrement de délinquants ».

[45] Service correctionnel Canada (2011). Cadre de responsabilisation des services correctionnels pour Autochtones – Rapport de fin d'exercice 2010-2011 , p. 20.

[46] Sécurité publique Canada (2011). Aperçu statistique : le système correctionnel et la mise en liberté sous condition – Rapport annuel 2011 , p. 53.

[47] Données du Système de gestion des délinquants du SCC fournies par la Direction des initiatives pour les Autochtones, 30 janvier 2012.

[48] Ibid.

[49] Service correctionnel Canada (2011). Cadre de responsabilisation des services correctionnels pour Autochtones – Rapport de fin d'exercice 2010-2011 , p. 6.

[50] Données du Système de gestion des délinquants du SCC fournies par la Direction des initiatives pour les Autochtones, 30 janvier 2012.

[51] Entrevue avec le personnel du Centre de guérison Waseskun.

[52] Correctional Service Canada. Evaluation Branch, Policy Sector. (2011). Evaluation Report: Strategic Plan for Aboriginal Corrections – Chapter One: Aboriginal Healing Lodges , p. 11.

[53] Service correctionnel Canada. Direction de l'évaluation, Secteur des politiques (2011). Rapport d'évaluation – Plan stratégique relatif aux services correctionnels pour Autochtones – Chapitre un : Pavillons de ressourcement autochtones , p. 11.

[54] Données du Système de gestion des délinquants du SCC fournies par la Direction des initiatives pour les Autochtones, 30 janvier 2012.

[55] Service correctionnel Canada (2011). Rapport d'évaluation Plan stratégique relatif aux services correctionnels pour Autochtones .

[56] Service correctionnel Canada, (2008). Directive du Commissaire 702 – Délinquants autochtones .

[57] Service correctionnel Canada (2011), Cadre de responsabilisation des services correctionnels pour Autochtones – Rapport de fin d'exercice 2010-2011 , p. 8.

[58] Ibid., p. 6.

[59] Service correctionnel du Canada, Direction des initiatives pour les Autochtones, (non daté). Conditional Release Planning Kit .

[60] Service correctionnel Canada (1998). Procedures for Initiating Section 84 ., p. 19. (note de service interne).

[61] Sécurité publique Canada, Unité des politiques correctionnelles autochtones, Mi'kmaw Legal Support Network (2010). Building a Bridge. Aboriginal Inclusion in Community Healing and the Process of Reintegration for Aboriginal Offenders .

[62] Service correctionnel Canada (2011). Cadre de responsabilisation des services correctionnels pour Autochtones – Rapport de fin d'exercice 2010-2011 , p. 6.

[63] Il y a également des unités des Sentiers autochtones dans deux des cinq établissements régionaux pour femmes : l'Établissement d'Edmonton pour femmes et Établissement de la vallée du Fraser pour femmes.

[64] Ibid ., p. 10

[65] Code criminel du Canada , L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 718.2c).

[66] Mann (2009), op. cit.

[67] R. c. Ipeelee , 2012 CSC 13.

[68] Service correctionnel Canada. (2008). Directive du Commissaire 702 – Délinquants autochtones , art. 17.

[69] Il faut noter que ces DC sont en cours de révision.

[70] Sara Young. (2011). Gladue and Correctional Service Canada: A Report on the Application of Gladue Principles in Federal Corrections in Canada , p. 14-15, Unité des politiques correctionnelles autochtones, Sécurité publique Canada.

[71] Sécurité publique Canada (2011), op. cit.

[72] Sécurité publique Canada, Unité de la politique correctionnelle autochtone. (2006). Une question de foi : une rencontre entre chrétiens autochtones , Collection Peuples Autochtones, APC 24 CA.


Date de modification 
2013-09-16 



 

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Office of the Correctional Investigator - Report

Étude de cas sur la diversité dans les services correctionnels : l’expérience des détenus de race noire dans les pénitenciers

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ET PORTÉE DE L’ENQUÊTE 

MÉTHODOLOGIE 

CONTEXTE ET RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX 

Lois et politique cadre 
Profil des détenus de race noire purgeant une peine de ressort fédéral 

ANALYSE : EXPÉRIENCES DES DÉTENUS DE RACE NOIRE DANS LES ÉTABLISSEMENTS CORRECTIONNELS 

Gestion de la population 
Le système ne répond pas aux besoins culturels des détenus de race noire 
Conditions d’incarcération 

ANALYSE : LES RÉSULTATS CORRECTIONNELS DES DÉTENUS DE RACE NOIRE EN ÉTABLISSEMENT 

DISCUSSION 

Que signifie le mot « diversité » pour le SCC

PRINCIPALES CONSTATATIONS 

RÉFÉRENCES 

INTRODUCTION ET PORTÉE DE L’ENQUÊTE


1. Le visage du régime correctionnel canadien est en train de changer. À mesure que la population de notre pays devient de plus en plus diversifiée, il en va de même de la population carcérale sous responsabilité fédérale. Au cours des cinq dernières années, le nombre de délinquants appartenant aux minorités visibles 1 (dans la collectivité et dans les prisons) a augmenté de 40 %. Les membres des minorités visibles constituent maintenant 18 % de tous les délinquants purgeant une peine de ressort fédéral (en prison et dans la collectivité), ce qui correspond essentiellement à leur taux de représentation dans la société canadienne (19,1 %) 2 . En 2011-2012, les détenus de race blanche constituaient encore le groupe le plus nombreux de délinquants sous responsabilité fédérale (62,3 %). Par comparaison, les Autochtones représentaient 19,3 % de la population totale, les Noirs, 8,6 %, les Asiatiques 3 , 5,4 % et les Hispaniques 4 , 0,9 %, respectivement 5 . La diversité grandissante pose des défis importants au Service correctionnel du Canada ( SCC ), surtout en ce qui concerne la pertinence des programmes et des services ainsi que l’embauche d’un personnel représentatif et la nécessité pour le personnel de faire preuve d’une plus grande sensibilité à la diversité culturelle des délinquants. 
 

2. Les préjugés et le parti pris, surtout à l’égard des Autochtones, ont été examinés à fond dans des études et des enquêtes sur le système de justice pénale canadien 6 . Toutefois, surtout à cause du manque de données ou de l’accès limité à ces dernières, bien peu de recherches ont systématiquement porté, au Canada, sur le traitement des minorités visibles dans le système susmentionné et encore moins sur les expériences qu’elles vivent dans les établissements correctionnels. La principale étude canadienne menée dans ce domaine l’a été par la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario 7 , et ses auteurs ont examiné la mesure dans laquelle les pratiques, procédures et politiques du système de justice pénale reflétaient le racisme systémique dans les services de police, dans les établissements correctionnels et dans les tribunaux en Ontario. Dans l’ensemble, la Commission a constaté l’existence du racisme dans chaque volet du système en question et elle a formulé un certain nombre de recommandations pour améliorer la reddition de comptes dans ce dernier. Plus précisément, en ce qui concerne les établissements correctionnels, la Commission a relevé des signes omniprésents confirmant l’hostilité et l’intolérance raciales dans les prisons, la ségrégation raciale des détenus dans les prisons et entre elles, et l’inégalité raciale au chapitre de la prestation des services dans les établissements. Cette étude est déjà ancienne et a été menée dans les établissements d’une seule province, mais elle fournit des renseignements contextuels importants, des points de vue tant qualitatif que quantitatif, sur les expériences des détenus de race noire 8 - et des minorités visibles en général – dans le système de justice pénale canadien, et elle fournit un fondement pour la présente étude de cas.

3. Le Rapport annuel de 2011-2012 du Bureau de l’enquêteur correctionnel ( BEC ) montre que les détenus de race noire 9 constituent une des sous-populations qui augmentent le plus vite dans le système correctionnel fédéral. Il a mis en lumière la surreprésentation grandissante de ce groupe par rapport à sa proportion dans la population canadienne. Au cours des 10 dernières années, le nombre de détenus de race noire incarcérés dans des établissements fédéraux a crû de 75 % (767 détenus en 2002-2003, comparativement à 1 340, en 2011-2012), la plus grande partie de cette hausse s’étant produite au cours des six dernières années (de 2006-2007 à 2011-2012) 10 . Les détenus de race noire représentent maintenant 9,3 % 11 de la population totale des pénitenciers (comparativement à 6,1 % en 2002-2003), alors que, dans l’ensemble de la société canadienne, les Noirs ne constituent qu’environ 2,9 % 12 de la population (voir le diagramme).

Évolution des populations de détenus en 10 ans 
 

4. Étant donné l’augmentation récente et rapide du nombre de personnes dans ce sous-groupe, le BEC s’est engagé à étudier les expériences et les résultats des détenus de race noire incarcérés dans les établissements fédéraux. Cette étude poursuivait trois objectifs :

  • dresser un profil global des détenus de race noire purgeant une peine de ressort fédéral;
  • examiner les expériences et les résultats des détenus de race noire dans les établissements fédéraux;
  • évaluer et examiner les moyens adoptés par le SCC pour répondre aux besoins de ce segment croissant de la population carcérale, de manière à établir si des mesures suffisantes et appropriées existent pour faciliter la réinsertion sociale des détenus de race noire dans des conditions sûres et au moment opportun.

MÉTHODOLOGIE


5. Le SCC a été informé en avril 2012 de l’intention du BEC d’amorcer cet examen. L’étude de cas repose sur une stratégie de recherche qui mise sur des mesures quantitatives et qualitatives et qui comporte les éléments suivants :

  • une analyse des ouvrages de recherche pertinents;
  • une analyse des données du SCC et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada ( CLCC );
  • des entrevues qualitatives avec les personnes et les groupes suivants : les comités de détenus de race noire, les détenus de race noire, le personnel du SCC , les bénévoles de la collectivité, et Audmax (un organisme auquel le SCC a adjugé un contrat pour fournir des services ethnoculturels) 13 .

6. Les chercheurs sont allés interviewer des détenus de race noire et des membres du personnel du SCC dans cinq établissements fédéraux situés dans trois régions, de novembre 2012 à février 2013 inclusivement (voir le Tableau 1). Ils ont choisi trois régions (l’Ontario, le Québec et les provinces de l’Atlantique) en constatant que la grande majorité des détenus de race noire purgeant une peine de ressort fédéral (86 %) étaient actuellement incarcérés dans des établissements de ces régions 14 . Il est certes possible que, dans les régions des Prairies et du Pacifique, les détenus de race noire vivent des expériences très différentes de celles de leurs homologues des trois autres régions, mais l’échantillon a été très représentatif quant aux langues officielles, aux régions et au sexe des détenus. Les établissements à sécurité maximale ont été sous-représentés dans cette enquête; toutefois, de nombreux détenus ont déclaré avoir commencé à purger leur peine dans un tel établissement, avant d’être transférés dans un établissement à sécurité moyenne, et ils ont donc pu parler de leurs expériences vécues dans les établissements des deux catégories. En date du 14 avril 2013, seulement trois détenues de race noire étaient incarcérées dans un établissement à sécurité maximale 15 .

Tableau 1 : Établissements visités aux fins de l’étude de cas 
ÉtablissementRégionNiveau de sécuritéN bre de détenus de race noire en 2011 2012% des détenus de race 
noire par rapport à la 
population de l’établissement
JoycevilleOntarioSécurité moyenne13737 %
Collins BayOntarioSécurité moyenne10927 %
Établissement pour femmes Grand ValleyOntarioNiveaux de sécurité multiples4323 %
ArchambaultQuébecSécurité moyenne3510 %
DorchesterAtlantiqueSécurité moyenne308 %

Source : SIR , mars 2013.

7. Les chercheurs ont communiqué avec le président du Comité des détenus de race noire de chaque établissement pour l’informer sur l’étude de cas et lui demander sa participation et son aide quant à la consultation des membres de son comité pour cerner les questions à signaler. Des avis ont aussi été affichés dans toutes les rangées de cellules pour informer les détenus de race noire sur l’étude de cas et leur donner l’occasion d’y participer volontairement. Le président du Comité des détenus de race noire de chaque établissement a été interviewé. On a aussi interviewé des détenus de race noire dans quatre des cinq établissements 16 . Ces entrevues ont eu lieu dans un des trois contextes suivants : entrevues individuelles; entrevues de petits groupes (deux ou trois participants); groupes de discussion nombreux (de 10 à 20 participants). En tout, 73 détenus de race noire (30 femmes et 43 hommes) ont été interviewés.

8. Des membres du personnel du SCC ont aussi été interviewés à chacun des cinq établissements. En tout, 24 d’entre eux ont participé aux entrevues et occupaient les postes suivants : directeurs d’établissement, directeurs adjoints – Opérations/Interventions, chefs des soins de santé/services de psychologie, gestionnaires des programmes, gestionnaires correctionnels, agents du renseignement de sécurité, agents des libérations conditionnelles, coordonnateurs des griefs et agents correctionnels.

9. Les chercheurs ont également interviewé les aumôniers employés par le SCC , deux groupes communautaires et bénévoles et des employés d’Audmax.

10. Dans l’ensemble, les entrevues étaient fondées sur un questionnaire, mais elles ont souvent été déterminées et orientées par les expériences et les connaissances des personnes interviewées. Cependant, la discussion a abordé tous les éléments du questionnaire dans chaque entrevue.

11. Enfin, le BEC a octroyé un contrat à l’ African Canadian Prisoner Advocacy Coalition ( ACPAC ) pour qu’elle lui fournisse une revue de la littérature pertinente, des connaissances spécialisées et une analyse sur les Afro-Canadiens ayant des démêlés avec la loi. L’ ACPAC est une coalition de recherche dont les membres réunissent une expérience variée et toute une gamme particulière de connaissances spécialisées et de compétences pratiques se rapportant à des questions telles que les suivantes : la surreprésentation des Afro-Canadiens dans les pénitenciers; la santé mentale et les groupes marginalisés; la discrimination raciale et la sensibilité aux diverses cultures; la formation sur l’équité et la diversité. Les membres de l’ ACPAC possèdent une vaste expérience du travail avec des Afro-Canadiens qui ont été incarcérés dans les pénitenciers du Canada et dans les prisons, et ils ont acquis un savoir spécialisé sur l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des programmes de santé mentale pour les Afro-Canadiens.

CONTEXTE ET RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX


Lois et politiques-cadres

12. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ( LSCMLC ) comprend des dispositions exigeant des établissements correctionnels des politiques, des programmes et des pratiques favorisant le respect des différences ethniques, culturelles et linguistiques, entre autres. En outre, la LSCMLC et le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ( RSCMLC ) donnent aux détenus le droit à des occasions raisonnables de participer à des activités religieuses ou spirituelles et d’exprimer leurs convictions à ces égards. Ces dispositions vont dans le sens de l’article 2 et du paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés , et elles les respectent; la Charte accorde la liberté de religion et elle garantit l’égalité de tous devant la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. Partie I de la loi canadienne sur les droits de la personne et l’article 3 de la Loi sur le multiculturalisme canadien garantit également à tous et à toutes un même traitement et une même protection devant la loi.

13. Bien que la LSCMLC et le RSCMLC fassent partie du cadre législatif du SCC , les Directives du commissaire ( DC ) fournissent l’orientation stratégique dans les secteurs désignés par la loi et dans les domaines fondamentaux du système correctionnel. La DC 767 - Délinquants ethnoculturels : services et interventions contient des lignes directrices précises sur les délinquants appartenant à des minorités ethnoculturelles pour faire en sorte que leurs besoins et leurs intérêts culturels particuliers soient cernés et gérés grâce à la prestation de services efficaces et à des interventions adaptées à ces besoins. Entre autres choses, la DC 767 :

  • fait en sorte que les programmes, les services et les interventions du système correctionnel soient élaborés et fournis de manière à répondre aux besoins définis des délinquants appartenant à des minorités ethnoculturelles;
  • fait en sorte que le processus d’évaluation des délinquants tienne compte des différences ethnoculturelles et qu’il existe un mécanisme pour cerner les besoins et les intérêts culturels des délinquants appartenant à des minorités ethnoculturelles;
  • ordonne à la direction du SCC d’établir et d’entretenir des partenariats avec des collectivités et des organisations qui aideront à répondre aux besoins des délinquants appartenant à des minorités ethnoculturelles;
  • encourage les délinquants à former des associations ethnoculturelles qui les aideront à répondre à leurs besoins et à leurs intérêts culturels;
  • autorise la création et la gestion des comités consultatifs nationaux et régionaux en matière ethnoculturelle;
  • favorise l’existence d’un environnement exempt de profilage racial, de harcèlement et de stéréotypes, où les services, activités et interventions d’ordre ethnoculturel peuvent avoir lieu.

Profil des détenus de race noire purgeant une peine de ressort fédéral

14. La majorité des détenus de race noire purgeant une peine de ressort fédéral est incarcérée en Ontario et au Québec (61 % et 17 %, respectivement); toutefois, il existe aussi des populations de taille digne de mention dans les régions des Prairies et de l’Atlantique, où environ 11 % et 8 % des détenus de race noire sont sous les verrous 17 .

15. Seulement 4 % des détenus de race noire incarcérés dans les pénitenciers canadiens étaient des femmes (55) en 2011-2012; la majorité (96 %) était constituée d’hommes (1 285) 18 . Les détenus de race noire sont jeunes : la moitié d’entre eux ont 30 ans ou moins, tandis que 8 % ont plus de 50 ans 19 . Par comparaison, seulement 31 % de l’ensemble des détenus ont 30 ans ou moins. Un sur cinq a 50 ans ou plus 20 .

16. Les détenus de race noire forment un groupe très diversifié au sein duquel est représentée toute une gamme d’antécédents ethniques, de nationalités et d’expériences. Un peu plus de la moitié (53 %) des détenus de race noire étaient nés au Canada. Ceux qui étaient nés à l’étranger étaient fort probablement originaires de la Jamaïque et d’Haïti (17 % et 5 % respectivement) 21 . Cependant, on trouve aussi de nombreux détenus nés à la Barbade, au Ghana, à Grenade, en Guyane, en Somalie et au Soudan, et ils représentent de nombreuses cultures, traditions et coutumes différentes. La forte proportion de détenus de race noire nés dans des pays autres que le Canada pose des défis au SCC , car nombreux sont ceux dont la langue maternelle risque d’être une autre langue que l’anglais ou le français. La majorité des détenus de race noire ont dit avoir des liens avec une forme ou une autre du christianisme, mais d’autres confessions religieuses étaient représentées également, y compris l’islam (23 %) et le rastafarisme (6,5 %) 22 . Le SCC doit donc répondre aux divers besoins des fidèles (régimes alimentaires, vêtements, médicaments, livres et rites) sur ce plan.

Pourquoi les détenus de race noire ont-ils été incarcérés? 

17. La majorité des détenus de race noire (51 %) ont été incarcérés pour des infractions énumérées dans l’annexe I 23 (infractions violentes), en 2011-2012. Par ailleurs, 18 % l’ont été pour des infractions prévues dans l’annexe II 24 et liées au trafic des stupéfiants 25 . Environ 18 % des détenus de race noire ont été incarcérés pour avoir commis un meurtre au premier ou au second degré. Ces proportions correspondent à celles observées dans l’ensemble de la population carcérale. Les détenus de race noire se distinguent sensiblement de cette dernière à un égard particulier, soit celui des infractions sexuelles : environ 10 % d’entre eux ont été mis sous les verrous pour de telles infractions en 2011-2012, comparativement à 15,5 % chez l’ensemble des détenus sous responsabilité fédérale 26 .

Détenues purgeant une peine de ressort fédéral 

18. En 2011-2012, 55 détenues de race noire purgeaient des peines dans un pénitencier, ce qui équivalait à 9,12 % de toutes les femmes incarcérées. La majorité (78 %) d’entre elles est emprisonnée à l’Établissement pour femmes Grand Valley ( EFGV ), dans la région de l’Ontario. Au cours des 10 dernières années, le nombre de détenues de race noire a très peu fluctué entre 2002 et 2010, puis il a augmenté de 54 % et ensuite de 28 % entre 2010 et 2012. Ce nombre semble croître rapidement.

19. En 2011-2012, 53 % des détenues de race noire avaient été incarcérées pour des infractions figurant dans l’annexe II (stupéfiants). Les entrevues menées auprès des détenues de race noire à l’ EFGV ont montré que la plupart l’avaient été pour trafic de stupéfiants. Beaucoup ont précisé qu’elles avaient consciemment accepté de transporter des stupéfiants au-delà de frontières internationales, essentiellement pour tenter de sortir de la pauvreté. Certaines ont signalé qu’elles avaient été forcées de le faire après qu’on les ait menacées de s’en prendre à leurs enfants, ou à leur famille, ou aux deux. La plupart des femmes de race noire interviewées étaient des ressortissantes étrangères. Beaucoup ont parlé des difficultés inhérentes au fait qu’elles sont loin de leur famille et des réseaux de soutien communautaires et elles ont mentionné le coût élevé des appels chez elles depuis l’établissement correctionnel, de sorte qu’elles parlaient rarement aux membres de leur famille 27 . Le maintien de rapports avec leur foyer et leur famille s’accompagne d’énormes défis au chapitre de la réinsertion sociale. De nombreuses détenues de race noire dans les établissements fédéraux risquent l’explusion, une fois leur peine purgée.

20. Pendant les entrevues collectives et individuelles, les femmes ont exprimé d’autres soucis : l’impossibilité de se procurer des crèmes et des onguents médicamentés spéciaux pour la peau et les cheveux; le manque de cours pour acquérir des compétences appropriées (mises à part celles que nécessitent la lessive, le pliage, le pressage et le raccommodage des vêtements); la réduction des services des aumôniers à temps partiel, ce qui traduisait la crainte que les aumôniers chrétiens ne puissent pas répondre à leurs besoins spirituels. Enfin, bien que de nombreuses femmes de race noire à l’ EFGV aient été incarcérées pour trafic de stupéfiants, la condamnation pour une infraction de ce genre ne signifie pas nécessairement que la personne est toxicomane ou qu’elle abuse des drogues. Plusieurs femmes ont dit qu’elles ne comprenaient pas pourquoi elles devaient suivre les programmes liés à ce genre d’infractions, même dans le cadre d’un programme correctionnel de base plus vaste, si elles n’en avaient pas besoin.

Affiliation à un gang 

21. L’affiliation à un gang est un aspect qui distingue la population carcérale de race noire, en particulier les hommes, des autres détenus. En date du 14 avril 2013, les détenus de race noire étaient presque deux fois plus susceptibles que le reste de la population carcérale générale d’être affiliés à un gang (21,3 % comparativement à 12,3 %) 28 . Habituellement, les gangs sont impliqués dans toutes sortes d’activités criminelles, la plus courante étant le trafic des drogues illicites. Parmi les autres activités criminelles figurent la facilitation de la prostitution de rue, le vol, la fraude et les infractions armées 29 . D’après une étude menée par le SCC (2004), les délinquants affiliés à un gang sont plus susceptibles d’avoir commis des infractions violentes armées et liées aux stupéfiants 30 .

ANALYSE : EXPÉRIENCES DES DÉTENUS DE RACE NOIRE DANS LES ÉTABLISSEMENTS CORRECTIONNELS


Gestion de la population

22. Le SCC possède une stratégie de gestion de la population qui encourage l’intégration des diverses populations afin de créer des établissements où les groupes de détenus sont diversifiés 31 . Toutefois, les chercheurs ont constaté que les détenus de race noire sont incarcérés de façon disproportionnée dans des établissements particuliers du Québec et de l’Ontario. Par exemple, il y a cinq établissements à sécurité moyenne en Ontario 32 ; cependant, plus de la moitié (55 %) des détenus de race noire mis dans les établissements à sécurité moyenne dans la province sont emprisonnés dans deux établissements seulement (Collins Bay et Joyceville). Au Québec, il y a aussi cinq établissements à sécurité moyenne 33 , mais 60 % des détenus de race noire y étant placés le sont dans deux établissements uniquement (Cowansville et Archambault). Les cadres supérieurs du SCC interviewés aux fins de l’étude de cas ont souligné l’importance d’intégrer les diverses populations et de maintenir des rangées de cellules et des établissements favorisant la diversité. Ils ont précisé que cette pratique réduit sensiblement la violence et contribue à la création d’un environnement moins propice à la discrimination et aux stéréotypes culturels. Il se peut que cette situation s’explique en partie par le fait que des délinquants demandent à être transférés dans des établissements où existent des programmes culturels leur convenant, ou qu’ils le fassent pour se rapprocher des membres de leur propre culture, mais il est peu probable que les nombres disproportionnés de détenus de race noire dans certains établissements soient attribuables entièrement à cette réalité.

Le système ne répond pas aux besoins culturels des détenus de race noire

23. Le SCC a mis en place une vaste structure de gestion comprenant notamment une section des services ethnoculturels à l’administration centrale, un gestionnaire régional des services ethnoculturels, des coordonnateurs des activités ethnoculturelles dans les établissements et un comité consultatif ethnoculturel national et régional; tous ces éléments visent à mieux cerner et gérer les besoins et les intérêts culturels des délinquants appartenant aux minorités ethnoculturelles. Malgré tout, les chercheurs ont constaté que le système ne répond pas bien aux besoins culturels des détenus de race noire dans trois domaines clés : les programmes correctionnels, la disponibilité de certains produits et aliments propres à la culture des Noirs, et le soutien communautaire.

Les programmes correctionnels n’ont pas de pertinence culturelle 

24. L’article 76 de la LSCMLC stipule que le SCC doit fournir toute une gamme de programmes conçus pour répondre aux besoins des délinquants et pour contribuer au succès de leur réinsertion sociale. Au cours des 20 dernières années, le SCC a accordé la priorité aux programmes correctionnels en y voyant un important moyen de réduire les taux de récidive.

25. Les chercheurs ont constaté que, même si les programmes du SCC procurent aux détenus de race noire d’importants outils et stratégies, ces programmes ne correspondent pas nécessairement ou suffisamment à la réalité de ces détenus. Ceux-ci ont déclaré qu’ils ne se retrouvaient pas dans les programmes et qu’ils avaient l’impression que ceux-ci ne rejoignaient pas leurs expériences historiques ou vécues. Le personnel du SCC a dit ne pas estimer que la culture avait une pertinence particulière dans l’administration des programmes, car ceux-ci ont pour objet de remédier à des facteurs criminogènes et non de satisfaire à des besoins culturels. De leur côté, les détenus croient que leurs expériences de vie ont été fortement façonnées par la culture dans laquelle ils ont grandi; par conséquent, ce qui les a amenés à commettre un crime risque d’être différent de ce qui a été le cas d’autres détenus. Selon les détenus de race noire, les programmes seraient plus efficaces et ils en retireraient davantage si ceux-ci reflétaient de plus près leurs expériences. Ils ont convenu qu’un personnel enseignant plus diversifié contribuerait à créer un environnement où ils se sentiraient plus enclins à discuter ouvertement de questions se rapportant à leurs propres expériences et traditions et à leur culture. Les recherches menées par le SCC montrent que les programmes correctionnels ont la même efficacité auprès d’une large gamme de groupes ethniques, en particulier en ce qui concerne la réduction des risques de récidive, mais elles révèlent également que l’ethnicité et la culture des délinquants importent si l’on veut administrer efficacement les programmes correctionnels 34 .

26. Le SCC offre en fait certains programmes ethnoculturels axés expressément sur le patrimoine et la culture des Noirs (p. ex. à Springhill : un programme de cinq semaines pour renseigner les détenus sur les méthodes africentriques de guérison et de réinsertion sociale et sur la culture d’origine africaine; à Westmorland : un programme d’employabilité de dix semaines; à Dorchester : un programme sur l’art de se servir des tambours; dans la région de l’Atlantique : le SCC et la CLCC ont coparrainé, à l’intention des délinquants afro-canadiens, une session d’information sur le processus de demande de la libération conditionnelle). En outre, le SCC offre des bibliothèques contenant des ressources culturelles (livres, revues, journaux, etc.) dans la plupart des établissements, et certains de ceux-ci ont un programme d’arts ethnoculturels (p. ex. arts visuels et littéraires, arts du spectacle et musique); cependant, de nombreux détenus de race noire ont affirmé que les ressources en question sont limitées.

27. La participation aux activités culturelles et le soutien accordé à ces dernières dans les établissements peuvent faire grandement complément aux programmes du SCC . Certains détenus ont dit avoir été fiers d’organiser une activité culturelle (p. ex. Mois de l’histoire des Noirs, démonstration de l’utilisation des tambours), de communiquer avec d’autres au sujet de leurs traditions et de les éduquer en la matière. Le SCC encourage et organise un certain nombre d’activités interculturelles de sensibilisation (p. ex. colloques, conférences, ateliers, festivals, etc.), mais le soutien de ces activités au niveau des établissements n’est pas uniforme. Dans certains, les comités des détenus de race noire ont déclaré recevoir une aide et des conseils suffisants pour planifier leurs activités, présenter des repas culturels et inviter des conférenciers, tandis que d’autres ont dit que l’aide obtenue avait été minime ou nulle, au point que très peu d’activités avaient eu lieu dans leur établissement. Par exemple, le comité des détenus de race noire d’un établissement avait essayé à plusieurs occasions de se réunir avec le gestionnaire régional des services ethnoculturels pour discuter de certaines questions et demander des conseils, mais après 18 mois, il a reçu la réponse suivante : les fonctions de ce poste ont changé, et les détenus devront travailler avec leur représentant dans l’établissement, représentant qui, à leur avis, n’offrait pas un soutien suffisant.

Souvent, les produits culturels ne sont pas disponibles 

28. Tous les détenus de race noire, les femmes en particulier, ont mentionné qu’ils avaient un accès insuffisant à des produits d’hygiène expressément conçus pour leur type de cheveux ou de peau à la cantine. De nombreuses femmes ont souligné que l’apparence est importante dans la culture noire, notamment pour la confiance en soi et l’amour-propre. Plusieurs femmes noires portaient une coiffe, car elles avaient conscience que leurs cheveux étaient devenus cassants et qu’ils tombaient parce qu’elles n’avaient pas accès à des produits capillaires appropriés. Les détenus de race noire (tant les hommes que les femmes) ont aussi dit que leur peau était très sèche et qu’il leur fallait des lotions mieux adaptées à leur type de peau.

29. Au cours des trois dernières années, la réduction des soins de santé non essentiels fournis antérieurement par le SCC a ajouté au fardeau des personnes ayant besoin d’articles en vente libre, par exemple les shampooings, crèmes et lotions médicamenteux pour la peau, car elles doivent les acheter à la cantine des détenus. De nombreux détenus de race noire ont dit avoir un accès très limité à ces produits; par ailleurs, ceux qui sont offerts coûtent très cher.

30. Le SCC a récemment mis à jour la DC 890 – Cantines appartenant aux détenus dans laquelle on lit ce qui suit :

« L'objectif est de permettre aux détenus d'acheter, avec le crédit à leur compte pour produits d'hygiène, des produits de santé et d'hygiène actuellement disponibles à la cantine des détenus; chaque établissement s'assurera donc que ces catégories de produits actuellement disponibles sont offertes à la cantine sur le compte pour produits d'hygiène. Les établissements s'assureront également que la diversité culturelle, religieuse et spirituelle ainsi que le sexe de la population carcérale sont pris en considération dans le choix des types de produits offerts. Les établissements pourraient réduire l'offre de certaines catégories ou de certains types de produits si la nature de la clientèle l'exige ou en raison de la taille de la cantine, ou du faible taux de rotation de ces produits, ou encore pour des raisons de sécurité. »

Par ce passage, on vise à offrir une variété de produits à la cantine, mais ce texte ne constitue qu’une note de bas de page, et non un article distinct de la DC , de sorte qu’il n’a pas la force voulue pour garantir l’existence d’une bonne gamme de produits sur les étagères.

31. Les détenus étaient également très préoccupés par le manque d’accès à des aliments propres à leur culture et à leurs traditions. Tout au long de l’examen, les détenus ont signalé un accès nul ou inconstant à de tels aliments, en particulier à la cantine. La DC 880 – Services d’alimentation précise que le SCC doit fournir aux détenus un régime alimentaire fondé sur les exigences de leur confession religieuse; toutefois, il n’existe aucune disposition semblable sur les aliments ethniques (qui sont différents des aliments exigés par la religion) dans la DC sur les Services d’alimentation ou dans celle concernant les Cantines appartenant aux détenus. Il n’est pas obligatoire de fournir de tels aliments, mais, ce faisant, le SCC favorise grandement la reconnaissance des différences culturelles et l’égalité de traitement.

Manque de soutien communautaire pertinent 

32. La Directive du commissaire nº 767 – Délinquants ethnoculturels : services et interventions précise ce qui suit : « Le SCC établira et maintiendra des partenariats et des réseaux avec les collectivités et les organisations qui aideront à répondre aux besoins des délinquants ethnoculturels et qui favoriseront leur réinsertion sociale. » Les chercheurs ont constaté que, dans tous les établissements visités, les relations avec les groupes communautaires noirs étaient de toute évidence très limitées ou inexistantes.

33. De nombreux détenus de race noire ont déclaré n’avoir jamais vu ou rencontré un représentant d’un groupe communautaire noir, ou avoir parlé à une telle personne, bien que la plupart aient exprimé un ardent désir d’établir des relations de ce genre. Certains détenus en Ontario ont dit avoir entendu parler de la BIFA (Association des détenus de race noire), ou s’être entretenus avec des représentants de celle-ci. Il s’agit d’une organisation qui offrait dans le passé des services ethnoculturels en vertu d’un contrat conclu avec le SCC 35 .

34. Le comité des détenus de race noire, dans un des établissements visités, a déclaré avoir envisagé d’embaucher un représentant de leur collectivité en se servant de ses propres ressources; cette personne viendrait dans l’établissement, une fois par mois, pour fournir conseils et appui. Cette proposition n’en est qu’au stade initial, mais la discussion portant sur elle est valable. Les détenus gagnent très peu pendant leur incarcération; par conséquent, le fait que le groupe envisageait de contribuer à un fonds pour payer un conseiller communautaire en dit long sur ses besoins et sa soif de soutien communautaire.

35. Le SCC a mis sur pied un programme de mentorat qui met des délinquants en rapport avec des organismes communautaires leur fournissant un soutien et des relations dans la collectivité. Toutefois, aucun des délinquants interviewés par les chercheurs n’avait participé à ce programme ou n’en avait même entendu parler; on ne sait pas au juste quels établissements l’offrent actuellement. Le personnel du SCC a aussi déclaré qu’il incombe aux travailleurs sociaux et aux agents de libération conditionnelle d’aider les délinquants à se mettre en rapport avec des groupes communautaires, mais à cet égard également, les détenus de race noire ont dit avoir bénéficié de très peu d’aide. Le comité des détenus de race noire dans un établissement a affirmé qu’il avait essayé d’organiser une activité dans l’intention de faire venir des représentants de groupes communautaires noirs pour informer les agents de libération conditionnelle sur les services offerts aux détenus de race noire. Toutefois, l’activité n’a pas eu lieu à cause de ce qui a été considéré comme étant un manque de soutien ou d’intérêt de la part du personnel du SCC .

36. Le personnel du SCC a admis qu’il était difficile de faire venir des groupes communautaires noirs aux établissements, car ils sont souvent installés loin des centres urbains, comme c’est d’ailleurs le cas de bien d’autres entités de ce genre. Par conséquent, le personnel du SCC a conclu que les bénévoles devaient investir beaucoup de ressources et de temps pour se rendre aux établissements. Ces groupes peuvent contribuer grandement au succès de la réinsertion sociale des détenus de race noire. Ils peuvent profiter des permissions de sortir (avec ou sans escorte) pour mettre les détenus de race noire en rapport avec des organisations ou des groupes communautaires. Un comité de détenus de race noire a signalé qu’il avait demandé une telle permission à des fins culturelles auprès d’un organisme communautaire pour certains de ses membres; or, « … après trois ans, le personnel du SCC était encore en train d’étudier la demande ».

Conditions d’incarcération

37. De nombreux détenus de race noire ont signalé qu’ils avaient eu avec les autres détenus et le personnel du SCC des rapports attentionnés et respectueux, mais tous ont dit avoir fait l’objet de discrimination de la part d’autres détenus et d’employés du système correctionnel. Aspect important, les chercheurs ont constaté que les détenus de race noire étaient surtout préoccupés par le traitement que leur réservait le personnel du SCC . Ils attendaient de celui-ci une conduite de plus haute qualité, car, selon eux, ce personnel est censé faire preuve de professionnalisme et de respect dans l’exécution de ses fonctions.

38. Comme la littérature porte à le croire, la façon dont la discrimination et les préjugés se manifestent ou s’expriment a changé au fil du temps : on en délaisse les formes flagrantes (p. ex. propos et comportements racistes) en faveur de formes plus subtiles et dissimulées (p. ex. ne pas prêter attention à quelqu’un, l’éviter), de sorte qu’il est souvent difficile de les repérer et de leur faire échec 36 . Contrairement à la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario(1994), qui a constaté que les prisons ontariennes étaient des environnements très hostiles aux détenus de race noire quant à l’utilisation de propos racistes, les détenus de race noire sous responsabilité fédérale ont quant à eux déclaré que, même s’ils avaient entendu de tels propos ou en avaient fait l’objet, ce n’était pas là un phénomène omniprésent. Ils étaient davantage préoccupés par les comportements de nombreux employés du SCC . La majeure partie des situations signalées par les détenus au BEC s’apparentent à ce que la littérature définit comme étant la « discrimination voilée ».

39. De nombreux détenus ont dit que le personnel ne les écoutait pas quand ils posaient des questions. L’un d’eux a affirmé que les gardiens « […] me fixaient sans rien dire, comme si je n’étais pas droit devant eux ». Beaucoup estimaient que leurs besoins ne semblaient pas être primordiaux et que le personnel passait souvent outre à leurs préoccupations. Ce sentiment était particulièrement fort chez les détenus de race noire au chapitre des soins de santé. Beaucoup ont dit avoir été laissés de côté par le personnel médical, qui les instruisait parfois de « présenter une demande ». Ils avaient l’impression que les problèmes signalés par les autres détenus étaient pris en compte plus sérieusement ou que le personnel y remédiait aussitôt. Aux yeux de plusieurs, les détenus de race noire étaient assujettis à un « jeu de règles différent ». Certes, le sentiment d’être laissé pour compte ou méprisé par le personnel correctionnel est, à n’en pas douter, commun chez de nombreux détenus, mais ce comportement touche particulièrement ceux de race noire, car il renforce les expériences qu’ils ont vécues quotidiennement en étant victimes du racisme et de la discrimination. En établissement, cet état de choses accentue le sentiment de marginalisation, d’exclusion et d’isolement. En outre, même si certains de ces incidents peuvent paraître insignifiants, l’effet cumulatif risque d’être aussi dommageable ou stigmatisant que les types plus flagrants de discrimination.

40. Les détenus de race noire ont donné de nombreux exemples de stéréotypes. Les jugements au sujet de leur personnalité et de leur mode de vie étaient courants également. La majorité des hommes ont dit être considérés comme étant des « gangsters » ou des « fauteurs de troubles », ou encore des « trafiquants de drogue » ou des « coureurs de jupons ». De nombreux membres du personnel du SCC ont corroboré ces dires et convenu que certains d’entre eux avaient des préjugés et employaient des stéréotypes pour évaluer tout ce que les détenus de race noire faisaient; cependant, ces employés du SCC estimaient que la majorité du personnel agissait de façon équitable et professionnelle. Dans tous les établissements pour hommes, les qualificatifs « gangster » et « fauteur de troubles » étaient couramment employés, surtout quand trois détenus de race noire ou plus étaient rassemblés. (L’étiquette « fautrice de troubles » était fréquente également dans l’établissement pour femmes, là encore quand plusieurs détenues noires se tenaient ensemble.)

41. Les stéréotypes décrivant les détenus de race noire comme étant des gangsters ou affiliés à un gang les préoccupent particulièrement. Ils pensent que tout ce qu’ils font ou disent est perçu ou évalué à la lumière de ce qualificatif. Selon eux, cette « étiquette » les empêche souvent d’obtenir des emplois chez CORCAN ou des postes de confiance dans l’établissement, ce qui les confine dans l’établissement à du travail ne leur procurant qu’en infime quantité l’expérience et la formation qui pourraient les aider au moment de leur libération. De nombreux détenus de race noire ont parlé de la façon dont leur langage corporel, leur manière de parler, leur emploi de certaines expressions, leur tenue vestimentaire et leur association à d’autres étaient souvent perçus par le personnel du SCC comme étant typiques du comportement des gangs. Les stéréotypes de « fauteur de troubles » et de « gangster » étaient tellement répandus dans un établissement que le comité des détenus de race noire y a cessé de se réunir et a été dissous. Le comité a estimé que ses réunions attiraient une attention injuste de la part des gardiens, qui ne cessaient de circuler autour de lui et interrogeaient ses membres après les réunions pour savoir de quoi ils avaient discuté.

Affiliation à un gang 

42. Les détenus de race noire sont deux fois plus susceptibles d’être affiliés à un gang, mais la grande majorité (79 %) d’entre eux ne le sont pas. Malgré tout, l’affiliation à un gang demeure la caractéristique qui semble caractériser et définir le plus l’expérience des détenus de race noire dans les pénitenciers.

43. En surface, l’affiliation à un gang, telle que le SCC l’évalue et la définit, semble reposer sur des critères objectifs : l’identification auprès de sources fiables (informateurs, sources communautaires ou dans l’établissement); des preuves écrites ou électroniques concrètes (p. ex. des photos); des moyens d’identification communs, ou symboliques, ou les deux (p. ex. cicatrices, marques, tatouages ou attirail propre à une organisation criminelle); un comportement observé qui, par sa nature ou par association, constitue un motif raisonnable de croire que le délinquant est probablement affilié à un gang 37 . Dans la pratique, ces critères risquent d’être discrétionnaires et de donner lieu à une confirmation tendancieuse et à l’interprétation de l’information ou du comportement d’une façon qui renforce des idées préconçues et des jugements subjectifs. Une fois l’étiquette de gangster appliquée, sa validité et sa fiabilité semblent être rarement remises en question, surtout chez ceux qui occupent des postes opérationnels au contact des détenus de race noire. Ce genre d’étiquetage est particulièrement douteux quand il est fondé sur des renseignements du service de sécurité interne ou sur des informateurs incarcérés, renseignements qui ne sont pas toujours confirmés par des organismes extérieurs d’application de la loi ou par les autorités judiciaires.

44. Ceux qui avaient l’impression d’avoir été étiquetés à tort se sentaient particulièrement vulnérables, car, pour se dissocier d’un gang, le détenu doit présenter une demande par écrit afin de mettre un terme à son affiliation ( DC 568-3 - Identification et gestion des groupes menaçant la sécurité ). Toutefois, en faisant cela, ils avaient l’impression d’avouer avoir fait quelque chose, contrairement à ce qui était effectivement le cas.

Comment le SCC a-t-il réagi à la discrimination et aux stéréotypes? 

45. Le SCC a adopté diverses mesures visant à faire échec à la discrimination et aux stéréotypes. Certaines ont pour objet d’accroître la représentation des minorités culturelles parmi le personnel (p. ex. embauche ciblée, salons des carrières, programmes de planification de la carrière destinés au personnel issu de minorités visibles, etc.) et d’améliorer la formation du personnel au chapitre de la diversité et son degré de sensibilisation aux différences culturelles (p. ex. création de documents de référence expressément sur les délinquants appartenant à un groupe ethnoculturel, portail sur la réceptivité, etc.). D’autres mesures mettent l’accent sur la planification des ressources humaines du SCC et comprennent des initiatives visant à garantir l’égalité et la représentation dans toute l’organisation : mentionnons le Comité de la diversité et de l’équité en matière d’emploi, le Conseil consultatif national sur la diversité, un plan d’action sur l’équité en matière d’emploi et des programmes de perfectionnement destinés aux groupes désignés. À son honneur, le SCC a fait mener une consultation nationale en 2011 auprès des employés membres d’une minorité visible, ce qui a produit un plan d’action sur les minorités visibles contenant 37 mesures; cependant, on ne sait pas au juste ce qui a été accompli jusqu’ici.

46. Bien que ces activités et ces processus soient importants, une formation et un renforcement continus s’imposent. Le personnel du SCC a signalé la nécessité d’une formation pratique sur la culture et la diversité. La participation des employés aux activités culturelles organisées dans les établissements est essentielle pour encourager l’apprentissage et les rapports avec les membres d’autres cultures dans un contexte où l’accent est mis sur autre chose que la sécurité. En outre, il faut constamment contrôler et évaluer les résultats de ces programmes et activités pour s’assurer qu’ils produisent les effets voulus. Or, les chercheurs ont relevé peu de signes attestant qu’un contrôle ou une évaluation des diverses mesures adoptées par le SCC avaient effectivement eu lieu.

47. Une des questions qui tenait à cœur aux détenus de race noire et aux employés du SCC concernait la nécessité d’avoir plus de représentants des minorités visibles au sein du personnel, surtout dans les établissements où la proportion de détenus appartenant à une telle minorité est élevée. Par exemple, dans l’Établissement de Joyceville, en 2012-2013, ces détenus représentaient au moins 56,4 % 38 de la population carcérale; or, seulement 5,8 % 39 du personnel de cet établissement était membre d’une minorité visible. Peu importe que la proportion des employés appartenant à une telle minorité égale ou dépasse celle observée dans la main-d’œuvre au niveau national, il faut clairement que le personnel du SCC reflète de plus près la diversité de la population carcérale dans les établissements. Fait intéressant, l’établissement où les détenus ont été totalement d’accord pour dire que les relations entre le personnel et les détenus s’étaient améliorées aux chapitres de la discrimination et des stéréotypes était celui où la proportion des détenus appartenant à une minorité visible s’apparentait le plus à celle des employés eux aussi membre d’une telle minorité.

Ridiculisés à cause d’un accent 

48. Des détenus de race noire ont dit avoir du mal à communiquer avec le personnel correctionnel parce qu’ils ne parlaient pas couramment l’anglais ou le français, mais ils étaient plus préoccupés par le ridicule dont faisaient l’objet les leurs qui parlaient avec un accent. Des détenus ont cité des cas où ils avaient entendu le personnel du SCC se moquer des accents de détenus de race noire, ou essayer de parler avec un accent jamaïcain, par exemple, à leurs collègues. Un détenu a mentionné le cas d’un agent correctionnel qui lui avait dit : « Tu as une patate dans la bouche, ou quoi? Ne me parle pas comme un vaurien! »

49. La DC 767 - Délinquants ethnoculturels : services et interventions garantit l’aide d’un interprète aux délinquants qui ne parlent ni l’anglais ni le français aux audiences ou quand ils ne comprennent pas les documents leur étant fournis. Cette mesure fait certes en sorte que les détenus n’étant ni anglophones ni francophones bénéficient d’un soutien au moment des procédures officielles, mais elle n’élimine pas les difficultés que les détenus ont tous les jours quand ils communiquent avec le personnel correctionnel. Les détenus de race noire ont déclaré que certains membres du personnel parlaient des langues autres que l’anglais ou le français, ce qui a été d’un grand secours à certains d’entre eux. Dans tous les établissements, les détenus ont fait savoir que la présence d’un personnel plus diversifié aiderait certainement à réduire le nombre de cas où ils sont ridiculisés ou font l’objet de moqueries, car ils ont estimé que les membres du personnel hésiteraient davantage à s’adonner à des comportements de ce genre en présence de leurs collègues appartenant à d’autres cultures.

ANALYSE : LES RÉSULTATS DES DÉTENUS DE RACE NOIRE EN ÉTABLISSEMENT


Emploi et échelle salariale 

50. Il est important que les détenus travaillent pendant leur incarcération, car cela favorise leur retour dans la société en leur donnant l’occasion d’acquérir une expérience et des compétences utiles pour occuper un poste dans des domaines tels que la construction et la fabrication. Les détenus de race noire ont toujours dit avoir du mal à trouver un emploi en établissement et ils ont souligné que les postes « de confiance » ou de CORCAN leur sont offerts moins souvent qu’aux autres. Aux yeux de beaucoup, cela résulte des stéréotypes et du fait qu’ils sont étiquetés comme étant des « gangsters » ou des « fauteurs de troubles ». En 2012-2013, le taux de chômage dans les établissements correctionnels fédéraux était de 1,5 %; cependant, celui des détenus de race noire était beaucoup plus élevé, à 7 % 40 . Par ailleurs, ces détenus sont sensiblement moins susceptibles que le reste de la population carcérale d’occuper un des postes chez CORCAN. Ces derniers sont très prisés, car ils procurent aux détenus une expérience et des compétences professionnelles dans un métier donné. En 2012-2013, 29 % de tous les détenus travaillaient dans un poste quelconque chez CORCAN, comparativement à seulement 22 % de la population carcérale noire 41 . Ces constatations valent pour les dix dernières années.

51. Dans deux des établissements pour hommes, les détenus de race noire estimaient faire l’objet de discrimination et ne pas pouvoir obtenir un emploi chez CORCAN, même après avoir fait plusieurs demandes. Ils ont déclaré que les seuls détenus de race noire qui travaillaient là étaient ceux qui y avaient déjà été employés; il était rare que de nouveaux détenus de race noire soient recrutés. Dans un des établissements, le personnel du SCC a pris conscience de ce problème et a travaillé avec le coordonnateur de l’emploi pour s’assurer que la candidature d’un plus grand nombre de détenus de race noire soit prise en considération pour les postes de CORCAN, ce qui a finalement entraîné l’embauche de quelques détenus.

52. En revanche, il est encourageant de constater que les détenus de race noire touchent essentiellement le même salaire que la population carcérale générale. En fait, ils étaient un peu plus susceptibles que cette dernière de se situer au niveau de paie le plus élevé (28 % contre 26 %) et un peu moins susceptibles de toucher le niveau de paie le plus faible (4 % par rapport à 5 %).

Risques et besoins 

53. Les détenus de race noire sont légèrement moins susceptibles que la population carcérale générale d’être considérés comme nécessitant souvent une intervention ou comme présentant un risque plus élevé de récidive, et plus susceptibles d’être jugés comme ayant un faible niveau de besoin et comme présentant de faibles risques, malgré la probabilité plus grande qu’ils soient affiliés à un gang. Parmi les détenus de race noire, 55 % ont été cotés comme présentant des risques élevés, et 57 %, comme ayant de grands besoins, comparativement à 59 % de tous les détenus présentant des risques élevés et à 60 % ayant de grands besoins. Par comparaison, 10 % des détenus de race noire ont été considérés comme présentant de faibles risques, comparativement à 8 % de la population générale, et 7 % d’entre eux ont été cotés comme ayant de faibles besoins, comparativement à seulement 5 % de la population carcérale dans son ensemble 42 .

Classement selon le niveau de sécurité 

54. On attribue un classement aux détenus, aux fins de la sécurité, au moment de leur incarcération pour s’assurer qu’ils sont placés dans l’établissement correctionnel répondant le mieux à leurs besoins quant aux programmes et à la garde. Ce classement est un processus continu qui commence à l’admission; il est réévalué périodiquement, conformément aux lignes directrices établies, jusqu’à l’expiration du mandat. Les décisions concernant le classement d’un détenu aux fins de la sécurité sont fonction de divers facteurs (p. ex. l’adaptation à l’établissement, les risques d’évasion et, si le détenu s’évade, le risque qu’il commette une autre infraction, etc.) Ce classement est important, car il détermine le lieu et les conditions d’incarcération du détenu, l’accès aux programmes et la réinsertion sociale dans la collectivité.

55. Bien que l’on ait considéré les détenus de race noire comme présentant un risque moins élevé de récidive et des besoins moindres dans l’ensemble, entre 2009-2010 et 2012-2013, ils ont toujours été plus susceptibles que la population carcérale générale d’être emprisonnés dans un établissement à sécurité maximale et moins susceptibles de l’être dans un établissement à sécurité minimale. Par exemple, en moyenne au cours des quatre dernières années, environ 10,4 % des détenus ont été placés dans un établissement à sécurité maximale, et 29,3 %, dans un établissement à sécurité minimale; cependant, 15,1 % des détenus de race noire ont été envoyés dans un établissement de la première catégorie, et seulement 21,6 %, dans un établissement de la seconde (voir le Tableau 1 ci-dessous). En outre, au cours des cinq dernières années (de 2007-2008 à 2011-2012), les détenus de race noire ont toujours été moins susceptibles de voir leur score dans l’échelle de classement par niveau de sécurité leur valoir un placement dans un établissement à sécurité moyenne ou minimale 43 .

Tableau 1 : Pourcentage des placements initiaux dans les pénitenciers (%) 
2009-2010 2010-2011 2011-2012 2012-2013 Moyenne (4 ans)  
Total      
Séc, maximale9,6 %11,1 %10,6 %10,4 %10,4 %
Séc, moyenne56,2 %55,3 %55,1 %53,6 %55,1 %
Séc, minimale30,4 %28,6 %29 %29,1 %29,3 %
Total 4 9905 0305 0064 657 
      
Détenus de race noire      
Séc, maximale14,7%15,5%18,4%11,9%15,1%
Séc, moyenne60,8%63,9%58%64,3%61,8%
Séc, minimale22,7%18,9%21,8%22,8%21,6%
Total 375440376378 

Source : Services d’entrepôt de données du SCC , mars 2013.

Accusations d’infractions disciplinaires 

56. Les règles sont rigoureusement formulées dans les établissements correctionnels, mais l’application de mesures disciplinaires risque d’être discrétionnaire ou subjective dans certains cas. Des recherches antérieures menées dans les prisons ontariennes montrent que les détenus de race noire risquent davantage d’être accusés d’inconduite par suite d’un jugement subjectif de la part des agents correctionnels (p. ex. manque de respect envers le personnel, transgression d’une règle, etc.), et moins de l’être dans les cas où ces agents doivent présenter des preuves concrètes (p. ex. possession de contrebande) 44 . Cela est important, car les accusations d’infractions disciplinaires peuvent avoir des conséquences graves et entraîner une prolongation de la peine, ou le refus de la libération conditionnelle, ou les deux.

57. Entre 2007-2008 et 2011-2012 45 , le nombre d’accusations d’infraction disciplinaire portées contre les détenus de race noire a augmenté de 59 %, même si, dans l’ensemble, il avait diminué de 7 %. Au cours de cette période de cinq ans, les détenus de race noire ont toujours été surreprésentés dans les catégories d’accusations que l’on pourrait considérer comme étant discrétionnaires ou nécessitant un jugement de la part des agents correctionnels. Par exemple, en 2011-2012, les détenus de race noire constituaient 9,3 % de la population carcérale, mais 13 % des détenus accusés de manque de respect envers le personnel, 21 % de ceux accusés d’avoir désobéi à un ordre, 24 % de ceux accusés d’avoir compromis la sécurité de l’établissement ou d’une autre personne, et 12 % de ceux accusés d’avoir suscité des troubles. En revanche, pendant la même période, dans les catégories que l’on pourrait considérer comme étant moins discrétionnaires, les détenus de race noire étaient toujours sous-représentés parmi ceux accusés d’avoir en leur possession des objets volés, d’avoir commis un vol, d’avoir endommagé ou détruit des biens et de posséder des articles interdits.

58. Ces données vont dans le sens des déclarations des détenus de race noire qui estimaient avoir été la cible d’accusations d’infractions disciplinaires, notamment celles ayant à voir avec le manque de respect ou la provocation de troubles. Par exemple, de nombreux détenus de race noire croyaient être visés par les accusations de ces catégories parce qu’ils avaient tendance à parler fort pendant des conversations avec d’autres détenus et qu’ils utilisaient des postures ou des gestes expressifs dans ce contexte. Bien que ces gestes et postures fussent perçus par les détenus de race noire comme « faisant partie de notre culture, tout simplement », le personnel correctionnel y voyait une attitude agressive et belligérante. Les détenues de race noire, en particulier, ont dit avoir été prises à partie pour avoir exprimé leur mépris en faisant du bruit avec leur bouche, dans un geste équivalant plus ou moins à dire « Ouais! Ouais! Ouais! Comme tu voudras! » (interprétation des femmes de race noire), mais que le personnel correctionnel percevait comme étant un comportement irrespectueux.

Isolement et recours à la force 

59. Entre 2007-2008 et 2011-2012, les détenus de race noire ont toujours été surreprésentés dans les placements en isolement non sollicités et disciplinaires. Ce constat s’explique sans doute en partie par le fait que le SCC utilise l’isolement pour gérer les groupes et les personnes incompatibles entre eux, par exemple pour séparer les membres de gangs. La loi exige que l’isolement ne soit employé qu’en dernier recours et pour des périodes aussi courtes que possible, mais il est devenu un outil normal de gestion des détenus pour maintenir la sécurité dans l’établissement; cependant, cette démarche risque de toucher les détenus de race noire d’une façon disproportionnée.

Tableau 2 : Placements des détenus de race noire en isolement (%) 
2007-2008 2008-2009 2009-2010 2010-2011 2011-2012  
Sollicités 3,73,54,06,35.4
Non sollicités/Disciplinaires 8,69,310,010,811,7
% des détenus de race noire par rapport à la population carcérale totale 7,38,08,59,19,3

Source : Services d’entrepôt de données du SCC , février 2013.

60. De même, en 2012-2013, les détenus de race noire étaient surreprésentés dans la catégorie des incidents ayant comporté le recours à la force. Ils ont été impliqués dans 13 % 46 de ces incidents bien que ne représentant que 9,3 % de la population carcérale. Il n’est pas déraisonnable de conclure que la discrimination et les stéréotypes dont les détenus de race noire disent faire l’objet aient pu contribuer à leur surreprésentation dans la catégorie susmentionnée. Les stéréotypes en particulier risquent d’inciter à croire que certains groupes sont plus dangereux ou violents que d’autres, et ce phénomène est souvent renforcé par les images négatives diffusées par les médias. Fait intéressant, les détenus de race noire n’ont pas déclaré qu’ils se sentaient particulièrement visés en ce qui concerne les placements dans les cellules d’isolement ou le recours à la force.

Mise en liberté sous condition 

61. Presque tous les détenus sous responsabilité fédérale retournent tôt ou tard dans la collectivité. Les permissions de sortir et la libération conditionnelle sont d’importants outils favorisant le retour progressif des délinquants dans la collectivité en toute sécurité. Il est plus sûr d’assujettir les délinquants à une période de surveillance dans la collectivité que de les libérer directement à la fin de leur peine, sans qu’ils fassent l’objet d’une surveillance dans la collectivité pendant un certain temps. Depuis 2001-2002, les taux d’octroi de semi-liberté et de libération conditionnelle totale de détenus sous responsabilité fédérale sont à la baisse, quelle que soit leur catégorie 47 .

62. Selon la Commission des libérations conditionnelles du Canada, les statistiques des cinq dernières années (de 2007-2008 à 2011-2012) montrent que les détenus de race noire ont toujours été moins susceptibles que les membres de la population carcérale générale de bénéficier d’une semi-liberté ou d’une libération conditionnelle totale en vertu du régime fédéral (voir le Tableau 3).

Tableau 3 : Taux d’octroi de semi-liberté et de libération conditionnelle totale, par race (%) 
2007-20082008-20092009-20102010-20112011-2012Moyenne (5 ans) 
Semi-liberté       
Détenus de race noire666258545558
Total737168636468
Libération conditionnelle totale       
Détenus de race noire16201292516
Total202118172320

Source : Commission nationale des libérations conditionnelles – Rapport de surveillance du rendement, 2011 2012.

63. Au cours des cinq années allant de 2008-2009 à 2012-2013, les délinquants de race noire étaient tout aussi susceptibles que les membres de la population carcérale générale de bénéficier d’une libération d’office ou d’être libérés à l’expiration du mandat 48 .

64. Au cours des dix dernières années, les détenus de race noire ont toujours été sous-représentés parmi les détenus qui bénéficiaient de permissions de sortir avec escorte ( PSAE ) ou sans escorte ( PSSE ). Par exemple, en 2011-2012, les détenus de race noire constituaient 9,3 % de la population carcérale, mais seulement 3,8 % des détenus ayant reçu une PSAE et, fait encore plus frappant, seulement 1,6 % de ceux ayant obtenu une PSSE . Ces statistiques confirment les déclarations des détenus de race noire soutenant qu’ils n’avaient pas accès aux PSEA et aux PSSE .

Résultats correctionnels : après la libération 

65. Fait surprenant, bien que les conditions et le traitement imposés aux détenus de race noire semblent plus difficiles ou défavorables, ceux-ci se tirent raisonnablement bien d’affaire en tant que groupe, une fois libérés. Au cours des cinq dernières années (de 2007-2008 à 2011-2012), les taux de réussite des détenus ayant bénéficié d’une semi-liberté et d’une libération conditionnelle totale ont toujours été plus élevés chez les détenus de race noire. Par exemple, en 2011-2012, ces derniers ont enregistré un taux de réussite de 83 % au chapitre des libérations conditionnelles totales, comparativement à 79 % pour l’ensemble des délinquants 49 . En outre, les détenus de race noire n’étaient pas plus susceptibles que l’ensemble des délinquants de voir leur semi-liberté ou libération conditionnelle totale révoquée à cause d’une infraction avec violence.

66. Au cours de la même période également, les détenus de race noire avaient toujours plus de chances que l’ensemble de la population carcérale de terminer avec succès leur période de surveillance après leur libération d’office. Ils étaient aussi susceptibles que tous les autres délinquants de voir leur libération d’office révoquée à cause d’une infraction avec violence.

67. Enfin, la période postérieure à l’expiration du mandat donne une bonne idée de la capacité d’un délinquant, à long terme, de vivre loin du crime dans la collectivité, une fois sa peine purgée. En général, les détenus de race noire étaient moins susceptibles d’être réincarcérés dans un établissement fédéral pendant leur période de libération conditionnelle ou de libération d’office, ou à l’expiration du mandat 50 .

Une population résiliente? 

68. Comme on l’a lu plus haut, les détenus de race noire semblent mieux se tirer d’affaire après leur libération et obtenir alors de meilleurs résultats, bien qu’ils aient fait l’objet de traitements inéquitables en prison. Des recherches portent à croire que des aspects de la vie et de la culture des Noirs nord-américains leur procurent peut-être une certaine protection. On a montré que la socialisation raciale (p. ex. recevoir des messages mettant l’accent sur la fierté raciale et se documenter sur son patrimoine et sa culture) et l’établissement de réseaux de soutien social (p. ex. famille immédiate et famille élargie, collectivité, églises et adoption par des membres de la famille), autant d’atouts qui sont courants dans les collectivités noires, contribuent à la résilience et à la capacité de surmonter l’adversité 51 . Il se peut que ces facteurs culturels de protection favorisent l’obtention de résultats supérieurs à la moyenne par les détenus de race noire après leur libération. Cette question dépasse la portée de la présente étude, mais il est clair que d’autres recherches s’imposent pour cerner les causes expliquant ce qui, autrement, semble être contraire à ce à quoi l’on s’attendrait normalement.

DISCUSSION


Que signifie le mot « diversité » pour le SCC ?

69. Le SCC a adopté un certain nombre de mesures pour mieux cerner les besoins d’une population carcérale plus diversifiée sur le plan ethnoculturel et pour y répondre; il a mis sur pied une structure organisationnelle pour appuyer son travail à cet égard : des comités de la diversité (p. ex. comités consultatifs national et régionaux sur les différences ethnoculturelles, Conseil consultatif national sur la diversité, Comité national de la diversité); des programmes culturels et des activités de sensibilisation; une formation sur la diversité et des cours de sensibilisation aux différences culturelles; des initiatives en matière de dotation qui visent à accroître la représentation des groupes désignés dans le personnel (p. ex. recrutement ciblé, Comité de la diversité et de l’équité en matière d’emploi, programmes de mentorat et de leadership). Cependant, des défis demeurent, et le SCC se verra de plus en plus pressé de répondre à une vaste gamme de besoins afférents à la diversité.

Une main-d’œuvre représentative 

70. Le personnel du SCC et les détenus de race noire ont souligné l’importance de veiller à ce qu’il y ait une main-d’œuvre représentative à tous les niveaux et dans tout l’établissement. Bien qu’à l’échelle nationale, le SCC atteigne et dépasse souvent les objectifs fixés quant à la disponibilité de la main-d’œuvre et à l’équité en matière d’emploi, cela est loin d’être le cas au niveau des établissements. Le SCC a adopté un certain nombre de stratégies liées aux ressources humaines qui visent à accroître la représentativité des employés grâce à diverses campagnes de recrutement ciblé et en améliorant la mobilité verticale des employés membres d’une minorité visible. Toutefois, les chercheurs n’ont relevé aucun signe attestant que l’efficacité de ces initiatives avait été examinée ou évaluée ou qu’elles permettaient de produire les résultats voulus. Les stratégies de recrutement et de conservation des effectifs doivent viser les établissements de première ligne (et non pas seulement les administrations régionales ou centrale) et leur accorder la priorité, car c’est là que se trouve la majeure partie des délinquants appartenant à divers groupes ethnoculturels. Les agents correctionnels qui peuvent parler des langues autres que l’anglais ou le français constituent des atouts de plus en plus importants lorsqu’il s’agit d’améliorer les relations et les communications avec les détenus nés à l’étranger, qui sont de plus en plus nombreux.

Formation du personnel 

71. Le SCC a élaboré un certain nombre de cours, d’ateliers et de manuels pour renseigner ses employés sur les questions de diversité; cependant, des difficultés persistent lorsqu’il s’agit de s’assurer qu’ils sont efficients et efficaces. Le SCC doit veiller à ce que sa formation sur la diversité soit la même dans toutes les régions, à ce qu’elle soit intégrée dans l’ensemble du cadre de formation et à ce qu’elle soit complétée par un suivi pratique continu, par des expériences concrètes et par un soutien. Un plan de sensibilisation à la diversité, dont l’application commencerait au stade de l’orientation des employés et se poursuivrait tout au long de leur carrière aiderait sans doute grandement à sensibiliser davantage le personnel du SCC aux différences culturelles, ce dont il a grandement besoin. Cette formation doit reposer sur l’expérience opérationnelle pratique et s’adresser en priorité aux agents correctionnels de première ligne.

Programmes correctionnels ethnoculturels 

72. L’analyse débouche par ailleurs sur d’importantes constatations en ce qui concerne le contenu, la mise en œuvre et la pertinence des programmes correctionnels ethnoculturels. Par exemple, ils ne sont souvent offerts que dans un établissement par région. Cette façon de faire donne lieu à des stratégies de gestion de la population qui sont contraires aux pratiques et aux principes d’intégration. En outre, il est clair qu’il faut réexaminer, réviser et mettre à jour les principaux programmes correctionnels du point de vue de la diversité pour y intégrer plus de modules, d’exemples et d��éléments tirés de l’expérience concrète des minorités ethnoculturelles. S’il y avait de plus nombreux animateurs des programmes destinés aux minorités visibles, la pertinence de ces derniers et le nombre de participants seraient accrus, et la conservation des notions acquises par là serait meilleure, de sorte qu’un plus grand nombre de personnes les suivraient sans doute jusqu’au bout.

Culture organisationnelle 

73. Les résultats du Sondage sur le climat éthique 2012montrent clairement que la façon dont le personnel du SCC apprécie et applique les principes que sont le respect, l’équité, l’inclusivité, l’obligation redditionnelle et le professionnalisme dans le milieu de travail laisse beaucoup à désirer 52 . Le sondage, auquel les membres du personnel ont participé volontairement, a permis de recueillir des renseignements sur l’abus de pouvoir, la discrimination, le harcèlement, les comportements déplacés et d’autres traitements grossiers et dégradants. Dans l’ensemble, près de 25 % des répondants ont indiqué qu’ils avaient fait l’objet de discrimination pour au moins un des motifs de distinction illicite (race = 45 %; sexe = 43,6 % et âge = 36,3 %) au cours de l’an dernier. Parmi ceux qui avaient été victimes de discrimination, plus de 60 % ont déclaré que l’auteur de la discrimination était un collègue occupant un poste plus élevé qu’eux dans le Service, y compris les gestionnaires; 31,8 % des membres de l’échantillon ont dit avoir été harcelés dans le milieu de travail l’an dernier, la plupart par des supérieurs, des surveillants immédiats ou des collègues de leur propre unité de travail. Cela engendre un milieu de travail malsain, voire « toxique » 53 dans l’ensemble. Étant donné la piètre façon dont les membres du personnel du SCC se traitent mutuellement, il y a lieu de se demander comment les délinquants d’une autre culture, nationalité, religion, croyance ou race sont traités à l’intérieur des murs d’un pénitencier. Le SCC doit veiller à maintenir une saine culture organisationnelle, car c’est là le fondement de tout le reste.

Contrôle, rapports et évaluation 

74. En 2004, le SCC a produit un rapport de recherche intitulé « A Profile of Visible Minority Offenders in the Federal Canadian Correctional System »(Profil des délinquants membres d’une minorité visible dans le système correctionnel fédéral canadien). Les chercheurs n’ont relevé aucun signe les portant à croire que des recherches de ce genre se poursuivent au SCC ; il n’existe par ailleurs aucun rapport public sur le sort des membres des minorités visibles dans les établissements fédéraux. Il est essentiel d’exercer un contrôle continu et de dresser des rapports réguliers pour garantir l’efficacité du processus décisionnel et la mesure des progrès accomplis.

PRINCIPALES CONSTATATIONS


75. Malgré une stratégie de gestion de la population qui encourage l’intégration des divers groupes et malgré la « pratique exemplaire » consistant à placer ceux-ci dans des rangées de cellules différentes pour réduire la violence, le SCC emprisonne de façon disproportionnée les détenus de race noire dans des établissements particuliers dans les régions de l’Ontario et du Québec.

76. Les détenus de race noire interviewés faisaient communément l’objet de discrimination, laquelle les empêche souvent d’obtenir un emploi en établissement, les aliène, entrave leur pleine participation et renforce chez eux le sentiment qu’ils ne sont pas traités comme tout le monde.

77. Les détenus de race noire sont stéréotypés par le personnel du SCC qui les considère souvent comme étant des gangsters. Les comportements, les actions ou les communications verbales de tous les détenus de race noire semblent être évalués en fonction de ce paramètre (appartenance à un gang).

78. L’étiquette de « gangster » est attribuée en fonction de certains critères discrétionnaires prêtant à interprétation et à des jugements subjectifs, de sorte qu’un nombre disproportionné de détenus de race noire sont identifiés ou traités comme s’ils appartenaient à un gang.

79. Les programmes correctionnels de base ne reflètent pas bien le vécu des détenus de race noire et ils leur offrent peu d’occasions de discuter des problèmes intéressant leur savoir, leur culture ou leurs traditions.

80. Quand des programmes ethnoculturels sont offerts aux détenus de race noire, ils ne le sont souvent que dans un seul établissement ou de façon incohérente, de sorte que la possibilité d’y participer risque d’être limitée.

81. Le SCC n’a pas satisfait aux exigences de la DC 767 – Délinquants ethnoculturels : services et interventions . Celle-ci instruit expressément la direction du SCC d’établir et d’entretenir des partenariats avec des collectivités et des organisations pour aider à répondre aux besoins des délinquants appartenant à des minorités ethnoculturelles. Les chercheurs ont constaté ici que les partenariats avec les groupes et organismes communautaires noirs étaient limités ou, dans la plupart des cas, inexistants.

82. Les détenus de race noire n’ont pas régulièrement accès à des produits d’hygiène particuliers pour les cheveux et la peau à la cantine, de sorte que beaucoup perdent des cheveux en abondance et ont la peau très sèche.

83. Bien que les détenus de race noire soient considérés comme présentant des risques de récidive moindres et des besoins moins grands dans l’ensemble, ils sont plus susceptibles d’être emprisonnés dans des établissements à sécurité maximale.

84. Les détenus de race noire sont libérés plus tard pendant leur incarcération (taux plus faible d’octroi de la libération conditionnelle) et ils sont moins susceptibles de bénéficier de permissions de sortir.

85. Relativement à de nombreux paramètres de rendement en établissement, les détenus de race noire arrivent derrière la population carcérale générale :

  • Ils sont plus susceptibles de faire l’objet d’accusation d’infractions disciplinaires;
  • Ils ont moins de chances d’être employés, notamment dans les postes de « confiance » ou chez CORCAN;
  • Ils sont surreprésentés dans les placements en isolement;
  • Ils sont impliqués de façon disproportionnée dans les cas où il y a recours à la force.

86. Bien que les conditions et le traitement imposés aux détenus de race noire semblent plus difficiles ou défavorables, ceux-ci sont en général moins susceptibles d’être réincarcérés pour une nouvelle infraction à une loi fédérale pendant leur période de libération conditionnelle ou d’office. Les taux de réincarcération chez les détenus de race noire, après l’expiration du mandat, sont meilleurs également.

87. Les recommandations fondées sur les constatations issues de la présente étude de cas figureront dans le prochain rapport annuel (2012-2013) de l’enquêteur correctionnel.

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Notes


1 Les membres des minorités visibles sont définis comme suit dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi : « Font partie des minorités visibles les personnes, autres que les autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche. »

2 Statistique Canada, Enquête nationale auprès des ménages de 2011 (le 8 mai 2013).

3 Le SCC inclut dans la catégorie des « Asiatiques » les détenus qui sont arabes, asiatiques, chinois, ressortissants des Indes orientales, philippins, japonais, coréens, arabes du Sud-Est asiatique, ou originaires de l’Asie de l’Ouest ou du Sud.

4 Le SCC inclut dans la catégorie des « Hispaniques » les détenus qui sont hispaniques ou latino-américains.

5 Sécurité publique Canada, Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, 2012.

6 Voir notamment : La représentation des Premières nations sur la liste des jurés en Ontario , Rapport de l’examen indépendant mené par l’honorable Frank Iacobucci, 2013; Report of the Commission of Inquiry into Matters Relating to the Death of Neil Stonechild , 2004.

7 Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario, Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario (1994 et 1995).

8 En vertu de son mandat, la Commission devait examiner les expériences et les vulnérabilités de toutes les minorités raciales en mettant surtout l’accent sur le racisme systémique vécu par les Noirs, les femmes et les jeunes.

9 Dans l’étude de cas, on emploie le mot « Noirs » pour désigner les détenus qui se sont volontairement identifiés comme tels pendant le processus de réception du SCC . Celui-ci utilise actuellement 28 catégories d’identification raciale; jusqu’à récemment, il y en avait 15. Auparavant, les détenus de race noire s’inscrivaient surtout dans la catégorie des « Noirs »; cependant, par suite de l’ajout récent de catégories raciales fondées sur les régions géographiques, certains peuvent maintenant se décrire comme étant « Antillais » ou « originaires de l’Afrique subsaharienne ». De nombreux termes différents (Noirs, Africains, Antillais, etc.) sont employés dans la littérature, mais dans la présente étude de cas, on emploie le mot « Noirs » pour établir une correspondance avec la façon dont le SCC réunit et communique les données raciales. Cependant, il est entendu qu’il s’agit d’un groupe très diversifié qui comprend diverses nationalités et sous-groupes ethniques et culturels. Toutefois, afin de constituer un échantillon représentatif aux fins de l’analyse, il faut les regrouper. Enfin, il importe de souligner que les détenus de race noire visés par l’enquête et l’analyse ne sont pas tous citoyens canadiens, car certains sont des ressortissants étrangers.

10 Système intégré de rapports ( SIR ) : le 16 avril 2013.

11 SIR : le 16 avril 2013.

12 Statistique Canada, Enquête nationale auprès des ménages, 2011.

13 Pour obtenir les questionnaires, il suffit d’en faire la demande.

14 En 2012-2013, 200 détenus de race noire étaient incarcérés dans 23 établissements des régions des Prairies et du Pacifique ( SIR : le 8 avril 2013).

15 Services d’entrepôt de données du SCC : le 17 avril 2013.

16 Seul le président du Comité des détenus de race noire a été interviewé à l’établissement de Joyceville; toutefois, il avait consulté d’autres détenus et a présenté des enjeux en leur nom.

17 SIR : le 26 juillet 2012.

18 SIR : le 26 juillet 2012.

19 RADAR : le 17 avril 2013.

20 RADAR : le 17 avril 2013.

21 RADAR : le 27 juillet 2012.

22 RADAR : le 26 juillet 2012.

23 Les infractions de l’annexe I comprennent les infractions sexuelles et les autres crimes violents, à l’exception des meurtres au premier ou au deuxième degré (voir la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ).

24 Les infractions de l’annexe II comprennent les infractions graves liées au trafic de stupéfiants ou les complots en vue de commettre de telles infractions (voir la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ).

25 SIR : le 26 juin 2012.

26 SIR : le 1er août 2012.

27 La politique du SCC n’autorise pas les détenus à utiliser des cartes d’appel, qui coûtent beaucoup moins cher.

28 Services d’entrepôt de données du SCC : le 14 avril 2013.

29 Service canadien de renseignements criminels, Rapport sur le crime organisé, 2010.

30 Nafekh, Mark et Yvonne Stys, « Profil et analyse des délinquants membres d’un gang dans la population carcérale fédérale », 2004.

31 SCC , « Stratégie de gestion de la population du SCC : " C'est l'affaire de tous " », Opérations et programmes correctionnels, 2010.

32 Établissements ontariens à sécurité moyenne : Joyceville, Collins Bay, Warkworth, Fenbrook et Bath.

33 Établissements québécois à sécurité moyenne : La Macaza, Leclerc, Archambault, Drummond et Cowansville. Il faut souligner que l’Établissement Leclerc va fermer ses portes, de sorte que les détenus s’y trouvant maintenant seront envoyés ailleurs.

34 Usher, A. et L. Stewart, « L'efficacité des programmes correctionnels auprès de divers délinquants : une méta-analyse », Rapport de recherche nº R-246, Ottawa (Ontario), SCC , 2011.

35 Le Groupe Audmax a depuis remplacé la BIFA à titre d’organisation chargée d’assurer des services ethnoculturels dans la région de l’Ontario; toutefois, il ne travaille pas exclusivement avec les détenus de race noire, mais plutôt avec tous les détenus en adoptant une démarche sensible aux différences culturelles. De nombreux détenus de race noire ont estimé qu’Audmax réussissait bien à offrir une formation pratique pour les petites entreprises, mais que ce n’était pas le bon interlocuteur pour discuter de problèmes ou de besoins culturels ou pour les régler.

36 Bonilla-Silva, Eduardo et David Dietrich, « The New Racism: The Racial Regime of Post-Civil Rights America », article publié dans Covert Racism: Theories, Institutions, and Experiences , 2011.

37 SCC , Évaluation de l'affiliation à un groupe menaçant la sécurité. 

38 SIR : le 21 mars  2013.

39 SGRH, en date du 31 décembre 2012.

40 SIR : le 24 avril 2013.

41 SIR : le 24 avril 2013.

42 Services d’entrepôt de données du SCC , le 17 avril 2013.

43 Services d’entrepôt de données du SCC , le 5 juin 2013.

44 Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario, Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario , 1994.

45 SIR , le 5 juin 2013.

46 Services d’entrepôt de données du SCC , le 27 mars 2013.

47 Aperçu statistique : le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , 2012.

48 SIR : le 27 mars 2013.

49 Commission des libérations conditionnelles du Canada, Rapport de surveillance du rendement, 2011-2012.

50 Commission nationale des libérations conditionnelles, Rapport de surveillance du rendement, 2011-2012.

51 Brown, Danice, « African American Resiliency: Examining Racial Socialization and Social Support as Protective Factors », Journal of Black Psychology , 34(1), p. 32-48 (2008).

52 SCC , Sondage sur le climat éthique 2012 : résultats et analyse. 

53 SCC , Sondage sur le climat éthique 2012 : résultats et analyse. 


Date de modification 
2014-02-28 



 

 

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Office of the Correctional Investigator - Report

Bureau de l’enquêteur correctionnel - rapport annuel 2020-2021

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Le 30 juin 2021

L'honorable Bill Blair 
Ministre de la Sécurité publique 
Chambre des communes 
Ottawa, Ontario

Monsieur le Ministre,

J'ai le privilège et le devoir conformément aux dispositions de l'article 192 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition de vous présenter le quarante huitième rapport annuel de l'Énquêteur correctionnel.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de mes sentiments distingués.

Ivan Zinger, J.D., Ph.D. 
Enquêteur correctionnel


Table des matières

Message de l’enquêteur correctionnel 

Message de la directrice exécutive 

Mises à jour nationales et enjeux importants 

Enquêtes nationales 

1. Enquête sur les recours à la force impliquant des détenus fédéraux noirs, autochtones, de couleur (PANDC) et d’autres populations vulnérables 

2. Un examen des services correctionnels pour femmes 30 ans après La création de choix 

3. Observations préliminaires sur les unités d’intervention structurée 

4. Une enquête sur le recours à l’isolement médical dans les établissements correctionnels fédéraux 

5. Une enquête sur un suicide dans un établissement à sécurité maximale 

6. Ratification par le Canada du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture (OPCAT) (OPCAT) 

Vision de l’enquêteur correctionnel pour 2021-2022 

Prix Ed McIsaac pour la promotion des droits de la personne dans le système correctionnel 

Annexe A : Résumé des recommandations 

Annexe B : Statistiques annuelles 

Annexe C : Autres statistiques 

Annexe D : Rapports ministérielle 


Message de l’enquêteur correctionnel

Photo de M. Ivan Zinger, l'enquêteur correctionnel du Canada

M. Ivan Zinger, 
Enquêteur correctionnel 

J’écris le mot d’ouverture de mon rapport annuel 2020-2021 au milieu de la troisième vague de la pandémie mondiale de COVID-19. Dans quelques mois, lorsque mon rapport aura été déposé au Parlement et rendu public, j’espère que le pire de cette période très difficile sera derrière nous. Il a été extrêmement difficile de remplir certains aspects de mon mandat alors que les visites régulières dans des prisons fédérales par les membres de mon personnel sont toujours suspendues. Bien que mon Bureau soit passé à un modèle de visites virtuelles au début de l’année 2021, une approche qui permet à mes enquêteurs d’interroger de manière confidentielle les détenus par vidéoconférence à distance, rien ne remplace les visites en personne. La valeur ajoutée du travail de mon Bureau réside dans la capacité du personnel d’enquête à établir un rapport personnel et un dialogue avec les personnes incarcérées et le personnel pénitentiaire, à mener des entretiens en personne, à faire l’expérience et à inspecter directement les réalités vécues de l’incarcération, et à chercher à résoudre les problèmes de manière informelle sur place. J’attends avec impatience le jour où mon personnel et moi-même serons de retour au bureau et où les visites en personne dans les prisons auront repris.

Entre-temps, au risque d’être trop optimiste, je veux profiter de cette occasion pour partager quelques réflexions et conclusions, basées sur le travail de mon Bureau, sur la façon dont la pandémie a touché les services correctionnels fédéraux. Mon intention est de réfléchir à cette expérience d’une manière qui pourrait contribuer à guider ou à façonner la voie à suivre pour les services correctionnels dans un monde post-pandémique. Je conclurai par quelques réflexions sur la manière dont mon Bureau a mené ses activités en ces temps de COVID-19 et je présenterai certaines des enquêtes (non liées à la COVID) réalisées au cours de cette période de rapport.

Je pense qu’il est juste de dire que le Service correctionnel du Canada (SCC), comme le reste du pays, n’était pas adéquatement préparé à faire face au fléau d’une pandémie mondiale en évolution rapide. Il est compréhensible que la première vague de COVID-19 (de fin mars à fin mai 2020) ait suscité beaucoup d’inquiétude, de confusion et même de panique, car elle a entraîné l’apparition d’éclosions dans six pénitenciers en Colombie-Britannique, au Québec et en Ontario. Lors de la première vague, 361 prisonniers ont contracté le virus. Une deuxième vague plus virulente d’éclosions dans les prisons s’est installée au début novembre, avec de nouveaux cas positifs à la mi-décembre ayant atteint un sommet. À la fin de la période de rapport (31 mars 2021), au cours de la troisième vague de COVID, le SCC avait signalé 1 450 infections parmi les détenus, 21 établissements sur 43 ayant connu une éclosion. Environ dix pour cent de tous les détenus ont eu un diagnostic positif à la COVID-19, ce qui représente un taux d’infection nettement plus élevé que dans la population canadienne. Footnote

Photo des unités infectées par la COVID-19 à l’établissement Port-Cartier.

Unités infectées par la COVID-19 à l’établissement 
Port-Cartier 

Bien sûr, les statistiques ne disent pas tout. Derrière les chiffres globaux se cachent des réalités qui font réfléchir. Tout simplement, certaines personnes et certains établissements s’en sont mieux tirés que d’autres. Par exemple, proportionnellement plus d’établissements dans la région des Prairies ont connu des épidémies (7 sur 12) par rapport aux autres régions. Dans mon deuxième rapport de situation sur la COVID-19 (février 2021), j’ai signalé, avec inquiétude, que les Autochtones représentaient près de 60 % de tous les cas positifs de COVID-19 dans les prisons fédérales depuis novembre. Sur le plan démographique, les Autochtones derrière les barreaux sont relativement plus jeunes que les autres groupes raciaux. Par conséquent, les taux d’infection plus élevés chez les Autochtones ont considérablement réduit l’âge moyen des personnes infectées.

J’ai également noté à l’époque qu’il semblait y avoir un lien entre les taux de transmission et l’infrastructure, l’âge et la conception des prisons. Par exemple, le pénitencier de Saskatchewan et l’Établissement de Stony Mountain, deux des plus anciennes et des plus grandes prisons du Canada, ont connu le plus grand nombre d’infections à la COVID-19, y compris de multiples éclosions. Les deux établissements accueillent un grand nombre d’Autochtones, qui souffrent d’un taux d’infection plus élevé que les autres groupes. En outre, les parties les plus anciennes de ces établissements présentent une mauvaise ventilation, des espaces de rassemblement vastes et ouverts, et des cellules avec des barreaux ouverts.

En même temps, malgré leur nombre nettement inférieur, les femmes détenues ont connu pratiquement le même pourcentage d’infections (11,8 %) que les hommes détenus (11,7 %). Footnote 2 Il s’agit probablement d’une conséquence du logement collectif et des conditions de vie dans les sites régionaux pour femmes.

Si la propagation de la COVID-19 au sein de la population carcérale reflète souvent ce qui se passe dans la collectivité, les taux d’infection différentiels et la propagation inégale de la COVID-19 entre et au sein de la population carcérale pourraient bénéficier d’un examen plus approfondi. Les vecteurs de transmission (de l’extérieur vers l’intérieur), les taux de propagation dans les collectivités et les prisons, les mesures de confinement et d’isolement, les protocoles de nettoyage et d’hygiène, ainsi que les mesures de prévention et de contrôle des infections doivent tous faire l’objet d’un examen minutieux et d’un examen de la vulnérabilité et de la résilience. Ces travaux contribueraient à éclairer les futurs efforts de prévention, de surveillance et d’intervention, et devraient idéalement être menés indépendamment du service pénitentiaire.

  1. Je recommande que le ministre de la Sécurité publique demande à l’Agence de la santé publique du Canada de mener une étude épidémiologique indépendante sur les taux différentiels d’infection et de propagation de la COVID-19 dans les prisons fédérales canadiennes et de rendre publics les résultats et les recommandations. 

     

Les mesures adoptées pour contenir, contrôler et prévenir les éclosions actives en prison – suspension indéfinie des visites en personne, périodes prolongées de confinement et d’isolement cellulaire, interruption des programmes et des services, restrictions du temps passé dans les cours et hors de la cellule, et imposition de périodes d’isolement médical de 14 jours – ont été exceptionnellement difficiles et astreignantes pour les personnes vivant derrière les barreaux. Au moment de la rédaction de ce rapport, la plupart des prisons restent fermées aux visites et certaines personnes n’ont pas eu de visite de contact depuis plus d’un an. D’autres mesures extrêmes – isolement cellulaire quasi total (22 heures ou plus par jour), exercice en plein air une fois tous les deux ou trois jours, 20 minutes hors cellule tous les deux jours pour prendre une douche ou utiliser le téléphone – violent le droit national et les normes internationales relatives aux droits de la personne. Il n’est peut-être pas surprenant qu’un certain nombre d’indicateurs de santé dans les prisons – incidents liés à l’usage de la force, nombre de décès naturels en détention, détenus s’automutilant – aient augmenté cette année, ce qui suggère un éventuel « choc » pandémique et indique peut-être comment certains détenus font face à des périodes de stress, d’incertitude et d’anxiété extrêmes.

Dans ma première mise à jour, j’ai rappelé aux autorités correctionnelles et de santé publique que, même au milieu d’une urgence de santé publique, les droits fondamentaux de la personne et la dignité doivent être respectés. En outre, les mêmes mesures et protections recommandées par les autorités nationales de santé publique doivent être fournies aux populations carcérales. Les principes d’équivalence des soins et les obligations de diligence s’appliquent, quel que soit le statut ou l’urgence de la personne. Les difficultés inhabituelles et les conditions extraordinaires imposées par la COVID-19 aux populations carcérales et la question de redressement devront peut-être être résolues par les tribunaux. Toutefois, le fait que les droits des prisonniers doivent être restreints ou suspendus dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publique mérite d’être pris en compte, alors que nous examinons les leçons tirées de la pandémie.

Les mesures et les restrictions liées à la pandémie ont élargi les lacunes du système.Ils ont révélé l’absence d’un cadre de libération conditionnelle pour raisons médicales qui aurait permis à certaines personnes âgées ou affaiblies par des troubles médicaux, répondant aux critères fixés par la loi, de demander une libération anticipée de la prison pour des raisons de santé. Dans mon enquête sur le vieillissement et la mort derrière les barreaux, j’ai réclamé un tel mécanisme, mais je me suis heurté au silence. Bien qu’il existe un cadre permettant d’accorder la libération conditionnelle à titre exceptionnel, seule une poignée d’entre elles sont approuvées chaque année, un nombre qui est resté relativement inchangé au cours de la pandémie. L’absence continue d’action pour trouver une réforme pratique et rentable a causé des douleurs et des souffrances inutiles tout au long de la crise sanitaire de la COVID-19. Cela aurait pu être évité.

Dans le même ordre d’idées, les réalités de la pandémie ont mis en lumière les lacunes largement connues et bien documentées en matière d’accès aux programmes et de capacité derrière les barreaux, et ont exposé davantage les obstacles à la réintégration dans un système qui a malheureusement refusé de mettre à jour ses plateformes technologiques et de prestation de services aux détenus. Lorsque la pandémie a frappé, il n’y avait tout simplement pas de capacité à soutenir l’apprentissage en ligne ou virtuel ou la programmation correctionnelle de quelque nature que ce soit dans un pénitencier fédéral. Lorsque les interventions des programmes – éducatifs, professionnels et correctionnels – ont été suspendues ou réduites par des mesures de lutte contre la pandémie et des réductions de personnel, il n’y avait pas assez de bande passante ou d’infrastructure pour passer à des plateformes d’apprentissage à distance, numériques ou en ligne, au-delà des visites vidéo. Notre enquête sur les interventions correctionnelles menées au cours de la deuxième vague de la pandémie a révélé que la réduction ou l’interruption des programmes a retardé les audiences de libération conditionnelle et la remise en liberté dans la collectivité. Par conséquent, sans que cela soit de leur faute, les personnes incarcérées qui pouvaient bénéficier d’une surveillance communautaire ont passé plus de temps derrière les barreaux qu’elles ne l’auraient fait en temps normal.

La pandémie a également mis à nu un modèle de prestation de services de programmes qui est obsolète et qui, inexplicablement, prive de renseignements. Coincé quelque part au début des années 1990, c’est un système qui n’a pas réussi à fournir aux personnes derrière les barreaux un accès à des ordinateurs qui ne dépendent pas de CD-ROM ou de disquettes pour fonctionner ou être mis à jour. Dans nos prisons, l’accès supervisé au courrier électronique ou à Internet est inexistant, alors qu’ils sont largement disponibles dans les prisons du monde industrialisé. Dans mon enquête de l’année dernière sur l’apprentissage derrière les barreaux, j’ai noté que nos prisons fédérales sont de plus en plus en retard par rapport au reste du monde industrialisé. Ils ne fournissent pas aux personnes incarcérées l’occasion d’acquérir des compétences professionnelles, de s’éduquer et d’apprendre, ce dont elles ont besoin pour retourner en toute sécurité dans la collectivité et mener une vie productive tout en respectant les lois. La seule recommandation de ce rapport, comme tant d’autres avant lui, s’est heurtée à la résistance bureaucratique et à l’inertie du gouvernement. Si le Service avait adopté ou fait avancer les recommandations de mon dernier rapport annuel, bon nombre des problèmes qui ont été amplifiés par les conditions de la pandémie auraient pu être réduits ou évités complètement.

Il est important de reconnaître que, si difficiles qu’aient été les choses, elles auraient pu être bien pires. Dans ma dernière mise à jour sur la COVID-19, j’ai cité un certain nombre d’initiatives qui ont aidé le SCC à limiter les taux d’infection. D’innombrables membres du personnel ont fait des efforts exemplaires et des sacrifices personnels pour continuer à travailler pendant la pandémie. J’ai constaté personnellement ce dévouement lors de mes visites dans des établissements du Québec et de l’Ontario pendant les première et deuxième vagues de la pandémie. L’engagement extraordinaire, le service altruiste et le devoir envers les autres de la part du personnel de SCC doivent être reconnus et félicités. Les autres points forts de la réponse de SCC à la pandémie sont les suivants :

  1. Accès au dépistage rapide de la COVID-19; 

     
  2. Campagne universelle de vaccination des populations et du personnel pénitentiaires; 
     
  3. Vaccination précoce des personnes âgées et affaiblies par des troubles médicaux en détention; 
     
  4. Expansion de la capacité de visite vidéo; 

     
  5. Collaboration avec des agences et des experts externes en matière d’infection, de prévention, de contrôle et de réponse aux maladies; 

     
  6. Communication délibérée, ciblée et améliorée avec les intervenants externes et les familles au sujet des derniers développements de la réponse de SCC à la pandémie. 

     

Ces mesures ont sans aucun doute fait une différence positive et sauvé des vies.

Je m’en voudrais de ne pas mentionner l’engagement et le courage du secteur des services correctionnels communautaires sans but lucratif et des centaines d’employés, de bénévoles et d’établissements qui ont assuré la continuité de leurs services et ouvert leurs portes aux personnes qui retournaient dans la collectivité pendant cette crise. Le secteur des services correctionnels communautaires est véritablement l’un des héros méconnus de notre époque, surtout si l’on considère que les taux de sortie de prison pendant la pandémie sont restés relativement conformes aux moyennes historiques. Ces prestataires fonctionnent avec peu de reconnaissance et un taux journalier qui représente une fraction du coût de l’incarcération. Les prestataires communautaires pourraient et devraient faire davantage et, avec un financement plus approprié et des niveaux de personnel correspondant aux compétences et à la formation, je suis convaincu qu’ils pourraient fournir un éventail encore plus large de services et d’interventions qui favoriseraient davantage une réintégration sûre et rapide dans la collectivité.

  1. Je recommande que le ministre de la Sécurité publique procède rapidement à un examen approfondi du secteur des services correctionnels communautaires en vue d’améliorer considérablement le soutien financier, technique et infrastructurel. Le financement d’un modèle de services correctionnels communautaires revigoré pourrait s’opérer au détriment des services correctionnels institutionnels, proportionnellement à la baisse des mandats d’incarcération et des admissions de retour, ainsi qu’à la fermeture planifiée et progressive des pénitenciers redondants ou archaïques. 

     

Avant de conclure, permettez-moi de vous présenter quelques enquêtes non liées à la pandémie qui ont été menées l’année dernière et qui sont incluses dans le corps de mon rapport. Le Bureau a entrepris une enquête sur les recours à la force impliquant des détenus noirs, autochtones et de couleur (PANDC), ainsi que d’autres populations vulnérables (femmes, personnes ayant des antécédents de problèmes de santé mentale, d’automutilation et (ou) de tentative de suicide). Dans le contexte de mouvements sociaux plus larges et d’appels à l’action au Canada et ailleurs, et conformément à notre rôle de surveillance qui consiste à examiner tous les recours à la force dans les services correctionnels, la présente enquête examine spécifiquement le rapport entre la représentation raciale et les incidents de recours à la force dans les pénitenciers fédéraux canadiens. D’autres éléments sont soulevés ici :

  1. Examen des services correctionnels pour femmes 30 ans après La création de choix;

     
  2. Observations préliminaires sur les unités d’intervention structurée; 

     
  3. Enquête sur le recours à l’isolement médical dans les établissements pénitentiaires fédéraux; 

     
  4. Enquête sur un suicide dans un établissement à sécurité maximale; 

     
  5. Demande répétée pour la ratification par le Canada du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture. 

     

Ces enquêtes sont révélatrices du travail systémique non lié à COVID qui reste à faire, ainsi que d’une série d’engagements, comme les défenseurs des droits des patients, la couverture des soins infirmiers 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 dans les prisons fédérales, et la lutte contre la coercition et la violence sexuelles derrière les barreaux, qui ont été retardés à cause de la pandémie.

En mon personnel, je dis un grand merci pour votre engagement et votre dévouement en ces temps extraordinaires. Puissions-nous bientôt célébrer ensemble des jours meilleurs.

Enfin, mon Bureau a travaillé avec le chef des organismes fédéraux pour développer un cadre de rapport alternatif qui rationaliserait les obligations de rapport afin de réduire la charge pour les micros et petits services et organismes. Notre objectif est de répondre aux responsabilités de gestion et de transparence envers les Canadiens en créant un modèle unique ou une annexe qui pourrait être ajoutée à un rapport annuel existant. C’est ce que j’ai fait cette année dans une annexe au présent rapport pour montrer la voie à suivre afin que la charge des comptes rendus soit réduite pour les petits organismes aux ressources limitées.

Ivan Zinger, Ph. D., J. D. 
Enquêteur correctionnel 
 

LE FARDEAU DES COMPTES RENDUS POUR LES PETITS ET MICRO–ORGANISMES

Depuis mon arrivée au Bureau de l’enquêteur correctionnel en 2004, j’ai été surpris par la complexité des opérations d’un petit organisme indépendant et par l’ampleur de la charge des comptes rendus imposée par les organismes centraux et les autres ministères. Lorsque j’ai été nommé pour la première fois enquêteur correctionnel du Canada il y a quatre ans, j’ai repris les responsabilités de mon prédécesseur en tant que membre du Comité directeur des Chefs d’organismes fédéraux (Comité directeur). En 2019, le Comité directeur a créé quatre groupes de travail chargés d’aborder divers défis rencontrés par les petits et micro-organismes. Je me suis porté volontaire pour codiriger le Groupe d’étude sur le fardeau des comptes rendus. Il est clairement ressorti qu’il existe un fort consensus parmi les petits et micro-organismes sur le fait que la charge des comptes rendus est excessivement bureaucratique et développée pour toutes les organisations gouvernementales, ce qui la rend très difficile à gérer pour les petits et micro-organismes. Le processus va au-delà de ce qui est requis pour adhérer aux principes de comptes rendus décrits dans le cadre principal des politiques du Conseil du Trésor pour les petits ministères et organismes.

Photo d'un classeur contenant les exigences en matière de rapports ministériels 2020-2021 pour le Bureau de l’enquêteur correctionnel.

Classeur contenant les exigences en matière de 
rapports ministériels 2020-2021 pour le Bureau 
de l’enquêteur correctionnel 
 

Pour donner une idée de la situation, en tant qu’administrateur général d’un petit organisme, mon Bureau a la même charge de comptes rendus que le très grand ministère qui est soumis à ma surveillance indépendante. Bien que mon organisme ne compte que 40 employés et dispose d’un budget annuel de 5,4 millions de dollars, je suis tenu de publier presque le même nombre de rapports, environ 40 rapports obligatoires, que le Service correctionnel du Canada, qui compte environ 19 000 employés et dispose d’un budget de plus de 2,5 milliards de dollars. Contrairement à SCC, mes lois m’obligent également à produire un rapport annuel, qui fournit des renseignements sur le travail accompli par mon Bureau, pour chaque année financière. Je reconnais qu’il est impératif de démontrer et d’assurer une bonne intendance des argents des contribuables, ainsi qu’une gestion saine des ressources humaines, mais le manque d’appréciation du fardeau des comptes rendus aux petites et micro-organismes est frappant.

La quantité de paperasserie et les exigences superflues en matière de compte rendu imposées aux petits et micro-organismes nuisent à l’exécution du mandat législatif de mon Bureau. J’ai actuellement quatre employés à temps plein et deux employés occasionnels affectés aux services corporatifs. Mon bureau embauche également des consultants occasionnels pour soutenir ses services corporatifs (p. ex., développer un nouveau système de gestion des cas et reconfigurer notre site Web en nuage). Ces employés du BEC sont tenus de gérer les éléments suivants :

  1. Services de gestion financière. 

     
  2. Gestion des ressources humaines. 

     
  3. Gestion de l’information. 

     
  4. Technologies de l’information. 

     
  5. Gestion et surveillance. 

     
  6. Services du matériel. 

     
  7. Services d’approvisionnement. 

     
  8. Services des biens immobiliers. 

     
  9. Soutien technique pour les outils de communication (Internet, intranet). 

     

De plus, ils doivent négocier et gérer une quinzaine de protocoles d’entente pour divers services avec d’autres ministères. Cette charge de travail et la charge de compte rendu qui lui est associée sont excessivement élevées, ce qui s’éloigne du principe d’efficacité des comptes rendus et de l’établissement d’un cadre de compte rendu où le coût de création et de présentation des renseignements doit être maintenu à un niveau minimal. En fait, je crois comprendre que quelques petits/micro-organismes consacrent désormais de 30 à 50 % de leur personnel aux services corporatifs. Ce n’est pas le cas pour mon Bureau, mais il est de plus en plus difficile de maintenir le niveau d’effectif actuel sans alléger certaines tâches.

Les Chefs des petits organismes soulèvent la question du fardeau des comptes rendus auprès du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) depuis plus d’une décennie maintenant. Quelques petits progrès ont été réalisés il y a des années, par exemple en supprimant l’exigence du Cadre de responsabilisation de gestion et, plus récemment, et c’est tout à son honneur, le SCT a lancé un processus visant à évaluer quelles exigences en matière de compte rendu pourraient être rationalisées. Le SCT a lancé une initiative visant à renouveler son Inventaire des exigences en matière de collecte d’information. Cette base de données a été conçue pour faciliter l’analyse des personnes soumises aux exigences, des types d’exigences, de la fréquence des comptes rendus et d’autres domaines importants. Parallèlement, le SCT espérait découvrir tout dédoublement ou toute redondance des exigences, ainsi que cerner les meilleures pratiques en matière de mode de soumission (p. ex., plateformes numériques, autres moyens de soumission électronique) qui pourraient être utilisées pour alléger la charge liée à ces exigences. À ce jour, le SCT a déterminé plus de 140 exigences de collecte dans 19 secteurs de dépenses et n’a proposé que des ajustements mineurs à la charge globale des comptes rendus. Plus important encore, sur les 40 rapports préparés par le BEC en 2020-2021, le SCT n’est responsable que de 40 %, de sorte que toute réduction mineure a une incidence limitée sur la charge de travail actuelle.

Le comité directeur s’engage à continuer à travailler à la réduction du fardeau actuelle des comptes rendus et à faire participer le SCT à des ateliers et à des échanges de renseignements. Dans un volet parallèle, le GT sur la charge des comptes rendus a considéré qu’une approche alternative pourrait aider l’approche du Gouvernement du Canada en matière de comptes rendus. L’approche était simple : s’il n’y avait pas de contraintes politiques ou imposées par les lois sur les exigences de compte rendu existantes, à quoi ressemblerait un compte rendu sur toutes les activités d’un petit organisme? Si le rapport était conforme aux principes modernes et aux pratiques exemplaires en matière de responsabilité, d’ouverture, de transparence, d’accessibilité et de bonne gestion pour un organisme financé par des fonds publics, quels renseignements de base devraient être inclus?

Grâce à l’aide financière du comité directeur, le GT sur le fardeau des comptes rendus a retenu les services d’une firme de consultants pour examiner les 40 comptes rendus préparés par le BEC au cours de la dernière année financière et élaborer un seul compte rendu simplifié qui répondrait aux critères suivants :

  1. Données ouvertes – les éléments qui font l’objet d’un compte rendu répondant à la priorité du gouvernement ouvert; 

     
  2. Transparence – les éléments qui sont identifiés pour répondre à la priorité gouvernementale de la transparence; 

     
  3. Accessibilité – les éléments qui sont requis pour faciliter l’accès des parlementaires aux comptes rendus et aux renseignements; 

     
  4. Conformité – les éléments requis pour assurer la conformité avec une politique ou à une directive; 

     
  5. Législation – les éléments qui sont requis en raison d’une exigence législative; 

     
  6. Saine gestion – les éléments qui sont requis pour démontrer une saine gestion aux parlementaires, y compris la surveillance, l’intendance et la responsabilité; 

     
  7. Duplication – les éléments qui sont signalés conformément à d’autres exigences et qui ne doivent pas être publiés à nouveau. 

     

Malheureusement, les lois et règlements sont si prescriptifs et alambiqués que la loi n’a pas été respectée. Cela peut expliquer en partie pourquoi le SCT ne peut pas fournir une réduction plus importante du fardeau des comptes rendus des petits organismes. Si cette solution de rechange aux comptes rendus devait être mise en œuvre, des réformes législatives et réglementaires seraient nécessaires.

Ce rapport figure à l’annexe D de mon rapport annuel et donne un aperçu des renseignements relatifs aux finances, aux ressources humaines, à la planification et au rendement des opérations du BEC, ainsi que de tous les renseignements relatifs aux comptes rendus destinés aux organes quasi judiciaires. Ce rapport facilement accessible de seulement 12 pages, contrairement aux documents qui remplissent un classeur de trois pouces, résume l’information requise pour respecter l’engagement du BEC envers la valeur de transparence de la fonction publique et communique nos succès et nos défis de gestion aux parlementaires, aux Canadiens, aux vérificateurs, aux contrôleurs, aux intervenants et à la société civile en général. Grâce au contenu du rapport annuel de cette année, les lecteurs peuvent pour la première fois, dans un seul document, évaluer le rapport qualité-prix et l’efficacité d’un petit organisme.

  1. Je recommande que le président du Conseil du Trésor reconnaisse le fardeau que représentent les comptes rendus pour les petits et micro-organismes, et qu’il joue un rôle de chef de file en élaborant une approche pangouvernementale pour alléger ce fardeau. Avant que des réformes législatives et réglementaires complètes puissent être introduites, je recommande au SCT d’envisager des exemptions légales pour que les petits et micro-organismes admissibles puissent commencer à produire des comptes rendus de manière différente. 

     

Message de la directrice générale

J‘ai été très heureuse de rejoindre le Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC) en tant que directrice générale et avocate générale principale en octobre 2020. Même si j’avais d’importantes fonctions à assumer, j’étais enthousiaste à l’idée de relever un nouveau défi, en particulier dans un domaine qui me passionne et pour une organisation dont le mandat est aussi important. Je suis reconnaissante de travailler aux côtés d’une équipe d’experts en la matière, dévoués et vaillants, tout en continuant à apprécier la complexité des questions qui se posent dans les milieux correctionnels.

Comme pour toutes les organisations, nous avons mis l’accent, au cours de l’année écoulée, sur le travail à domicile pour tous les employés, en plus de veiller à la réalisation continue de notre mandat : fournir le service essentiel pour soutenir le traitement juste et humain des personnes purgeant une peine fédérale. En nous efforçant de continuer à fournir la même qualité de service, nous avons été confrontés à des défis, car nous n’avons pas pu nous rendre dans les établissements pour rencontrer les détenus en personne. Cela dit, je suis fière de la façon dont nous avons pu passer aux visites virtuelles afin de pouvoir continuer à entendre les personnes incarcérées sur l’ensemble des problèmes qu’elles éprouvent. Cela n’aurait pas pu se faire sans la collaboration utile de Service correctionnel du Canada (SCC). Je suis encouragée par les exemples que je vois chaque jour de la collaboration entre les employés du BEC et ceux du SCC qui travaillent ensemble pour s’assurer que les personnes dans nos établissements correctionnels sont traitées avec dignité et respect, conformément à la loi et aux principes des droits de la personne.

Ma première tâche en rejoignant le BEC a été d’apprendre à connaître l’équipe et à explorer ce qu’elle considère comme des défis et des opportunités pour l’organisation. Je voulais également m’assurer que l’équipe de direction travaillait ensemble comme une équipe unie et performante. Le ton de la collaboration et des habitudes de travail saines commence au sommet de l’organisation, en créant un environnement de travail sûr et sain pour tous les employés.

Au cours du dernier trimestre de l’année, nous avons entamé la première phase d’un exercice de planification stratégique. Alors que la pandémie de COVID est toujours présente et que nous sommes au milieu d’un troisième confinement au moment où j’écris ces lignes, nous avions besoin d’un renouveau pour l’organisation. Nous nous sommes engagés à adopter le thème de la reconnexion, de la réénergisation et du réengagement pour 2021. Nous avons décidé de nous efforcer d’offrir à nos employés un lieu de travail de choix en veillant à ce que : les employés disposent des outils et de la formation dont ils ont besoin pour faire leur travail; les rôles et les responsabilités de tous les employés soient clairs; notre site Web soit mis à jour, afin de refléter nos priorités et de faciliter l’accès à nos renseignements; et nous nous engageons à développer des initiatives de bien-être diversifiées afin de soutenir au mieux nos employés pendant et après cette pandémie.

Au cours de la prochaine année financière, j’espère que nous serons en mesure de retourner sur le lieu de travail et de nous rencontrer en personne. Je suis également impatiente de déterminer nos priorités et d’élaborer une feuille de route pour déterminer les enjeux systémiques et les enquêtes. Nous élaborerons une stratégie de sensibilisation et d’engagement avec nos principaux intervenants afin de trouver des moyens d’établir des partenariats, une approche nécessaire et efficace pour un micro-organisme aux ressources limitées. Nous poursuivrons également la phase 2 de notre exercice de planification stratégique, en élaborant un plan sur 3 à 5 ans qui nous aidera à maximiser les gains d’efficacité que nous devons trouver pour fonctionner dans les limites des ressources qui nous sont allouées.

Enfin, je me réjouis de continuer à soutenir l’enquêteur correctionnel du Canada, M. Ivan Zinger, ainsi que toute l’équipe du BEC, dans l’exécution de notre mandat, qui est de protéger les droits des personnes qui purgent des peines fédérales.

Monette Maillet 
Directrice générale et avocate générale principale 
Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada 

Mises à jour nationales et enjeux importants

La présente section résume les enjeux politiques ou les cas individuels importants qui ont été examinés aux niveaux institutionnel et national en 2020-2021. Tous les enjeux et les cas présentés ici ont fait l’objet soit de discussions avec les directeurs d’établissement, soit d’un échange de correspondance, soit d’un point à l’ordre du jour de réunions bilatérales entre le commissaire de SCC et moi-même, et nos équipes respectives de la haute direction. Cette section sert donc à documenter les progrès réalisés dans le traitement des enjeux qui revêtent une importance ou qui sont une source de préoccupation.

Aucun progrès en matière de coercition et de violence sexuelles dans les établissements correctionnels fédéraux

Mon dernier rapport annuel comprenait une enquête nationale sur la coercition et la violence sexuelles (CVS) dans le système des prisons fédérales. Elle a constaté que la prévalence de la CVS est largement inconnue. Elle a révélé des lacunes considérables dans l’approche adoptée par le service pour détecter, enquêter et prévenir les comportements sexuellement problématiques derrière les barreaux. À la suite de cette enquête, j’ai formulé cinq recommandations visant à améliorer la façon dont le SCC réagit à ce problème omniprésent, mais sous-déclaré, dont celle d’introduire immédiatement une législation similaire à la Prison Rape Elimination Act (PREA) des États-Unis, introduite en 2003. J’ai également demandé au ministre de la Sécurité publique de financer une étude nationale sur la prévalence qui serait menée par des experts totalement indépendants. En réponse aux recommandations, le ministre s’est engagé à ce que la Sécurité publique élabore « un plan de recherche, qui devrait débuter à l’automne 2020, pour commencer à évaluer la CVS dans les établissements correctionnels fédéraux... Un rapport intermédiaire sur les travaux entrepris doit être établi d’ici le printemps 2021. » Dans sa réponse aux recommandations, le Service ne s’est engagé à aucun changement d’approche pratique. Footnote 3 Il a seulement indiqué qu’il soutiendrait les travaux qui seront entrepris par le Ministère. Au moment de la rédaction de ce rapport, et après avoir demandé des mises à jour à la Sécurité publique, mon Bureau n’avait pas encore vu de plan de recherche ou de rapport périodique indiquant si un tel travail avait été entrepris.

Au cours de la période visée par le rapport, mon Bureau a continué à recevoir des plaintes et des préoccupations de personnes incarcérées qui ont été témoins ou victimes de CVS. Malgré les recommandations émises dans le cadre de notre enquête nationale, notre Bureau n’a observé aucune différence appréciable dans la façon dont le SCC prévient, détecte, suit ou gère ces types d’incidents. Nous continuons d’entendre des cas où les auteurs présumés sont simplement déplacés au sein des établissements ou d’un établissement à l’autre, ce qui constitue la méthode privilégiée pour « résoudre » les plaintes formelles relatives à des comportements sexuellement problématiques.

Dans sa réponse à nos recommandations, le SCC a indiqué que « le Service prend cette question très au sérieux. Afin d’assurer un environnement sûr et sécuritaire pour tous les délinquants sous sa responsabilité, le SCC a mis en place de nombreuses mesures pour faire en sorte que ces actes soient traités rapidement. » Malheureusement, cela n’a pas été le cas. Il y a eu un manque décevant de réponse et d’action suite à nos recommandations. Nous savons que les personnes les plus vulnérables sont celles qui sont les plus touchées par une telle inaction. J’exhorte une fois de plus le ministre de la Sécurité publique et le commissaire de SCC à entreprendre le travail nécessaire pour régler efficacement cette question.

Une confiance excessive dans les mesures de recours à la force 

Au cours de la dernière période visée par le rapport, mon équipe de recours à la force a porté à mon attention un certain nombre d’incidents flagrants et de problèmes récurrents à la suite de leurs examens des incidents de recours à la force dans les établissements fédéraux. Bien que nombre de ces préoccupations soient soulevées dans l’enquête systémique sur les recours à la force que je présente plus loin dans ce rapport, je souhaite mettre en lumière certaines observations et interventions de mon Bureau sur des cas individuels.

À maintes reprises, nous voyons des exemples de recours excessif à des interventions impliquant l’usage de la force souvent inutiles et, dans certains cas, dommageables. Mon personnel a examiné un certain nombre d’incidents démontrant l’utilisation injustifiée et dangereuse de balles à impact direct sur des personnes qui présentaient un faible risque de se blesser ou de blesser d’autres personnes. Dans un cas, une personne a reçu un projectile à impact d’un lanceur de balles de 40 mm près de son épaule gauche, juste au-dessus de sa clavicule, dangereusement près d’une « zone cible d’urgence ». Cela aurait pu causer des blessures graves, voire mortelles. Après un suivi de mon personnel, les établissements ont convenu que le recours à la force dans certains de ces cas était inapproprié.

De même, mon personnel continue de constater la surutilisation des gaz poivrés, ce qui est problématique en soi et va à l’encontre du Modèle d’engagement et d’intervention (MEI). Il est particulièrement préoccupant lorsqu’il est utilisé à l’endroit des personnes qui ont de graves problèmes de santé mentale ou qui s’automutilent. Nous avons examiné, par exemple, un incident impliquant un homme certifié en vertu de la Loi sur la santé mentale de la province. Au cours d’une procédure de soins, facilitée par l’équipe d’intervention d’urgence (ÉIU), la personne est devenue peu coopérative. En réponse, l’ÉIU a utilisé deux salves distinctes de gaz poivré, des menottes et d’autres formes de contrôle physique et, à un moment donné, un bouclier pour mettre le patient à genoux sur un banc de ciment. De toute évidence, il aurait fallu consacrer plus de temps, s’engager et intervenir verbalement auprès de cet homme pour désamorcer la situation, compte tenu notamment de ses besoins en santé mentale. Des préoccupations concernant cet incident ont été soulevées à tous les niveaux de l’examen. Il était clair que l’approche et les techniques utilisées (en particulier la deuxième salve de gaz poivré et le bouclier) témoignaient de graves violations des politiques de recours à la force, allaient à l’encontre de nombreux principes de MEI et révélaient un certain nombre de lacunes en matière de soins de santé. En outre, ce cas et un certain nombre d’autres examinés par mon personnel cette année soulèvent des préoccupations quant au rôle et aux responsabilités des ÉUI. L’utilisation incohérente ou inexistante d’interventions ou de négociations verbales, l’évaluation et le compte rendu inadéquats du risque associé aux actions des personnes incarcérées, ainsi que le mauvais déploiement et le fonctionnement peu fiable des caméras pour enregistrer les incidents, entre autres problèmes, suggèrent la nécessité d’une plus grande supervision des interventions de l’ÉUI.

D’autres examens d’incidents et interventions de mon personnel impliquant des personnes souffrant de problèmes de santé mentale, ou des personnes adoptant activement des comportements autodestructeurs ou suicidaires, continuent de mettre en évidence mes préoccupations concernant la nécessité de trouver des moyens plus efficaces et plus humains de répondre aux comportements complexes et troublants qui découlent de problèmes de santé mentale. Nous continuons à voir des exemples d’incidents de recours à la force où les éléments de santé mentale en jeu ne sont pas adéquatement évalués, reconnus, communiqués ou pris en compte dans les interventions. À leur tour, ces éléments ne se reflètent pas dans le signalement et la documentation des incidents. Dans le cadre de mon enquête sur le recours à la force à l’égard des personnes appartenant au groupe PANDC et d’autres populations vulnérables, j’ai formulé un certain nombre de recommandations à l’intention du Service afin d’améliorer la façon dont il réagit aux incidents où la force est souvent utilisée, en particulier ceux impliquant des personnes ayant des besoins complexes.

Recours à la force après une tentative d’accès au site de prévention des surdoses de la prison 

Mon Bureau a déjà fait rapport sur les programmes de réduction des méfaits de SCC, comme le Programme d’échange de seringues en prison (PÉSP) et les sites de prévention des surdoses (SPS), indiquant que la façon dont ils ont été élaborés et mis en œuvre a limité les inscriptions. Par exemple, les trousses PÉSP peuvent être saisies si la seringue ou l’aiguille est altérée, manquante ou observée en dehors de la trousse. En d’autres termes, l’approche de tolérance zéro envers la possession de drogues dans les établissements de SCC reste en vigueur. Les drogues et l’attirail de drogue (à l’exception de la trousse et des fournitures du PÉSP fournies par le SCC) sont toujours considérés comme des articles de contrebande, passibles de mesures disciplinaires. Il n’est donc pas étonnant que seule une poignée de détenus participe à ces programmes que le SCC a déployés à l’échelle nationale au printemps 2019.

Au cours de la période visée par le rapport, mon Bureau est intervenu dans un cas de recours à la force qui s’est produit à la suite du refus des services de santé de permettre à une personne d’accéder au SPO. Après s’être vu refuser l’accès, le prisonnier est retourné dans son unité et s’est enfermé dans sa cellule. Les agents correctionnels ont soupçonné qu’il transportait des produits de contrebande, probablement parce qu’il avait essayé d’accéder au SPO. Lorsque les agents sont arrivés dans sa cellule, ils ont constaté que la fenêtre de la porte était couverte. Ils ont ouvert la porte et ont vu le prisonnier renifler une poudre blanche. Ils ont fouillé sa cellule et saisi du matériel de consommation de drogue, mais ils l’ont laissé dans sa cellule, où il a de nouveau couvert la fenêtre de sa cellule. L’autorisation a été donnée de le placer dans une cellule d’observation. Quand l’équipe d’escorte est arrivée, il n’a pas coopéré à de nombreux ordres directs. Le contrôle physique, les contraintes par la douleur et les menottes ont été utilisés pour maîtriser la situation. Bien que l’usage de la force ait pu être nécessaire en fin de compte étant donné la résistance et le manque de coopération, la contradiction entre l’approche de tolérance zéro en matière de possession de drogue dans les prisons et l’accès aux mesures de réduction des risques, comme le PÉSP et le SPO a créé une situation qui n’aurait jamais dû se produire. Les personnes qui accèdent à ces services doivent pouvoir le faire sans crainte de représailles. Cela permettrait sans doute d’augmenter le nombre de personnes prêtes à participer. D’autres mesures, comme l’interaction verbale, l’engagement, le counseling ou l’observation auraient pu donner lieu à un résultat plus positif.

Absence d’intervention appropriée à la suite d’une recommandation concernant un détenu de l’USD 

Il y a près de deux ans, mon Bureau a mis en lumière les cas de trois hommes qui présentaient des défis similaires pour le Service. Tout au long de leur incarcération, les hommes ont passé beaucoup de temps en isolement, leur état de santé mentale a été surveillé et ils ont été transférés à de nombreuses reprises dans d’autres établissements. Plus important encore, ils semblent incapables de faire face à des environnements très structurés qui déclenchent des comportements violents. Leurs symptômes et leurs déficits de compétences semblent être spécifiquement exacerbés par les mesures de sécurité renforcées. Néanmoins, l’intervention correctionnelle à ces comportements inadaptés consiste souvent à restreindre davantage leurs conditions de confinement.

Les stratégies élaborées par le personnel de l’établissement et les professionnels de la santé mentale ont eu des répercussions limitées sur leurs comportements et leur réaction aux interventions. Reconnaissant que la gestion des comportements violents de ces trois hommes a été extrêmement difficile pour le personnel et la direction des établissements, j’ai recommandé, en vertu de l’article 20 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , un examen externe approfondi du profil correctionnel de ces trois hommes. À l’époque, le SCC a répondu qu’il procéderait à un examen clinique de leurs soins en vue de déterminer toute possibilité d’amélioration, y compris les options de placement.

Au cours de la période visée par le rapport, mon Bureau est à nouveau intervenu en faveur de l’un des trois hommes détenus à l’unité spéciale de détention (USD), car sa situation était redevenue critique. Il est également apparu que – au lieu d’accepter ma recommandation de procéder à un examen externe du cas de cet homme – le Service a procédé à un examen interne. Il a conclu que, bien que ce ne soit pas l’idéal, l’USD est un environnement où la sécurité de cet homme est le mieux assurée. Mon Bureau continue de surveiller ce cas et de faire un suivi avec l’établissement pour s’assurer que les meilleures stratégies possibles de gestion de cas sont mises en œuvre pour cette personne.

Enquête sur les recours à la force impliquant des détenus fédéraux noirs, autochtones, de couleur (PANDC) et d’autres populations vulnérables

Les autorités correctionnelles disposent de divers outils et approches pour gérer les situations qu’elles les jugent problématiques, perturbatrices ou potentiellement dangereuses. En plus de tactiques moins invasives ou potentiellement moins nocives, comme les interventions verbales, les recours à la force permettent au personnel correctionnel de recourir à des mesures physiques (p. ex., l’utilisation de matériel de contention, la distribution de gaz poivré) pour prendre le contrôle ou obtenir la coopération des individus et résoudre des situations. Le personnel s’appuie quotidiennement sur ces mesures.

L’usage de la force remonte aussi loin que le système carcéral lui-même. Il fait également l’objet depuis longtemps de critiques quant à sa mauvaise utilisation potentielle bien documentée. Plus récemment, la question de la force – spécifiquement appliquée aux personnes autochtones, noires ou de couleur (PANDC) – a été propulsée au premier plan du discours public international en mai 2020, après le meurtre de George Floyd alors qu’il était maîtrisé par des policiers de Minneapolis. Moins d’un mois plus tard, au Canada, nous avons vu la vidéo de l’arrestation violente et de l’usage de la force sur le chef Allan Adam des Chipewyan d’Athabasca. Depuis lors, des incidents de plus en plus nombreux ont suscité des protestations dans le monde entier, appelant à des réformes pour lutter contre les préjugés systémiques et l’application discriminatoire d’interventions dommageables, et dans certains cas fatals, aux incidents. Au Canada, il y a eu un tollé général pour demander aux organismes d’application de la loi et de justice pénale d’examiner de plus près leurs politiques et leurs pratiques, comme le recours à la force, et la façon dont elles sont appliquées aux PANDC, aux femmes, aux personnes ayant des problèmes de santé mentale, aux personnes ayant des antécédents d’automutilation et à d’autres populations vulnérables.

À la suite de ces événements, et de bien d’autres, la société reconnaît de plus en plus l’existence de préjugés systémiques, et ce depuis des générations, dans la plupart des établissements canadiens. Le secteur correctionnel ne fait pas exception à cette réalité. Dans ce contexte, il est important de reconnaître que dans les politiques et les pratiques les plus discrétionnaires, comme le moment et la manière de recourir à la force, les préjugés – implicites ou non – peuvent apparaître.

Les enquêtes sur les recours à la force sont une priorité essentielle pour mon Bureau. Après une intervention avec recours à la force, le SCC nous fournit tous les documents relatifs à l’incident. Il s’agit notamment d’un rapport sur le recours à la force, d’une copie de toute vidéo concernant l’incident, de listes de contrôle des services de santé pour l’examen d’un recours à la force, des rapports de déclaration et d’observation d’un agent, de la version des événements par les détenus et d’un plan d’action pour remédier aux lacunes constatées.

Une partie du rôle que mon Bureau a assumé consiste non seulement à enquêter sur les plaintes individuelles liées à l’usage de la force qui sont présentées, mais aussi à examiner de manière proactive tous les incidents liés à l’usage de la force dans les prisons fédérales, et à formuler des recommandations à SCC lorsque des problèmes sont identifiés. En outre, il est de notre responsabilité d’enquêter sur les préoccupations pour lesquelles il existe des preuves de problèmes systémiques dans des pratiques comme le recours à la force.

Dans des rapports précédents, j’ai émis de nombreuses recommandations appelant à réduire le recours à la force et l’utilisation de gaz poivrés, en particulier auprès des populations vulnérables. Ce Bureau a mené des enquêtes sur le rôle que l’usage de la force a joué dans des cas individuels troublants, comme la mort d’Ashley Smith et de Matthew Hines, et sur des groupes spécifiques préoccupants, comme les femmes qui s’automutilent de manière chronique. Footnote 4 Conformément aux efforts constants de ce Bureau pour soulever des préoccupations concernant la façon dont la force est utilisée, nous avons également pris les appels à l’action actuels émanant de la société comme un incitatif pour examiner la façon dont la force est appliquée dans les services correctionnels fédéraux, en particulier à l’égard des personnes PANDC, afin de faire avancer les discussions et les solutions aux injustices auxquelles ces personnes sont confrontées derrière les barreaux.

Objectif et méthodes

La présente enquête examine les incidents, les événements et les situations de recours à la force impliquant des personnes PANDC incarcérées au niveau fédéral, ainsi que les incidents impliquant d’autres populations potentiellement vulnérables. Comme l’illustre le diagramme ci-dessous, les incidents de recours à la force sont des cas, comme déterminés et suivis par le SCC, consistant en des situations impliquant au moins une personne où la force a été appliquée au moins une fois, documentée et suivie. Un événement de recours à la force, comme défini aux fins de la présente enquête, comprend chaque combinaison d’incidents de recours à la force par personne, ce qui signifie que chaque personne peut être impliquée dans plus d’un incident, et que chaque incident peut impliquer plus d’une personne. Enfin, étant donné que chaque personne peut être confrontée à plus d’un type et d’un cas de force dans le cadre d’un incident ou d’un événement, un incident de recours à la force, comme défini dans le cadre de cette enquête, constitue chaque cas de force utilisée sur chaque personne dans le cadre d’un incident ou d’un événement.

Exemple : Incident de recours à la force

Un diagram. Personne A; Événement de recours à la force; Cas d’usage de la force; 1. Manipulation physique, 2. Gaz poivré (x2). Personne B; Événement de recours à la force; Cas d’usage de la force; 1. Manipulation physique (x2), 2. Gaz poivré, 3. Contrainte. Personne C; Événement de recours à la force; Cas d’usage de la force; 1. manipulation physique, 2. Gaz poivré.

Ce qui précède est un exemple d’un incident de recours à la force impliquant trois personnes uniques. Cet incident représente trois événements de recours à la force, et neuf situations de recours à la force.

Les données quantitatives et qualitatives disponibles pour tous les incidents de recours à la force des cinq dernières années (d’avril 2015 à octobre 2020) ont été extraites du système d’entrepôt de données de SCC pour être analysées. Nous avons examiné les données au niveau des personnes et des incidents dans leur ensemble, ainsi que par race et par groupes d’intérêt. En plus des renseignements démographiques, nous avons examiné les données sur la fréquence des incidents, les raisons des recours à la force et les types de force pour chaque personne impliquée dans chaque incident.

Cet examen a exploré ces questions :

  • Qui est impliqué dans les incidents de recours à la force?
  • Comment les personnes PANDC sont-elles représentées dans les incidents de recours à la force?
  • Quelles sont les caractéristiques des incidents de recours à la force impliquant des PANDC?
  • L’usage de la force est-il appliqué différemment aux personnes PANDC et non-PANDC?
  • Comment d’autres groupes comme les femmes, les personnes ayant des problèmes de santé mentale et des antécédents d’automutilation sont-ils représentés dans les incidents de recours à la force?

    QU'EST-CE QUE LE RECOURS À LA FORCE DANS LES ÉTABLISSEMENTS CORRECTIONNELS FÉDÉRAUX?

    Le recours à la force comprend « toute action du personnel visant à obtenir la coopération et à prendre le contrôle d’un détenu ». Le recours à la force peut être spontané (c’est-à-dire une intervention immédiate face à une situation) ou planifié (p. ex., le personnel est déployé dans le cadre d’un plan d’intervention, le déploiement de l’équipe d’intervention d’urgence [ÉIU]).

    Selon la politique de SCC, le recours à la force doit être justifiable et n’être utilisé qu’en dernier ressort, après que des méthodes de négociation verbales ont été tentées et se sont avérées infructueuses ou jugées « inappropriées ». Ce n’est que dans ces circonstances que le personnel peut recourir à la force pour les raisons suivantes :

    • assurer le respect des règles et des règlements de l’établissement
    • maintenir la sûreté et la sécurité de l’établissement
    • assurer sa propre défense
    • défendre d’autres personnes (personnel ou détenus)
    • protéger les biens

    Voici des exemples de recours à la force qui peuvent être utilisés par le personnel correctionnel. Un ou plusieurs types de force peuvent être utilisés lors d’un incident.

    • manipulation ou contrôle physique (à l’exclusion du toucher d’assistance ou thérapeutique)
    • utilisation d’un agent chimique ou poivré, visant intentionnellement une personne ou distribué pour obtenir son obéissance
    • utilisation non routinière du matériel de contrainte
    • utilisation de matraques ou d’autres armes intermédiaires
    • exposition ou utilisation d’armes à feu
    • toute intervention directe de l’ÉUI

    Modèle d’engagement et d’intervention (MEI)

    En janvier 2018, le SCC a introduit le MEI pour remplacer le modèle de gestion de situations en tant que « modèle fondé sur le risque qui vise à guider les membres du personnel dans l’exécution des activités liées à la sécurité et à la santé afin de prévenir les incidents, d’y réagir et de les régler en utilisant les interventions les plus raisonnables ».

    Selon le SCC, l’intention du MEI était d’incorporer une approche plus intégrée et centrée sur la personne que le modèle précédent, en mettant l’accent sur les cinq principes directeurs suivants :

    • préservation de la vie
    • travail en équipe interdisciplinaire
    • mission et valeurs de SCC
    • nécessaire et proportionné
    • leadership

    Source : Carrefour des procédures opérationnelles de SCC « Au sujet du recours à la force » et « Le Modèle d’engagement et d’intervention ». 

    Incidents de recours à la force

    Afin de mettre en contexte l’analyse par race, les paragraphes suivants offrent une description plus large du nombre d’incidents de recours à la force pour l’ensemble de la population carcérale fédérale, ainsi qu’une analyse descriptive des raisons documentées des recours à la force et des types de force utilisés lors de ces incidents. Depuis 2015-2016, il y a eu 9 633 incidents documentés de recours à la force. Malgré la baisse générale des admissions dans les prisons fédérales et la diminution de la population carcérale, le nombre d’incidents avec usage de la force a augmenté de façon constante au cours des cinq dernières années.

    Graphique 1. Total des incidents de recours à la force par année financière

    Graphique représentant le nombre total d'incidents de recours à la force par année financière de 2015-2016 à 2020-2021.
•	2015-2016 : 1 515
•	2016-2017 : 1 386
•	2017-2018 : 1 339
•	2018-2019 : 1 536
•	2019-2020 : 1 874
•	2020-2021 : 1 983

    Bien que préoccupantes, ces augmentations sont d’autant plus troublantes qu’elles coïncident avec l’introduction de stratégies visant à réduire les recours à la force, notamment le Modèle d’engagement et d’intervention (MEI). Ce modèle a été développé directement en réponse à mon rapport spécial sur la mort évitable de Mathew Hines. Footnote 5 Il est mort subitement alors qu’il était détention dans un établissement fédéral en 2015 à la suite d’une série d’incidents de recours à la force inappropriés au pénitencier de Dorchester. J’ai émis dix recommandations concrètes à l’intention de SCC concernant les changements urgents à apporter en réponse aux incidents qui entraînent trop souvent le recours à la force, en particulier ceux impliquant des personnes présentant des signes de détresse physique ou mentale. Il s’en est suivi, en réponse à la troisième recommandation émise dans Une réaction fatale , le développement du MEI en 2017 comme un « modèle de gestion de la situation soulignant l’importance des interventions non physiques et de désamorçage aux incidents » qui aurait théoriquement dû aboutir à des « approches centrées sur la personne » pour résoudre les incidents. À leur tour, ces mesures auraient dû entraîner une diminution observable des incidents de recours à la force.

    Il est mort subitement alors qu’il était détention dans un établissement fédéral en 2015 à la suite d’une série d’incidents de recours à la force inappropriés au pénitencier de Dorchester. J’ai émis dix recommandations concrètes à l’intention de SCC concernant les changements urgents à apporter en réponse aux incidents qui entraînent trop souvent le recours à la force, en particulier ceux impliquant des personnes présentant des signes de détresse physique ou mentale. Il s’en est suivi, en réponse à la troisième recommandation émise dans Une réaction fatale , le développement du MEI en 2017 comme un « modèle de gestion de la situation soulignant l’importance des interventions non physiques et de désamorçage aux incidents » qui aurait théoriquement dû aboutir à des « approches centrées sur la personne » pour résoudre les incidents. À leur tour, ces mesures auraient dû entraîner une diminution observable des incidents de recours à la force.

    Ce graphique représente le Modèle d’engagement et d’intervention de SCC, fondé sur le risque et centré sur la personne, qui est utilisé pour aider le personnel avec les stratégies d’engagement et d’intervention.

    Modèle d'engagement et d'intervention (2018)

    Ce graphique représente le Modèle d’engagement et d’intervention de SCC, fondé sur le risque et centré sur la personne, qui est utilisé pour aider le personnel avec les stratégies d’engagement et d’intervention.

    Raisons et types de force

    Nous avons examiné les raisons pour lesquelles la force a été utilisée, et les types de force utilisés. Dans l’ensemble, la majorité des incidents étaient attribuables à « une agression », comme des agressions contre des détenus et des bagarres entre détenus (50 %); aux « comportements », comme des problèmes de discipline et des comportements perturbateurs (37 %); et à des comportements d’automutilation, comme des blessures auto-infligées (8 %). Les autres concernaient la contrebande, les biens ou d’autres problèmes. Il convient de noter que la base de données de SCC, le Système de gestion des délinquants (SGD), ne saisit pas toujours le contexte complet des incidents. Dans de nombreux cas, les raisons saisies dans la base de données sont les catégories les plus génériques, ou les plus « significatives ». Par conséquent, par exemple, un incident étant au départ un incident d’automutilation et ayant a ensuite impliqué une personne qui a frappé un membre du personnel pourrait être consigné comme un « incident lié à une agression ». Par conséquent, nous avons interprété les raisons du recours à la force avec prudence. Ils n’ont peut-être pas reflété l’ensemble des comportements qui y ont contribué.

    De même, nous avons examiné les types de force utilisés. Footnote 6 Pour faciliter l’analyse, nous avons classé les plus de 40 types de force représentés dans les données en cinq catégories Footnote 7 :

    1. Gaz poivrés (p. ex., aérosol à base d’oléorésine capsicum (OC), ou « gaz poivré »); 
       
    2. Munitions inflammatoires (p. ex., grenades sans flamme ou tactiques); 
       
    3. Armes à feu (p. ex., pistolet 9 mm, fusil de chasse); 
       
    4. Dispositifs/options non inflammatoires (p. ex., matraques, contrôle physique); 
       
    5. Contraintes (p. ex., menottes, entraves, ceintures de force). 
       

    Dans l’ensemble, les types de force les plus utilisés, de loin, sont les gaz poivrés. Ils représentaient 42,3 % de tous les types de force dans tous les incidents. Viennent ensuite les options non inflammatoires, utilisées dans un quart des cas, puis les moyens de contraintes (16,2 %), les munitions inflammatoires (9,3 %) et les armes à feu (3,3 %).

    À l’instar des résultats perplexes montrant que les taux globaux de recours à la force augmentent au fil du temps, il est à la fois inquiétant et décevant de constater que, malgré l’introduction du MEI, le personnel continue de recourir massivement aux gaz poivrés pour « régler » les incidents. En fait, une analyse des types de force par année financière a montré que l’utilisation de gaz poivrés était le type de force le plus courant pour chacune des cinq dernières années, représentant de 40 à 47 % des types de force utilisés chaque année. Cette pratique est en contradiction avec l’intention et la lettre du MEI. Cela suggère que le changement prévu en remplaçant le Modèle de gestion de situations par le MEI ne s’est pas produit. Ce Bureau a déjà recommandé à SCC d’évaluer si le MEI a eu les effets escomptés. Il est clair, au vu de ces chiffres, que ce n’est pas le cas.

    1. Je recommande que le SCC procède à une évaluation approfondie du MEI en vue de mettre en œuvre des changements qui réduiront le recours excessif aux options de force dans l’ensemble, en particulier aux gaz poivrés, et de fournir des stratégies concrètes pour adopter des options qui n’utilisent pas la force et qui sont fondées sur des preuves afin de régler les incidents. 

       

    Qui est impliqué dans les incidents de recours à la force?

    Entre avril 2015 et octobre 2020, les quelque neuf mille incidents documentés de recours à la force survenus dans les prisons fédérales ont impliqué 5 063 personnes distinctes. Footnote 8 Pour 4 952 d’entre eux, le SCC disposait de renseignements sur les caractéristiques démographiques, notamment la race. Le tableau 1 présente un profil par groupe racial auto-identifié de toutes les personnes impliquées dans un usage de la force. Footnote 9 La grande majorité d’entre eux étaient des hommes (+90 %), logés dans des établissements à sécurité moyenne ou maximale, et largement évalués comme étant à haut risque ou à besoin élevé.

    Tableau 1 : Profil des personnes impliquées dans des incidents de recours à la force, par groupes raciaux

     

    AUTOCHTONE 
    (n = 1 932) 

    BLANC 
    (n = 2 090) 

    NOIR 
    (n = 609) 

    PDC 
    (n = 321) 

    ÂGE MOYEN 

    28,3

    31,2

    26,8

    27,4

    DURÉE MOYENNE DES 
    PEINES (ANNÉES) 

    3,8 
    (SD=3,7)

    4,1 
    (SD=4,6)

    3,9 
    (SD=3,6)

    3,7 
    (SD=3,6)

    GENDRE* 

    % d’hommes

    91,6

    95,7

    98,2

    98,4

    % de femmes

    8,4

    4,3

    1,8

    1,6

    NIVEAU DE SÉCURITÉ** 

    % maximale

    31,2

    24,5

    31,9

    31,5

    % moyenne

    30,9

    30,2

    32,3

    33,3

    % minimale

    1,8

    1,6

    1,6

    1,2

    % PREMIÈRE CONDAMNATION 
    FÉDÉRALE 

    58,6

    53,0

    71,6

    80,7

    NIVEAU DE RISQUE 

    % élevé

    77,3

    74,1

    76,0

    68,2

    % moyen

    21,8

    23,4

    21,8

    28,3

    % faible

    0,9

    2,4

    2,1

    3,4

    NIVEAU DE BESOIN 

    % élevé

    89,0

    85,0

    80,0

    78,5

    % moyen

    10,6

    13,6

    17,6

    19,6

    % faible

    0,5

    1,2

    1,6

    1,9

    Remarques : 
    * Il n’y avait pas de catégorie « autre sexe »; cependant, 43 personnes avaient un indicateur de considérations de sexe dans le SGD. 
    ** Il y avait une quantité importante de renseignements manquants sur le niveau de sécurité pour chaque groupe; par conséquent, les pourcentages ne totalisent pas 100.

    Les femmes et le recours à la force

    Au cours de la période de cinq ans, 824 incidents ont impliqué 271 femmes distinctes. Dans l’ensemble, les femmes représentaient cinq pour cent de toutes les personnes impliquées dans les recours à la force, ce qui correspond à leur proportion dans la population carcérale. La majorité de ces incidents dans les établissements destinés aux femmes se sont produits dans les établissements à sécurité maximale. Comme pour l’ensemble de la population carcérale, la plupart des recours à la force étaient liés à des agressions (44,5 %) ou à des « comportements » (27,2 %). Une proportion beaucoup plus importante d’incidents de recours à la force impliquant des femmes, cependant, comprenait des incidents d’automutilation (26,8 % de tous les recours). Pour les femmes autochtones, près d’un quart (24,4 %) de tous les incidents étaient liés à des comportements d’automutilation.

    Les personnes PANDC représentaient plus des deux tiers de toutes les femmes impliquées dans des recours à la force (67 %), ce qui s’explique en grande partie par le nombre élevé de femmes autochtones. En moyenne, les femmes autochtones représentaient 60 % de toutes les femmes impliquées dans des recours à la force, alors qu’elles représentaient environ 40 % des femmes emprisonnées au cours des cinq dernières années.

    Lorsque l’on examine le recours à la force impliquant des femmes, il est important de reconnaître le rôle des personnes impliquées de manière répétée ou chronique. Comme indiqué précédemment, les personnes peuvent être impliquées dans plus d’un incident de recours à la force. Ceci est particulièrement important pour les femmes. En fait, au cours de la période couverte par l’enquête, six femmes ont été responsables de près d’un tiers de tous les incidents de recours à la force dans les établissements pour femmes. En outre, une femme a été à l’origine de 11 % de tous les incidents (89), et deux femmes ont été à l’origine de plus de 50 incidents chacune. Lorsque les raisons du recours à la force ont été examinées pour tous les incidents impliquant ces femmes, plus de la moitié ont été documentées comme ayant eu lieu en réponse à des comportements d’automutilation.

    Face à de tels constats, nous devons nous demander pourquoi nous nous attendons à ce que des options de force règlent efficacement les crises de santé mentale. Étant donné qu’un grand nombre de ces femmes continuent à s’automutiler et à subir des violences répétées de la part du personnel pénitentiaire, il est clair que cette approche ne fonctionne pas. Si la force ne doit être utilisée que lorsque les négociations verbales ont échoué, cela peut être la preuve que des techniques et une formation plus efficaces en matière de négociation verbale et de désescalade sont nécessaires. Le personnel a besoin de bons outils et d’une formation adéquate pour pouvoir réagir efficacement. Et pour les personnes qui s’automutilent de manière chronique, les prisons ne sont pas forcément le lieu où elles peuvent ou doivent recevoir les soins dont elles ont besoin. Répondre à l’automutilation chronique par un usage chronique de la force est une approche inefficace (et probablement dommageable) du travail s’agissant des personnes ayant des besoins en matière de santé mentale. De plus, les tentatives de faire disparaître temporairement les symptômes de problèmes de santé complexes sous-jacents qui ne sont peut-être pas traités ne constituent pas une pratique correctionnelle productive ni humaine.

    RECOURS À LA FORCE AVEC D'AUTRES POPULATION VULNÉRABLES

    Un examen des incidents de recours à la force impliquant des personnes présentant d’autres vulnérabilités (c’est-à-dire des antécédents d’automutilation et (ou) de tentatives de suicide, des problèmes de santé mentale) a été effectué pour tous les incidents qui ont eu lieu entre avril 2015 et octobre 2020.

    Personnes ayant des antécédents d’automutilation et (ou) de tentatives de suicide

    • Près de la moitié (46 %) des personnes impliquées dans un incident avec usage de la force avaient des antécédents d’automutilation ou de tentative de suicide.
    • 12 % de tous les incidents de recours à la force ont été identifiés comme étant le résultat d’un comportement d’automutilation.
    • Plus d’un quart (27 %) de tous les incidents de recours à la force impliquant des femmes purgeant une peine fédérale ont eu lieu en réponse à un comportement d’automutilation.
    • Les gaz poivrés étaient le type de force le plus souvent utilisé pour les incidents documentés comme étant amorcés par un comportement d’automutilation (c’est-à-dire utilisés dans 43 % des incidents d’automutilation). En fait, ce taux d’utilisation des gaz poivrés pour les incidents d’automutilation est le même que le taux global d’utilisation pour tous les types d’incidents.
    1. Je recommande que le SCC examine et révise sa politique et ses pratiques concernant l’utilisation de gaz poivrés lors d’incidents impliquant des personnes qui s’automutilent ou qui sont suicidaires, dans le but de réduire leur utilisation lors d’interventions auprès de personnes qui sont aux prises avec des crises de santé mentale. 

       

    Personnes ayant des problèmes de santé mentale

    • Les travaux antérieurs de l’équipe d’examen du recours à la force de ce Bureau ont révélé que, sur la base d’un examen des dossiers individuels pour un échantillon de près de 2 000 incidents de recours à la force, 41 % des cas impliquaient au moins une personne ayant des problèmes de santé mentale documentés.
    • Étant donné le manque d’indicateurs administratifs fiables en matière de santé mentale, il est actuellement impossible de déterminer la proportion de personnes impliquées dans des recours à la force ayant des problèmes de santé mentale.
    1. Je recommande à SCC de mettre au point une méthode fiable sur le plan administratif pour faire le suivi des personnes ayant des problèmes de santé mentale afin de déterminer comment les politiques et les pratiques, comme le recours à la force, influent sur cette population particulièrement vulnérable. 

       

    Remarque : On a tenté d’utiliser les données « indicatrices » sur la santé mentale disponibles dans le Système de gestion des délinquants (SGD) de SCC; toutefois, ces renseignements présentaient de nombreux problèmes de qualité et de fiabilité.

    Race des personnes impliquées dans 
    des incidents de recours à la force 
    d’avril 2015 à octobre 2020

    graphique circulaire décrivant la race de toutes les personnes impliquées dans des incidents de recours à la force au cours des cinq dernières années.
•	Blanc : 42 %
•	Autochtone : 39 %
•	Noir : 12 %
•	Personne de couleur (PDC) : 7 %

    Personnes impliquées dans des incidents de recours à la force par groupe racial

    Nous avons examiné le profil racial des personnes impliquées dans des incidents de recours à la force. Bien qu’elles représentent 44 % de la population carcérale, les personnes PANDC représentaient près de 60 % de toutes les personnes impliquées dans un incident de recours à la force au cours des cinq dernières années. Au cours de la même période, les Blancs représentaient 42 % de toutes les personnes impliquées dans un recours à la force, alors qu’ils représentaient 52 % de la population carcérale. Plus précisément, les Autochtones sont largement surreprésentés, puisqu’ils représentent 39 % des personnes impliquées dans des recours à la force, alors qu’ils constituent environ 28 % de la population carcérale sur la même période. Les Noirs sont également surreprésentés, puisqu’ils représentent 12 % des personnes impliquées dans des recours à la force, alors qu’ils ne représentent que 9 % de la population carcérale.

    Graphique 2. Représentation des personnes de race blanche et des personnes PANDC dans la population générale canadienne, dans la population carcérale fédérale et dans la population impliquée dans des cas de recours à la force

    Graphique à barres illustrant la représentation des Blancs, des Noirs, des Autochtones et des personnes de couleur (PDC) dans la population canadienne générale, dans la population carcérale fédérale et dans la population ayant recours à la force.
•	Population canadienne générale :
o	Blanc : 72 %
o	PDC : 19 %
o	Noir : 3,5 %
o	Autochtones : 5 %

•	Population purgeant une peine de ressort fédéral :
o	Blanc : 52 %
o	PDC : 7 %
o	Noir : 9 %
o	Autochtone : 28 %

•	Population ayant recours à la force :
o	Blanc : 42 %
o	PDC : 7 %
o	Noir : 12 %
o	Autochtone : 39 %

    Ensemble, les Noirs et les Autochtones ont représenté 51 % des personnes impliquées dans des usages de la force depuis 2015, alors qu’ils représentent 37 % de la population carcérale et 8,5 % de la population canadienne. À l’inverse, les Blancs et les personnes de couleur étaient sous-représentés dans la population impliquée dans l’usage de la force (42 % et 6,5 % respectivement) par rapport à leur représentation dans la population carcérale (52 % et 7 % respectivement).

    Événements de recours à la force par race

    Nous avons également examiné la représentation raciale dans les incidents. Un incident peut, et c’est souvent le cas, concerner plus d’une personne, et donc potentiellement plus d’un groupe racial. Nous avons examiné la représentation raciale dans les événements de recours à la force (chaque combinaison distincte d’incidents et de personnes). Le graphique 3 montre le nombre total d’incidents avec usage de la force par groupe racial pour les cinq dernières années financières. Footnote 10 

    Graphique 3. Nombre total d’incidents de recours à la force par race et par année financière

    Graphique représentant le nombre total d'événements de recours à la force par race, par année financière.
•	2015-2016
o	Autochtone : 707
o	Blanc : 998
o	Noir : 338
o	PDC : 133

•	2016-2017
o	Autochtone : 936
o	Blanc : 925
o	Noir : 234
o	PDC : 125

•	2017-2018
o	Autochtone : 992
o	Blanc : 876
o	Noir : 230
o	PDC : 120

•	2018-2019
o	Autochtone : 1 053
o	Blanc : 950
o	Noir : 260
o	PDC : 111

•	2019-2020
o	Autochtone : 1 427
o	Blanc : 1 127
o	Noir : 386
o	PDC : 191

    Remarque : Les points de données entre les groupes raciaux au sein de chaque année financière ne sont pas mutuellement exclusifs et, par conséquent, le total des incidents par année ne correspond pas au total des incidents indiqués dans le graphique 1.

    Il est clair que les événements de recours à la force ont de plus en plus impliqué des personnes autochtones plus que des membres de tout autre groupe racial, une tendance à la hausse depuis 2015-2016. En fait, cette année-là, le nombre de recours à la force impliquant des Autochtones a dépassé celui des Blancs. Il n’a cessé d’augmenter depuis. Non seulement les Autochtones sont surreprésentés parmi les personnes distinctes impliquées dans les cas de recours à la force, mais ils sont aussi largement surreprésentés dans les cas de recours à la force.

    Situations de recours à la force par race

    Il était intéressant de comparer le nombre moyen d’incidents avec usage de la force par personne par groupe racial. De même, tout comme une personne peut être impliquée dans plus d’un incident de recours à la force, elle peut être exposée à de multiples situations (cas ou applications de la force) pour chaque incident (voir tableau 2). Par exemple, une personne peut être impliquée dans un incident où une seule situation et un seul type de force sont utilisés, comme une situation de contrôle physique. Une autre personne pourrait être impliquée dans un seul incident, mais avoir subi trois types de force et quatre situations de force, comme une situation de contrôle physique, une contrainte et deux pulvérisations distinctes de gaz poivrés.

    Comme le montre le tableau 2, une comparaison du nombre moyen d’incidents de recours à la force et du nombre moyen de situations de la force par personne impliquée dans un incident de recours à la force pour chaque groupe racial a révélé que les Autochtones ont subi :

    • Le nombre moyen d’incidents par personne le plus élevé par rapport à tous les autres groupes (plus de trois incidents par personne en moyenne);
    • Le nombre moyen de situations d’usage de la force le plus élevé par rapport à tous les autres groupes (c’est-à-dire plus de cinq situations d’usage de la force par personne en moyenne);
    • Un nombre moyen d’incidents (3,01 contre 2,78) et de situations d’usage de la force (5,45 contre 5,02) plus élevé que la moyenne de la population; et,
    • Un nombre significativement plus élevé d’incidents par personne par rapport aux personnes de race blanche (3,01 contre 2,61).

    Tableau 2 : Nombre moyen d’incidents de recours à la force et nombre moyen de situations d’usage de la force par personne par groupe racial

    GROUPE RACIAL 

    NOMBRE MOYEN 
    D'INCIDENTS 
    PAR PERSONNE 

    NOMBRE MOYEN 
    D'OCCURRENCES 
    D'USAGE DE LA 
    FORCE PAR 
    PERSONNE 

    AUTOCHTONE

    3,01

    5,45

    NOIR

    2,78

    5,43

    BLANC

    2,61

    4,56

    PDC

    2,53

    4,71

    POPULATION 
    MOYENNE

    2,78

    5,02

    Bien qu’ils représentent 12 % des personnes impliquées dans des recours à la force au cours des cinq dernières années, les Noirs ont connu un nombre moyen d’incidents par personne plus élevé (2,78) que les Blancs et les personnes de couleur. Il est également important de noter que le nombre moyen de cas de recours à la force pour les Noirs (5,43) est presque aussi élevé que celui des Autochtones (5,45). Si les Noirs sont impliqués dans un nombre relativement faible d’incidents, leur exposition à la force est considérablement plus élevée que celle des autres groupes raciaux plus denses par personne par rapport aux autres groupes raciaux.

    Raisons et types de recours à la force par groupe racial

    Un bref examen des raisons documentées du recours à la force a démontré que même si tous les groupes raciaux avaient généralement le même ordre de classement pour les raisons attribuées à l’incident de recours à la force, les différences suivantes sont ressorties :

    • Les personnes autochtones et les personnes de couleur ont affiché une proportion nettement plus élevée d’incidents liés à des agressions que les personnes blanches et noires, ainsi que la population globale;
    • Les Autochtones et les Blancs présentaient un nombre significativement plus élevé de cas de recours à la force attribués à l’automutilation par rapport aux personnes noires, aux personnes de couleur et à la population globale;
    • La proportion d’incidents attribués à la contrebande était plus élevée chez les personnes noires et les personnes de couleur que chez les personnes blanches, les Autochtones et la population globale.

    Tableau 3 : Raisons des recours à la force par groupe racial et population globale

     

    AUTOCHTONE 
    (n = 1 932) 

    BLANC 
    (n = 2 090) 

    NOIR 
    (n = 609) 

    PDC 
    (n = 321) 

    POPULATION 
    TOTALE 

    % LIÉ À L'AGRESSION

    53,3

    45,7

    49,1

    56,9

    50,0

    % LIÉ AU COMPORTEMENT

    34,7

    39,7

    41,5

    31,9

    37,3

    % AUTOMUTILATION

    8,1

    9,7

    2,9

    3,0

    7,8

    % CONTREBANDE

    1,9

    2,6

    4,0

    4,7

    2,7

    Le rôle unique de la race dans les recours à la force

    L’examen du recours à la force au niveau des personnes et des incidents montre systématiquement la surreprésentation des personnes autochtones et noires par rapport à leur représentation dans la population générale, dans la population carcérale et dans les autres groupes raciaux. En outre, elle illustre l’usage excessif et la densité de la force dont sont victimes spécifiquement les personnes noires et autochtones. Bien que ces résultats soient à eux seuls convaincants, les preuves ne nous disent pas pourquoi la surreprésentation existe. Cela soulève à son tour la question suivante : le recours à la force plus important dont font l’objet les personnes noires et autochtones pourrait-il s’expliquer par le fait que les membres de ces groupes sont plus nombreux à faire partie de groupes à risque et à sécurité élevée? En d’autres termes, si l’on tient compte de l’influence du niveau de risque, du niveau de sécurité et d’autres facteurs liés à une participation accrue aux recours à la force, la race est-elle spécifiquement liée en tant que telle ? Plus précisément, à égalité avec d’autres facteurs importants, le fait de s’identifier en tant que personne autochtone ou noire entraîne-t-il à lui seul un risque plus élevé d’être impliqué dans un incident de recours à la force?

    Pour explorer cela, deux années de données sur le recours à la force ont été examinées, y compris pour toutes les personnes qui étaient en détention dans un établissement fédéral entre 2018 et 2020. Les personnes impliquées dans au moins un incident de recours à la force ont été comparées à celles qui n’ont pas été impliquées dans un recours à la force pendant cette période (voir tableau 4). Des renseignements sur le niveau de risque, le niveau de sécurité, l’âge, le sexe et la durée de la peine ont été obtenus pour chaque personne afin d’analyser la relation entre la race (autochtone ou noire, ou non) et l’implication dans un incident de recours à la force.

    Tableau 4 : Comparaison des facteurs entre les personnes impliquées et non impliquées dans les recours à la force entre 2018 et 2020

     

    IMPLIQUÉES 
    (n = 2 967) 

    NON IMPLIQUÉES 
    (n = 24 283) 

    % AUTOCHTONES OU NOIRS

    53,5

    33,8

    ÂGE MOYEN

    29,9

    37,1

    DURÉE MOYENNE DES PEINES 
    (ANNÉES)

    4,0

    3,2

    GENRE

    % d’hommes

    94,3

    93,4

    % de femmes

    5,4

    6,6

    NIVEAU DE SÉCURITÉ

    % maximale

    35,4

    3,5

    % moyenne

    34,0

    35,2

    % minimale

    1,7

    21,7

    NIVEAU DE RISQUE

    % élevé

    76

    46,2

    % moyen

    21,8

    37,3

    % faible

    1,8

    13,4

    Source : Entrepôt de données de SCC (février 2021).

    D’après les données, la grande majorité des personnes incarcérées entre 2018 et 2020 étaient des hommes (93,5 %), évalués comme présentant un risque élevé ou moyen (49,5 % et 35,6 %, respectivement), vivant dans une unité à sécurité moyenne (35 %) et purgeant une peine moyenne de 3,3 ans (voir le tableau 4). Footnote 11 Environ 11 % de toutes les personnes ont été impliquées dans au moins un incident de recours à la force, et 54 % de toutes les personnes impliquées dans un incident de recours à la force se sont identifiés comme Autochtones ou Noirs. Footnote 12 

    Une comparaison et un examen des facteurs (race, âge, durée de la peine, genre, niveau de sécurité et niveau de risque) ont démontré une relation significative entre chaque facteur et l’implication dans un incident de recours à la force. Plus précisément, le fait d’être plus jeune, d’avoir une peine plus longue, d’être un homme, d’avoir un niveau de sécurité et de risque plus élevé, et de s’identifier comme personne autochtone ou noire étaient significativement associés au fait d’être impliqué dans un incident de recours à la force. Footnote 13 

    Ensuite, nous avons examiné le lien entre la race et l’implication dans un recours à la force. Footnote 14 Cette analyse a révélé que le fait de s’identifier comme personne autochtone ou noire rendait les personnes beaucoup plus susceptibles d’être impliquées dans un incident de recours à la force. Plus précisément, la probabilité d’être impliquée était 2,5 fois plus élevée pour une personne autochtone ou noire que pour une personne s’identifiant à un autre groupe racial. Lorsque les autres facteurs ont été ajoutés au modèle (âge, genre, niveau de risque, niveau de sécurité et durée de la peine), tous les facteurs étaient significativement associés à l’implication dans un recours à la force. Fait important, les résultats indiquent que le lien entre la race et le recours à la force, en maintenant constants les effets des cinq autres facteurs, était toujours associé de manière significative au recours à la force. En d’autres termes, après avoir pris en compte l’influence de l’âge, du risque, du niveau de sécurité, du genre et de la durée de la peine sur l’implication dans le recours à la force, le fait d’être une personne autochtone ou noire était associé de manière singulière à une probabilité accrue d’être impliqué dans un incident de recours à la force.

    Il est probable que d’autres facteurs servent également à expliquer l’implication dans les recours à la force, mais cette constatation nous indique que la surreprésentation des personnes autochtones et noires dans les incidents de recours à la force ne peut pas simplement s’expliquer par leur plus grande proportion dans les groupes à risque élevé ou à sécurité élevée, leur plus jeune âge ou la durée de leur peine. Le rôle unique et important de la race devrait inciter le Service à examiner sérieusement la façon dont les méthodes de recours à la force sont appliquées et à l’égard de qui elles sont appliquées le plus souvent. Cette constatation fournit des preuves irréfutables qui suggèrent que la force est appliquée de manière disproportionnée à l’égard des personnes autochtones et noires, et peut-être même à l’égard d’autres personnes à cause de la race, au-delà de raisons plus légitimes. En d’autres termes, la race à elle seule ne devrait pas constituer un « facteur de risque » d’exposition aux recours à la force.

    1. Je recommande que le SCC élabore rapidement un plan d’action, en consultation avec les intervenants, afin d’examiner la relation entre le recours à la force et le racisme systémique à l’égard des Autochtones et des Noirs, et qu’il rende compte publiquement des changements réalisables aux politiques et aux pratiques qui permettront de réduire efficacement la surreprésentation de ces groupes parmi les personnes exposées au recours à la force. 

       

    Conclusion

    Le recours à la force dans les prisons est un outil puissant dont disposent les organismes correctionnels. Il peut jouer un rôle important dans le cadre de paramètres stricts et dans des circonstances limitées. Mais, comme beaucoup d’autres pratiques qui laissent une large place à l’utilisation discrétionnaire, le recours à la force est devenu une méthode incontournable de la gestion correctionnelle. C’est une méthode qui est sujet à l’influence des préjugés implicites et explicites.

    Les preuves du recours excessif à la force en général, et plus particulièrement à l’égard des personnes noires et autochtones, sont irréfutables. Cette réalité contraste de manière décevante avec la mise en œuvre de mesures apparemment prometteuses, comme les MEI, qui avaient démontré une certaine volonté organisationnelle de s’éloigner du recours excessif à la force. Cependant, les résultats sont non seulement incohérents, mais aussi diamétralement opposés aux intentions de ces mesures.

    Il n’y a pas eu de meilleur moment ni de meilleure motivation que le climat social actuel pour que le Service s’engage dans une autoréflexion et examine ses politiques et ses pratiques de recours à la force dans leur ensemble tout en portant une attention particulière aux personnes noires et autochtones, ainsi qu’à d’autres groupes vulnérables, qui sont touchés de manière disproportionnée et très négative.

    Un examen des services correctionnels pour femmes 30 ans après La création de choix 

    Avril 2020 a marqué le 30e anniversaire de La création de choix . Footnote 15 Lancée comme un plan directeur pour les services correctionnels fédéraux pour femmes au Canada, La création de choix a marqué le début d’un système correctionnel reconnu comme étant axé sur les femmes. Le commissaire de Service correctionnel du Canada a créé le Groupe d’étude sur les femmes purgeant une peine fédérale (ci-après nommé le Groupe d’étude) en 1989. Le Groupe d’étude s’est largement appuyé sur la vie, l’expérience et la perspicacité des femmes purgeant une peine fédérale pour examiner les pratiques de gestion des femmes en détention, et pour élaborer un plan et des lignes directrices pour les politiques et interventions futures. Le Groupe d’étude a formulé des recommandations à court et à long terme qui ont considérablement modifié le système correctionnel pour femmes. Il consacre cinq principes qui font partie intégrante d’une approche correctionnelle axée sur les femmes : la responsabilisation, des choix valables et responsables, le respect et la dignité, un environnement de soutien et la responsabilité partagée.

    Photo d'une cour de l’unité d’intervention structurée et de l’unité de garde en milieu fermé de l’Établissement Nova.

    Cour de l’unité d’intervention structurée et de l’unité 
    de garde en milieu fermé de l’Établissement Nova 

    Six ans après la publication du rapport du Groupe d’étude, le solliciteur général du Canada a publié le rapport de l’honorable Louise Arbour sur son enquête concernant les événements survenus à la prison des femmes de Kingston, en Ontario. Footnote 16 Le rapport portait sur l’enquête relative aux incidents qui ont eu lieu entre un groupe de femmes incarcérées et le personnel. Le rapport a formulé 14 recommandations principales et a servi, avec La création de choix , d’impulsion politique pour un grand nombre de changements opérationnels et culturels dans les établissements correctionnels fédéraux pour femmes.

    Mon Bureau a fait rapport sur les améliorations pour les femmes dans des rapports annuels successifs, notant de nombreuses réalisations, mais soulignant également de nombreuses pratiques problématiques et des domaines où des améliorations étaient nécessaires de toute urgence. J’ai démontré à plusieurs reprises qu’une augmentation de la population des femmes incarcérées correspond à une érosion des principes clés énoncés dans La création de choix . Le nombre élevé d’incidents d’automutilation, de recours à la force, d’agressions (y compris sexuelles), de bagarres, de tentatives de suicide et de surdoses interrompues chez les femmes indique que le système n’est pas à la hauteur des principes et des intentions adoptées dans La création de choix . De nouveaux problèmes sont également apparus au fil des ans, qui ont remis en question le système et les approches de la gestion des services correctionnels pour femmes.

    En 2020-2021, le Bureau a examiné de manière générale l’évolution des services correctionnels pour femmes au cours des trois dernières décennies. Nous avons mené des entrevues confidentielles avec des femmes incarcérées dans chaque région, ainsi qu’avec le personnel de SCC, afin de mieux éclairer notre analyse et nos conclusions. Il est essentiel d’entendre directement les femmes qui purgent une peine et le personnel qui a travaillé dans le cadre de La création de choix pour mieux comprendre les défis et l’ampleur des problèmes. Nous avons également examiné la documentation universitaire, les ressources des intervenants et les rapports parlementaires.

    L’analyse suivante examine les services correctionnels pour femmes, avec pour toile de fond les neuf problèmes cernés dans La création de choix . Ils comprennent :

    1. La prison pour femmes n’est pas adéquate;
    2. La prison pour femmes est trop sécurisée;
    3. La programmation est mauvaise;
    4. Les femmes sont isolées de leur famille;
    5. Les besoins des femmes francophones ne sont pas satisfaits;
    6. Les besoins des femmes autochtones ne sont pas satisfaits;
    7. La responsabilité des femmes purgeant une peine de ressort fédéral doit être élargie;
    8. Les femmes doivent être mieux intégrées dans la collectivité;
    9. L’incarcération ne favorise pas la réadaptation.

    Points saillants des principales constatations

    • La création de choix a été une initiative révolutionnaire qui a permis d’apporter de nombreuses améliorations aux services correctionnels pour femmes. Toutefois, dans l’ensemble, la situation de la plupart des femmes incarcérées dans les prisons fédérales a peu changé. Footnote 17 
    • L’un des changements les plus significatifs de ces trente dernières années a été l’augmentation pure et simple du nombre de femmes condamnées au niveau fédéral. Les admissions dans les établissements correctionnels fédéraux pour femmes ont plus que triplé, passant de 170 en 1990-1991 à 562 en 2019-2020.
    • La composition de la population a changé de manière significative. La population des femmes autochtones condamnées au niveau fédéral a augmenté de 73,8 % en 30 ans. Les femmes autochtones représentent 43 % de la population des femmes condamnées au niveau fédéral, contre 23 % en 1990-1991.
    • Presque tous les problèmes cernés il y a trente ans (infrastructure inadéquate, sursécurisation, manque de programmes et de services, mauvaises pratiques de réintégration dans la collectivité) restent des sujets de préoccupation importants aujourd’hui, certains se sont même détériorés davantage et tous sont des facteurs contribuant aux mauvais résultats correctionnels pour de nombreuses femmes.
    • Une approche axée sur la sécurité continue d’imprégner presque tous les aspects des services correctionnels pour femmes, ce qui empêche le SCC de réaliser pleinement la vision énoncée dans La création de choix . Footnote 18 
    • Les programmes, les services et les interventions restent un problème important. Bien que certaines femmes nous aient dit avoir eu des expériences positives dans les programmes, les programmes correctionnels ne se traduisent pas par de meilleurs résultats dans la collectivité pour beaucoup d’autres. Les femmes autochtones ont un accès limité aux programmes spécialisés, aux Aînés et aux agents de liaison autochtones. Les formations professionnelles destinées aux femmes sont souvent enracinées dans les attentes et les rôles traditionnels et offrent peu de compétences monnayables.
    • Malgré les recherches de SCC qui démontrent que les femmes bénéficiant d’une permission de sortir sont moins touchées par le chômage et ont moins de retours en détention, le recours aux permissions de sortir et aux placements à l’extérieur est limité. Cela empêche les femmes de recourir à des services et à des interventions en dehors de la prison qui leur offriraient des possibilités mieux adaptées à leurs besoins et à leurs intérêts.
    • Les pratiques correctionnelles qui traumatisent à nouveau les femmes (fouilles à nu aléatoires), ou une culture de travail par laquelle le personnel se permet de porter des commentaires qui discriminent ou intimident les femmes en raison de leur race, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur expression de genre, ne contribuent en rien à un environnement axé sur la guérison.

    LA VOIX DES FEMMES

    Dans le cadre de notre travail pour ce chapitre, nous avons interviewé un certain nombre de femmes en prison. Vous trouverez ci-dessous leurs réflexions sur l’évolution des services correctionnels pour femmes, les défis auxquels elles sont confrontées et la réalisation de La création de choix .

    Sur la responsabilisation et le choix :

    « Je n’ai pas senti que le SCC est là pour nous soutenir. Tout est un combat avec la direction. Aucune responsabilisation de la part de l’établissement, je n’ai pas été respectée par le personnel et j’ai vu le personnel manquer de respect à d’autres détenues. J’ai déposé des plaintes pour violation des droits de la personne et pour discrimination/harcèlement au nom d’autres détenues. Des décisions sont prises dans notre cas et ils nous en informent, nous ne sommes pas consultées ni incluses dans le processus. »

    « Systématiquement, nous avions plus de choix (sorties avec escorte, placements à l’extérieur, même ce que nous pouvons obtenir sur la liste d’épicerie). Cela semble plus restrictif maintenant. »

    « Les sorties avec escortes/placements à l’extérieur sont horribles. J’essaie depuis 2 ans et demi, mais l’agent des programmes continue de changer les choses, maintenant j’ai besoin d’une évaluation psychologique et d’une mise à jour du plan correctionnel. C’est frustrant. »

    Sur les programmes et les services :

    « J’ai été vraiment impressionnée par l’agent de programmes correctionnels qui a enseigné mon programme. Il a su composer avec les différentes personnalités et apprendre à nous connaître de différentes manières. Il a été en mesure de me mettre au défi et de me faire sortir de ma coquille. »

    « Mes compétences sont meilleures et se sont améliorées depuis que j’ai suivi mon programme. C’était une bonne expérience. J’ai été prudente quant à l’information que j’ai transmise à cause des autres personnes du groupe. Cependant, j’en ai parlé à l’agent de programmes correctionnels. Mes capacités d’adaptation se sont considérablement améliorées. »

    « En n’ayant pas un accès assez bon à la santé mentale (psychiatre), plus de médecins qui peuvent aider, pas seulement pour nous prescrire des médicaments. »

    « Pour les programmes correctionnels pour délinquantes autochtones, j’ai vécu une expérience extraordinaire avec l’Aîné et l’animateur. Cela a transformé ma vie. »

    « Les bénévoles qui veulent venir nous aider doivent passer par tellement de processus d’approbation, cela prend tellement de temps. »

    « Il est évident que le programme mère-enfant est positif, mais il pourrait mieux fonctionner (manque de formation des personnes qui le gèrent, trop de niveaux d’approbation). »

    « La réintégration est le plus grand défi. Les femmes sortent de prison sans compétences professionnelles, sans savoir comment chercher un emploi. Si vous partez en libération d’office, vous devez vous débrouiller seul, où établissons-nous des ponts? Les options professionnelles sont si limitées pour les femmes (alimentation, couture, nettoyage...). »

    Sur la sécurité :

    « Je l’ai vu passer d’un modèle centré sur les femmes et de soutien... à un modèle plus masculin. J’attribue le début de cette tendance au moment où les intervenants principaux ont commencé à porter un uniforme. »

    « J’ai l’impression que nous nous sommes éloignés de la création de choix , à l’exception de quelques employés. Ça ressemble plus à un modèle basé sur la punition. »

Profil des femmes incarcérées dans des établissements fédéraux

L’une des différences les plus apparentes dans le paysage des services correctionnels pour femmes aujourd’hui par rapport à 1990 est la forte augmentation du nombre de femmes incarcérées dans des établissements fédéraux au Canada. Les admissions ont plus que triplé, passant de 170 en 1990-1991 à 562 en 2019-2020.

Graphique 1. Admissions de femmes incarcérées dans des établissements fédéraux de 1990-1991 à 2019-2020

Graphique représentant les admissions fédérales dans les établissements pour femmes purgeant une peine de ressort fédéral, de l'année financière 1990-1991 à 2019-2020.
•	1990-1991 : 170
•	1991-1992 : 189
•	1992-1993 : 210
•	1993-1994 : 233
•	1994-1995 : 253
•	1995-1996 : 244
•	1996-1997 : 282
•	1997-1998 : 285
•	1998-1999 : 333
•	1999-2000 : 339
•	2000-2001 : 390
•	2001-2002 : 344
•	2002-2003 : 357
•	2003-2004 : 389
•	2004-2005 : 404
•	2005-2006 : 448
•	2006-2007 : 485
•	2007-2008 : 469
•	2008-2009 : 504
•	2009-2010 : 497
•	2010-2011 : 493
•	2011-2012 : 499
•	2012-2013 : 427
•	2013-2014 : 457
•	2014-2015 : 506
•	2015-2016 : 561
•	2016-2017 : 576
•	2017-2018 : 559
•	2018-2019 : 563
•	2019-2020 : 562

Source : Entrepôt de données de SCC (10 avril 2021).

Selon l’entrepôt de données de SCC, le 10 avril 2021, 615 personnes étaient incarcérées dans des établissements fédéraux destinés aux femmes. Sept cent treize autres ont été supervisées dans la collectivité. Comme le montre le tableau 1, la plupart des femmes ont été incarcérées dans les régions des Prairies (30,1 %) ou de l’Ontario (28,8 %). Environ la moitié des femmes étaient placées dans un établissement à sécurité moyenne, tandis que seulement un quart d’entre elles étaient classées à sécurité minimale. La plupart des femmes purgeaient des peines relativement courtes, de trois ans en moyenne. La grande majorité (86 %) des femmes purgeait leur première peine fédérale. Bien que la plus grande proportion de femmes incarcérées ait été évaluée comme ayant des besoins élevés (61,3 %), et étant à risque moyen (41 %) ou élevé (40 %), la plupart des femmes ont également été évaluées comme ayant des niveaux moyens ou élevés de motivation, ou de responsabilité, ou les deux. Selon les données du Système intégré de rapport de SCC, il y avait presque autant de femmes incarcérées qui s’identifiaient comme blanches (44 %) que de femmes qui s’identifiaient comme autochtones (43 %) ; les 14 % restants s’identifiaient comme minorité visible ou autre. Bien que la situation spécifique des femmes autochtones soit abordée dans une section ultérieure, il convient de noter ici les différences de profil des femmes autochtones incarcérées. Par exemple, par rapport aux femmes non autochtones incarcérées, les femmes autochtones étaient nettement plus jeunes. Leur âge médian à l’admission était de 29 ans, contre 36 ans pour les femmes non autochtones. Elles représentaient près de deux fois la proportion de femmes non autochtones placées dans un établissement à sécurité maximale, et recevaient une cote de risque et de besoins plus élevée.

Tableau 1 : Profil démographique des femmes incarcérées dans un établissement fédéral

 

NON-AUTOCHTONES 
(n = 327) 

 

AUTOCHTONE 
(n = 252) 

 

TOTAL 
(N = 615) 

 
 

Nbre (MÉDIAN) 

Nbre (MÉDIAN) 

Nbre (MÉDIAN) 

ÂGE MOYEN 
L'ADMISSION 

37,5 
(36)

30,7 
(29)

34,7 
(32)

CLASSIFICATION DE 
LA SÉCURITÉ 

Minimale

96

29,4

50

19,8

151

24,6

Moyenne

173

52,9

140

55,6

318

51,7

Maximale

22

6,7

32

12,7

54

8,8

DURÉE MOYENNE DES 
PEINES (ANNÉES) 

3,1 
(2,00)

-

3,1 
(2,00)

-

3,0 
(2,00)

-

PREMIÈRE PEINE DE 
RESSORT FÉDÉRAL 

276

84,4

218

86,5

529

86

RÉGION 

Pacifique

37

11,30

47

18,7

88

14,3

Prairie

62

19,0

115

45,6

185

30,1

Ontario

114

34,9

53

21,0

177

28,8

Québec

63

19,3

14

5,6

84

13,7

Atlantique

51

15,6

23

9,1

81

13,2

NIVEAU DE RISQUE 

Élevé

120

36,7

123

48,8

245

39,8

Moyen

140

42,8

100

39,7

252

41,0

Faible

44

13,5

15

6,0

66

10,7

NIVEAU DE BESOIN 

Élevé

175

53,5

193

76,6

377

61,3

Moyen

108

33,0

42

16,7

160

26

Faible

18

5,5

1

0,4

21

3,4

RÉINTÉGRATION 

      

Haute

45

13,8

3

1,2

53

8,6

Moyenne

187

57,2

147

58,3

349

56,7

Faible

69

21,1

86

34,1

156

25,4

MOTIVATION 

      

Haute

111

33,9

63

25,0

185

30,1

Moyenne

167

51,1

160

63,5

337

54,8

Faible

23

7,0

13

5,2

36

5,9

RESPONSABILITÉ 

      

Haute

86

26,3

53

21,0

146

23,7

Moyenne

176

53,8

171

67,9

361

58,7

Faible

38

11,6

10

4,0

48

7,8

Remarques : Les données sur la race n’étaient pas disponibles pour environ 6% de la population. Pour les autres caractéristiques démographiques, les données manquaient pour 8 à 15 % de la population. 
Source : Entrepôt de données de SCC (basé sur les femmes incarcérées au 10 avril 2021).

Évaluation des services correctionnels pour femmes par rapport aux neuf problèmes cernés dans La création de choix 

1. La prison pour femmes n’est pas adéquate

En 1990, il est devenu évident pour le Groupe d’étude que l’unique prison fédérale pour femmes, en activité de 1934 à 2000 et située à Kingston, en Ontario, était totalement inadaptée. Sa conception était basée sur un établissement à sécurité maximale pour hommes, ce qui signifie que la plupart des femmes étaient détenues à un niveau de sécurité plus élevé que nécessaire. La prison était bruyante, mal ventilée et ne disposait pas d’un espace suffisant pour accueillir les interventions correctionnelles. Des améliorations ont été apportées au fil des ans, mais la rigidité de la conception et le mur de haute sécurité de la prison la faisait ressembler à une forteresse qui séparait les femmes de la collectivité. Le Groupe d’étude a recommandé que cinq établissements régionaux pour femmes soient construits avec des unités de style pavillon pour intégrer une vie autonome, des mesures de sécurité non perturbatrices, de la lumière naturelle, de l’air frais, de l’espace, de l’intimité, un espace spirituel dédié et un accès à la terre.

Photo d'une cour à l’Établissement d’Edmonton pour femmes.

Cour à l’Établissement d’Edmonton pour femmes 

Photo des résidences communautaires à l’Établissement Grand Valley.

Résidences communautaires à l’Établissement 
Grand Valley 

Cinq établissements régionaux

Malgré l’adhésion à bon nombre des recommandations formulées dans La création de choix , les établissements régionaux continuent de poser des problèmes. La construction d’un établissement dans chaque région, bien que préférable à un établissement national, oblige encore de nombreuses femmes à purger leur peine loin de leur famille et de leur collectivité. Une étude récente de SCC a révélé que les femmes (et les hommes) qui recevaient la visite d’amis et de membres de leur famille réussissaient mieux leur retour dans la collectivité. Footnote 19 De nombreuses femmes sont mères de famille et beaucoup de familles n’ont pas les moyens de se déplacer pour les visites. Les incompatibles (membres affiliés à un gang, personnes placées en isolement protecteur et autres groupes) au sein d’une région peuvent également exiger que les femmes soient transférées encore plus loin de leurs soutiens. Cela peut s’avérer particulièrement difficile pour les femmes autochtones transférées dans une région où il y a moins de soutien culturel, ou pour les femmes transférées dans une région où il y a peu de soutien dans la langue de leur choix.

Surpeuplement

Construits pour une population beaucoup plus petite, deux des cinq établissements régionaux - l’Établissement Grand Valley (GVI) et l’Établissement d’Edmonton pour femmes (EIFW) - sont souvent surpeuplés. L’intention de La création de choix était que la taille de chaque établissement reflète la population régionale et que « la mise en œuvre efficace de stratégies communautaires devrait, au fil du temps, réduire le besoin et la durée de séjour dans ces établissements ». La création de choix a également recommandé que les femmes soient incarcérées dans la région où elles sont reconnues coupables et condamnées. On prévoyait également des transferts pour « des raisons personnelles ou en lien avec le programme ». Bien qu’il semble que ce principe soit souvent respecté, la surpopulation et la présence d’incompatibles ont fait que certaines femmes ont été transférées pour des raisons qui ne sont pas personnelles ou liées au programme. Ces deux dernières années, en raison du surpeuplement et des incompatibilités au sein de l’EIFW, plusieurs femmes, dont beaucoup d’Autochtones, ont été transférées à l’Établissement de Joliette, au Québec. Non seulement elles sont éloignées de leur famille et de leurs soutiens culturels, mais elles sont placées dans un établissement avec peu de soutiens pouvant communiquer dans la langue de leur choix. Il était difficile d’organiser des programmes correctionnels en anglais lorsque seules quelques femmes anglophones étaient transférées à Joliette, mais à mesure que le nombre de femmes augmentait, les programmes correctionnels en anglais devenaient disponibles. Il n’y a toujours pas d’Aîné qui parle anglais, mais il y a un agent de liaison autochtone qui parle anglais. Il y a actuellement 32 femmes à Joliette dans la région du Québec dont la langue préférée est l’anglais; 11 d’entre elles ont été condamnées dans la région des Prairies. Footnote 20 Mon Bureau est récemment intervenu dans un cas où une femme a été approuvée pour un placement pénitentiaire à l’EIFW en vertu d’un mandat de dépôt. Cependant, en raison du surpeuplement de l’EIFW, on a recommandé son placement pénitentiaire à Joliette. Il était important que mon Bureau intervienne, car cette femme purgeait une courte peine de deux ans et huit mois; un placement en cellule si loin de sa collectivité aurait pu réduire sa motivation à aborder ses besoins. Tous ses soutiens communautaires, ainsi que son plan de libération, se trouvaient en Alberta. Elle avait été recommandée pour plusieurs programmes et, selon l’évaluation de l’équipe de gestion de cas (ÉGC), elle semblait déterminée à mener à bien les interventions visant à rencontrer ses besoins, et motivée à travailler à la réalisation de son plan correctionnel. L’ÉGC a indiqué que sans l’achèvement d’une programmation et d’une intervention appropriée, son potentiel de réintégration était faible. Après l’intervention de mon Bureau, l’équipe de gestion de l’EIFW a changé sa décision et l’a gardée sur place. Les transferts à l’extérieur de la région doivent être réduits au minimum et utilisés uniquement en dernier recours, et non comme un moyen de contrôler les niveaux de population. Des solutions plus innovantes, comme la révision des classifications de sécurité, le transfert des femmes autochtones dans un pavillon de ressourcement ou le retour des femmes dans la collectivité, permettent de mieux contrôler les niveaux de population et sont plus bénéfiques pour les femmes.

La surpopulation a également été un problème dans l’unité de garde en milieu fermé de l’EIFW et de l’ÉGVF. De nombreuses femmes dans les unités de garde en milieu fermé ont des problèmes complexes de santé mentale. La surpopulation et la double occupation des cellules peuvent accroître le stress, l’anxiété et les incidents liés aux comportements d’automutilation et suicidaires, d’autant plus que les déplacements hors de l’unité sont souvent très limités.

Photo d'une unité de milieu de vie à l’Établissement Grand Valley.

Unité de milieu de vie à l’Établissement Grand Valley 

Infrastructure

Construites il y a de nombreuses années, les établissements régionaux nécessitent un entretien régulier. Les femmes ont signalé des problèmes d’accès à l’eau chaude et à l’eau froide, de pression d’eau, de températures extrêmes dans les unités, d’appareils électroménagers brisés et de bâtiments en mauvais état. Bien que la maintenance et l’entretien des établissements soient une exigence permanente, ces conditions peuvent créer des tensions et du stress chez les femmes, en particulier lorsque les réparations prennent plusieurs semaines ou lorsqu’elles doivent déménager des unités pendant que les réparations sont effectuées. Dans l’unité de garde en milieu fermé d’un établissement régional, un panneau de sécurité s’est brisé à l’automne dernier; il n’a été remplacé que ce printemps. Pendant cette période, la routine de l’unité de garde en milieu fermé a été modifiée. Les femmes étaient enfermées dans leur unité après 15 heures, sans possibilité de récréation le soir. Leurs portes étaient verrouillées entre les rondes de sécurité (toutes les 45 minutes), ce qui a donné lieu à de nombreuses plaintes auprès de mon Bureau.

Même réaménagés, les établissements sont de piètres espaces de vie pour les femmes âgées ou celles dont la mobilité est réduite. Comme indiqué dans Vieillir et mourir en prison : enquête sur les expériences vécues par les personnes âgées sous garde fédérale , de nombreux obstacles physiques subsistent pour les personnes à mobilité réduite. Le réaménagement est souvent limité par l’âge de l’établissement. Footnote 21 Mon Bureau a reçu des plaintes de femmes à l’effet que leurs demandes d’utiliser l’ascenseur entraînaient des réactions de frustration de la part du personnel. De plus, les problèmes de personnel peuvent entraîner des attentes prolongées pour utiliser l’ascenseur, et les agents peuvent suggérer que les femmes ne se déplacent pas entre les étages. Les problèmes d’infrastructure ne devraient pas empêcher les femmes d’accéder aux zones où elles sont autorisées à entrer.

Accès aux soins de santé

Au cours des cinq dernières années, les soins de santé ont été une préoccupation majeure dans les plaintes adressées à mon Bureau. Elles portent souvent sur l’accès, les médicaments, les temps d’attente (notamment pour les soins dentaires), le manque de tests de routine (mammographies, frottis) et les soins liés aux traumatismes. Ces problèmes suggèrent que le SCC continue à avoir du mal à remplir son obligation légale de fournir des soins de santé essentiels équivalents aux normes communautaires, et un accès raisonnable aux soins de santé non essentiels. Footnote 22 

Système de griefs inefficace

Mon bureau a souligné à plusieurs reprises les lacunes du système de règlement des griefs de SCC. Nous continuons à recevoir des plaintes concernant des questions relativement mineures qui auraient dû être traitées en établissement plutôt que d’être transmises au Bureau. Bien que le SCC ait ajouté des ressources, il reste des retards importants dans la résolution des plaintes et des griefs. La suppression du deuxième niveau (régional) il y a plusieurs années était censée aboutir à un système plus rationnel, à deux niveaux, d’examen et de recours des plaintes des détenus correspondant à un dernier grief (institutionnel) et au niveau national. Cependant, le nombre de griefs transmis au niveau national et le temps nécessaire à leur résolution ont entraîné des retards et des arriérés flagrants. Le SCC a l’obligation, en vertu de l’article 90 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, de régler les griefs des délinquants « de façon équitable et rapide ». Comme je l’ai souligné dans mon rapport annuel 2016-2017, il serait plus efficace de donner aux gestionnaires les moyens et la capacité de résoudre les problèmes dans leurs établissements et de réinvestir des fonds dans le mode alternatif de règlement des litiges, qui a fait ses preuves. Les femmes ont également déclaré craindre des représailles pour avoir utilisé le système de griefs et s’être fait dire que leurs plaintes seraient utilisées contre elles. Un système équitable, efficace et efficient de règlement des griefs des détenus contribuerait grandement à atténuer certains des problèmes qui affligent les établissements pour femmes.

Photo d'un cadre d’une hutte de suerie et clôture de séparation à l’Établissement de la vallée du Fraser pour femmes.

Cadre d’une hutte de suerie et clôture de séparation 
à l’Établissement de la vallée du Fraser pour femmes 

2. La prison pour femmes est trop sécurisée

Un grand nombre d’idées et de concepts les plus progressistes de La création de choix qui auraient pu créer une ère plus prometteuse – comme la présomption de classification de sécurité minimale à l’admission, l’absence de clôture de périmètre, l’absence d’unités de garde en milieu fermé à sécurité maximale et l’absence d’isolement pour les femmes incarcérées – ont depuis longtemps été abandonnés en faveur d’un système qui place la sécurité et le contrôle au premier plan. Il a fallu attendre l’ouverture des unités de garde en milieu fermé à sécurité minimale en 2014 pour que les femmes détenues dans un établissement à sécurité minimale ne soient plus entourées d’une clôture. Au fil des années, au fur et à mesure que des sacrifices et des compromis ont été faits, la gestion des femmes derrière les barreaux est devenue moins distincte du reste des opérations de SCC. Les établissements régionaux n’ont guère contribué à alléger l’environnement trop sécurisé pour les femmes et, à bien des égards, ont fourni l’occasion d’introduire des mesures de sécurité supplémentaires.

Photo d'une cellule d’observation à côté des unités d’intervention structurée de l’Établissement Nova.

Cellule d’observation à côté des unités d’intervention 
structurée de l’Établissement Nova 

Utilisation de logements visés par des politiques restrictives

Pendant des années, les femmes ont été soumises à diverses formes de logement restrictif, comme l’isolement, l’isolement clinique, l’observation de la santé mentale, la surveillance étroite en cas de risque de suicide, la cellule nue et, désormais, les unités d’intervention structurée (UIS). Bien que ces différents types d’environnements restrictifs soient utilisés de manière très spécifique dans la politique, ils signifient souvent que les femmes sont placées dans des cellules de prison traditionnelles dans un environnement qui privilégie une approche de sécurité plutôt qu’une intervention thérapeutique ou axée sur les soins de santé. Les femmes ont décrit ces cellules comme étant froides, sales et isolées. Un grand nombre d’UIS sont situées dans des zones précédemment utilisées pour l’isolement. De nombreux observateurs ont déclaré que les UIS sont tout simplement le nouvel isolement. Compte tenu des besoins en matière de santé mentale de nombreuses femmes, ces environnements restrictifs et sécurisés ne sont pas appropriés et ne favorisent pas la guérison. Ils laissent souvent aux femmes un sentiment de désespoir, de désarroi et d’impuissance, en particulier lorsqu’elles doivent faire face à leurs problèmes de santé émotionnelle ou mentale. Plutôt que d’isoler les femmes, il faut envisager, le cas échéant, de les placer dans des logements de rechange et qui procurent du soutien.

Photo d'une cours de l’unité d’intervention structurée et de l’unité<br> de garde en milieu fermé de l’Établissement Nova.

Cours de l’unité d’intervention structurée et de l’unité 
de garde en milieu fermé de l’Établissement Nova 

Photo inside the maximum-security unit at Grand Valley Institution.

À l’intérieur de l’unité à sécurité maximale à 
l’Établissement Grand Valley 

L’unité de garde en milieu fermé

L’unité de garde en milieu fermé (établissement à sécurité maximale) est, sans surprise, la plus stricte de toutes les zones des établissements pour femmes. Mon Bureau a précédemment identifié ces unités comme étant très restrictives et répressives. Les conditions de vie dans ces espaces fermés et exigus sont source de tensions, de frustrations et de conflits. Mon personnel continue de voir beaucoup les mêmes femmes détenues dans des unités de garde en milieu fermé, visite après visite. Certaines ont vu leur classification de sécurité passer de moyenne à maximale. D’autres ont été placées dans l’unité de garde en milieu fermé à la suite de comportements causés par des problèmes de santé mentale sous-jacents. D’autres n’ont pas réussi à descendre vers les niveaux de sécurité inférieurs. En outre, comme mon Bureau l’a déjà signalé, les femmes placées dans des établissements à sécurité maximale ont été soumises au fil des ans à au moins deux systèmes distincts de classification ou de niveau destinés à gérer leurs mouvements. Le Protocole de gestion, aujourd’hui disparu, présenté en 2003, était un régime très sévère pour les femmes incarcérées considérées comme « ingérables » au sein de la population d’établissements à sécurité maximale. Il était utilisé presque exclusivement pour la prise en charge des femmes autochtones à haut risque et à besoins élevés. Ce système a été remplacé par le système de niveaux, qui continue de gérer le mouvement des femmes lorsqu’elles quittent l’unité de garde en milieu fermé pour accéder à des services, comme les soins de santé, les visites, les programmes ou l’école. Les femmes sont souvent soumises à des contraintes pour se déplacer hors de l’unité. À l’instar du Protocole de gestion, le système de niveaux a tendance à cibler les femmes autochtones à haut risque et à besoins élevés, qui sont surreprésentées dans les unités de garde en milieu fermé.

Alors que beaucoup de ces femmes ont besoin d’un environnement structuré, l’approche restrictive et sécuritaire de l’unité de garde en milieu fermé peut aggraver leurs problèmes de santé mentale. Les comportements des femmes, dont beaucoup contribuent à leur statut de sécurité maximale, sont souvent le résultat de traumatismes et de problèmes de santé mentale non traités. Il serait préférable de les soutenir plutôt que de les restreindre et de les sécuriser. L’ajout de professionnels de la santé mentale à temps plein dans l’unité de garde en milieu fermé contribuerait grandement à aider bon nombre de ces femmes.

L’application de la politique de manière trop restrictive

De 2015-2016 à 2019-2020, les incidents de recours à la force dans les établissements pour femmes ont atteint leur plus haut niveau en 2018-2019 (266 incidents) avant de diminuer légèrement en 2019-2020 (242). Mon Bureau a mis en évidence la tendance inquiétante du recours à la force sur les femmes qui s’automutilent et sur les femmes souffrant de graves problèmes de santé mentale. Le remplacement du Modèle de gestion de situations par le Modèle d’engagement et d’intervention n’a pas entraîné de changements cohérents dans la manière dont ces cas sont gérés. Les femmes continuent de subir des interventions liées à la sécurité devant ce qui devrait être une intervention liée à la santé. En 2020-2021, mon Bureau a enquêté une nouvelle fois sur un cas particulièrement flagrant de recours à la force sur une femme qui s’automutilait et présentait des problèmes de santé mentale (Voir le cas de recours à la force). Bien que mon Bureau ait reçu une réponse positive de SCC qui détaillait ses échecs et les mesures à prendre pour améliorer les réponses aux incidents, ce cas illustre une fois de plus qu’un travail continu et une surveillance permanente sont nécessaires en ce qui concerne la gestion et le traitement des femmes ayant des problèmes de santé mentale et des personnes ayant des comportements d’automutilation. Compte tenu du nombre de cas similaires que j’ai soumis au Service au fil des ans, je reste préoccupé par le manque apparent de progrès sur ces questions au niveau institutionnel et organisationnel. L’absence de soins de santé mentale suffisants, associée à une approche privilégiant la sécurité pour gérer les situations attribuables à une détresse psychologique aiguë, constitue un modèle risqué qu’une organisation peut renforcer ou laisser se produire passivement.

CAS DE RECOURS À LA FORCE

En 2020-2021, mon Bureau a enquêté sur un cas de recours à la force sur une jeune femme autochtone résidant dans l’unité de garde en milieu fermé. Elle s’automutilait et avait des problèmes de santé mentale.

Après avoir utilisé son bouton d’appel pour demander de l’aide, des agents correctionnels sont arrivés dans sa cellule. Elle a obéi à leurs ordres, a été menottée et conduite dans une salle d’entrevue. Là, elle est devenue très agitée et a recommencé à se blesser. Les agents lui ont ordonné verbalement depuis l’extérieur de la pièce d’arrêter, mais ils n’avaient pas les clés pour entrer et la femme n’a pas arrêté. Lorsque les clés sont arrivées, les agents ont immédiatement ouvert la porte et ont pulvérisé du gaz poivré, ce qui a mis fin à son comportement.

Après la décontamination, la femme a voulu retourner dans son unité. Mais elle n’a pas été autorisée à le faire. Elle s’est à nouveau agitée et a résisté aux ordres. Le personnel l’a portée jusqu’à son unité.

Ce cas illustre une fois de plus de nombreuses préoccupations systémiques du Bureau concernant les services correctionnels pour femmes, notamment :

  • le recours à des mesures de sécurité pour gérer les incidents d’automutilation;
  • une faible adhésion au modèle d’engagement et d’intervention;
  • un manque de services médicaux et de santé mentale;
  • un placement et un traitement des femmes ayant des problèmes de santé mentale dans l’unité de garde en milieu fermé;
  • les lacunes dans les procédures d’examen après usage de la force;
  • un apprentissage organisationnel déficient.

En réponse à ma correspondance, le Service a reconnu que davantage de travail était nécessaire pour répondre de manière appropriée aux incidents liés à la santé. En fait, le Service était d’accord avec la plupart des évaluations de mon Bureau sur ce qui a mal tourné dans ce cas particulier. Le SCC a également décrit les mesures qu’il met en œuvre, notamment :

  • une stratégie de prévention et d’intervention en matière de suicide et un cadre clinique pour aider le personnel à gérer les personnes suicidaires et qui s’automutilent en prenant des mesures pertinentes;
  • une mise à jour continue des programmes d’enseignement et des formations en fonction de scénarios sur l’usage de la force;
  • un Comité d’enquête examinant la gestion des incidents en établissement selon l’ancien Modèle de gestion de situations et le nouveau Modèle d’engagement et d’intervention afin de voir si des progrès ont été réalisés par rapport aux résultats escomptés;
  • des plans d’action régionaux pour le suivi de la mise en œuvre du Modèle d’engagement et d’intervention.

En septembre 2018, le SCC a mis en œuvre un calculateur de fouilles à nu aléatoires afin de normaliser l’attribution des fouilles à nu aléatoires. La plupart des femmes purgeant une peine de ressort fédéral sont des survivantes de traumatismes et d’abus. Plutôt que de réduire les effets de l’exposition au traumatisme, les pratiques de sécurité de ce type reproduisent souvent les événements traumatiques et aggravent les symptômes des traumatismes antérieurs. La politique de fouille à nu des femmes doit être fondée sur la compréhension et la prise en compte de l’impact des traumatismes. Dans la mesure du possible, les recherches doivent éviter les pratiques susceptibles de traumatiser à nouveau inutilement, comme le traitement arbitraire. Une politique de fouille tenant compte des traumatismes et du genre garantirait une approche fondée uniquement sur le risque identifié (motifs raisonnables) et la nécessité.

ARTICLE 53 RECHERCHE D'OBJETS INTERDITS

Le 19 novembre 2020, un établissement pour femmes a été fermé parce qu’on soupçonnait que des objets interdits avaient pénétré dans l’établissement. Pour que les fouilles puissent avoir lieu, les femmes étaient amenées au gymnase et devaient attendre pendant un long moment. Au cours de la fermeture, certaines femmes ont été soumises à une fouille à nu en vertu de l’article 53 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , et interrogées sur la présence de drogues. L’ajout d’un interrogatoire aux fouilles à nu qui avait déjà rendu les femmes vulnérables semble particulièrement axé sur la sécurité, avec peu de respect pour les besoins particuliers ou le dommage qu’une telle expérience peut causer.

En avril 2021, mon Bureau a été informé que l’EIFW et l’Établissement de Bath avaient été retenus comme établissement pilote pour faire l’essai d’un détecteur à balayage corporel. Footnote 23 Si l’introduction de détecteurs à balayage corporel peut réduire le caractère invasif de la fouille à nu, cette pratique montre à quel point les services correctionnels pour femmes se sont éloignés de La création de choix pour normaliser les mesures de sécurité. Aujourd’hui, les mesures de sécurité de ce type sont simplement acceptées comme une routine ou des procédures opérationnelles standard. Il semble qu’il n’y ait pas de place pour s’exprimer ou soulever des questions sur les mesures qui vont à l’encontre d’une vision plus progressiste des services correctionnels pour les femmes. Le Service semble justifier cela au nom de la sécurité et du contrôle. Bien que des recherches invasives puissent être nécessaires dans certains cas très spécifiques, elles doivent être limitées aux cas où il existe des preuves suffisantes.

Les femmes ont soulevé d’autres problèmes auprès de mon Bureau, qui mettent en évidence l’environnement trop sécurisé des établissements pour femmes :

  • Des exigences d’escorte incohérentes : certaines femmes ont déclaré se voir imposer des chaînes aux chevilles quand elles étaient accompagnées d’un garde en uniforme pour aller à un rendez-vous médical communautaire, mais elles peuvent faire une sortie avec escorte sans chaînes aux chevilles en étant accompagnées d’un bénévole;
  • Le personnel de sécurité reste dans la pièce pendant les visites médicales dans la collectivité;
  • Des environnements trop restrictifs dans les unités à sécurité minimale (c’est-à-dire un dénombrement toutes les deux heures, avec deux dénombrements debout, pendant la journée; une signature au registre à 15 h 30; des restrictions sur le sentier de promenade; et des couvre-feux précoces); et,
  • La surutilisation des caméras et de la surveillance va à l’encontre d’un environnement propice au rétablissement.
  1. Je recommande que le SCC effectue un examen externe pour évaluer toutes les pratiques de sécurité dans les établissements pour femmes en vue d’éliminer ou de réduire les procédures de niveau de sécurité trop élevé qui éloignent les services correctionnels pour femmes des objectifs définis dans La création de choix. 

     

3. La programmation est mauvaise

Parmi les problèmes que le Groupe d’étude a identifiés, il y a le besoin d’une plus grande programmation. Depuis 1990, les interventions correctionnelles offertes aux femmes purgeant une peine de ressort fédéral ont considérablement changé dans leur nombre, leur variété et leurs méthodes. Dans les années qui ont suivi La création de choix , des programmes correctionnels individuels ont été proposés pour cibler des besoins criminogènes spécifiques, comme le Programme d’intervention pour délinquantes toxicomanes et le Programme de maîtrise de la colère et des émotions. Toutefois, l’approche et le contenu des programmes ont connu un changement important en 2010, lorsque le SCC a mis en œuvre un nouveau « modèle holistique, fondé sur le genre et la culture » de programmes correctionnels pour les femmes. L’ensemble des programmes correctionnels pour délinquantes (PCD) et le programme correctionnel pour délinquantes autochtones (PCDA) sont passés d’un programme aux objectifs spécifiques (où une femme pouvait avoir besoin de suivre plusieurs programmes pour répondre à tous ses besoins criminogènes identifiés) à un programme intégré à objectifs multiples. Cette approche commence par un programme d’engagement, suivi de composantes d’intensité modérée ou élevée, et se termine par un programme d’autogestion (entretien). Ces éléments de programme peuvent être dispensés dans l’établissement ou dans la collectivité. Ce modèle comprend également un programme pour les délinquantes sexuelles qui en ont besoin. Les femmes placées en unité de garde se voient offrir une intervention modulaire pour les aider à traiter les raisons de leur placement en unité de garde, mais cette programmation ne remplace pas le ou les programmes requis dans le cadre de leur plan correctionnel. Comme le montre La Voix des femmes citée précédemment, nous avons entendu de nombreuses femmes qui ont vécu des expériences positives et qui ont apprécié et bénéficié des programmes correctionnels, tant au niveau du contenu que des animateurs. Cependant, nous avons également entendu de nombreuses plaintes. Récemment, de vastes études et enquêtes sur les problèmes auxquels sont confrontées les femmes purgeant une peine de ressort fédéral ont relevé des lacunes importantes dans leur programmation. Footnote 24 Bien que le nombre et la variété des programmes correctionnels offerts aux femmes purgeant une peine de ressort fédéral aient augmenté depuis La création de choix , des problèmes évidents demeurent quant à leur disponibilité, à leur qualité et à leur efficacité.

Photo d'une salle culturelle de l’établissement de la vallée du Fraser pour femmes.

Salle culturelle de l’établissement de la vallée du 
Fraser pour femmes 

Accès aux programmes correctionnels

L’accès en temps opportun aux programmes correctionnels est important pour de nombreuses raisons, notamment la nécessité de préparer rapidement les femmes à un retour à la liberté réussi dans la collectivité. Le faible accès aux programmes a été l’une des principales conclusions de l’enquête menée en 2017 par le vérificateur général (VG) sur les services correctionnels pour femmes. Bien que l’accès opportun soit un problème beaucoup plus important pour la grande population d’hommes incarcérés, es conclusions du VG indiquent que « le Service correctionnel du Canada ne permettait pas à de nombreuses femmes incarcérées de terminer leur programme correctionnel à temps pour la libération conditionnelle ». En outre, en ce qui concerne les femmes autochtones, le VG a déclaré que « peu de délinquantes autochtones avaient accès à des programmes ou à des interventions correctionnels adaptés à leur culture, en raison de leur disponibilité limitée. » Le VG a constaté que les femmes autochtones suivaient des programmes génériques pour les femmes, en grande partie parce que les programmes culturellement pertinents n’étaient pas proposés à temps. En novembre 2020, le SCC a publié sa propre évaluation des programmes correctionnels pour femmes, qui a révélé des problèmes d’accès similaires, en particulier pour les femmes autochtones. Par exemple, seulement 51 % des femmes autochtones ont achevé le programme principal avant leur date d’admissibilité à la semi-liberté, contre 79 % des femmes non autochtones. Bien que plus de 95 % des femmes aient été inscrites au programme principal avant leur admissibilité à la semi-liberté et à la liberté conditionnelle totale, le personnel et les femmes incarcérées ont tous deux constaté des problèmes d’accès opportun. Plus précisément, le personnel a attribué les obstacles à l’accès au manque de ressources, en particulier de ressources humaines, et à la disponibilité insuffisante des pro